F. LE FONCTIONNEMENT DE LA DÉMOCRATIE EN HONGRIE
Deux mesures adoptées récemment par le gouvernement hongrois ont incité l'Assemblée parlementaire à organiser un débat sur le fonctionnement des institutions démocratiques dans ce pays.
Les règles entourant la désignation des membres de la Cour constitutionnelle ont ainsi été modifiées, laissant planer un doute sur l'autonomie de l'institution, d'autant qu'elle voit ses pouvoirs réduits en ce qui concerne le contrôle des propositions gouvernementales. Parallèlement, le Parlement a adopté la loi relative aux médias, qui confère un certain nombre de pouvoirs de contrôle de l'information à l'Autorité nationale des médias et des communications (NMHH) dont les cinq membres sont nommés par le gouvernement. Celle-ci peut exiger que les médias corrigent des informations jugées manquant d'objectivité et sanctionner par des amendes sévères les organes de presse dont sont issus les articles ou les émissions incriminés. Cette institution pourra imposer de lui soumettre avant diffusion articles et émissions. La loi est entrée en vigueur le 1 er janvier dernier.
Les limogeages de fonctionnaires sans raison valable participent également d'un climat de défiance à l'endroit des intentions du gouvernement hongrois.
Le débat organisé dans l'hémicycle a mis en lumière la volonté des membres de l'Assemblée de voir la Hongrie se rapprocher de la Commission de Venise avant tout changement d'ordre constitutionnel. La plupart des intervenants ont, dans le même temps, souligné le problème que posait la nouvelle loi sur les médias, sans préjuger toutefois de l'impact des négociations en cours entre la Commission européenne et Budapest sur les amendements à apporter au texte.
Mme Gisèle Gautier (Loire-Atlantique - UMP) a ainsi tenu à mettre en avant, dans son intervention, le rôle de la Commission européenne dans ce dossier et mis en garde contre toute tentation à dramatiser la situation hongroise :
« Permettez-moi de vous faire part de mon étonnement quant à l'organisation d'un débat dit d'actualité sur le fonctionnement de la démocratie en Hongrie.
Je ne mésestime en rien les problèmes posés par l'adoption de la fameuse loi sur les médias, entrée en vigueur le 1 er janvier dernier et qui ne garantit pas, il faut le reconnaître, une totale indépendance de la presse.
Je rappelle à toutes fins utiles que la Commission européenne s'est d'ores et déjà saisie de ce problème et a demandé à Budapest de modifier en substance la loi concernée, et ce sous quinzaine.
Bruxelles juge que l'obligation d'enregistrement auprès d'une autorité nationale qui est faite par la loi hongroise à tous les types de médias, y compris les médias sur internet, « pourrait constituer une restriction disproportionnée à la liberté d'établissement et de prestation de services », telles que prévue par les traités. L'Union européenne exprime également des doutes concernant une autre disposition, qui oblige, sous peine de sanction, les médias audiovisuels en Hongrie, y compris les blogs audiovisuels et sites de vidéo à la demande, à fournir « une information équilibrée ».
La réaction de l'Union européenne, aussi technique que précise, m'apparaît plus proportionnée que le débat d'aujourd'hui, dont je regrette le titre. Peut-on réellement s'interroger sur le fonctionnement de la démocratie en Hongrie ? L'adoption d'une loi doit-elle conduire à considérer l'ensemble d'un système comme réprimable ? Sûrement pas ! Le Gouvernement hongrois a manifesté à plusieurs reprises son souhait de réviser avec la Commission européenne le contenu de sa loi. Ne pouvions-nous pas attendre la partie de session d'avril pour juger de la réactivité de Budapest sur le sujet ?
Je rappelle, par ailleurs, que notre Assemblée a décidé d'organiser quatre débats ayant trait à l'actualité des droits de l'Homme : ils concernent la Biélorussie, la Tunisie, la situation des chrétiens au Proche et au Moyen-Orient et la Hongrie. Sincèrement, mes chers collègues, pouvons-nous assimiler la situation de Budapest aux trois autres sujets, qui sont autrement plus d'actualité ? Ne devons-nous pas éviter les effets d'annonce, sous peine de fragiliser la crédibilité de nos travaux ? Ces questions méritent une réflexion sereine. »
M. Bernard Fournier (Loire - UMP) a tenu à replacer le débat dans le cadre plus général des violences faites aux journalistes :
« Le gouvernement de Victor Orbán semble cristalliser, ces derniers temps, les inquiétudes d'une partie de l'opinion publique. J'en veux pour preuve l'organisation de ce débat d'actualité sur le fonctionnement de la démocratie en Hongrie. À titre personnel, j'avoue ne pas être certain que la situation en Hongrie provoquerait pareilles réactions si ce pays n'avait pris la présidence tournante de l'Union européenne au début du mois. Toujours est-il que plusieurs lois adoptées récemment ont suscité des interrogations sur la voie qu'empruntait le nouveau gouvernement hongrois, au point d'évoquer à son sujet une « dérive autoritariste ».
C'est principalement la loi sur les médias, adoptée le 21 décembre dernier et entrée en vigueur dès le 1 er janvier, qui fait l'objet de graves critiques. Elle fait craindre l'instauration d'un contrôle politique des médias qui permettrait la censure. La Commission européenne a d'ailleurs immédiatement lancé une enquête pour juger de la conformité du texte aux droits fondamentaux de l'Union européenne. Elle devrait rendre sa décision dans les prochains jours.
Pour ma part, je ne dispose ni des moyens ni de la technicité de la Commission européenne pour déterminer la compatibilité de cette loi. Mais, j'ai toute confiance dans la capacité de cette institution à rendre un verdict objectif. Cette dernière n'a aucun intérêt à épargner la Hongrie si les soupçons actuels se révèlent fondés. Cela jetterait le discrédit tant sur la présidence actuelle de l'Union européenne que sur la Commission européenne elle-même. En outre, je rappelle que le Premier ministre hongrois s'est publiquement engagé à modifier la loi si elle contrevenait aux droits fondamentaux.
Je ne cherche pas à défendre à tout prix l'attitude de la Hongrie, mais je comprends mal que le procès actuel en fasse d'emblée un coupable présumé, alors même que le jugement n'a pas été rendu. Je suis moi-même très attaché à la liberté d'expression et à la pluralité des médias, deux valeurs fondamentales des droits de l'Homme sur lesquelles je n'accepte pas qu'on puisse transiger. La démocratie n'est rien sans droit à l'information, sans une presse libre et non censurée.
C'est pourquoi je m'inquiète bien davantage des menaces qui planent sur l'intégrité physique des journalistes sur le territoire même de certains États du Conseil de l'Europe. Des journalistes sont régulièrement menacés, harcelés, passés à tabac, persécutés et même assassinés dans certains pays. D'autres sont emprisonnés, parfois plusieurs années durant, pour un mot ou une photo qui aurait déplu.
Ces atteintes sont véritablement inadmissibles et nous les évoquons trop rarement au sein de notre Assemblée. Comment parler de liberté de la presse lorsque des journalistes sont bâillonnés et leur vie menacée ? Que dire des restrictions imposées à la liberté d'expression sur la Toile, alors que celle-ci était le dernier refuge pour des citoyens déjà passablement muselés ? Le dernier rapport de l'organisation non gouvernementale « Reporters sans frontières » fait état d'une dégradation de la liberté de la presse en Europe. Nous évoquions hier la protection des sources des journalistes. Pourquoi n'organiserions-nous pas, lors de l'une des prochaines sessions, un vrai débat sur les menaces pesant sur les journalistes et la liberté de la presse en Europe ? »