G. DÉBAT D'URGENCE SUR LES VIOLENCES À L'ENCONTRE DES CHRÉTIENS AU PROCHE ET MOYEN-ORIENT
L'année 2010 a été marquée par une augmentation des violences perpétrées à l'encontre des communautés chrétiennes dans le monde, particulièrement au Proche et au Moyen-Orient, comme l'ont illustré la prise d'otages sanglante en la cathédrale catholique syriaque de Notre-Dame du Salut à Bagdad le 31 octobre ou l'attentat suicide dans une église copte d'Alexandrie le 31 décembre. Dans le même temps, une hausse du nombre de procès et des condamnations à mort pour blasphème a été enregistrée.
A l'initiative de M. Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP) , président de la délégation française, la commission permanente de l'Assemblée a tenu le 12 novembre dernier un débat d'actualité concernant les attaques contre les chrétiens et d'autres communautés religieuses en Irak. M. Mignon a souhaité, dans la foulée, qu'un débat puisse être organisé selon la procédure d'urgence au cours de la présente partie de session.
Par ailleurs, le 21 janvier dernier, le Comité des ministres a adopté à l'unanimité une déclaration sur la liberté religieuse, condamnant les violences et toute forme d'incitation à la haine religieuse et à la violence.
Intervenant au nom du groupe PPE, M. Jean-Claude Mignon , a insisté sur la pertinence d'un tel débat dans le cadre de la lutte contre l'intolérance sous toutes ses formes :
«La liberté de religion et de conviction est une liberté fondamentale, reconnue par la Déclaration universelle des droits de l'Homme, par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et par la Convention européenne des droits de l'Homme.
L'article 9 de la Convention stipule que toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il précise que ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. Ce droit comprend donc celui de ne professer aucune religion.
Force est malheureusement de constater que ce droit est assez souvent bafoué en dehors des frontières européennes, comme les tragiques événements de ces derniers mois ne cessent de nous le rappeler.
La liberté de pensée est niée dans tous ses aspects :
Remise en cause de la liberté de culte sous la forme la plus brutale qui soit, le terrorisme et l'assassinat. Dans certains États, la loi elle-même nie toute liberté de culte ;
Liberté de changer de religion, souvent considérée comme un crime, l'apostasie. Ce refus de la liberté de penser est cohérent avec une vision du monde où l'individu n'existe qu'au travers d'une communauté. La Cour européenne des droits de l'Homme a déjà eu l'occasion de souligner qu'un régime où tous les domaines de la vie privée et publique seraient régis par la loi religieuse serait contraire à la Convention européenne des droits de l'Homme ;
Statuts juridiques inférieurs pour ceux qui ne pratiquent pas la religion dominante, avec, par exemple, l'interdiction d'accéder aux emplois supérieurs de la fonction publique ;
Lois sur le blasphème de nature profondément totalitaire et qui nous rappellent tristement l'affaire Calas, que Voltaire en son temps dénonça si justement. Le Pakistan en offre un tragique exemple.
Il est aujourd'hui indispensable de s'indigner du martyre dont sont victimes les chrétiens, en raison de la violence même des attaques qu'ils subissent, de la volonté délibérée de certains de les chasser de leurs lieux de naissance et du relatif silence qui a entouré ces faits pendant longtemps. Je rappellerai pourtant que le christianisme est né en Orient !
Ne nous trompons cependant pas. Le mal n'est pas telle ou telle religion, l'islam, l'hindouisme, etc. L'ennemi, c'est l'intolérance. Cette intolérance, ce refus d'accepter l'autre, qui font que les minorités religieuses sont persécutées, les chiites en Irak, les bahais en Iran, les ahmadis au Pakistan, pour me limiter à quelques exemples.
Ce n'est pas non plus un hasard si beaucoup des États où ont lieu ces persécutions sont des dictatures ou des démocraties fort imparfaites, qui trouvent commode de canaliser l'insatisfaction populaire vers un bouc émissaire.
Il est en outre clair que certains souhaiteraient contribuer à déclencher cette guerre des civilisations que les extrémistes appellent de leurs voeux. Ne tombons pas dans ce piège. Soutenons partout la liberté de conscience, la tolérance et la démocratie, conformément aux valeurs les plus fondamentales du Conseil de l'Europe.
Faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter le départ des chrétiens d'Orient de leurs terres ancestrales, sauf à donner raison à ceux qui encouragent le nettoyage ethnique. Je rappellerai par exemple que les coptes d'Égypte sont les descendants directs des premiers habitants de ce pays.
Soyons exemplaires chez nous. Même si, comparés à l'Arabie saoudite ou au Pakistan, nous le sommes évidemment, continuons à prôner la tolérance et à l'appliquer dans nos propres pays. C'était d'ailleurs le sens de notre débat sur l'islamophobie.
Agissons enfin en coordination avec l'Union européenne. Je me réjouis dans cette perspective que les ministres des affaires étrangères italien, hongrois et polonais aient demandé l'inscription de ce sujet à l'ordre du jour des Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne le 31 janvier prochain. »
Aux yeux de M. Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC) , intervenant au nom du groupe ADLE, cette question est d'autant plus grave qu'elle remet en cause des siècles de coexistence relativement pacifique :
« La région dans laquelle les chrétiens d'Orient vivent leur foi, berceau de la religion de beaucoup d'entre nous, est leur terre depuis toujours. Ils y vivent aux côtés de familles qui y sont également chez elles, dont les pères ont embrassé d'autres religions. La coexistence des uns et des autres ne fut pas toujours facile. Combien de fois fallut-il même la reconstruire, tant les fidèles de ces religions attachaient d'importance à leurs convictions ? Cette coexistence est fragile et précieuse.
Ce n'est pas parce qu'ils appartiennent à des confessions religieuses minoritaires que les chrétiens d'Orient auraient moins le droit de vivre chez eux en sécurité, qu'ils seraient moins libres de penser et de pratiquer leur religion. Liberté de vivre chez soi, liberté de conscience : il s'agit de droits fondamentaux avec lesquels on ne peut transiger.
Le Groupe ALDE condamne unanimement les violences qui se multiplient contre ces chrétiens. Il considère aussi que cette condamnation aura d'autant plus de portée qu'elle s'appuiera sur les valeurs essentielles qui nous unissent, tous, au sein du Conseil de l'Europe.
Ces chrétiens portent, avec les juifs et les musulmans, un héritage spirituel exceptionnel. Cet héritage multiple a façonné cette région du monde. Il devrait garantir son équilibre. Ni les chrétiens, ni les musulmans, ni les juifs n'ont quoi que ce soit, en tout cas, à gagner à la négation de cet héritage, ni bien sûr à la rupture de cet équilibre.
Transformer une fragile coexistence en une confrontation interreligieuse ouverte est évidemment un objectif pour tous les extrémistes. Nous devons à nouveau mettre en garde sur les risques présentés par le développement de communautarismes qui peuvent offrir un refuge dans l'instant mais jamais une ouverture sur un avenir durable. En misant sur ce qui oppose plutôt que sur ce qui unit, les communautarismes ouvrent des boulevards aux intégristes qui n'ont plus qu'à inciter les communautés dominantes à terroriser celles qui sont minoritaires.
Ne sommes-nous pas invités à aller vers une vraie laïcité, fondée sur l'acceptation de l'autre dans ce qu'il a, lui aussi, de plus précieux : sa conscience ?
Je prépare actuellement pour notre Assemblée un rapport visant à réaffirmer l'universalité des droits de l'Homme. Laisser relativiser ces droits sur des bases religieuses ou régionales les ruinerait très vite, ce qui serait un échec absolu pour les démocrates épris de liberté que nous sommes.
Puissent tous ceux qui se reconnaissent dans l'une des trois religions du Livre, ou tout du moins qui respectent ces religions, s'engager fortement pour que cette terre reste fidèle à son héritage spirituel, afin qu'elle demeure terre d'espérance, « la » Terre de l'Espérance. »
Aux yeux de la commission des questions politiques de l'Assemblée, saisie du sujet, la coexistence de congrégations religieuses témoigne de l'existence d'un environnement propice au développement de la démocratie et des droits de l'Homme.
M. Bernard Fournier (Loire - UMP) a souligné ce lien entre ce débat et la question de l'universalité des droits de l'Homme :
« Le Conseil de l'Europe, en intervenant aujourd'hui sur ce sujet, ne se transforme pas en défenseur d'une communauté particulière. Il vise surtout à rappeler les valeurs qui sont les siennes et à promouvoir les libertés fondamentales de l'individu de par le monde. Il ne s'agit pas pour nous de participer à un hypothétique choc des civilisations mais bien de dépasser celui-ci pour réaffirmer l'universalité des droits de l'Homme. Nous l'avons fait l'an dernier, lorsqu'il s'agissait de dénoncer les tendances islamophobes qui se font jour sur notre continent.
Notre but est aujourd'hui le même : permettre à chacun de vivre, voire d'exprimer, librement, ses croyances. De fait, avant de défendre le chrétien, nous défendons l'homme. Nous ne nous battons pas pour une communauté en tant que telle mais bien pour permettre à des individus installés sur ces terres depuis des siècles, qui réussissaient jusqu'à présent à cohabiter avec d'autres aux croyances différentes, de vivre librement et en toute sécurité.
Soyons précis, nous ne défendons pas une conception occidentale des droits de l'Homme. Ceux-ci ne sauraient être déterminés par la géographie et le climat.
La liberté d'expression comme celle de croyance font, en effet, partie de l'héritage universel des Lumières. Elles ne peuvent être bafouées au motif qu'elles ne s'inscrivent pas dans un cadre idéologique précis et ne servent pas à la promotion de telle ou telle spiritualité ou philosophie.
Nous ne pouvons, à cet égard, tolérer toute collusion entre pouvoir politique et autorités spirituelles pour bafouer les droits les plus élémentaires. Nous ne pouvons comprendre non plus que la loi religieuse ait une réelle valeur normative et se substitue au droit civil. Notre tradition libérale ne peut s'accorder avec l'assimilation de l'apostasie ou du blasphème à des infractions.
De fait, il nous est impossible de rester muet face aux violences répétées de part et d'autre du Proche et Moyen Orient. Il est impensable que des lieux de culte deviennent des lieux de mort et que nous restions silencieux face aux attaques de toute nature visant la liberté religieuse. Ce serait nous renier.
Je salue, à ce titre, le rapport de M. Volontè qui n'hésite pas à pointer les responsabilités des uns et des autres et s'avère tout aussi sévère avec certains des États membres de notre Organisation qu'à l'égard des pays tiers. »
M. Jean-Paul Lecoq (Seine-Maritime - GDE) , intervenant au nom du groupe GUE, a souhaité rappeler combien la promotion de la tolérance doit permettre d'éviter le piège d'un « choc des civilisations » :
« Je tiens à condamner, au nom de mon groupe, les violences à l'encontre des chrétiens au Proche et au Moyen-Orient. Les récents attentats à Bagdad et à Alexandrie mettent en évidence une montée de la violence à l'égard des minorités chrétiennes au Proche et Moyen-Orient, qui n'est en rien acceptable.
Les chrétiens vivant au Moyen-Orient sont des communautés autochtones qui fuient massivement leur terre natale en raison d'un sentiment d'insécurité croissant.
Notre Assemblée doit fermement condamner la violence contre un groupe de personnes du fait de son appartenance à une communauté religieuse, quelle qu'elle soit, même si elle est devenue minoritaire du fait de l'Histoire.
Pour autant, le rapport insiste sur l'engagement religieux, mais nous pensons qu'il n'y a pas que l'identité, il y a aussi la question des pratiques religieuses, qui mérite respect et moyens. Les chrétiens tués dans l'attentat malheureux d'Alexandrie l'ont été parce que leur lieu de culte n'a pas été sécurisé.
Notre groupe propose également un amendement pour supprimer le paragraphe 13 du projet de recommandation. En effet, stigmatiser un pays et un seul ne nous semble pas être opportun dans ce rapport.
En outre, il nous semble essentiel de toujours veiller, en tant que membres du Conseil de l'Europe, avant de donner des leçons en termes de respect de droits de l'Homme, que nous ne discriminions pas, nous aussi, sur nos territoires nationaux, des minorités religieuses.
C'est pour cela que notre démarche doit aller plus loin. Elle ne doit pas condamner uniquement la violence à l'endroit des chrétiens, mais également celle qui est faite à l'endroit de l'ensemble des minorités religieuses.
Le principe de laïcité, propre à la France, a l'insigne avantage de permettre un entier respect de la liberté religieuse dans la sphère privée, voire la liberté de ne pas croire. Ici, en Alsace, l'héritage historique permet une autre lecture de la concorde entre minorités religieuses sans que ce principe en soit l'origine. Néanmoins cette exception positive ne saurait présenter un modèle, car il est un héritage positif de l'Histoire.
L'État, lorsqu'il est laïc, affiche une neutralité qui ne peut ensuite être instrumentalisée par les éléments extrémistes pour attiser les communautés les unes contre les autres.
L'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'Homme protège la liberté de croire. Mais n'oublions pas que, a contrario , elle protège également la liberté de ne pas croire.
En liaison avec ce qui se passe en Tunisie, nous devons encourager l'émergence de printemps démocratiques pour que le vent de la liberté ne soulève pas uniquement les peuples contre leurs dictateurs, mais sème les germes d'institutions protectrices des minorités religieuses et non religieuses dans leur ensemble.
La tolérance est une vertu cardinale dans un État démocratique où le pouvoir ne recherche pas des boucs émissaires afin d'asseoir sa légitimité, en détournant l'attention des citoyens vers des cibles facilement identifiables. Il ne faudrait pas tomber dans le piège que les extrémistes nous tendent : nous faire croire à l'émergence d'un « choc des civilisations » qui reposerait sur les identités religieuses.
Le « choc des civilisations » n'a pas lieu d'être. Les minorités religieuses et non religieuses peuvent vivre en concorde lorsque l'espace public reste neutre.
Le Conseil de l'Europe doit donc être garant par l'éducation et l'apprentissage de la culture que les diversités religieuses ne sont que des richesses qui nous rapprochent et non des fossés qui nous divisent. »
M. Rudy Salles (Alpes-Maritimes - NC) a, à cet égard, souligné que l'identité d'un pays ne pouvait reposer sur des principes religieux :
« Comme le rapporteur, je condamne avec fermeté les récentes attaques qui ont eu lieu contre les chrétiens en Orient. Un engagement ferme de notre Assemblée parlementaire doit, en effet, être pris, pour condamner toutes formes de discriminations, et en premier lieu, la discrimination religieuse.
L'intégrité physique de l'ensemble des citoyens doit être préservée dans tous les cas.
La situation des chrétiens en Orient et au Proche-Orient a toujours été une situation délicate, comme celle des juifs. Le statut de dhimmi, s'il apporte une protection juridique particulière aux religions du Livre autres que musulmanes, à savoir qu'elles ne sont pas soumises à la juridiction des tribunaux islamiques, ne leur accorde néanmoins pas une citoyenneté pleine et entière.
Ces différents statuts juridiques ont donc pour corollaire l'identification de chaque citoyen à sa communauté religieuse d'appartenance.
Le risque de se retrouver face à des « identités meurtrières », pour reprendre le titre de l'ouvrage de l'écrivain libanais Amin Maalouf, est donc la conséquence de ce statut à la fois protecteur et discriminatoire.
Pour protéger sa communauté d'appartenance, il est très difficile, voire impossible, de changer de religion. La liberté religieuse n'est, de fait, dans aucun pays arabe du Proche et du Moyen-Orient, entièrement respectée.
C'est pourquoi la seule manière d'éviter que les identités religieuses ne deviennent meurtrières est de proposer un statut d'État laïc qui autorise la pluralité religieuse sans qu'une religion soit davantage encouragée qu'une autre.
Un État pluriconfessionnel comme le Liban met bien en évidence la difficulté de trouver une entente religieuse lorsque les équilibres constitutionnels reposent justement sur le pluralisme religieux. Les équilibres sont complexes et les alliances religieuses parfois contre nature.
Le seul moyen d'éviter ces discordes identitaires réside donc dans la sécularité de l'État et l'instauration par celui-ci d'une justice civile.
L'identité ne reposera alors plus sur la communauté religieuse mais davantage sur d'autres facteurs d'union tels que la langue, la culture commune et la communauté de destin du fait d'une histoire commune. Le dialogue interreligieux ne peut être garanti que lorsque l'État est suffisamment neutre. »
La recommandation adoptée par l'Assemblée appelle à l'élaboration d'une stratégie du Conseil de l'Europe pour faire respecter la liberté religieuse, et notamment la faculté de pouvoir changer de religion.
M. Yves Pozzo di Borgo (Paris - UC) a, à cet égard, souligné la nécessaire implication du Conseil de l'Europe dans la mise en oeuvre d'un dialogue entre les différentes communautés religieuses :
« Les attentats perpétrés contre la communauté chrétienne en 2010 ont été d'une rare violence. Bagdad et Alexandrie n'en sont que les deux principaux exemples. Il y en a d'autres, comme l'interdiction d'une messe de Noël dans la partie nord de Chypre. Les islamistes radicaux ont pour but déclaré la destruction des valeurs occidentales, déclarait Robert Badinter au cours d'une réunion de la commission de la défense au Sénat français. Je m'inquiète aussi du sort réservé à de nombreux chrétiens dans des pays d'Asie, même non musulmans - en Chine, par exemple.
En tant qu'acteurs politiques, il est de notre devoir de dénoncer la situation actuelle. Je me réjouis donc que le Conseil de l'Europe ait eu le courage de se saisir du sujet. Un courage dont ne semble pas faire preuve le Conseil de sécurité des Nations unies. À peine a-t-il publié une déclaration à la suite des attentats en Irak. Mais il ne manifeste nullement l'intention d'adopter une résolution sur la question des chrétiens d'Orient ou des minorités religieuses. Cette lâcheté à s'impliquer dans des sujets fondamentaux pour l'avenir de notre monde m'étonne d'autant plus de la part d'une organisation traditionnellement si prompte à condamner mon pays pour ses manquements aux droits de l'Homme.
L'intérêt de notre débat d'urgence ne réside pas, en effet, dans la défense d'une communauté religieuse - la communauté chrétienne, en l'occurrence - par rapport à une autre. Une telle position n'aurait aucun sens. En revanche, notre débat pose très clairement la question des conditions du « vivre ensemble » dans nos sociétés contemporaines. Il va donc bien au delà de la défense des seuls chrétiens dans une zone géographique donnée.
C'est cet enjeu du « vivre ensemble » qui fait toute la pertinence de notre débat au sein de notre Assemblée puisqu'il s'agit d'un défi auquel chacun de nos États, même loin de l'Orient, est confronté. Comment maintenir ou restaurer l'harmonie entre les différents groupes qui composent nos sociétés ? Comment garantir l'intégration de la communauté musulmane en Europe ? À mon sens, la réponse est double. D'une part, il convient de défendre les valeurs d'égalité, de liberté et de tolérance afin de permettre aux différentes communautés, non seulement de coexister pacifiquement, mais également de s'enrichir mutuellement par leur diversité. C'est le rôle des États et des institutions internationales. D'autre part, il importe de promouvoir le dialogue interreligieux. C'est au travers d'échanges nourris et constructifs entre les différentes instances religieuses que nous parviendrons à prévenir les conflits.
C'est pourquoi je suggère que nous invitions le Comité des ministres à prendre l'initiative d'organiser un grand colloque réunissant l'ensemble des instances religieuses présentes dans le monde, afin qu'elles puissent discuter ensemble des questions qui nous animent aujourd'hui. Si vous en êtes d'accord, je déposerai une proposition de recommandation en ce sens lors de la prochaine session, sauf si notre rapporteur peut l'intégrer dans son rapport. Je ne sais s'il en a la possibilité juridiquement. »
Par ailleurs, les États membres du Conseil de l'Europe sont invités à prendre en compte la situation des communautés religieuses chrétiennes et autres dans leur dialogue politique bilatéral avec ces pays.
M. François Rochebloine (Loire - NC) a insisté, dans son intervention, sur la nécessité pour les autorités des pays concernés de cesser de nier ou relativiser l'évidence des persécutions :
« Le sort détestable qui est fait aux communautés chrétiennes d'Orient est effectivement une question urgente, non seulement pour ces communautés, mais aussi pour l'équilibre du monde et pour la promotion des valeurs démocratiques et des droits de l'Homme, promotion sur laquelle, en tant que membres de cette Assemblée parlementaire, nous devrions être tous d'accord.
Un point me paraît capital dans le débat : l'enjeu de le la question des chrétiens d'Orient ne doit pas être vu comme un problème de minorité.
Sans doute, dans beaucoup d'endroits de la région, les chrétiens représentent-ils une très faible part de la population totale : ce petit reste, ultra-minoritaire, est une proie facile pour les terroristes à prétexte religieux qui le persécute et le tue.
Mais on ne doit jamais oublier que les populations chrétiennes d'Orient ne sont pas le résultat de peuplements importés, ce sont historiquement les premiers habitants des différents pays. Si, du fait de la domination ottomane, ces communautés ont été soumises à un statut de minorité, il faut rappeler que ce statut est radicalement contraire aux principes proclamés par la Convention européenne des droits de l'Homme, notamment à l'égalité des droits civils et politiques.
Tout aussi contraire aux principes fondamentaux qui nous inspirent est l'interdiction de fait de pratiquer tout autre religion que l'islam, qui est en vigueur en Arabie saoudite. On ne commet aucune ingérence contraire à la souveraineté de l'État en appelant le gouvernement de ce pays à respecter et faire respecter concrètement l'un des droits de l'Homme les mieux établis.
Il ne faut donc pas poser prioritairement le problème des communautés chrétiennes d'Orient en les considérant avec la grille d'analyse des minorités. Le traitement qui leur est infligé est en effet une menace, non seulement pour le respect de celles et ceux qui en sont victimes, mais aussi pour l'équilibre global des sociétés qui forment le substrat de la vie collective dans les pays du Moyen-Orient.
Si les autorités en place dans les pays où des exactions antichrétiennes ont été constatées ne sont pas capables ou n'éprouvent pas le désir d'empêcher et de réprimer ces exactions et les meurtres qui les accompagnent, cela veut dire que dans cette région du monde les idéaux démocratiques n'ont décidément plus aucun cours ; c'est accepter qu'au principe de liberté se substitue, pour la société tout entière, la règle de la violence. Violence qui frappe tous les citoyens de ces pays, sans distinction d'origine ni de religion. Violence qui compromet à un terme proche la stabilité des États et, par là même, la stabilité ou l'équilibre de la scène internationale dont ces pays sont des acteurs.
La situation ne pourra évoluer que du jour où les pouvoirs publics de ces pays comprendront que l'intérêt général exige l'éradication de la violence d'où qu'elle vienne.
Cela suppose de la part de tous une attitude de vérité. On a trop souvent noté dans le discours officiel des dirigeants des pays concernés une tendance à nier l'existence ou la portée réelle des attitudes de persécution envers les populations chrétiennes. Mensonge qui est en même temps un aveu de faiblesse et qui sape l'autorité du pouvoir. Mensonge dont les récents attentats d'Égypte ont montré le caractère tragiquement dérisoire. Dans nos pays aussi, on ferme volontiers les yeux sur l'ampleur et les causes de ces attitudes, au risque d'encourager les extrémistes en faisant preuve, à leurs yeux, de faiblesse. Toutes ces hypocrisies doivent cesser.
Pour ma part, je suis solidaire de ceux qui, quelle que soit leur confession religieuse, font de ce respect l'axe de leur action et de leur espérance contre le fanatisme et le terrorisme. »
La recommandation invite, en outre, la Turquie à préciser les circonstances entourant l'interruption de la célébration de la messe de Noël dans deux villages de la partie Nord de Chypre.
Le texte n'encourage pas les membres des communautés chrétiennes du Proche-Orient à chercher refuge en Europe mais appelle le cas échéant à l'élaboration d'une politique globale d'asile pour raisons religieuses.
Cette question de l'exil a, notamment, été abordée par Mme Claude Greff (Indre-et-Loire - UMP) dans son intervention :
« Je partage entièrement les conclusions du rapport de M. Volontè et je remercie M. Mignon pour son initiative. Le rôle de notre Assemblée est, en effet, de se saisir en urgence de questions qui menacent les libertés fondamentales. Or, la situation des chrétiens au Proche-Orient est extrêmement préoccupante.
La liberté de croire est une liberté fondamentale. Elle doit donc être protégée. Les chrétiens au Proche-Orient ne sont pas des populations allogènes mais autochtones, actuellement chassées de leurs territoires. Sur 800 000 chrétiens vivant en Irak en 2003, la moitié ont déjà pris le chemin de l'exil. Ce sont 10 à 20 000 chrétiens qui quittent l'Irak chaque année.
En Égypte, la minorité copte est la minorité la plus importante. Elle représente 10 % de la population. Les attaques contre les chrétiens, que l'attentat d'Alexandrie a mis sous le feu de l'actualité, sont néanmoins récurrentes : échoppes saccagées, difficultés pour obtenir un statut équivalent aux musulmans, etc. À Alexandrie, il n'est pas certain que l'attentat soit véritablement l'oeuvre d'Al-Qaida. Les coptes se sentaient menacés bien avant l'émergence du terrorisme international initié par Al-Qaida.
L'Islam protège a priori les chrétiens, comme les juifs, parce qu'ils ont la religion du Livre. Mais ne nous méprenons pas, ce statut reste juridiquement inférieur. Cela explique, au-delà de la montée des tensions entre communautés religieuses, la volonté de départ des chrétiens vers des terres plus clémentes.
Le développement du discours extrémiste et identitaire rend la situation des chrétiens au Proche-Orient précaire. Nous devons rappeler aux peuples signataires du Pacte de l'ONU sur les droits civils et politiques qu'ils ont des obligations à remplir envers les minorités religieuses vivant sur leurs territoires.
Une condamnation par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe doit avoir une force morale suffisante pour que les chrétiens, au Proche et au Moyen-Orient, n'aient plus peur au point de dissimuler leur identité chrétienne. C'est pourquoi nous devons massivement condamner les exactions commises à l'encontre des chrétiens d'Orient. C'est pourquoi aussi les chrétiens d'Orient doivent être assurés de leur légitimité pleine et entière de vivre sur leur terre ancestrale. Et c'est pourquoi notre diplomatie parlementaire, mais aussi nos chancelleries respectives, ne doivent pas avoir peur de défendre les chrétiens au Proche-Orient.
Ces attaques inqualifiables doivent être fermement condamnées par la communauté internationale, en tant qu'elles menacent les chrétiens au Proche et au Moyen-Orient. Ceux qui commettent ces actes de terrorisme sont des barbares, qui veulent un nouvel effondrement spirituel et moral dans le monde, et un nouveau désastre de civilisation et de culture. »
Les États membres sont dans le même temps invités à promouvoir des supports pédagogiques permettant de combattre stéréotypes et autres préjugés anti-chrétiens.