C. INTERVENTION DE M. ABDULLAH GüL, PRÉSIDENT DE LA TURQUIE

Ancien membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe entre 1992 et 2001, M. Abdullah Gül a été élu Président de la République en 2008, après avoir été successivement Premier ministre, puis ministre des affaires étrangères. Son intervention devant l'Assemblée visait, notamment, à faire un point sur l'avancée des réformes démocratiques dans son pays.

Le président turc a introduit son propos en relevant la nouvelle distribution du pouvoir international dans le contexte actuel de la crise économique et financière mondiale. Le centre de gravité du monde tend, selon lui, à se déplacer vers l'Asie, l'influence notamment économique de l'Europe se réduisant d'autant.

Aux yeux de M. Gül, l'Europe ne peut, néanmoins, seulement être appréhendée sous le seul angle économique tant son influence politique, en particulier en matière de promotion des droits de l'Homme, demeure primordiale. Cependant, le pessimisme qui prévaut en Europe, les manifestations d'intolérance comme la radicalisation des conflits culturels peuvent représenter un danger pour la démocratie et constituent un réel défi pour les gouvernements européens.

Le président turc appelle de ses voeux une meilleure prise en compte de la diversité au sein des États membres, à l'image de ce que les États-Unis mettent en oeuvre. M. Gül refuse l'idée d'une Europe forteresse, incapable de s'ouvrir à la diversité. La promotion de la tolérance fait également partie du message du Conseil de l'Europe aux yeux du président turc. Elle doit être le rempart face à toute dérive fanatique des religions.

Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) , a souhaité interroger M. Abdullah Gül sur la loi électorale en vigueur dans son pays :

«En tant que rapporteur sur le dialogue post-suivi, mission qui doit bientôt s'achever, je salue également les réformes que vous y avez réalisées.

La Turquie vit un moment privilégié puisque, outre votre présence ce matin, et celle du président du Comité des ministres hier, le président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est également un Turc - je rends hommage à son travail. Vous êtes la conscience du Conseil de l'Europe.

Or l'évolution démocratique d'un pays se mesure à certains moments plus qu'à d'autres. Lors du dernier référendum, une seule réponse était possible pour vingt-six questions. Pour les prochaines élections qui se dérouleront en juin 2011, modifierez-vous le seuil de 10 %, comme vous vous y étiez engagé en 2007 ? Je vous rappelle que la Commission de Venise l'a jugé trop élevé. »

Le président turc a indiqué dans sa réponse qu'un débat sur la question était engagé :

« Notre Constitution prévoit que la loi électorale ne peut être modifiée pendant une année électorale. À une époque, il était possible de le faire et nous avons fait de mauvaises expériences. Mais une révision constitutionnelle est prévue après les élections du mois de juin. Le débat est déjà lancé, un grand nombre de modifications ont déjà été apportées et chacun, partis de l'opposition et au pouvoir, est convaincu qu'il est nécessaire de réformer notre Constitution.

Sachez cependant qu'en ce qui concerne les candidats indépendants, il n'existe pas de seuil.»

M. Rudy Salles (Alpes-Maritimes - NC) a, pour sa part, interrogé le président turc sur l'évolution des relations entre son pays et Israël :

« La Turquie et Israël ont toujours entretenu des relations confiantes permettant un dialogue utile et fructueux dans une région particulièrement sensible. Il semble que ces relations se soient dégradées ces dernières années. La Turquie, du fait de sa situation stratégique particulière, n'a-telle pas intérêt à jouer un rôle de médiateur facilitant le dialogue entre Israël et ses voisins immédiats ? »

M. Gül a relevé que l'embargo sur Gaza fragilisait les liens entre les deux pays :

« Notre politique étrangère va dans ce sens et, en jouant ce rôle, notre objectif n'est pas d'accroître le prestige de la Turquie, mais de contribuer à la stabilité et à la paix dans notre région.

Quand nous songeons à notre Histoire, nous voyons que la Turquie a pendant, bien des siècles, joué un rôle important sur un très vaste espace géographique et dans un vaste système de coopération. La Turquie a la capacité d'apporter une contribution pour résoudre les problèmes régionaux.

Pour ce qui concerne le Moyen-Orient, les Israéliens comme les Palestiniens ont demandé à la Turquie de les aider à résoudre un certain nombre de problèmes. Ainsi, la Turquie est intervenue entre Israël et la Syrie pour inciter ces deux pays à engager des négociations directes. C'est une dimension qui s'inscrit dans notre approche globale pour le Moyen-Orient.

S'agissant de nos relations avec Israël, elles sont bien réelles comme elles le sont avec Gaza. La Turquie a également tenté d'apporter une contribution à la résolution de quelques problèmes entre Israël et d'autres pays arabes à la demande, d'ailleurs, des parties concernées. La Turquie s'est impliquée dans toutes ces activités parce qu'on le lui avait demandé. Elle n'était ni tenue ni obligée de le faire !

Pour ce qui est de nos décisions récentes, elles relèvent moins d'un choix de la Turquie que du choix d'Israël, depuis l'affaire de l'embargo à Gaza. Les organisations internationales ont considéré que cet embargo n'était pas légal et beaucoup ont dit qu'une sanction collective ne saurait être acceptée. De nombreuses organisations humanitaires ont tenté d'aider les habitants de Gaza. A l'instar de nombreux pays, la Turquie l'a également fait avec la participation de personnes venant de quarante-sept pays. Il s'agissait en fait d'un convoi humanitaire qui s'approchait de Gaza et qui a été attaqué par Israël dans les eaux internationales. Vous savez ce qui en a résulté !

La situation actuelle s'explique donc moins par un choix de la Turquie que par un choix d'Israël. Si Israël n'a plus confiance en la Turquie, c'est l'affaire d'Israël. Nous ne voulons pas, quant à nous, nous mêler des affaires des autres sans y être invités. Il reste que, dans le passé, de nombreuses demandes ont été adressées par le gouvernement israélien à la Turquie pour intervenir dans la Grande région et que la Turquie y a donné suite en vue de favoriser la paix et la stabilité dans la région. En l'espèce, la Turquie n'a pas ménagé ses efforts. »

Mme Gisèle Gautier (Loire-Atlantique - UMP) a pour sa part interrogé le président turc sur les arrêts rendus en 2010 par la Cour européenne des droits de l'Homme concernant la liberté d'expression :

«Au mois de janvier, votre pays a été condamné par la Cour pour avoir interdit la parution de six journaux entre 2001 et 2007.

En 2010, la Cour a également condamné la Turquie pour avoir interdit le retour sur son territoire d'une universitaire américaine. Puis elle lui a demandé de verser des indemnités à deux journaux censurés pour avoir publié des déclarations du PKK.

Vous devinez donc quelle est ma question, Monsieur le Président : qu'en est-il exactement des engagements que vous avez souscrits en matière de liberté d'expression auprès du Conseil de l'Europe ? »

M. Gül a affirmé ne pas avoir connaissance desdits arrêts :

« J'ai écouté vos propos, mais c'est la première fois que j'entends parler de cette affaire dont je n'avais pas connaissance. Notre ambassadeur, représentant permanent au Conseil de l'Europe et donc présent ici, a l'air tout aussi surpris que moi et il m'indique qu'il n'a pas reçu ces informations. Je ne suis pas sûr qu'elles soient correctes, mais si vous pouvez me le garantir, je vous prie de me donner davantage de précisions car je n'ai connaissance ni des interdictions de journaux ni des autres évènements que vous mentionnez.

Cela étant, nos diplomates pourront suivre cette affaire dont ils viennent de prendre connaissance. »

M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC) a, quant à lui, souhaité interroger le président turc sur la position de son pays au sujet du Haut-Karabagh :

« Le processus de normalisation des relations entre la Turquie et l'Arménie nous a donné l'espoir d'une certaine stabilité dans cette région. Vous avez négocié et signé avec l'Arménie sans condition préalable des textes de protocole relatifs aux deux pays. Par la suite, vous avez avancé des préconditions, dont l'une sur le conflit du Haut-Karabagh ne figure pas dans les protocoles et concerne un État tiers : l'Azerbaïdjan.

En liant ces questions, Monsieur le Président, n'avez-vous pas bloqué toutes avancées dans la normalisation tant attendue ? »

M. Gül a insisté dans sa réponse sur sa volonté de normaliser les relations entre l'Arménie et son pays tout en veillant à ne pas léser l'Azerbaïdjan :

« Vous avez suivi la politique étrangère de la Turquie au cours des années récentes. Nous cherchons à éviter tous les problèmes avec nos voisins. L'Arménie est un pays voisin. Pendant mille ans, nous avons coexisté de manière extrêmement pacifique, à l'exception de quelques années au cours de la Première Guerre mondiale. Hormis cette période, nous avons une culture commune, des traditions communes et une très longue tradition de coexistence.

Nous n'aimerions rien tant que normaliser nos relations avec l'Arménie. J'ai été le premier président turc à me rendre en Arménie lorsque le Président Sargsian a été élu. Je lui ai écrit une lettre dans laquelle je lui disais que nous devions faire preuve de courage et normaliser nos relations. Il m'a invité et, malgré bien des oppositions dans mon pays, je me suis rendu en Arménie. Je l'ai à son tour invité à venir en Turquie, ce qu'il a fait. Nous sommes tous deux animés d'une volonté politique de normaliser nos relations. Comme vous l'avez indiqué, nous avons signé des protocoles. Nous aimerions qu'ils soient adoptés.

J'ai cru comprendre en écoutant votre question que l'Azerbaïdjan devrait se retirer de l'Arménie, mais il faut admettre qu'une partie du territoire azerbaidjanais est occupé, ce qui est reconnu par les Nations unies. Je ne pense pas que l'on puisse considérer cela comme un élément accessoire. Je ne dis pas que je lie ces sujets, ne vous méprenez pas sur mon propos. Mais si l'on a une vision globale du problème, si vous me demandez si nous ne signons pas le protocole en raison d'une occupation du territoire azerbaïdjanais, cela me laisse à penser que vous considérez cette occupation comme accessoire, peu importante, voire légitime. Cela serait contraire aux principes des Nations unies, puisque chacun reconnaît l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan et l'Arménie sait parfaitement que le territoire qu'elle occupe appartient à la République d'Azerbaïdjan.

Mais cela m'amène à un autre point : si nous voulons instaurer la sécurité et la coopération dans le Caucase, il faut avoir une vision globale. La Turquie, l'Arménie, la Géorgie, l'Azerbaïdjan, la Russie doivent, ensemble, faire en sorte que toute cette région devienne une région de coopération et de paix.

Aussi longtemps que des problèmes se poseront quelque part dans la Région, le Caucase restera un mur entre l'Europe et l'Asie. En revanche, si l'on aboutit à une solution, le Caucase cessera d'être un mur pour devenir une passerelle, et les perspectives de développement du Caucase s'ouvriront pleinement.

Par conséquent, nous devons faire preuve de détermination pour surmonter les problèmes dans cette région. Nous sommes déterminés à le faire et nous avons la volonté d'y parvenir. Mais certains problèmes sont chroniques dans la région et il n'est pas toujours possible de les traiter rapidement. J'espère cependant qu'ils pourront être résolus et que le Caucase deviendra une vaste zone de coopération et de prospérité.

Nous assumons pleinement toutes les mesures que nous avons prises à ce jour et sommes déterminés à faire en sorte que ce processus aboutisse. »

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