II. COMMENT CE CONTRÔLE A ÉTÉ MENÉ

A. LES TRAVAUX DE VOTRE RAPPORTEURE SPÉCIALE

Pour répondre au mieux aux deux séries d'interrogations précitées, votre rapporteure spéciale a mené les investigations suivantes :

dès le 11 octobre 2010, une audition de Daniel Dubost , chef du service France Domaine, puis deux questionnaires complémentaires qui lui ont été adressés, respectivement, le 14 octobre et le 5 novembre ;

le 21 décembre 2010, un contrôle sur pièces dans les locaux de France Domaine , au ministère chargé du budget, en présence de M. Dubost. Votre rapporteure spéciale a ainsi eu communication du dossier qui avait été préparé pour les besoins de la commission des requêtes de la Cour de justice de la République 4 ( * ) . Ce dossier comprend notamment, sur le sujet, la copie des documents produits par France Domaine (dont la note d'évaluation domaniale du terrain de l'hippodrome du Putois et l'acte de vente), des échanges écrits du service avec la Société des courses de Compiègne comme avec le cabinet du ministre chargé du budget, ainsi que des lettres échangées entre le ministère du budget et celui de l'agriculture ;

le 13 janvier 2011, l' audition de Pascal Viné , directeur général de l'ONF, qui fut le directeur de cabinet du ministre chargé de l'agriculture de juillet 2009 à novembre 2010, et a donc suivi, à ce titre, l'opération de cession de l'hippodrome de Compiègne ;

enfin, le 10 février 2011, un déplacement à Compiègne , sur le site de l'hippodrome du Putois, afin de visiter celui-ci et de conduire un entretien avec Antoine Gilibert , président de la Société des courses. À cette occasion, votre rapporteure spéciale a également procédé à l' audition des représentants du service local de France Domaine , dont son chef, Bernard Castaing, et l'agent qui a évalué, en 2009, l'immeuble vendu, ainsi que Jean Paraf, directeur départemental des finances publiques de l'Oise.

B. UN DOSSIER DEVENU EN PARTIE JUDICIAIRE

1. Deux instances en cours d'instruction

La cession de l'hippodrome de Compiègne se trouve actuellement visée, de façon indirecte, par deux instances judiciaires en cours d'instruction .

a) Une enquête de la CJR visant Eric Woerth

D'une part, la commission d'instruction de la Cour de justice de la République (CJR) a été saisie, le 13 janvier 2011, par le Procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, afin d'enquêter sur une éventuelle prise illégale d'intérêts de M. Woerth dans cette vente. Cette saisine est intervenue à la suite de l'avis favorable à l'ouverture de l'enquête rendu par la commission des requêtes de la CJR.

On notera que les poursuites, en revanche, ne visent pas l'inculpation de favoritisme, qui avait également fondé la saisine de la commission des requêtes, en novembre 2010, par le Procureur général près la Cour de cassation. Ce dernier avait été saisi d'une plainte, qui alléguait les deux chefs d'accusation, formulée par six de nos collègues députés Christian Bataille, Jean-Louis Bianco, François Brottes, Henri Emmanuelli, Jean Glavany et Germinal Peiro , ainsi que Laurence Rossignol, vice-présidente du conseil régional de Picardie.

b) Une information du TGI de Paris sur plainte contre X

D'autre part, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris , depuis la mi-janvier 2011 également, est chargé de l'information judiciaire ouverte à la suite de la plainte contre X qu'ont présentée les sept signataires susmentionnés de la plainte adressée au Procureur général près la Cour de cassation. Cette seconde plainte vise, dans le cadre de la cession de l'hippodrome, les délits suivants : abus d'autorité, complicité de prise illégale d'intérêts, trafic d'influence par personne dépositaire de l'autorité publique et par particulier et favoritisme , ainsi que, dans chaque cas, recel. Si l'instruction établissait des faits constitutifs de ces délits ou de l'un ou l'autre d'entre eux, il reviendrait au tribunal correctionnel d'en juger.

Cette information avait d'abord été ouverte par le parquet de Compiègne, à la fin du mois de décembre 2010, mais, comme ce parquet lui-même l'avait souhaité, l'affaire a été dépaysée, par la Cour de cassation, le 12 janvier 2011.

2. L'indifférence du contrôle à cet égard

Il est important de noter que le contrôle de votre rapporteure spéciale a été entrepris, d'ailleurs en accord avec nos collègues Jean Arthuis et Philippe Marini, respectivement Président et Rapporteur général de la commission des finances, plus de deux mois avant l'ouverture des poursuites judiciaires précitées. En effet, la dimension pénale du dossier n'est apparue, formellement, qu'à la fin du mois de décembre 2010, avec l'ouverture d'une information contre X, et à la mi-janvier 2011, avec la saisine de la commission d'instruction de la CJR, alors que les travaux de votre rapporteure spéciale étaient engagés depuis la première quinzaine d'octobre 2010.

En outre, il convient ici de préciser que ces investigations ont pu être menées à leur terme indépendamment de l'intervention des poursuites judiciaires , au regard de trois séries de considérations.

a) Le droit du contrôle budgétaire

D'abord, en l'état du droit, le pouvoir de contrôle du Parlement ne se trouve expressément borné que pour ce qui concerne les commissions d'enquête . Celles-ci, suivant l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, ne peuvent être créées, ou continuer leur travaux, sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires.

Pour les autres cas, les textes sont muets sur ce point. Tel est notamment l' article 57 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances ( LOLF ), qui fonde la compétence de contrôle des rapporteurs spéciaux en les habilitant à « procéder à toutes investigations sur pièces et sur place, et à toutes auditions qu'ils jugent utiles ». Le texte ne formule pas de réserve à l'exercice de cette prérogative qui serait tirée de l'existence de poursuites judiciaires ; il ouvre seulement le droit :

d'une part, pour l'administration, de ne pas transmettre de document dont la communication mettrait en cause le respect du secret de l'instruction ;

d'autre part, pour les personnes convoquées aux fins d'audition, de refuser, sur le même motif, de divulguer certains éléments d'information couverts par le secret professionnel.

Mais aucune restriction de cette sorte n'a été opposée, dans le cours de son contrôle, à votre rapporteure spéciale. Au contraire, celle-ci estime avoir bénéficié de l'entière coopération des administrations sollicitées.

L'article 57 de la LOLF

« Les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances suivent et contrôlent l'exécution des lois de finances et procèdent à l'évaluation de toute question relative aux finances publiques. Cette mission est confiée à leur président, à leur rapporteur général ainsi que, dans leurs domaines d'attributions, à leurs rapporteurs spéciaux et chaque année, pour un objet et une durée déterminés, à un ou plusieurs membres d'une de ces commissions obligatoirement désignés par elle à cet effet. À cet effet, ils procèdent à toutes investigations sur pièces et sur place, et à toutes auditions qu'ils jugent utiles.

« Tous les renseignements et documents d'ordre financier et administratif qu'ils demandent, y compris tout rapport établi par les organismes et services chargés du contrôle de l'administration, réserve faite des sujets à caractère secret concernant la défense nationale et la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat et du respect du secret de l'instruction et du secret médical, doivent leur être fournis.

« Les personnes dont l'audition est jugée nécessaire par le président et le rapporteur général de la commission chargée des finances de chaque assemblée ont l'obligation de s'y soumettre. Elles sont déliées du secret professionnel sous les réserves prévues à l'alinéa précédent. »

Source : Légifrance

b) Les précédents de la pratique parlementaire

Par ailleurs, il existe de nombreux précédents de contrôle parlementaire , sous la forme de missions d'information notamment, qui ont traité de faits occasionnant des poursuites judiciaires.

Un récent exemple de cette situation est fourni par le rapport produit en mai 2010 par la mission d'information constituée, par la commission de la défense de l'Assemblée nationale, sur « les circonstances entourant l' attentat du 8 mai 2002 à Karachi » 5 ( * ) . S'agissant de faits qui étaient indirectement visés par des poursuites judiciaires, on peut même citer le cas d'une commission d'enquête du Sénat : celle qui a publié, en novembre 1999, un rapport consacré à « la conduite de la politique de sécurité menée par l'Etat en Corse » 6 ( * ) .

c) La différence des approches

Enfin, il faut souligner que les instances judiciaires qui se rapportent actuellement à la cession de l'hippodrome de Compiègne sont loin de résumer tous les aspects de ce dossier. Aussi, elles restent bien distinctes des préoccupations qui ont justifié l'initiative de votre rapporteure spéciale en la matière, telles qu'elles ont été exposées ci-dessus l'enjeu patrimonial d'un côté, l'enjeu juridique de l'autre.

Les démarches ne se recoupent pas directement, et elles se recouvrent encore moins complètement. En effet, c'est à la qualité de la gestion, par l'Etat, de cette opération de cession que le contrôle a été consacré , et non pas à la recherche d'actes pénalement répréhensibles, qu'aurait pu commettre tel ou tel.

* *

*

C'est sous le bénéfice de ces précisions que la suite du présent rapport expose, d'abord, les constatations auxquelles votre rapporteure spéciale est parvenue en ce qui concerne la cession de l'hippodrome de Compiègne et, ensuite, les conclusions de portée générale qu'elle estime devoir retenir à l'issue de son examen de ce dossier.


* 4 Cf. infra , B.

* 5 Rapport d'information n° 2514 (AN, XIII e législature) de nos collègues députés Bernard Cazeneuve, rapporteur, et Yves Fromion, président de la mission d'information précitée.

* 6 Rapport d'information n° 69 (1999-2000) de notre collègue René Garrec.

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