B. UNE CESSION CONDUITE RAPIDEMENT À COMPTER DE LA NOUVELLE OFFRE D'ACHAT DE L'ASSOCIATION EN MAI 2009

1. Une procédure entreprise avec une exceptionnelle diligence

Le 15 mai 2009, la Société des courses de Compiègne manifeste à nouveau son intérêt pour une acquisition de l'hippodrome. Elle le signale dans une note d'intention , qu'elle adresse à notre ancien collègue Christian Patria, député de la quatrième circonscription de l'Oise, suppléant d'Eric Woerth, alors ministre chargé du budget.

M. Patria transmet la note d'intention de l'association à M. Woerth, et le ministre y donne suite . La procédure est alors commencée avec une exceptionnelle diligence .

Une annotation manuscrite portée par le ministre sur la note d'intention de la Société des courses, datée du 26 mai , demande au conseiller de son cabinet chargé de l'immobilier de l'Etat, Cédric de Lestrange : « m'en parler rapidement ».

La note d'intention ainsi annotée par le ministre est enregistrée à la direction générale des finances publiques (DGFiP) le 2 juin . En outre, le 4 juin , Antoine Gilibert, président de l'association, adresse une lettre au ministre chargé du budget , lui confirmant son souhait d'achat.

Le 22 juin , l'administration centrale du service France Domaine adresse à son service déconcentré de l'Oise une demande d'évaluation , pour connaître « un ordre de grandeur » de la valeur du site de l'hippodrome du Putois soit trois parcelles cadastrales, représentant une superficie de près de 57,1 hectares au total.

Composition cadastrale de l'hippodrome du Putois (Compiègne)

(en hectares)

Parcelle de terrain

Lieudit

Superficie

B n° 1027

Le Grand Parc

5,00

B n° 1214

Avenue Royale

3,18

B n° 1520

Avenue Thiers

48,91

Total : 57,09

Source : France Domaine

L'évaluation est remise dès le 10 juillet par l'évaluateur du service local, soit dix-huit jours seulement après la demande délai exceptionnellement bref, car la règle interne à France Domaine est de l'ordre de trente jours. Cette évaluation conclut à une valeur de l'hippodrome de 2,5 millions d'euros .

L'ONF est informé de la demande d'acquisition de la Société des courses de Compiègne par une lettre du service France Domaine en date du 22 juillet . L'Office se déclare alors « totalement défavorable à ce projet » ; cet avis est signalé au ministre chargé du budget par une note du 1 er septembre , signée par le directeur général des finances publiques, Philippe Parini.

Cependant, cette note fait également valoir que l'hippodrome du Putois, « bien qu'intégré à la forêt domaniale de Compiègne, ne constitue plus un bien "forestier" au sens strict du terme ». Elle indique qu'« au regard des objectifs généraux de rationalisation de la gestion de son patrimoine [ sic , pour le patrimoine de l'Etat] , France Domaine ne peut qu'être favorable au projet de cession d'un bien qui, compte tenu de sa destination, ne répond plus aux objectifs de la gestion forestière conduite par l'ONF ».

Le 16 octobre , le cabinet du ministre chargé du budget demande à France Domaine, par courrier électronique, de notifier à la Société des courses l' accord de l'Etat . À cette occasion, le cabinet décide qu'il n'est pas nécessaire de demander à nouveau son avis à l'ONF sur cette opération.

Par une lettre du 20 octobre , le chef du service France Domaine , Daniel Dubost, avise la Société des courses que l'Etat est d'accord sur sa proposition d'acquérir l'hippodrome. Cette lettre précise : « Bien qu'intégré à la forêt domaniale de Compiègne, ce bien ne constitue plus en effet un bien "forestier" au sens strict du terme. » Elle indique :

d'une part, de manière expresse, que la cession ne pourra être conclue qu' à la valeur domaniale du bien. Il n'est plus question d'échange de terrains, alors que cette hypothèse avait fait l'objet de discussions avancées, en 2006, entre la Société des courses et l'ONF ;

d'autre part, par référence au fondement juridique de l'opération (l'article R. 129-5 du code du domaine de l'Etat), que la cession sera réalisée de gré à gré , donc sans mise en concurrence 8 ( * ) .

Le 23 octobre , le trésorier-payeur général de l'Oise , Jean-Pierre Péry, informe la Société des courses, sur la demande de celle-ci, que la valeur domaniale de l'hippodrome du Putois s'élève à 2,5 millions d'euros. La décision de l'Etat est également notifiée à l'association par une lettre du ministre chargé du budget du 29 octobre , dont la copie est adressée au ministre chargé de l'agriculture, Bruno Le Maire, ainsi qu'à l'ONF.

À partir de là, un différend entre ministères se fait jour , dont la résolution difficile va retarder la conclusion de la vente.

2. Une divergence de vues entre ministères retardant la vente

Le 17 novembre 2009, le directeur de cabinet du ministre chargé de l'agriculture , Pascal Viné, adresse à son homologue auprès du ministre chargé du budget, Sébastien Proto, une lettre faisant valoir que la décision de céder l'hippodrome du Putois « est tout à fait contraire à la politique constante du ministère [de l'agriculture] en matière de gestion forestière ». La lettre, en effet, précise que l'hippodrome fait « partie intégrante de la forêt domaniale de Compiègne ».

À la place de la vente, le ministère de l'agriculture propose une nouvelle convention d'occupation temporaire , « de longue durée », entre l'ONF et la Société des courses de Compiègne, ou, « à défaut [...] , après analyse de la situation [...] , d' envisager une procédure d'échange ».

En réponse, par lettre du 26 novembre , le directeur de cabinet du ministre chargé du budget se dit « surpris » par cette analyse, et fait état, au contraire, d'un « accord oral » précédemment donné par le cabinet du ministre chargé de l'agriculture pour la vente de l'hippodrome. Il expose qu'« il ne s'agit plus [...] ici d'un bien à usage forestier . En effet, le champ de courses y a été construit depuis près de 150 ans. » Il considère que l'Etat ne peut revenir sur sa décision à l'égard de la Société des courses de Compiègne, et que la solution proposée par le ministère de l'agriculture « ne [...] semble pas adaptée ». Enfin, il écrit qu'« un tel revirement provoquerait en outre une forte réaction du sénateur-maire de Compiègne, qui soutient ce projet ».

Peu après, par délibération du 16 décembre 2009 , la communauté d'agglomération de Compiègne 9 ( * ) renonce à exercer son droit de priorité pour l'acquisition de l'hippodrome.

À la suite de l'échange épistolaire précité entre directeurs de cabinet, le 10 janvier 2010 , une réunion se tient entre les cabinets du ministre chargé du budget et du ministre chargé de l'agriculture , en présence d'une part de la direction du budget et de France Domaine, d'autre part de l'ONF. À cette occasion, l'idée d'un bail emphytéotique pour l'hippodrome du Putois est refusée par le cabinet du ministre chargé du budget. En revanche, le principe d'une affectation des produits de la vente à l'acquisition de terrains forestiers est retenu.

Le 12 janvier, une seconde réunion met en présence le service France Domaine d'un côté, et le ministère de l'agriculture et l'ONF de l'autre. Chacun y confirme son point de vue, et donc la divergence d'analyse. Une note au ministre chargé du budget du directeur général des finances publiques, le 20 janvier, expose l'analyse de France Domaine, qui se trouve détaillée dans une « fiche technique » jointe 10 ( * ) .

En définitive, c'est le 12 mars que le conflit entre les deux ministères se dénoue, lors d'une réunion « informelle » donc n'ayant pas donné lieu à l'établissement d'un « bleu » à l'hôtel de Matignon , tenue entre Cédric de Lestrange, conseiller chargé de l'immobilier de l'Etat au cabinet du ministre chargé du budget, Pascal Viné, directeur de cabinet du ministre de chargé l'agriculture, et Julien Dubertret, conseiller budgétaire au cabinet du Premier ministre.

En effet, lors de cette réunion, le conseiller du ministre du budget propose d'assortir la vente de l'hippodrome du Putois de deux éléments exceptionnels :

d'une part, comme convenu précédemment, les produits de cette vente seront affectés au ministère de l'agriculture, pour l' acquisition de terrains forestiers . Cette affectation, toutefois, sera opérée après déduction de 15 % au bénéfice du désendettement de l'Etat, conformément aux dispositions législatives 11 ( * ) ;

d'autre part, il est prévu d'introduire dans la convention de vente une clause d'affectation spécifique : pendant cinquante ans , le terrain cédé devra rester exclusivement affecté à l'usage d'hippodrome et, de façon accessoire, de golf, à peine de résolution de la vente. Cette stipulation contribuera notamment à préserver les abords de la forêt de Compiègne.

Le ministère de l'agriculture , dans ces conditions, ne s'oppose plus à l'opération et, dès lors, pour le cabinet du Premier ministre, il n'est pas besoin de procéder à un arbitrage interministériel. Votre rapporteure spéciale observe, d'ailleurs, que le ministre chargé de l'agriculture n'est jamais intervenu directement dans ce dossier : les échanges se sont déroulés entre cabinets.

3. La vente conclue en mars 2010

La situation se trouvant débloquée par la réunion précitée du 12 mars, quatre jours plus tard, le 16 mars , l' autorisation de cession de l'hippodrome du Putois est formalisée par un arrêté du ministre chargé du budget. Le lendemain, 17 mars , l' acte de cession est signé entre l'Etat et la Société des courses de Compiègne. Cette convention comporte notamment deux garanties importantes pour l'Etat :

en premier lieu, la clause d'affectation susmentionnée : la Société des courses s'engage, pour une durée de cinquante ans , soit jusqu'au 17 mars 2060, à ne pas affecter le terrain à un usage autre que celui d'hippodrome et, accessoirement, de golf. Le cas échéant, l'association devra faire reporter cette obligation dans les actes de ventes successifs du terrain, et rappeler son existence dans tous les contrats de location qu'elle y consentira. En cas de non respect de cette exigence, l'Etat pourra discrétionnairement demander la résolution de la vente, après une mise en demeure restée infructueuse au terme d'un délai de six mois. La vente ne serait donc pas résiliée ipso facto , mais en fonction de l'initiative de l'Etat ;

en second lieu, une clause de complément de prix , suivant le modèle désormais habituel dans les cessions importantes de l'Etat : en cas de nouvelle mutation de l'hippodrome dans les quinze ans suivant sa cession à la Société des courses, celle-ci devrait reverser à l'Etat 50 % de la plus-value , nette d'impôt, qu'elle réaliserait. Dans la note déjà citée que le directeur général des finances publiques a adressée au ministre chargé du budget, le 1 er septembre 2009, il était en effet précisé que, pour France Domaine, cette « clause d'intéressement aux plus-values constitue un élément totalement déterminant car l'évolution des règles d'urbanisme autorisant des constructions sur des parcelles de terrains faisant partie de ces 57 hectares en transformerait très profondément la valeur ».

De la sorte, la vente de l'hippodrome de Compiègne, à compter du moment où le ministère du budget a pris connaissance de l'intention d'achat de la Société des courses, soit fin mai 2009, a été bouclée en neuf mois et demi . Si un différend avec le ministère de l'agriculture n'était pas apparu en novembre 2009, on peut penser que la procédure n'aurait demandé que sept mois environ.

Quant au produit de la vente 2,5 millions d'euros , il a été enregistré sur le compte d'affectation spécial « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » :

- 15 %, soit 375 000 euros , ont été affectés, suivant l'obligation légale précitée, au désendettement de l'Etat ;

- les 85 % restant, soit 2,125 millions d'euros , ont été affectés, comme prévu, à l'acquisition de terrains forestiers. L'ONF estime qu'elle pourra acheter environ 200 hectares grâce à cette somme : on réalisera donc à peu près le rapport de superficies de 1 à 5 souhaité par l'Office, en 2006, pour un échange de terrains.


* 8 Sur ce choix d'une cession de gré à gré, cf . infra , II.

* 9 Agglomération de la région de Compiègne (ARC).

* 10 Analyse présentée infra ici, II.

* 11 Article 195 de la loi de finances pour 2009, adopté sur la proposition de votre rapporteure spéciale au nom de la commission des finances.

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