B. LES QUESTIONS DIRECTEMENT RELATIVES À LA PROCÉDURE SUIVIE POUR LA VENTE

Dans la suite des présents développements, votre rapporteure spéciale va supposer acquise pour l'hippodrome de Compiègne la qualification de parcelle forestière , que l'administration a retenu de façon explicite, et de dépendance relevant du domaine privé de l'Etat, donc aliénable, qui a été retenue implicitement. Sous cette double hypothèse, on débouche sur deux questions de procédure :

pouvait-on céder l'hippodrome sans faire appel à la loi ?

pouvait-on préférer une vente de gré à gré à un appel d'offres ?

1. La possibilité de céder sans autorisation législative ?

Le domaine privé forestier de l'Etat se trouve soumis à un régime spécial d'aliénabilité.

Traditionnellement, il est admis que l'échange d'un terrain forestier domanial contre un autre terrain forestier est possible , sur le fondement de l'article R. 78 du code du domaine de l'Etat lequel dispose que, pour tous les biens du domaine privé, « l'échange est autorisé par le préfet, sur proposition du directeur des services fiscaux. Celui-ci détermine la valeur des immeubles dont l'échange est envisagé et fixe, s'il y a lieu, le montant de la soulte. »

Cette procédure, comme on l'a vu, était en l'occurrence proposée par l'ONF et le ministère de l'agriculture, en faveur de la Société des courses de Compiègne, dès le début de l'opération, ainsi qu'en 2003 et en 2006 20 ( * ) , mais elle a été écartée par le ministère du budget , qui refusait de voir dans l'hippodrome du Putois un bien forestier « authentique ». Comme on l'a signalé, l'affectation des produits de la vente à l'acquisition de terrains forestiers, telle qu'elle a finalement été décidée, revient, en pratique, à peu près aux mêmes effets qu'une procédure d'échange.

La cession stricto sensu de forêts domaniales , quant à elle, n'est possible, en principe, que par la loi , comme le prévoit l'article L. 3211-5 du CGPPP, sauf à se trouver dans les cas d'exceptions prévus par cet article.

En dehors de l'hypothèse d'une expropriation pour cause d'utilité publique, trois conditions sont ainsi exigées pour procéder à la vente de forêts domaniales sans recourir à la loi :

les forêts considérées doivent présenter une superficie de moins de 150 hectares ;

elles ne doivent pas se trouver nécessaires à la préservation de certains enjeux écologiques : « ni au maintien et à la protection des terrains en montagne, ni à la régularisation du régime des eaux et à la protection de la qualité des eaux, ni à l'équilibre biologique d'une région ou au bien-être de la population » ;

leur exploitation doit s'avérer déficitaire , les produits ne couvrant pas les charges de gestion.

L'article L. 3211-5 du code général de la propriété des personnes publiques

« Les bois et forêts de l'Etat ne peuvent être aliénés qu'en vertu d'une loi.

« Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, l'Etat peut dans les conditions précisées par décret en Conseil d'Etat procéder à la vente des bois et forêts qui satisfont aux conditions suivantes :

« 1° Etre d'une contenance inférieure à 150 hectares ;

« 2° N'être nécessaires ni au maintien et à la protection des terrains en montagne, ni à la régularisation du régime des eaux et à la protection de la qualité des eaux, ni à l'équilibre biologique d'une région ou au bien-être de la population ;

« 3° Et dont les produits tirés de leur exploitation ne couvrent pas les charges de gestion.

« Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, les bois et forêts de l'Etat compris dans le périmètre d'une déclaration d'utilité publique sont cédés conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article L. 12-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dans les conditions précisées par décret en Conseil d'Etat. »

Source : Légifrance

Or, pour l'hippodrome de Compiègne, seule la deuxième condition précitée, tenant aux considérations environnementales, était clairement satisfaite .

a) En ce qui concerne la condition relative à la superficie de la forêt

La première condition « être d'une contenance inférieure à 150 hectares » est matière à débat , en raison de l'incertitude de l'interprétation à donner au texte de l'article L. 3211-5 du CGPPP.

La superficie de 150 hectares doit-elle être entendue comme celle de la parcelle qui fait l'objet de la cession ? Dans cette hypothèse, la situation du terrain de l'hippodrome du Putois (57,1 hectares) permettait bien à l'administration de se dispenser d'une autorisation législative pour procéder à la vente. C'est en effet l'interprétation qu'a privilégiée France Domaine, comme l'expose la « fiche technique », précitée, établie par le service en janvier 2010.

Ou bien la référence aux 150 hectares vise-t-elle l'ensemble de la forêt domaniale dont relève la parcelle cédée ? Dans cette seconde hypothèse, il fallait rapporter la condition à la forêt de Compiègne, laquelle s'étend sur 140 000 hectares environ ; et par conséquent la cession de l'hippodrome n'était pas possible sans passer par la loi.

Il s'avère difficile de trancher entre ces deux interprétations possibles. D'une part, l'article L. 3211-5 du CGPPP prévoit l'intervention d'un décret en Conseil d'Etat, afin de préciser les conditions dans lesquelles l'Etat, le cas échéant, peut procéder à des cessions forestières sans autorisation législative ; mais le projet de ce décret, qui se trouve encore en cours d'adoption, ne clarifie rien sur ce plan. D'autre part, et surtout, l'article résulte, comme toute la partie législative du CGPPP, d'une ordonnance du 21 avril 2006 21 ( * ) . On ne dispose donc pas de travaux préparatoires qui permettraient de rechercher « l'intention du législateur » .

Si l'on se reporte à l'ancien article L. 62 du code du domaine de l'Etat, disposition aujourd'hui abrogée à laquelle l'article L. 3211-5 du CGPPP a succédé, on observe que cette ancien état du droit, légèrement différent du droit en vigueur sur le fond, mentionnait déjà la condition des 150 hectares, suivant une rédaction qui faisait plus clairement apparaître qu'elle se rapportait à une forêt dans son ensemble, et non à telle parcelle qu'il se serait agi d'en céder : « Les bois et forêts domaniaux ne peuvent être aliénés qu'en vertu d'une loi. Toutefois, il peut être procédé, dans la forme ordinaire, à la vente des bois domaniaux d'une contenance moindre de 150 hectares qui ne pourraient pas supporter les frais de garderie et qui ne sont pas nécessaires pour garantir les bords des fleuves, torrents et rivières et sont séparés et éloignés d'un kilomètre au moins des autres bois et forêts d'une grande étendue . »

L'ordonnance de 2006 a-t-elle entendu modifier, à cet égard, le droit antérieur 22 ( * ) ? Quoiqu'il en soit, on ne trouve pas de jurisprudence en la matière.

Le service France Domaine a simplement choisi de retenir l'interprétation qui facilitait sa gestion .

b) En ce qui concerne la condition afférente au caractère déficitaire de l'exploitation

La troisième condition posée par l'article L. 3211-5 du CGPPP, relative au caractère déficitaire de l'exploitation forestière, pour sa part, a été considérée par France Domaine , dans la « fiche technique » précitée de janvier 2010, comme « sans objet au cas particulier » de l'hippodrome du Putois, du fait de l'absence d'exploitation forestière sur ce terrain. Pourtant, les trois conditions de l'article L. 3211-5 sont rédigées sans ambiguïté comme cumulatives . On ne voit donc pas comment l'une d'entre elle pourrait être « sans objet » et, si elle n'est pas remplie, tenue pour caduque.

Le ministère de l'agriculture, de son côté, estimait en effet que cette troisième condition n'était pas satisfaite, car l'occupation à titre onéreux de l'hippodrome par la Société des courses de Compiègne constituait de fait, pour l'ONF, une source de revenus sous la forme de la redevance annuellement acquittée par l'association, soit plus de 43 300 euros en 2009.

C'est donc en forçant sensiblement l'interprétation de l'article L. 3211-5 du CGPPP que les services du ministère du budget ont pu se fonder sur cette disposition pour faire l'économie d'une autorisation législative à la cession de l'hippodrome.

2. L'opportunité d'une cession de gré à gré ?

La légalité du recours à une procédure de cession de gré à gré , par préférence à un appel d'offres et donc sans mise en concurrence de la Société des courses de Compiègne avec d'autres éventuels candidats à l'acquisition de l'hippodrome, paraît, quant à elle, plus solide . En la matière, en effet, le ministère du budget a pu s'appuyer sur les dispositions du 5° de l'article R. 129-5 du code du domaine de l'Etat, qui permettent de recourir à une cession à l'amiable « lorsque les conditions particulières d'utilisation de l'immeuble le justifient ».

Dans la note, déjà citée, que le directeur général des finances publiques a adressée au ministre chargé du budget en date du 1 er septembre 2009, l'administration avait bien fait valoir que « la cession envisagée ne peut s'opérer que selon les modalités définies par le code du domaine de l'Etat, selon la procédure d'appel d'offres après mise en oeuvre du droit de priorité de la commune. Il pourrait toutefois, en faisant une interprétation extensive de l'article R. 129-5-5° du code du domaine de l'Etat, être considéré qu' eu égard à la nature du bien et aux conditions particulières d'utilisation de l'immeuble ( et le fait que les investissements ont été financés exclusivement par cette société [ sic , pour association] [les] tribunes en particulier), une cession de gré à gré au profit de la Société des courses de Compiègne pourrait être envisagée . »

Outre les éléments ainsi mis en avant aménagement du terrain pour des activités hippiques et golfiques, financement des investissements par la Société des courses d'autres considérations encore pouvaient justifier de recourir à la procédure dérogatoire du gré à gré, à commencer par la situation particulière du terrain . Celui-ci, en effet, se trouve non seulement enclavé , situé en lisière de la forêt ; il est aussi classé, par le plan local d'urbanisme de Compiègne, dans une zone protégée , qui correspond à des sites susceptibles d'accueillir des activités de loisir et de tourisme, dont les activités équestres, et grevé de lourdes interdictions de construire , du fait de la proximité tant de la forêt que du château. En outre, la circonstance que la Société des courses de Compiègne bénéficiait d'une autorisation d'occuper l'hippodrome jusqu'à la fin 2021 n'était certainement pas de nature à susciter des compétiteurs à l'acquisition.

Néanmoins, pour votre rapporteure spéciale, l'opportunité du choix de recourir à une procédure de cession sans mise en concurrence reste discutable .

D'abord, il n'est pas assuré que d'autres investisseurs ne seraient pas entrés en lice à la faveur d'un appel d'offres , décidant de parier sur le moyen terme après 2021 au vu de la situation prestigieuse du bien mis en vente, situé entre la ville et la forêt de Compiègne et jouxtant le parc du château.

Surtout, le recours à la procédure de droit commun des ventes immobilières de l'Etat aurait évidemment constitué « un puissant facteur de clarification et de transparence de l'opération » suivant les termes d'une « note blanche » adressée au cabinet du ministre chargé du budget, le 16 mars 2010 soit la veille de la signature de l'acte de vente de l'hippodrome , par Philippe Dumas et Yves Bonnet, membres de la commission pour la transparence et la qualité des cessions du domaine immobilier de l'Etat, dubitatifs sur les modalités de cession choisies par le ministère dans ce dossier. Même si cet appel d'offres n'avait débouché que sur la candidature de la Société des courses de Compiègne et une proposition de prix d'un niveau inférieur à l'évaluation domaniale de l'hippodrome, et quitte à procéder de gré à gré après cette consultation infructueuse, l'incontestabilité de la vente s'en fût trouvée mieux garantie .


* 20 Cf. supra , I.

* 21 Ordonnance n° 2006-460, ratifiée par la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit.

* 22 Ce point se trouve précisé dans la seconde partie du présent rapport, I.

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