e) Les préconisations de la mission pour réduire l'impact du coût du travail sur le développement de l'industrie
(1) La nécessité de maintenir un niveau élevé de salaire dans l'industrie pour accroître l'attractivité des métiers du secteur
Au préalable, la mission recommande d'améliorer le niveau des salaires dans l'industrie, afin d'améliorer l'attractivité de ce secteur pour les jeunes et les nouveaux entrants sur le marché du travail . Plusieurs personnes rencontrées par la mission ont déploré le niveau relativement faible des salaires offerts par l'industrie par rapport à d'autres secteurs, tels que celui de la banque ou de l'assurance 203 ( * ) . Cela conduit les jeunes ingénieurs à privilégier les métiers de la finance, où les rémunérations sont beaucoup plus élevées que dans l'industrie.
En tout état de cause, la nécessité de réduire le coût du travail pour améliorer la compétitivité de l'industrie française ne doit pas se traduire, comme en Allemagne, par une modération du niveau des salaires, ceux-ci étant déjà peu attractifs par rapport aux autres secteurs. De nombreux économistes ont d'ailleurs souligné les limites de cette politique d'austérité salariale qui a pour conséquence, en réduisant le pouvoir d'achat des salariés, de se priver ainsi des effets positifs d'une relance par la demande. Cette politique serait d'autant plus préjudiciable à la France que, contrairement à l'Allemagne, la croissance française ne peut s'appuyer sur le dynamisme de la demande extérieure.
C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles la mission souhaiterait revenir sur la logique d'exonération des bas salaires qui a prévalu au cours des vingt dernières années et qui a pu encourager les entreprises à différer les revalorisations salariales, induisant un phénomène dit de « trappe à bas salaires ».
Afin d'en limiter les effets, les Gouvernements successifs ont d'ailleurs été conduits à relever progressivement le plafond d'application des exonérations de 1,3 à 1,6 Smic, ce qui s'est révélé particulièrement coûteux pour les finances sociales et le budget de l'État, qui les compense en grande partie.
(2) Le redéploiement souhaitable des allègements et exonérations de charges en direction des salariés de l'industrie
En ce qui concerne les réductions de charges, la mission considère qu'elles devraient à l'avenir bénéficier davantage à l'industrie. Elle propose donc d' envisager à très court terme les modalités d'un redéploiement des allégements « Fillon » au profit de l'industrie, à coût constant pour les comptes sociaux , en veillant à ce que les secteurs industriels qui emploieraient dans de plus fortes proportions des personnes peu qualifiées ne soient pas pénalisés outre mesure.
Plusieurs mesures pourraient y contribuer :
- le remplacement des exonérations et allégements de charges sur les bas salaires par une réduction uniforme du taux de cotisations sociales patronales, quel que soit le niveau de salaire. Cette option présenterait l'avantage d'une meilleure lisibilité des coûts réels du travail en France, susceptible de rendre plus attractive le « site France » pour les investisseurs étrangers. Si l'on redéploye l'intégralité des allégements généraux (soit environ 22 milliards d'euros), la baisse uniforme du taux des charges patronales pourrait avoisiner 5 points et bénéficier à tous les secteurs 204 ( * ) ;
- le rétablissement du dispositif initial d'exonération des charges sociales dont bénéficiaient jusqu'alors les jeunes entreprises innovantes (JEI) , des dispositions visant à l'encadrer et à en réduire la portée dès 2011 ayant été adoptées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011 (voir encadré ci-après) . Le succès de ce dispositif et son objectif ciblé sur le développement des PME innovantes auraient pourtant dû conduire le Gouvernement à le préserver du coût de rabot généralisé sur les niches fiscales et sociales, d'autant que le soutien des JEI est l'un des axes forts retenus par les États généraux de l'industrie (EGI).
Les exonérations de charges sociales sur les rémunérations des chercheurs présentent le triple avantage d'encourager la création d'emplois hautement qualifiés, d'améliorer la compétitivité des entreprises innovantes et de favoriser leur développement pendant leurs premières années d'existence, en limitant leur appréhension au risque, puisque le bénéfice des allègements est acquis quels que soient les résultats en fin d'exercice. À l'inverse, les exonérations fiscales sont basées sur le niveau du chiffre d'affaires et l'ampleur des réductions accordées dépendent de celui-ci.
De plus, appliquées jusqu'à présent sans plafond, quel que soit le niveau des rémunérations, les exonérations sociales permettaient d'offrir aux chercheurs des salaires plus attractifs. C'est un enjeu fondamental alors que l'on constate le départ à l'étranger des jeunes chercheurs de haut niveau et que les métiers de l'industrie pâtissent d'une image très négative et d'une faible attractivité financière, relativement au secteur bancaire par exemple, ainsi que l'a souligné un professeur de l'École des Mines à Sophia Antipolis 205 ( * ) .
Réforme du dispositif d'exonération de
cotisations sociales
La loi de finances pour 2004 a créé un statut de « jeune entreprise innovante » (JEI), accordé aux petites ou moyennes entreprises de moins de huit ans, qui engagent des dépenses de recherche-développement représentant au moins 15 % de leurs charges et qui leur permet de bénéficier d'un certain nombre d'exonérations fiscales et sociales. 1. Les critères d'éligibilité pour relever du statut de JEI Pour bénéficier du statut de JEI, l'entreprise doit se déclarer spontanément à la direction des services fiscaux et remplir cinq critères : 1) être une PME au sens communautaire ; 2) être âgée de moins de huit ans ; 3) avoir réalisé, à la clôture de chaque exercice au titre duquel elle veut bénéficier du statut de JEI, des dépenses de recherche représentant au moins 15 % des charges totales engagées au titre de ce même exercice. Les dépenses de recherche retenues sont définies par l'article 244 quater B du code général des impôts et excluent les dépenses de veille technologique ; 4) être indépendante, c'est-à-dire contrôler au moins la moitié de son capital ; 5) être réellement « nouvelle », c'est-à-dire ne pas avoir été créée dans le cadre d'une concentration, d'une restructuration, d'une extension ou d'une reprise d'activité. 2. Le régime d'exonérations initial a) Le volet fiscal Le statut de JEI ouvre droit à plusieurs types d'allègements : - une exonération totale d'impôt sur les bénéfices pour les trois premiers exercices bénéficiaires et une exonération à hauteur de 50 % au titre des deux exercices suivants ; - une exonération d'imposition forfaitaire annuelle ; - une exonération de la cotisation économique territoriale (CET) sur délibération des collectivités locales. Ces aides ne peuvent toutefois excéder le plafond « de minimis » fixé par la Commission européenne. Les allègements fiscaux représentent un montant globalement modeste dans la mesure où les JEI ne font pas beaucoup de bénéfices dans les premières années de leur création. Mais elles bénéficient par ailleurs du remboursement anticipé du crédit d'impôt recherche , ce qui représente un avantage de trésorerie appréciable, qui a été étendu en 2009 et 2010 à l'ensemble des entreprises et prolongé en 2011 pour les seules PME. b) Le volet social Les JEI sont également exonérées du paiement des cotisations patronales de sécurité sociale pour les chercheurs, techniciens, gestionnaires de projet en R&D, personnels chargés de tests pré-concurrentiels et juristes chargés de la protection industrielle et des accords de technologie liés au projet. L'exonération est totale et non plafonnée : elle porte sur les cotisations maladie, maternité, invalidité, décès, vieillesse, allocations familiales, accident du travail et maladies professionnelles (AT-MP). En revanche, l'exonération ne porte pas sur les cotisations supplémentaires mises à la charge de l'employeur, compte tenu des risques exceptionnels d'AT-MP. Elle ne peut non plus se cumuler avec une autre mesure d'exonération de cotisations patronales ou avec une aide de l'État à l'emploi.
Pour 2010, le montant des exonérations de cotisations accordées aux JEI est évalué à 145 millions d'euros. 3. La réforme adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2011 La loi de finances pour 2011 a introduit plusieurs dispositions visant à encadrer et réduire la portée des exonérations de cotisations sociales accordées aux JEI . Celle-ci prévoit : - de plafonner le bénéfice des exonérations à un montant équivalent à 4,5 fois le Smic (soit 6 047 euros) ; - de plafonner le montant annuel des exonérations par établissement à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale (soit 103 860 euros pour 2010) ; - de diminuer progressivement le taux des allègements à partir de la troisième année (100 % les trois premières années, 75 % la quatrième, 50 % la cinquième, 30 % la sixième et 10 % la dernière année) avant son extinction. Le manque à gagner pour les JEI est évalué à 57 millions d'euros dès 2011, dont environ 1,7 million au titre du plafonnement de rémunération, 31 millions au titre du plafonnement annuel des exonérations par établissement et 24 millions du fait de la mise en place d'un mécanisme de sortie progressive. |
* 203 Voir le compte rendu de l'entretien avec un professeur de l'École des Mines lors du déplacement de la mission à Sophia Antipolis, les 14 et 15 octobre 2010.
* 204 Les simulations de la DGTPE estiment que 2 points de cotisations représentent environ 9 milliards d'euros de recettes pour la sécurité sociale.
* 205 Voir compte rendu du déplacement de la mission à Sophia Antipolis.