C. DES ATOUTS DE L'INDUSTRIE FRANÇAISE À DÉFENDRE DANS LES MARCHÉS PUBLICS

1. Une situation défavorable aux entreprises françaises, en particulier pour les PME

Au cours de ses déplacements et auditions, la mission a reçu des témoignages convergents attestant d'une certaine inéquité entre les entreprises françaises et leurs concurrentes dans le cadre des appels d'offres . À plusieurs reprises, les représentants des entreprises ou même les services de l'État ont fait état d'une asymétrie dans les relations commerciales que la France entretient avec ses principaux partenaires étrangers.

En respectant à la lettre les règles de libre concurrence édictées par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et l'Union européenne, la France serait trop « ouverte » voire « offerte » selon certains, tandis que les autres pays, tels que l'Allemagne, les États-Unis ou la Chine n'hésitent pas à mettre en place des mesures de type protectionniste (taxes, barrières à l'entrée) ou à imposer dans les appels d'offre des conditions spécifiques afin de privilégier leurs entreprises.

À titre d'exemple, une entreprise rencontrée par la mission lors de son déplacement en Rhône-Alpes a fait mention d'un appel d'offres en Allemagne portant sur l'achat d'autobus et dont le cahier des charges exigeait des normes de sécurité et d'agencement extrêmement précises relatives à la cabine du chauffeur. En réalité, l'adaptation nécessaire du processus de production pour respecter les caractéristiques requises étant quasiment impossible à mettre en oeuvre dans des délais très courts, l'entreprise allemande dont le modèle de bus correspondait déjà aux normes fixées par le cahier des charges s'est trouvée en position favorable pour remporter le marché.

Évoquant des situations comparables, le préfet du Rhône et de la région Rhône-Alpes a parlé d' « angélisme français » dans ce domaine, déplorant qu'il se révèle être au final très préjudiciable à notre industrie. Il a recommandé d'engager sur ce sujet une réflexion approfondie afin de « permettre aux entreprises françaises d'accéder dans les meilleurs conditions aux marchés » 212 ( * ) , en particulier lorsqu'il s'agit d'appels d'offres lancés par les donneurs d'ordre publics.

Ainsi, pour l'installation de panneaux photovoltaïques sur des espaces publics dont l'État est propriétaire, il a dit avoir veillé à inclure, dans le règlement de la consultation, des critères de jugement qui permettent aux entreprises françaises de valoriser la qualité objective de leurs produits (caractéristiques techniques, productivité surfacique, bilan carbone et aptitude au recyclage de l'installation, etc.).

Autre constat, la part des PME dans le total des marchés publics est prépondérante en nombre mais minoritaire en montants : elle atteint 60 % des marchés attribués par les autorités publiques mais seulement 30 % des montants alloués. Pour les collectivités territoriales, la part des marchés remportés par les PME représente 63 % en nombre et 40 % en montants ; pour l'État, elle est respectivement de 49 % et 21 %.

2. Quelques pistes pour améliorer les conditions d'accès des entreprises françaises aux marchés européens et internationaux
a) Favoriser l'application systématique du principe de réciprocité et mieux prendre en compte la dimension écologique dans les échanges commerciaux intra et extracommunautaires

Alors que les entreprises européennes doivent respecter des normes contraignantes en matière d'émission de CO 2 , les produits originaires de la plupart des pays concurrents de l'Union européenne n'y sont pas assujettis ou le sont dans une moindre mesure.

Afin de garantir une certaine réciprocité dans les échanges, il faudrait prévoir que les produits importés en Europe soient soumis aux mêmes contraintes de production que les produits européens et dans les mêmes conditions. En cas de non-conformité des produits aux règles communautaires, l'entreprise exportatrice devra acquérir un permis d'émission de CO 2 pour pouvoir accéder au marché européen.

De façon générale, il convient d'exiger la même réciprocité pour toutes les règles qui s'imposent aux entreprises européennes . L'absence de réciprocité est particulièrement mal vécue par les entreprises lorsque les contraintes se traduisent par des coûts de production supplémentaires et des délais d'accès plus longs aux circuits de distribution, qui compromettent l'acquisition de nouvelles parts de marché. Les industries chimiques ont ainsi fait valoir qu'elles n'étaient pas fondamentalement hostiles à la règlementation REACH dès lors qu'elle s'appliquait dans les mêmes conditions pour tous.

De même, les entreprises européennes comprennent mal que les marchés publics européens soient ouverts sans restriction à tous, y compris à certains pays concurrents ayant érigé des barrières protectionnistes et limité l'accès à leurs propres appels d'offres publics. Pourtant l'Accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP) interdit de telles pratiques, sauf lorsqu'elles relèvent de mesures de réciprocité permettant de rétablir un certain équilibre dans les échanges commerciaux. Or l'Union européenne n'a jamais recouru à cette clause de réciprocité.

La mission adhère pleinement aux recommandations adoptées dans ce domaine par les États généraux de l'industrie (EGI). Afin de rétablir un équilibre plus favorable aux entreprises européennes, il convient à moyen terme de :

- renégocier l'accord de l'OMC sur les marchés publics pour élargir le nombre de pays signataires et lever les exceptions ou réserves qui subsistent ;

- développer les accords de libre-échange entre l'Union européenne et certains pays pour lesquels les marchés publics demeurent fermés ou difficilement accessibles aux entreprises européennes ;

- solliciter davantage l'organe de règlement des différends de l'OMC face aux États qui ne respectent pas leurs engagements ;

- obtenir de la Commission européenne de mettre en place des règles effectives de réciprocité en matière de marchés publics à l'endroit des entreprises originaires de pays tiers qui n'ouvrent pas leurs marchés publics aux entreprises européennes. À défaut, la France pourrait envisager la mise en oeuvre de règles similaires pour l'accès aux marchés publics français ;

- identifier les pratiques des principaux partenaires commerciaux de l'Union européenne par secteur et proposer systématiquement de les ériger en règles communes à l'échelle internationale ;

- enfin, à l'instar de certains pays tiers, l'Union européenne pourrait assouplir les conditions d'application des règles relatives aux distorsions de concurrence qui résultent du versement d'aides publiques à des entreprises pour soutenir certains secteurs ou projets identifiés comme stratégiques ou « d'intérêt européen commun », en les excluant du champ de ces règles.

b) Valoriser les atouts de la proximité en intensifiant les échanges entre les donneurs d'ordre publics et le tissu économique local

Afin de favoriser le développement des PME, la mission estime qu'il est indispensable que celles-ci puissent accéder plus facilement et directement aux marchés publics. En effet, les PME participent le plus souvent à la réponse à la commande publique via la sous-traitance et se voient donc imposer les conditions tarifaires des grands groupes, qui leur sont peu favorables.

Cela suppose la mise en place d'un « partenariat » constructif entre donneurs d'ordre publics (État, collectivités territoriales) et les organisations représentatives des PME. À cet égard, la Bourgogne fait figure d'exemple avec les conventions de partenariat que la CGPME a signées avec le Conseil régional et les quatre Conseils généraux de la région.

Convention de partenariat avec la CGPME : l'exemple de la Bourgogne

Pour faciliter et simplifier l'accès à la commande publique des PME, le texte de la convention prévoit que les collectivités publiques s'engagent à :

- informer les acteurs économiques, via une plateforme en ligne, des programmes d'investissements, de travaux et d'achats d'équipements et de services de la collectivité avec leurs montants estimatifs, afin que les entreprises potentiellement concernées se tiennent prêtes à y faire face ;

- alléger et simplifier les procédures de dépôt des candidatures avec un document unique ;

- développer les procédures d'allotissement, d'accord-cadre ou de multi-attribution ;

- simplifier les procédures de déclaration des sous-traitants et favoriser la co-traitance au stade de la candidature et en cours de marché ;

- apporter aux TPE et aux PME une assistance et un accompagnement spécifique au moment de la candidature avec la mise en service d'une ligne téléphonique d'assistance et de conseil en matière de réglementation sur les marchés publics ;

- réserver au bénéfice des PME une partie des marchés de haute technologie, de R&D et d'études technologiques d'un montant inférieur aux seuils des procédures formalisées, ainsi que le permet la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 ;

- enfin, offrir aux TPE et PME des conditions favorables d'exécution des marchés en tenant compte de leur faible niveau de trésorerie (respect du délai de trente jours pour les paiements ; garantie d'une avance de 15 % minimum pour tout marché d'un montant supérieur à 20 000 euros hors taxes ; suppression de la retenue de garantie de 5 % pour les marchés inférieurs à 20 000 euros HT, etc.).

De tels partenariats pourraient être mis en oeuvre dans chaque région, favorisant ainsi le développement économique et l'emploi local. La mission recommande que l'ensemble des donneurs d'ordre publics s'engagent sur cette voie. Cela suppose aussi de la part des services publics une bonne connaissance des entreprises locales et de leurs activités, pour identifier les marchés ou segments de marchés qui pourraient leur être alloués.

Cela exige parallèlement de mettre en oeuvre une véritable stratégie pour permettre aux PME d'accéder dans les meilleures conditions aux marchés publics. Ainsi, pour ne pas favoriser systématiquement les grands groupes étrangers ou nationaux, il convient d'éviter de procéder par appel d'offres unique et de privilégier plutôt la constitution de plusieurs lots distincts. À titre d'exemple, pour la réalisation d'une vélo-route comportant des ouvrages d'art, il est préférable de distinguer au moins quatre lots en séparant la réalisation de la route, des ponts, des barrières et des aménagements paysagers. De la sorte, les PME, plus spécialisées, ne seront pas exclues du marché ou reléguées au niveau de la sous-traitance par un grand groupe qui pourra répondre en faisant valoir sa compétence généraliste.

Ces mesures pourraient s'inscrire de façon plus globale dans le cadre d'un Small Business Act à la française en faveur du développement des PME 213 ( * ) .

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* 212 Lettre en date du 11 février 2010 adressée par M. Jacques Gérault, Préfet de la région Rhône-Alpes et du Rhône, à Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, faisant la synthèse régionale des États généraux de l'industrie.

* 213 Au niveau européen, une communication de la Commission européenne du 25 juin 2008, « Priorité aux PME - un « Small Business Act » pour l'Europe », a prévu un cadre stratégique en faveur des PME afin d'alléger les charges administratives et de faciliter l'accès des PME au financement et aux marchés publics comme aux nouveaux marchés. Le commissaire Antonio Tajani a annoncé le 23 février 2011 un réexamen de ce cadre stratégique.

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