b) Les raisons d'un désamour
Plusieurs facteurs explicatifs peuvent être mis en avant : une faible sensibilisation des jeunes aux différents métiers de l'industrie, une perception erronée et obsolète du monde de l'entreprise, mais aussi une concurrence de plus en plus forte des métiers de la finance, qui proposent des rémunérations bien plus attractives.
Les formations concernées sont en cause au premier titre. La mission a pu mesurer, au fil des auditions, l'importance de ce qui revêt aujourd'hui la dimension d'un problème véritablement culturel : les ingénieurs sont aujourd'hui attirés par la finance et la gestion plutôt que par l'industrie, principalement en raison des écarts de salaire, comme l'a rappelé devant la mission M. Dominique Jacomet, président de la section « diagnostic et prospectives » de la Commission permanente de concertation pour l'industrie (CPCI).
En effet, l'organisation de l'enseignement technologique et les contenus mêmes d'enseignement des écoles d'ingénieur entretiennent aujourd'hui cette désaffection pour deux raisons principales : déconnexion de la réalité industrielle contemporaine, manque d'attractivité de ce type de formation, souvent choisie par défaut plutôt que par véritable choix.
La vision de l'industrie donnée dans ces filières de formation - et les manuels d'économie de l'enseignement secondaire en donnent malheureusement un exemple édifiant - est largement éloignée de la réalité actuelle, voire négative, ce qui contribue à détourner les jeunes de ces métiers.
Au cours de son déplacement en Allemagne, la mission a été frappée a contrario par l'exemple qui lui a été donné d'un travailleur à la chaîne chez Daimler, qui peut gagner plus qu'un jeune ingénieur embauché dans une petite entreprise. La formation duale, qui permet de poursuivre ses études tout en travaillant, donne au jeune des perspectives qui tendent à le fidéliser au sein de l'entreprise.
En France, les élites - politiques, administratives et scientifiques - se sont également détournées de l'industrie. Le témoignage de M. Jean-Claude Volot, nouveau médiateur de la sous-traitance devant la mission est significatif à cet égard : « Dans mon école d'ingénieur, nous étions 18 candidats pour une place ; aujourd'hui, on peine à remplir les écoles ! Les ingénieurs préfèrent la banque ou la finance à l'industrie... ».
c) Des remèdes à trouver
C'est bien un « état d'esprit industriel » qu'il s'agit de réinstaller et de favoriser : « redorer le blason » de l'industrie ne passe pas seulement par des campagnes de communication mais aussi et surtout par la volonté de professionnels de l'industrie. Lors de son audition par la mission, M. Jean-François Dehecq, président du comité national des États généraux de l'industrie, a insisté sur l'importance de l'impulsion par des hommes et des femmes d'industrie, qui ont une vision et une culture industrielles, et qui ne doivent pas être peu à peu remplacés par de simples gestionnaires.
Créer les conditions d'un « état d'esprit industriel » « Le constat est donc évident : une industrie forte est nécessaire. Que faut-il donc voir dans les reculs de l'industrie française ? Je vois pour ma part deux éléments explicatifs principaux. Le premier élément est une très faible dynamique de l'investissement. En effet, pour bâtir des empires industriels, certains ingrédients sont indispensables parmi lesquels l'investissement, l'innovation et l'effort pour le financement industriel. Le second élément réside dans une image considérablement dégradée de l'industrie dans l'opinion publique. Or, pour pouvoir avoir une politique industrielle, il faut que la France aime à nouveau son industrie et que l'argent aille vers le financement de l'industrie et non vers la spéculation. La création d'un livret industriel pourrait à ce titre être utilement envisagée. Je voudrais aussi vous dire que mon ambition, lorsque j'ai commencé à travailler, c'était de devenir le plus gros contribuable français au titre de mon entreprise. C'est ce qui est arrivé et j'en suis fier. Et cela m'a conduit à localiser mes matières premières à 80% en France et non pas en Chine ou en Inde. Tout cela suppose en réalité que les patrons aient envie de construire des « empires » industriels et pas seulement de faire des « coups » en Bourse. Lorsqu'on est animé par ce désir, on sait qu'il est parfois nécessaire de laisser son entreprise stagner pour faire de la valeur demain. Il faut donc agir sur l'état d'esprit des entrepreneurs : ils doivent être ce que j'appelle des « bâtisseurs d'empires » et non pas seulement de bons gestionnaires ». Source : audition de M. Jean-François Dehecq, président du comité national des États généraux de l'industrie, 6 octobre 2010 |
Dans ce contexte, le ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi a annoncé la tenue, en avril 2011, d'une « semaine de l'industrie » qui aura pour but affiché de « faire tomber certains clichés trop souvent véhiculés sur l'industrie » et de « contrebalancer le déficit d'image » dont elle souffre. Cette semaine devra fédérer un ensemble d'actions - locales et nationales - d'information et de sensibilisation sur les réalités du monde industriel. Des journées portes ouvertes, des ateliers de découverte de l'industrie en milieu scolaire, des colloques et tables rondes, des forums d'information, des expositions seront notamment organisés.
La mission estime que de telles initiatives, assurant la promotion de l'industrie, plutôt que de s'inscrire dans le cadre d'une semaine dédiée, devraient être pérennisées et organisées régulièrement afin de reconstituer une véritable culture industrielle. Par ailleurs, la mission propose de renforcer la présence de professionnels de l'industrie dans les grandes entreprises dont l'État est actionnaire ainsi qu'à l'Agence des participations de l'État. |
D'après les statistiques de l'Insee, si l'image globale de l'industrie demeure assez bonne dans l'opinion (même si elle décline), les conditions de travail, les perspectives de carrière, la rémunération et la stabilité de l'emploi ont une image de plus en plus négative.
Ce désamour provient en grande partie d'une inadaptation croissante de notre industrie au monde économique d'aujourd'hui.