II. PERMETTRE À NOTRE INDUSTRIE DE LUTTER À ARMES ÉGALES

Face à la compétition internationale, l'Allemagne, principal partenaire et concurrent commercial de la France 185 ( * ) , a fait le choix de se battre sur tous les fronts en intensifiant ses efforts en R&D, en favorisant le développement des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et en réduisant ses coûts salariaux.

Dans un univers compétitif en pleine évolution, la France se doit, elle aussi, d'adapter son système productif, en optimisant la fiscalité des entreprises pour favoriser leur développement, en particulier celui des PME, en cherchant à orienter vers l'industrie les efforts de maîtrise des coûts de production et en défendant mieux les atouts de nos industries dans les marchés publics.

A. POUR UNE FISCALITÉ PLUS FAVORABLE À L'INVESTISSEMENT DANS L'INDUSTRIE

Votre rapporteur fait remarquer que l'outil de travail, en particulier industriel, doit être soumis à la fiscalité la plus faible possible de manière à accroître la compétitivité nationale . La taxe professionnelle ne pouvant constituer un impôt satisfaisant de ce point de vue, sa réforme est donc bienvenue, même si la mission s'inquiète des perspectives pour les finances locales .

Cette question suscite un débat important au sein de la mission. Une partie de la mission a ainsi fait valoir que les incertitudes qui pèsent sur la pérennité de la compensation de la CET sont particulièrement pénalisantes pour les territoires industriels. Leurs représentants se posent légitimement la question de la survie des activités industrielles sur leur territoire.

Par ailleurs, ces élus ont fait remarquer que la taxe professionnelle assurait des ressources dynamiques qui contribuaient à renforcer un écosystème industriel (infrastructures, transports, recherche, formation, etc.) favorable à l'implantation et au développement d'industries.

Enfin, ces membres de la mission rapportent les propos du Maire de Stuttgart répondant à une question sur la taxe professionnelle en Allemagne :

« M. Wolfgang Schuster a indiqué qu'une taxe équivalente existe en effet. Si certains la critiquent pour le poids qu'elle représenterait pour les entreprises, celles-ci ont surtout des exigences en termes de formation ou de qualifications. Sans la taxe professionnelle, il serait plus intéressant pour la municipalité d'avoir des habitants que des emplois. (...) M. Wolfgang Schuster a précisé que le produit de cette taxe, qui oscille selon le niveau de l'activité économique, représente environ 600 millions d'euros sur un budget de 2,6 milliards d'euros. » 186 ( * )

La mission souligne, par ailleurs, que la réforme de la fiscalité du patrimoine devra maintenir les exonérations en vigueur sur l'outil de travail, de manière à ne pas faire peser sur lui une fiscalité supplémentaire . Elle plaide donc, plus généralement, pour une politique fiscale qui encourage l'activité industrielle en retirant l'outil de travail de l'assiette imposable .

1. Les enjeux de la « suppression » de la taxe professionnelle
a) La levée d'un frein aux investissements

La mission espère que l'impact positif sur l'industrie de la réforme de la taxe professionnelle sera bien confirmé dans les faits. L'annonce de la suppression de cet impôt, créé en 1975, avait été prononcée par le président de la République le 5 février 2009, lors d'une intervention télévisée : « on supprimera la taxe professionnelle en 2010 parce que je veux qu'on garde les usines en France. Je veux qu'on arrête les délocalisations. » Cet objectif ne visait, en fait, que la part correspondant aux équipements et biens matériels (EBM) et non la part foncière de la taxe professionnelle, soit un montant estimé de prélèvements de 22,2 milliards d'euros, sur un total de recettes de taxe professionnelle de 30 milliards d'euros. En effet, le produit de la taxe professionnelle, dont les collectivités territoriales étaient les principales bénéficiaires 187 ( * ) (à hauteur de 90 %, soit 28 milliards d'euros de recettes, dont 3 milliards pour les régions, 8 milliards pour les départements et 17 milliards pour les communes et leurs groupements), se répartissait en 2009 de la manière suivante :

- 22,2 milliards d'euros pour la part EBM de la taxe ;

- 5,8 milliards d'euros pour sa part foncière.

En outre, il convient de préciser que cet impôt se caractérisait par l'existence de deux mécanismes couplés :

- une « cotisation minimale de taxe professionnelle », due par les entreprises qui réalisaient plus de 7,6 millions d'euros de chiffre d'affaires et dont la cotisation au titre de la taxe professionnelle était inférieure à 1,5 % de leur valeur ajoutée, qui engendrait 2,6 milliards d'euros de recettes par an ;

- un « plafonnement à la valeur ajoutée », qui limitait le montant dû au titre de la taxe professionnelle à 3,5 % de la valeur ajoutée générée par chaque entreprise.

Cet impôt pesait fortement sur les investissements productifs des entreprises , dans la mesure où une partie de son assiette reposait sur la valeur locative des équipements et biens mobiliers, soit les investissements eux-mêmes. Même si la décision d'investir ne se fonde pas uniquement sur des considérations fiscales, la taxe professionnelle engendrait une certaine réticence à l'investissement, puisqu'elle détériorait les « retours sur investissement ». Pour l'ensemble des entreprises, la taxe conduisait à élargir l'assiette fiscale à chaque nouvel investissement, ce qui est désincitatif.

La loi de finances pour 2010 a donc visé à supprimer cet effet pénalisant - surtout sensible pour les secteurs les plus intensifs en capital, au premier rang desquels l'industrie - en prévoyant ainsi de remplacer la taxe professionnelle par une « contribution économique territoriale » (CET) , composée en réalité de deux impôts différents. Il s'est donc agi de mettre en place, d'une part, la « cotisation foncière des entreprises » (CFE) assise sur les valeurs locatives foncières, et, d'autre part, la « cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises » (CVAE) assise sur la valeur ajoutée.

La « cotisation foncière des entreprises » (CFE)

La suppression de la fraction de l'assiette de la taxe professionnelle reposant sur les EBM (donc les investissements), soit 80 % environ de l'assiette totale, conduit à faire des valeurs locatives foncières l'assiette principale du nouveau régime d'imposition. La cotisation foncière des entreprises (CFE) présente toutefois trois différences par rapport à la taxe professionnelle :

- tout d'abord, les valeurs locatives industrielles font l'objet d'un abattement de 30 % ;

- ensuite, l'activité de location ou de sous-location d'immeubles nus à usage autre que l'habitation est désormais soumise, à compter de 100 000 euros de recettes par an, à la CFE (et à la CVAE) ;

- enfin, pour les titulaires de bénéfices non commerciaux (BNC), l'assiette « recettes » disparaît mais, en contrepartie, ces entreprises sont assujetties à la CVAE.

La « cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises » (CVAE)

Véritable impôt local, la CVAE, dont le taux est fixé en principe à 1,5 %, engendre pour chaque collectivité un produit correspondant à la valeur ajoutée des entreprises situées sur son territoire. Le lien entre la collectivité et les entreprises qui s'établissent sur son territoire est consolidé par l'assujettissement de toutes les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152 500 euros.

La valeur ajoutée taxable est plafonnée à 80 % du chiffre d'affaires pour les entreprises de moins de 7,6 millions d'euros de chiffre d'affaires et à 85 % pour les autres.

La mission souligne que la somme de ces deux nouveaux impôts est plafonnée à 3 % de la valeur ajoutée des entreprises 188 ( * ) . Elle relève également que les exonérations de taxe professionnelle, de droit ou sur délibération des collectivités territoriales (en particulier les exonérations dans les zonages dits de politique de la ville ou d'aménagement du territoire), sont maintenues dans le nouveau régime et s'appliquent aux deux nouveaux impôts que sont la CFE et la CVAE.

De plus, afin de neutraliser les gains importants que certaines entreprises non délocalisables pourraient tirer de la réforme, une imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) a été créée 189 ( * ) . Les grandes entreprises de réseaux concernées, en particulier EDF, France Telecom et la SNCF, disposent d'importantes immobilisations bien réparties sur tout le territoire et, étant moins exposées à la concurrence internationale, ne présentent pas les mêmes risques de délocalisation que les autres entreprises industrielles.

En garantissant une recette fiscale, l'IFER a également pour objectif de maintenir l'incitation des collectivités territoriales à accueillir sur leur territoire des installations a priori peu attractives et comportant des externalités négatives. L'assiette de chaque composante de l'IFER est ainsi « territorialisée », les entreprises concernées étant soumises à des obligations précises de déclaration, relatives en particulier aux caractéristiques des installations et des matériels et à leur localisation dans les collectivités territoriales bénéficiaires.

Le rapport de notre collègue Philippe Marini, rapporteur général de la commission des Finances, montre la complexité des ressorts et des enjeux de cette réforme de la taxe professionnelle, qui s'apparente plus à une transformation profonde de cette taxe qu'à sa suppression pure et simple 190 ( * ) .

Toutefois, la mission relève que la réforme modifie profondément la fiscalité locale des entreprises.

À cet égard, elle observe que, d'après le Gouvernement, la réforme devrait entraîner in fine une diminution du coût des investissements des entreprises de l'ordre de 20 % 191 ( * ) . Alors qu'à l'automne 2009, le Gouvernement estimait que, en régime de croisière, la réforme conduirait à un gain total, pour les entreprises, d'environ 7,1 milliards, avant imposition sur les sociétés. Il évalue ce gain, en 2010, à 8,7 milliards d'euros, soit un écart positif de 1,6 milliard d'euros.

Incidence pour les entreprises de la transformation
de la taxe professionnelle en contribution économique territoriale

(en millions d'euros)

TP 2009 référence

CET cible

Variation

cotisation TP/CFE

32 522

5 394

-27 128

frais TP

2 602

432

-2 170

TCCI (y compris prélèvements)

1 275

1 109

-166

TCM

298

233

-65

frais TCCI/TCM

141

121

-20

TP/CFE brute 2007 yc CCI, CCM et frais

36 838

7 289

-29 549

dégrèvements sur rôles TP

-2 319

0

2 319

dégrèvements sur rôles CCI

-7

0

7

crédits d'impôt imputés

-198

0

198

TP/CFE mise en recouvrement 2007
(TP/CFE brute - dégrèvements sur rôles)

34 314

7 289

-27 025

crédits d'impôt à restituer

-11

0

11

TP/CFE nette de crédit d'impôt

34 303

7 289

-27 014

PVA(simulé)

-10 619

-698

9 921

CVAE (simulé)

2 706

10 989

8 283

Frais CVAE

0

110

110

CET nette

26 390

17 690

-8 700

Source : ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi

Inscrite dans le contexte du plan de relance, cette réforme arrive donc à point nommé du point de vue du calendrier. Elle doit permettre de faciliter la sortie de crise économique et conduire à améliorer la compétitivité de nos entreprises et à renforcer l'attractivité de notre territoire, tout en permettant de « restaurer le lien entre entreprises et territoires », comme le précise l'exposé des motifs de la loi de finances pour 2010.


* 185 Premier client de la France, l'Allemagne représente 16 % des exportations françaises.

* 186 Compte rendu du déplacement de la mission à Stuttgart (voir tome II de ce rapport).

* 187 L'État percevait aussi une partie du produit de la taxe professionnelle, de l'ordre de 20 % du produit total.

* 188 La diminution du plafonnement passe donc de 3,5 % à 3 % de la valeur ajoutée entre les deux régimes fiscaux. Pour les entreprises soumises au plafonnement, le gain immédiat de la réforme est donc égal à 0,5 % de leur valeur ajoutée.

* 189 L'IFER repose sur huit catégories d'installations dans trois secteurs économiques :

- la production d'énergie électrique : transformateurs électriques et installations éoliennes, photovoltaïques, « hydroliennes », hydrauliques et « industrielles » (centrales nucléaires et thermiques à flamme). Les éoliennes « offshore » étant soumises à une imposition distincte et spécifique ;

- les télécommunications : stations radioélectriques et répartiteurs principaux de la « boucle locale cuivre » (dans le cadre du dégroupage) ;

- et les transports ferroviaires : matériels roulants de transport de voyageurs sur le réseau ferré national (matériels de la SNCF) et en Île-de-France (matériels de la RATP ).

Chaque catégorie d'installations fait l'objet d'un tarif spécifique. L'IFER est acquittée dès 2010 au profit de l'État, mais son produit reviendra aux différents niveaux de collectivités à compter de 2011. Les collectivités qui percevaient la taxe professionnelle sur des installations désormais soumises à l'IFER bénéficient cependant d'une compensation à l'euro près en 2010, via la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) et les Fonds nationaux de garantie individuelle des ressources (FNGIR).

* 190 Philippe Marini, « Mise en oeuvre de la contribution économique territoriale : la trajectoire de la réforme », Rapport n° 588 (2009-2010).

* 191 En 2010, la transition entre les deux dispositifs devrait représenter un coût supplémentaire de 8,7 milliards d'euros par rapport à 2011 (différence entre le coût de la réforme en 2010, 12,9 milliards d'euros, et la perte de ressources pour l'État en 2011, 4,2 milliards d'euros). Cet effort permet de soutenir la trésorerie des entreprises et d'atténuer tout spécialement les effets de l'arrêt des mesures du plan de relance.

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