B. LA CRISE DE L'ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE

1. L'histoire : une matière longtemps instrumentalisée par le pouvoir politique dans le cadre scolaire

Les grandes orientations historiographiques, c'est-à-dire la façon particulière et subjective dont une société examine, à une période donnée, son passé, sont bien souvent des indicateurs des intentions poursuivies par le régime politique en place en matière de représentation de la nation et de conception de la citoyenneté. Dans un article publié dans la revue Historia , M. Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la culture et de la communication, rappelle que l'historiographie est « animée par le besoin, non dissimulé d'ailleurs, de forger des mythes collectifs, de fonder des légitimités , tout en dressant face à la précarité des destins, des monuments édifiés pour tenter de conquérir une fragile immortalité ». L'histoire, et plus particulièrement son enseignement à l'école, a ainsi constitué un instrument de légitimation du pouvoir politique en place.

Dans cette logique, des conceptions fortement politisées de l'enseignement de l'histoire, sous la III e République, ont envisagé la transmission de la connaissance historique aux plus jeunes comme le récit d'un « roman national » qui fait du régime politique en vigueur l'aboutissement logique de l'histoire nationale . Le manuel d'histoire de France de M. Ernest Lavisse est emblématique de cette conception téléologique de l'enseignement de l'histoire destiné, dans une logique de « catéchisme républicain » 16 ( * ) , à exalter les fondements d'une III e République aux valeurs universelles, conquérante et revancharde. La couverture du manuel destiné au cours élémentaire met en avant la profession de foi suivante : « l'enseignement de l'histoire aux tout petits doit être une suite d'histoires comme en racontent les grands-pères à leurs petits-enfants ». Dans le même ordre d'idées, M. Jacques Bainville s'est employé, au début du XX e siècle, à valoriser l'histoire d'une France au destin monarchiste.

Les principes historiographiques de l' « histoire-bataille », qui repose sur une succession de dates politiques et militaires soigneusement sélectionnées dans une conception téléologique de l'histoire nationale, ont ainsi, tout au long de la III e République, fortement irrigué l'enseignement public de l'histoire. De fait, la vulgarisation de l'histoire s'exerçait (et, du reste, continue en grande partie à s'exercer) dans un cadre presque exclusivement scolaire dans lequel le citoyen en formation était systématiquement placé dans la situation de l'élève . Malgré le succès confirmé des revues d'histoire, des romans historiques et des programmes audiovisuels consacrés à l'histoire, il y a fort à penser que le contact avec l'histoire, au-delà du cadre scolaire, ne concerne encore qu'un public averti justifiant d'un niveau d'études supérieures substantiel.

Comme le soulignait M. Jacques Toubon, ancien ministre de la culture et de la francophonie, lors de son audition, « la France est sans doute la spécialiste des musées des beaux-arts, mais elle est demeurée, pendant très longtemps, réticente à l'idée que l'histoire puisse donner lieu à une médiation culturelle . Notre pays réservait traditionnellement ces matières à l'enseignement ou à la recherche. Dans ces conditions, le public était censé être, vis-à-vis de l'histoire et des grandes questions de société (démographie, environnement, etc.), dans la situation de l'élève et non pas du visiteur [...] qui dispose, dans son parcours, d'une certaine forme de liberté pour sélectionner les informations qui l'intéressent et interpellent sa sensibilité, pour s'adresser à la médiation en fonction de ses besoins ».


* 16 Expression de M. Emmanuel Laurentin, préface de À quoi sert l'histoire aujourd'hui , Bayard éditions, 2010, p. 7.

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