B. L'EXPLICITATION DE LA CLEF DE FINANCEMENT ENTRE L'ÉTAT, LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET LES AUTRES ACTEURS POUR CHAQUE MODE DE TRANSPORT

1. Le contenu de l'avant-projet consolidé

L'avant-projet consolidé montre que la part des collectivités territoriales sera plus importante que celle de l'État. Notre collègue Roland Ries, par ailleurs président du Groupement des autorités responsables de transport (GART), avait déjà mis en exergue le rôle essentiel des collectivités territoriales et de leurs groupements, en estimant que leur participation financière devrait être de l'ordre de 80 milliards d'euros sur les 170 milliards d'euros prévus par l'avant-projet initial Le document du ministère de janvier dernier indique que, sur une enveloppe globale du SNIT de 270 milliards, les collectivités territoriales dépenseront 97 milliards d'euros (37,2 %), soit plus que l'État, qui ne contribuera au SNIT qu'à hauteur de 86 milliards (32,8 %). La part des collectivités territoriales atteint même 71 milliards d'euros pour les projets de développement (42,8 %), loin devant l'État qui ne dépensera que 55 milliards d'euros (33,1 %).

RÉPARTITION DES DÉPENSES PAR CONTRIBUTEURS

Source : avant-projet consolidé du SNIT, page 59.

Ceci dit, la part de l'État au sens large avoisinera sans doute 50 % de l'enveloppe globale du SNIT. En effet, la part des autres contributeurs (29,9 % des 260,5 milliards de l'enveloppe totale, soit 78 milliards) concerne en réalité essentiellement des opérateurs de l'État, au premier rang desquels viennent Réseau ferré de France (RFF) et Voies Navigables de France (VNF).

2. Les propositions du groupe de suivi

Compte tenu de la forte implication financière des collectivités territoriales dans la mise en oeuvre du SNIT, le groupe de suivi avait demandé en février dernier l'organisation d'une concertation approfondie avec les principaux décideurs locaux concernés par le SNIT. La réussite et la crédibilité de ce schéma passent en effet par un dialogue approfondi avec les élus du terrain. C'est dans cet esprit que le Président de la commission de l'économie, M. Jean-Paul Emorine, a souhaité que « les préfets de région et de département puissent prendre des contacts avec les présidents de région et de département afin que ces derniers disposent d'un dossier plus substantiel ». Il a ensuite précisé que le ministère devait nouer un « contact un peu plus privilégié avec les collectivités locales » 10 ( * ) . Votre groupe de travail constate avec satisfaction que cette recommandation a été entendue. En effet, un courrier a été adressé, le 3 mars dernier, à tous les préfets, par Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, et par M. Thierry Mariani, secrétaire d'État aux Transports, pour qu'ils consultent les collectivités territoriales sur l'avant-projet de SNIT. De nombreuses collectivités ont répondu, y compris des villes, mais aucune synthèse de ces contributions n'a été élaborée par le Gouvernement.

Le groupe de suivi demande également qu'une hiérarchie soit établie entre les projets présentés . Certes, le Gouvernement répète à l'envi que le schéma n'est qu'un document de programmation, et non de planification, tous les projets retenus bénéficiant officiellement d'une même attention de la part des pouvoirs publics. Il n'empêche : certains projets sont plus structurants, urgents et faciles à réaliser que d'autres. D'ailleurs, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre, a elle-même reconnu que le projet de LGV Paris-Orléans-Clermont-Lyon était le premier de la deuxième liste de LGV 11 ( * ) . Le groupe de suivi ne souhaite pas que le Gouvernement présente une hiérarchie à respecter scrupuleusement pour les trente ans à venir. Aucun Gouvernement ne peut lier les mains des Gouvernements à venir, quelle que soit leur tendance politique. Mais en l'état actuel du document, la seule logique pour sélectionner et séquencer les projets sera la logique financière : un projet, même coûteux, pour lequel l'État et des collectivités territoriales à fort potentiel fiscal veulent s'engager, aura naturellement plus de chance de voir le jour qu'un projet porté par des collectivités impécunieuses. Si l'on veut éviter que le seul critère pour hiérarchiser les projets soit le critère financier, il faut donc que le Gouvernement indique au moins les grandes phases dans la réalisation de ces quelque soixante projets, en lui laissant une marge d'appréciation et d'opportunité politique, compte tenu notamment des évolutions inhérentes à l'évaluation sociale, économique et environnementale d'un projet. C'est pourquoi l'AFITF pourrait proposer au ministère une hiérarchie dans les projets, comme le suggère le rapport Gressier de 2009 12 ( * ) . Présenter des éléments de hiérarchie entre projets aurait enfin comme avantage de faciliter l'évaluation environnementale du SNIT ( cf. infra ).

Votre groupe de travail souhaite également que le ministère présente des chiffrages financiers crédibles, notamment dans le domaine ferroviaire. Selon les informations communiquées à votre rapporteur, l'enveloppe pour le développement du réseau, estimée à 103 milliards sur 25 ans, pourrait atteindre 110 voire 125 milliards d'euros. Les crédits pour la modernisation (hors Île-de-France) pourraient passer de 15 à 25 milliards d'euros. Quant à l'enveloppe régénération du réseau (également appelée maintenance), l'estimation du ministère (25 milliards d'euros) est revue à la hausse, et pourrait atteindre 40 milliards d'euros. Les chiffres affichés par le ministère ne correspondent qu'à une partie des dépenses. Par exemple, l'enveloppe de renouvellement ne prend pas en compte le renouvellement des ouvrages d'art ou de la signalisation. En outre, certains projets transversaux ne sont pas pris en compte, comme le projet de commande centralisée, qui vise à améliorer le système de régulation et de gestion des circulations (15 milliards d'euros sur 25 ans). Au total, les dépenses prévues pour le transport ferroviaire, qui atteignent 143 milliards d'euros selon le ministère, toutes catégories confondues, pourrait être majorées de 32 à 47 milliards d'euros.

L'IMPASSE FINANCIÈRE DU SYSTÈME FERROVIAIRE FRANÇAIS

Une mission tripartite État/SNCF/RFF a rendu ses conclusions le 14 décembre dernier sur la modélisation économique et financière du système ferroviaire français.

En 2025 , la dette du système ferroviaire augmenterait significativement, si aucune réforme de structure n'est engagée et même si aucun des projets listés dans la loi Grenelle I n'est réalisé :

- la dette de la SNCF triplerait en euros courants, passant de 6,2 milliards d'euros en 2010 à 17,5 milliards d'euros ;

- la dette de RFF passerait de 29,9 milliards en 2010 à 34,6 milliards d'euros .

Or l'ensemble des projets ferroviaires prévus dans la loi Grenelle I couterait environ 100 milliards d'euros . Le groupe 1 désigne les projets dont la mise en service est prévue avant 2017. Les groupes 2 et 3 regroupent les projets dont la mise en service est comprise entre 2020 et 2025. L'enveloppe globale de la modélisation intègre le projet francilien EOLE, mais ne comprend pas les projets Paris-Orléans-Clermont Lyon, Paris-Amiens -Calais, Béarn-Bigorre, ni le projet Grand-Paris-Express ou encore la ligne à grande vitesse entre Paris et la Normandie.

Plus précisément, la réalisation des projets du groupe 1 (LGV Est 2, contournement Nîmes-Montpellier, LGV Bretagne Pays de la Loire, et Sud Europe Atlantique) devrait coûter 15 milliards d'euros et la dette de RFF atteindrait alors 43,3 milliards d'euros . Quant à la SNCF, elle prévoit que la capacité contributive générée par la mise en service de ces lignes n'excédera pas 2,2 milliards d'euros sur la période 2017-2025, mais n'indique pas l'impact de ces projets sur sa dette.

Comme le niveau d'autofinancement de nombreux projets de LGV des groupes 2 et 3 est modeste voire très faible, la dette de RFF explosera après 2025 si tous les projets inscrits dans la loi Grenelle I sont réalisés. La SNCF n'a pas communiqué de prévisions de trafic ou de péages sur ces lignes.

Dans ce contexte, votre groupe de suivi souhaite que l'Agence pour le financement des infrastructures de transport de France (AFITF) soit dotée de ressources pérennes. Cette agence centralise et sanctuarise les crédits de l'État en matière d'infrastructures de transport. Les retards dans la mise en oeuvre de la taxe poids lourds, qui devrait constituer la principale ressource pérenne de l'agence, sont, à cet égard, inquiétants. De fait, chaque année de retard nécessite une dotation budgétaire d'un milliard d'euros environ de l'État. Récemment, l'appel d'offres remporté par l'italien Autostrade pour la mise en oeuvre de l'éco-taxe poids lourds en France a été annulé par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Le juge administratif a estimé que l'évolution du capital du consortium vainqueur de ce contrat pluriannuel n'avait pas respecté le « principe de transparence et d'intangibilité des candidatures ». Il est également reproché à l'un des experts auditionnés dans le panel d'avoir déjà conseillé la mise en place de l'éco-taxe poids lourds en Autriche, alors que cette procédure avait été remportée par Autostrade. L'État a fait appel en cassation devant le Conseil d'État, mettant en avant l'indépendance de la commission mise en place pour la sélection. Si le ministère obtient gain de cause devant le Conseil d'État, le dossier n'aura pris que quelques mois de retard, étant rappelé que six mois de retard entraînent à terme un manque à gagner d'un demi-milliard d'euros pour l'État. Si le recours est gagné par la SANEF, il faudra reprendre toute la procédure d'appel d'offres à zéro, ce qui pourrait rallonger la procédure de 18 voire 24 mois. Autrement dit, le contentieux actuel lié à l'attribution du titulaire du contrat de partenariat pour mettre en place la taxe poids lourds risque de provoquer un manque à gagner pour l'État pouvant atteindre deux milliards d'euros.

Quoi qu'il en soit des suites de ce recours, votre groupe de suivi reprend notamment les propositions du groupe de travail sur l'avenir du fret ferroviaire, présidé par notre collègue Francis Grignon et souhaite :

- la sécurisation juridique de la mise en place de la taxe poids lourds ;

- son extension à terme aux autoroutes concédées, une fois révisée la directive « Eurovignette II », ainsi que le relèvement progressif de son taux ;

- une hausse raisonnable des redevances domaniales payées par les sociétés d'autoroute ;

- l'instauration d'une taxe carbone au niveau européen, qui serait affectée à l'agence ;

- et la poursuite de la réflexion sur les ressources de l'Agence en remettant au Parlement le rapport prévu dans la loi dite Grenelle I 13 ( * ) .

TABLEAU DES RESSOURCES DE L'AGENCE

En millions d'euros et %

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Total

Dividendes autoroutes

332,38

(35,4)

-

-

-

-

-

332,38

(2,9)

Privatisations autoroutes

450

(48)

3 550

(80,9)

-

-

-

-

4 000

(34,7)

Redevance domaniale

155,67

(16,6)

162,9

(3,7)

168,6

(21,2)

174

(21,2)

179,9

(6,9)

185,9

(8,7)

1 027,2

(8,9)

Taxe d'aménagement du territoire

-

511,8

(11,6)

525,7

(66,1)

521,2

(63,7)

527,6

(20,5)

539,3

(25,4)

2 625,8

(22,7)

Amendes radars

-

100

(2,2)

100

(12,6)

122,9

(15)

115

(4,4)

126,4

(5,9)

564,4

(4,9)

Subventions (dont Plan de relance)

-

62

(1,4)

-

-

1 602

(62,2)

1 245,6

(58,7)

2 910,2

(25,2)

Produits financiers

0,32

(0,3)

1,1

(0,2)

-

-

-

0,16

(0,07)

1,58

(0,013)

Produits divers ou exceptionnels

-

-

-

7,5

(0,3)

24,4

(1,15)

31,9

(0,27)

Emprunts ou avances Trésor

-

-

-

-

143

(5,5)

-

143

(1,24)

Total

938,4

(100)

4 387,9

(100)

794,4

(100)

818,2

(100)

2 575,7

(100)

2 121,8

(100)

11 525,43

(100)

Source : AFITF.


* 10 Cf . compte rendu intégral, Sénat, séance du 15 février 2011, p. 1441.

* 11 Pour mémoire, l'article 12 de la loi dite Grenelle I distingue deux listes de projets de LGV : la première vise à réaliser 2 000 kilomètres de lignes ferroviaires nouvelles à grande vitesse d'ici à 2020, la seconde prévoit 2 500 kilomètres de lignes nouvelles après cette date.

* 12 Cf . le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable, « Mission de réflexion et de propositions d'évolution des missions et des principes de gouvernance et de prise de décision de l'Agence de financement des infrastructures de transports de France », de M. Claude Gressier, président de la section Économie, Transports, Réseaux, février 2009 ; pp. 15-16.

* 13 Suite à un amendement de notre collègue Bruno Sido, rapporteur, la loi Grenelle 1 dispose que l'État met à l'étude la création d'un fonds de capitalisation regroupant les actifs que l'État possède dans des sociétés, ouvert à des investisseurs institutionnels et à des collectivités territoriales, pour le confier à l'Agence.

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