9. TEL AVIV : un projet politique, utopie réalisée, à l'origine d'une métropole « isolée » ?

Métropole centenaire, Tel-Aviv est souvent considérée dans les représentations urbaines et urbanistiques comme ville qui s'est appliquée le modernisme du XXe siècle. Fondée en 1909, elle s'est développée sous le mandat britannique en Palestine (1917-1948). Une soixantaine d'habitants juifs d'un quartier de Jaffa décident de créer un quartier qui allait devenir une ville selon les principes modernes et de l'hygiène, et qui la distinguerait des quartiers insalubres et des logements vétustes des autres quartiers de Jaffa. Avec le soutien de l'organisation sioniste mondiale pour l'achat des terrains en Palestine et par le biais de nouvelles constructions sur des terrains vierges, le projet de la création du quartier d' Ahuzat Bait prend une ampleur nationale et se transforme, d'après le titre d'un roman de Théodore Herzl, le père du sionisme, en Altneuland, un néologisme signifiant « Ancien nouveau pays », dont les sionistes se sont inspirés pour appeler la nouvelle ville Tel-Aviv (Colline du printemps) en hébreu.

Tel-Aviv serait-elle « une ville née du sable » selon son histoire mythique ? : « Le premier quartier de la ville fut effectivement construit dans les dunes. Mais en 1910, il suffisait de traverser la route qui bordait le sud-ouest de ce quartier pour se retrouver en pleine campagne, dans les vergers et les vignes des propriétés arabes... La ville se développera tout au long du XX e siècle, certes, pour moitié sur le sable, mais aussi pour moitié sur des parcelles agricoles et sur les villages qui entouraient Jaffa » écrit Catherine Weill-Rochant dans son article 118 ( * ) .

Selon Caroline Rozenholc, spécialiste de Tel Aviv, « l'instauration au sein de la municipalité arabe de Jaffa d'une idéologie sioniste moderniste et son déploiement concret est un premier mouvement de mondialisation radicale qui concentre, au-delà des particularismes et des singularités de la situation, l'ensemble des dimensions de la modernité européenne ; nationalisme, socialisme, colonialisme » 119 ( * ) . Donc un projet politique au départ qui trouve ses origines au XIXe siècle en parallèle aux kibboutz qui étaient, pourrait-on dire, la première forme de territorialisation du sionisme. C'est une ville qui a donné corps à la constitution d'une nouvelle nation avant même que cela existe. Elle porte ainsi une charge symbolique importante aussi bien pour les Israéliens que pour ceux qui les considèrent comme « spoliateurs » de leurs terres : « elle y est [sur Internet] soit présentée comme le symbole de la mainmise des Juifs sur la Palestine, soit comme l'emblème de leur glorieuse accession à la création d'un État. Sur la « toile » anti-israélienne, Tel-Aviv apparaît comme une implantation coloniale et, sur la « toile » pro-israélienne, comme la matérialisation d'un rêve surgi du sable au début du XXe siècle 120 ( * ) ».

Les premières années de Tel Aviv sont caractérisées par sa fonction résidentielle insérée dans de grands espaces verts. Entre les années 20-30, le faubourg juif de Jaffa s'est développé pour devenir ainsi autonome, notamment après les émeutes des populations arabes. Progressivement, les activités des commerçants juifs se sont territorialisées dans de nouveaux espaces indépendants de Jaffa. L'élaboration des schémas directeurs par l'administration britannique marque aussi les transformations des territoires de la Palestine mandataire. L'urbaniste écossais, Patrick Geddes, propose en 1925 un projet inspiré des cités-jardins. Ce plan, selon lequel les espaces verts s'inséraient dans une hiérarchie de petites rues aux grandes artères, a été approuvé en 1927.

Les immigrations depuis l'Europe, dues essentiellement à la montée de la xénophobie, contribuent à l'augmentation de la population juive de 38 000 personnes en 1926 à 130 000, dix ans plus tard. Les architectes formés en Europe font partie de cette population et ils vont répondre aux besoins croissants de logement. Près de 2700 bâtiments vont être construits entre 1931 et 1937 121 ( * ) ! Les influences « Bauhaus » de ces architectes de même que les inspirations d'équité sociale de l'idéologie sioniste ont fabriqué la nouvelle image de Tel Aviv où plus de 4000 bâtiments de Style International avaient déjà été construits en 1956 ! Ainsi la « ville blanche », une ville « moderne » avec des édifices fonctionnels voit le jour dans les années 50 comme la ville la plus importante d'Israël avec la plus importante concentration des unités économiques et culturelles du pays.

Caractéristiques du balancier de la métropolisation, mais aussi stratégie de renforcement de la présence juive dans un territoire où le conflit entre Arabe et Juif s'intensifiait de plus en plus, le développement de Tel Aviv a été au détriment de sa ville mère, Jaffa 122 ( * ) . La fusion administrative des deux municipalités de Jaffa et de Tel Aviv en 1950 a eu pour conséquence le renforcement du contrôle de la population juive sur la population arabe, de fait Jaffa devenait dorénavant un quartier de Tel aviv avec une nouvelle appellation de Tel-Aviv-Jaffa (TLVJ). Selon Alain Dieckhoff 123 ( * ) et Rémi Manesse, tous les deux spécialistes d'Israël et de la ville de Tel-Aviv, le facteur politique, avant le facteur économique, a constitué le fondement de la configuration actuelle de Tel-Aviv : « De ce fait, dans un premier temps, le processus d'urbanisation dans la région de Tel-Aviv s'est avéré atypique puisque le facteur politique y a supplanté le facteur économique. En effet, l'objectif de la population juive était de constituer des zones démographiquement homogènes afin de renforcer les bases d'un futur État et d'être en position avantageuse pour en négocier les frontières. Il ne s'agissait pas d'un regroupement fondé sur un plan global de peuplement mais plutôt d'une logique de solidarité spontanée. Ce paramètre a largement déterminé la configuration de la métropole actuelle puisque c'est à partir de ce réseau de villes et d'implantations que l'urbanisation de TLVJ s'est développée par la suite, à la faveur d'un contexte politique un peu moins tendu et d'une conjoncture économique beaucoup plus avantageuse » 124 ( * ) .

Le développement du secteur tertiaire comme résultat de la croissance économique, l'émergence des centres commerciaux et des banlieues donnant lieu à des mouvements pendulaires ont favorisé l'émergence d'une métropole dans les années 80 et 90. En 1993, on parle pour la première fois dans la littérature scientifique de la ville-monde de Tel Aviv 125 ( * ) . Ainsi depuis la décennie 1990, Tel Aviv joue le rôle d'une capitale à l'économie globalisée et a été la scène culturelle et sociale la plus diverse et dynamique du pays. Les activités de Recherche et de Développement sont concentrées à Tel Aviv et ce, au profit des économies locale et nationale. Un mode de vie et une économie post-industriellee se développent ainsi à Tel Aviv et participent au processus de métropolisation.

Le développement urbain et l'avènement de Tel Aviv métropole

Tel-Aviv-Jaffa constitue le coeur d'une aire métropolitaine de plus de 2,5 millions d'habitants (sur une population israélienne d'un peu plus de 7 millions en 2007). Trois zones concentriques composent aujourd'hui l'aire métropolitaine de TLVJ 126 ( * ) : la ville centre de TLVJ, la métropole de TLVJ, soit la ville centre et la banlieue avec laquelle elle forme une conurbation et enfin, l'aire métropolitaine elle-même constitue la troisième et s'étend de Netanya au nord (à 29 km) à Ashdod au sud (à 40 km) et Modi'in à l'est (à 18km).

Le développement de Tel-Aviv s'est fait en fonction d'une succession de plans urbains, commençant à l'ancienne Jaffa, et incluant les quartiers historiques de Neve Zedek (1896), d'Achuzat Bayit (1909), de la ville rouge à l'est, composée pour l'essentiel de constructions de style éclectique aux toits de tuiles, de Lev Hayir et, enfin, de la ville blanche (1931-1947) (Lev Ha'ir = coeur de ville = la ville blanche). Historiquement, la croissance de la ville a commencé avec la construction de Neve Zedek, dont les édifices en grès sur deux niveaux, couverts par des toits de tuiles, sont construits en style traditionnel sur une colline qui descend vers la mer : c'est là le premier noyau urbain de Tel-Aviv. La ville rouge, à l'est, se compose pour l'essentiel de constructions de style éclectique aux toits de tuiles. Lev Hayir (le centre de la ville actuelle) et ses environs s'étendent au nord ; le quartier est pour l'essentiel construit en style international, avec une succession de constructions sur trois à cinq niveaux, entourées de jardins.

La Ville blanche, qui en constitue la partie centrale, a été construite selon le plan d'urbanisme de Sir Patrick Geddes (1925-27), l'un des principaux théoriciens du début de la période moderne. La Ville blanche de Tel Aviv au centre peut être considérée comme un exemple exceptionnel et de grande ampleur des conceptions nouvelles de l'urbanisme dans la première partie du XXe siècle.

L'architecture est une synthèse des principales tendances du Mouvement moderne, tel qu'il s'est développé en Europe. Il est à l'origine de notions nouvelles telles que la conurbation et l'environnement, et a fait figure de pionnier par sa vision de la ville comme étant un organisme qui change constamment dans le temps et l'espace, comme un paysage urbain et rural homogène qui évolue 127 ( * ) . Les principes scientifiques d'urbanisme de Geddes basés sur une nouvelle vision du « site » et de la « région », ont influencé l'urbanisme du XXe siècle dans le monde entier.

Ces notions transparaissent dans son plan directeur de Tel Aviv. La ville blanche est caractérisée par une distinction marquée entre zones résidentielles et quartiers d'affaires. Le centre se trouve au point le plus élevé, occupé par le Zina Dizengoff avec le théâtre Habima, un pavillon utilisé comme musée et l'auditorium Mann. Les constructions sont pour la plupart à trois ou quatre niveaux, avec des toits plats, des éléments en relief et différents motifs décoratifs. La ville blanche septentrionale, au-delà du boulevard Ben Gourion, a été construite un peu plus tard ; l'occidentale, à partir de 1948, sur le modèle de la ville blanche centrale. Enfin, la partie orientale de la ville remonte à une période comprise entre la fin des années quarante et celle des années soixante ; elle a été construite selon des critères moins rigoureux, au cours d'une période de récession.

Les différents styles architecturaux et l'identification des zones déclarées comme patrimoine de l'UNESCO (source : site de l'UNESCO)

L'esprit du plan directeur de Geddes est bien préservé dans les grandes lignes de la conception de la ville (morphologie, division en parcelles, hiérarchie et profil des rues, proportions des espaces ouverts et fermés, espaces verts). L'infrastructure urbaine est intacte, à l'exception de la place Dizengoff, où le trafic et la circulation piétonne ont été modifiés, bien que des efforts soient faits pour rétablir le plan d'origine. Des changements progressifs pourraient porter atteinte à l'intégrité de l'ensemble urbain dans le futur. Il y a quelques changements visibles dans la zone tampon à cause de nouvelles constructions et du développement commercial dans les années 1960-1990, notamment quelques immeubles de bureaux et d'habitation qui sont hors d'échelle. La Ville blanche commence à être encerclée par d'immeubles de grande hauteur qui, à l'évidence, ont changé le rapport qu'elle entretenait autrefois avec son environnement. Tout autre projet de construction pourrait avoir un impact sur son intégrité visuelle. Le secteur conçu comme une « cité-jardin », présente un caractère urbain plus marqué que celles aménagées auparavant. Chaque lot était occupé par une construction indépendante dont le plan au sol ne devait pas excéder le tiers de celui du jardin qui l'entourait.

A la fin des années 90, les industries de services et de finance, d'assurance et de commerce ont employé plus de 12,3% de l'ensemble du marché de l'emploi à Tel Aviv alors que les secteurs public et services à la personne ne représentaient que 8,6% 128 ( * ) . Ainsi Tel Aviv est devenue le centre financier du pays. Le développement des activités de service a contribué au développement des tours avec des bureaux modernes qui allaient les héberger. Le centre Azrieli Center est un exemple prestigieux et postmoderne de quartier de tours.

Déjà dans les années 90, 3,3 millions m² de bureaux avaient été planifiés pour 2020. Ces espaces ont été construits progressivement depuis le nouveau quartier d'affaire de Tel Aviv et tout au long des parties est et nord. Le secteur important de ces quartiers d'affaire, Ayalon, profite des conditions d'accessibilité idéales au reste du Grand Tel Aviv, au reste d'Israël et au reste de l'économie globale par le biais de sa proximité à l'aéroport Ben-Guriot, situé à environ 20 minutes de Tel Aviv. A la fin des années 90, le Grand Tel Aviv rassemblait 86% des sociétés de haute technologie du pays notamment dans les secteurs de communication, des technologies d'informations et Internet. A ceci se rajoute toute l'industrie créative de la production musicale, de théâtre, de la dance, des arts visuels, etc. Les «business activities» y représentent 20,4% de la population active suivies par le commerce de gros et de détail (13,7%). L'industrie (10,4%) puis la banque/assurance/finance (9%) leur succèdent. 129 ( * )

La situation de Tel Aviv dans le contexte national en 2020 Le développement de ces dernières activités a rapidement influencé l'organisation spatiale de la ville

Alors que jusqu'aux années 60, la ville a essayé de maintenir son environnement bâti de manière modérée et en restant dans les principes de Bauhaus, le premier immeuble de 36 étages, Shalom tower , a été construit en 1965 marquant le développement d'une nouvelle série de construction de tours. En 1999, plus de 58 immeubles de plus de 20 étages ont accueilli des bureaux et des logements avec Azrieli Center et sa tour de 50 étages . Ainsi la construction des tours a connu son apogée dans la décennie 1990 avec 18 nouvelles tours construites et 17 autres en construction.

CBD, Azriely center

Le nord-est de Tel-Aviv-Jafa est aujourd'hui le quartier qui a le vent en poupe et le master plan de 2025 lui confirme le rôle du coeur de métropole. A l'est de l'ancien Tel Aviv, et de part et d'autre de l'autoroute, des tours ont été érigées dans le « Ayalon city », parfois au détriment de Tel Aviv des années 30 et ses anciens quartiers. Les quartiers sud, avec une identité mitigée et un patrimoine « partagé » se sont paupérisés alors que Jaffa s'est patrimonialisée pour devenir une ville dédiée au tourisme : « Entre Jaffa et Tel-Aviv, sur l'ancienne limite municipale, la mixité a pris la forme d'une cour des miracles : prostitution, drogue, mafia, pollution, poussière, dégradations, toute la palette des maux de la ville semble s'y concentrer. Et encore plus au sud de cette zone trouble, d'autres problèmes affleurent, comme le contraste saisissant entre de luxueuses et froides opérations immobilières orientalistes (comme le projet «?Andromeda Hill?») et les ruines des véritables maisons arabes. Ce contraste malheureux ne signifie pas que la «?vieille ville?» de Jaffa ait été laissée à l'abandon. Elle a été au contraire soigneusement restaurée. Mais seulement pour les touristes 130 ( * ) ». Cette concentration d'industries de service et par conséquent des capitaux financiers, n'a pas été sans créer des disparités sociales au sein de la ville, voire du territoire national. Déjà en 1998, une enquête publiée dans le journal Haaretz montrait que 23% des nouvelles constructions de logement avait plus de six chambres alors que cela était de l'ordre de 5% en 1990 131 ( * ) . De même, le phénomène d'embourgeoisement semble, comme beaucoup d'autres villes développées, avoir affecté le centre-ville avec des populations jeunes et qualifiées que dans la littérature anglaise on nommerait des « DINKS » (double income no kids) ou SINKS (single income no kids). Résultat de ce processus, le PNB des habitants de Tel Aviv était 50% plus élevé que le reste du pays avec une prévision de 45% plus élevé en 2020 malgré les efforts d'atténuation des disparités à l'échelle nationale.

Tel Aviv, ville multiculturelle

Une autre dimension de la métropolisation et de la concentration des capitaux est le renforcement de l'attractivité de la ville qui représente pour un marché mondial de travailleurs de niveaux de qualification différencié. Tel Aviv n'a pas échappé à cette règle même si elle appartient à un territoire national qui privilégie des politiques d'immigration fondée sur l'identité juive.

L'arrivée massive des travailleurs asiatiques a comblé le manque de la main d'oeuvre lié à la baisse du nombre des travailleurs palestiniens suite à la restriction des permis de travail accordés aux Palestiniens depuis la 1ère Intifada, 1987. La diversité culturelle des pays d'origine des immigrés juifs renforce aussi le caractère d'une ville multiculturelle.

Le cosmopolitisme qui naît de ces rencontres participe au débat sur la ville et la négociation de son identité : « Caractérisée par son image d'« Etat-Nation métropolitain », Tel Aviv a donc constitué le coeur même de ces reconfigurations du paysage social d'Israël... Que cela soit au quotidien, avec la multiplication dans l'espace urbain de signes témoignant de l'inscription socio-spatiale de ces nouveaux citadins, ou bien d'un point de vue institutionnel, avec l'émergence d'associations de défense ou de promotion des immigrants non-juifs (comme Kav La'oved ou Mesila ),

Tel Aviv a acquis une véritable dimension cosmopolite. Que cela soit par la lecture d'enseignes où est écrit en toutes lettres : « Kingdom of Pork » ou par l'observation qu'aux Sud-américains ont immédiatement succédé des populations chinoises, ces activités contribuent à sceller le quotidien des Israéliens dans la confrontation du local et du global, qui caractérise nos sociétés  contemporaines.» 132 ( * ) . Ces changements internes sont des expressions de la globalisation par l'intérieur 133 ( * ) que beaucoup de villes insérées dans le réseau métropolitain expérimentent aujourd'hui, et chacune, suivant son niveau de tolérance et de la position de la culture originelle qui a fondé le pays, négocie la place qu'elle accorde à l'Autre.

Tel Aviv, métropole mondiale, régionale ?

Lorsque l'on parle d'une métropole et de la métropolisation, on examine constamment son niveau d'intégration aux échelles locale, régionale et globale 134 ( * ) . Or, la situation d'Israël au Proche-Orient ne présage pas un avenir très « intégré » pour ce pays et par conséquent pour sa ville la plus importante. Si Tel Aviv de fait de la concentration importante des activités tertiaires, est considérée comme une métropole importante du Proche-Orient, elle reste néanmoins isolée à l'échelle régionale en raison de ces conflits permanents avec ses voisins arabes immédiats mais aussi avec d'autres pays musulmans comme la Turquie dont les événements récents ont montré l'instabilité des relations réciproques. Ainsi Tel Aviv est située dans la périphérie des économies globalisées et isolée de son environnement immédiat.

Les voisins limitrophes d'Israël entretiennent soit des relations belliqueuses soit ils maintiennent « une paix froide » qui ne permet pas de puiser tous les potentiels des relations transfrontalières. Les accords d'Oslo en 1993 avaient fait état de prévisions naïves avec des scenarios selon lesquels l'établissement de la paix dans la région permettrait à Israël et à ses voisins de développer un marché commun régional et un modèle de circuit intergouvernemental avec des alliances économiques et des investissements bilatéraux !

Les années qui ont suivi ont montré que malgré la croissance économique en Israël, le processus de la paix demande un horizon de temps beaucoup plus important ! Ainsi au milieu des années 90, Israël avec un PNB de 17000 dollars par an 135 ( * ) est entouré de pays pauvres avec des niveaux de PNB très bas. Les exportations d'Israël sont destinées majoritairement aux partenaires qui sont géographiquement loin du pays comme le Canada et la Suisse, dont le niveau de PNB est beaucoup plus élevé que les pays voisins d'Israël. Tel Aviv est donc une ville située en cul-de-sac de la région de l'économie globalisée et qui ne participe pas réellement à son économie régionale.

En cela, elle a une situation unique dans le monde mais qui semble très fragile d'autant plus que ses partenaires occidentaux subissent aussi une importante crise économique. Ainsi même si dans les débats, Tel Aviv se distingue de la politique nationale en s'attribuant l'image d'une ville pacifiste et tolérante, elle ne subit pas moins les erreurs de la politique étrangère d'Israël dont des relations fragilisées avec la Turquie et par conséquent avec une des seules villes en croissance de la région, à savoir Istanbul, est un exemple éloquent.

Conclusion

Si beaucoup d'hommes politiques rêvent de faire d'une ville leur projet politique, Tel Aviv est sans doute d'abord un projet politique et social, une utopie urbaine passionnée avant de devenir une métropole à part entière. « Ce qui, en outre, fait la spécificité de l'histoire spatiale de Tel-Aviv, c'est qu'elle fut dès ses débuts un projet. Un projet urbain, pour toute une ville, entièrement juive, en fait, un véritable projet de société qu'évoquent précisément les différents plans de la ville.

Ceux d'abord, tracés d'après des photographies aériennes de l'armée britannique, montrent nettement le bâti, les zones cultivées, en ruines, inhabitées ou déjà marquées au sol par des cordes tendues entre des piquets. Toute cette matérialité que l'histoire populaire israélienne a méconnue à force de ne retenir que le récit d'un mirage 136 ( * ) ». Accusée aussi comme ville « sans identité » ou « artificielle », il n'a fallu pourtant que cent ans pour qu'elle soit enregistrée comme patrimoine mondial de l'UNESCO. C'est une ville qui expérimente aujourd'hui le multiculturalisme du fait de l'immigration très importante des travailleurs étrangers, non juifs pour la plupart, mais aussi des juifs en provenance de cultures très variées. Il semble que les politiques de la droite nationaliste semblent vouloir aujourd'hui donner davantage d'importance à Jérusalem pour ainsi renforcer l'emprise d'une politique « normalisante » et en marginalisant l'approche de Tel Aviv qui se veut une ville tolérante et multiculturelle.

Si Tel Aviv essaie d'atténuer les cicatrices des confrontations avec sa ville-mère Jaffa dès ses premiers jours, elle aurait du mal à exporter son « mode de pensée » (si on pouvait considérer qu'une ville a un mode de pensée collective ?!) pour l'avenir de Jérusalem qui certainement a plus de charge symbolique et est davantage marquée par les tensions communautaires. L'avenir de Tel Aviv, encore plus que toute autre ville, dépend de la politique nationale, des évolutions régionales et de sa capacité de maintenir son identité de ville pacifiste et tolérante malgré une certaine tendance au désengagement vécue par sa propre population et le reste du pays face au conflit qui la marque dès sa naissance !

Amin Moghadam

Bibliographie

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* 118 Catherine Weill-Rochant, Ville promise... ville due ? Tel-Aviv et Jaffa dans la Palestine d'avant Israël, Moyen-Orient n° 1, Août-Septembre 2009

* 119 Caroline Rozenholc Tel-Aviv a cent ans ! 1909-2009 : un siècle de globalisation au Proche-Orient, EchoGéo Numéro Numéro 8 (2009),mars 2009 / mai 2009, p.4

* 120 Catherine Weill-Rochant, Ville promise... ville due ? Tel-Aviv et Jaffa dans la Palestine d'avant Israël, Moyen-Orient n° 1, Août-Septembre 2009

* 121 Idem, P.5

* 122 Rémi Manesse, « Tel-Aviv-Jaffa, la naissance d'une métropole, Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons, p.172

* 123 DIECKOFF A., 1989, Les espaces d'Israel : essai sur la stratégie territoriale israélienne, Fondation pour les études de défense nationale : Presse de la Fondation nationale des sciences politiques.

* 124 Rémi Manesse, p.173

* 125 Kellerman, A. 1993: Society and settlement: Jewish Land of Israel in the twentieth century.

Albany: State University of New York Press.

* 126 BAR-EL R. & PARR J. B., 2003, From metropolis to metropolis-based region: the case of Tel-Aviv, Urban Studies Vol. 40 No. 1, pp. 113-125.

* 127 Le site de l'UNESCO: http://whc.unesco.org/fr/list/1096

* 128 Baruch A. Kipnis 2004
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URBAN DEVELOPMENT AT A DEADEND OF THE GLOBAL ECONOMY, Dela 21
• The University of Haifa, Mt. Carmel, Haifa, p.6

* 129 source : municipalité de Tel-Aviv-Jaffa, 2007.

* 130 Catherine Weill-Rochant, Ville promise... ville due ? Tel-Aviv et Jaffa dans la Palestine d'avant Israël, Moyen-Orient n° 1, Août-Septembre 2009

* 131 Tikolsker (2000) article `Tel Aviv: A City for Rich Families Only'2000

* 132 William Berthomière « L'émergence d'une Tel-Aviv cosmopolite ou les effets d'un fin mélange entre reconfigurations sociopolitiques internes et externes », Cahiers de la Méditerranée vol. 67 | 2003 : Du cosmopolitisme en Méditerrannée

* 133 Beck U., 2002, «The Cosmopolitan Societry and its Enemies», Theory, Culture & Society, vol.19 (1-2).

* 134 Sassen, S. 1991: The global city: New York, London Tokyo. Princeton: Princeton University

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* 135 Baruch A. Kipnis 2004
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* 136 Catherine Weill-Rochant Ville promise... ville due ? Tel-Aviv et Jaffa dans la Palestine d'avant Israël, Moyen-Orient n° 1, Août-Septembre 2009

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