14. Audition de DOMINIQUE LORRAIN, Professeur à l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées (ENPC)

De la Polis à la Gigacity

M. Dominique Lorrain est directeur de recherche au CNRS, membre du Latts, laboratoire de l'Ecole des Ponts. Il publie en mai 2011 aux presses de Sciences Po « Métropoles XXL en pays émergents».

Dans le cadre d'une réflexion prospective sur les villes du futur, la question démographique est essentielle : comment nourrir une humanité qui va atteindre 9 milliards d'humains d'ici à 2050. Comment les terres arables qu'absorbent de plus en plus les villes, pourraient-elles continuer à nourrir cette humanité ?

Pour, sinon stopper, du moins ralentir le mouvement d'étalement des villes (générateur à terme d'un problème alimentaire et de bio diversité), il fait sens d'envisager des villes denses . Considérons la ville dans son évolution historique : d'abord la ville des nomades ; puis la ville des piétons (polis), puis les megapolis dont la densité en réseaux et en équipements augmente comme la taille, pour arriver aux gig@cities du 21 e siècle.

Le passage à ces différents stades a correspondu à un mouvement de structuration de la ville . Au 19 e siècle, avec la construction des grands réseaux de transport, d'eau, d'électricité, la ville s'équipe, elle devient plus infrastructurelle (observons comme conséquence que cette ville s'enracine dans son territoire, elle ne peut plus être déplacée comme l'était la ville des nomades). Avec les gigacity mondialisées, les trains à grande vitesse, la fibre optique, la ville devient plus haute, plus dense, plus étendue. Cette ville comme lieu d'échanges, un hub, se trouve au coeur des flux mondiaux de biens et de services ; ses équipements en sont le support.

1 er enseignement en termes de politiques publiques. Les choix faits (un aéroport, un réseau de train rapide, l'accumulation de systèmes techniques dans un même espace métropolitain) sont largement irréversibles et vont peser sur l'orientation des flux - biens et services, personnes et capitaux. Ce temps long des infrastructures et leur importance capitale interrogent les procédures habituelles de prise de décision. Il y a un décalage entre le temps des mandats électifs, et l'ambiance d'une démocratie médiatique du court terme, et le caractère lourd, irréversible des grands choix urbains. Il faut sans doute examiner des institutions complémentaires aux formes actuelles des conseils élus, héritage de la démocratie grecque mais aussi d'une ville des petits nombres.

Cette ville plus dense est un marché (avec des grandes entreprises publiques et privées), elle est plus étendue et ses frontières administratives ne correspondent pas nécessairement à sa réalité matérielle.

2 e enseignement, cela pose des problèmes institutionnels :

- comment simplifier les institutions 4 ( * ) (argument des coûts de transaction)

- comment équilibrer le pouvoir des gouvernements locaux face à de grandes firmes urbaines (publiques ou privées) ?

- comment mieux articuler des villes durables aux zones rurales voisines ?

Pour aborder les questions environnementales , il convient de noter que les réseaux étaient jusqu'à présent construits et exploités dans les villes par des entreprises (publiques ou privées) en situation de monopole. Les évolutions technologiques, mais aussi économiques dans le cadre de politiques de la concurrence, vont vers des solutions décentralisées.

Cette nouvelle architecture a plusieurs conséquences (3 e enseignement) :

- de nouveaux acteurs font leur entrée comme prescripteur : promoteurs, société d'ingénierie, fonds d'investissement, architectes, industriels `classiques' et des nouvelles technologies d'information ;

- la multiplication des intervenants va transformer la régulation traditionnelle organisée autour de l'élu et de l'entreprise (autorité organisatrice/opérateur) ;

- le modèle économique où les actifs lourds étaient financés par une tarification au volume se trouve mis en question. Ces nouveaux systèmes décentralisés sont partiellement autonomes et de ce fait paient sur des volumes plus faibles, tout en devant être raccordés au réseau dont les coûts fixes restent inchangés.

La politique de l'environnement peut traditionnellement être mise en oeuvre par secteurs (transports, énergie, eau, déchets...) ; mais de manière plus nouvelle, elle peut être conçue par symbiose entre les différents réseaux (par exemple les déchets conduisant à la réalisation d'une biomasse, base d'une production d'énergie).

4 e enseignement : de nouveaux outils deviennent nécessaires pour mener ces nouvelles coopérations entre réseaux, particulièrement en France où leur fonctionnement reste sectorisé et où la fragmentation institutionnelle ajoute de la complexité.

Le financement de la ville a largement reposé en Europe sur l'impôt et les tarifs (payés par les usagers/consommateurs des services). Les enjeux de long terme d'une ville durable (plus infrastructurelle et plus dense) suggèrent d'examiner sans a priori d'autres mécanismes.

5 e piste : dans certaines villes d'Asie la rente foncière fait partie des mécanismes importants de financement de la ville ; une propriété du sol amoindrie permet aux collectivités aménageuses de récupérer une part de cette rente.


* 4 Ce n'est peut être pas un hasard si parmi les très grandes villes, performantes on trouve celles dont le niveau de gouvernement est congruent à tout l'espace : Hong Kong, Singapour

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