B. VERS DE GRAVES DÉSÉQUILIBRES SECTORIELS

Lors de son audition par votre rapporteur, le professeur Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français, a fort opportunément pointé du doigt ce point, souvent occulté par les déséquilibres géographiques (cf. infra ) : selon lui, la France est aujourd'hui sous la menace sérieuse d'une grave pénurie de praticiens dans certaines disciplines : obstétrique, anesthésie...

Dans son rapport précité, le Dr Michel Legmann souligne que « Certaines spécialités ne comptent plus ou peu d'inscriptions nouvelles : gynécologie-obstétrique, psychiatrie, ophtalmologie, dermatologie, radiodiagnostic et radiothérapie, radiodiagnostic et imagerie médicale » . Il précise que « Les baisses les plus fortes d'ici 2015 se produiront en médecine du travail (- 35,9 %), rééducation et réadaptation fonctionnelle (- 23,3 %), ophtalmologie (- 19,2 %), médecine interne (- 18,1 %) et psychiatrie (- 16,9 %) » .

Parallèlement, d'autres secteurs devraient, eux, connaître une croissance forte et quasi continue : neurologie, endocrinologie...

Or, sans équilibre entre ses différentes branches, une politique de la santé ne peut qu'être boiteuse.

C. L'AGGRAVATION DE LA FRACTURE MÉDICALE : LA FORMATION DE DÉSERTS MÉDICAUX

1. Les inégalités entre régions et entre départements

De l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) à la Cour des comptes, en passant par les travaux parlementaires (dont ceux rapportés par notre collègue Jean-Marc Juilhard 2 ( * ) ), de nombreuses études ont mis en exergue la formation de déserts médicaux. En effet, non seulement l'évolution du nombre de médecins s'annonce globalement préoccupante, mais la répartition de ceux-ci sur le territoire s'effectue dans des conditions qui entraînent de fortes inégalités géographiques, contribuant à la formation de véritables déserts médicaux.

La densité médicale moyenne en France, soit 290,3 médecins pour 100 000 habitants, résulte de situations très disparates selon les territoires puisque, dans la seule métropole, le rapport varie presque du simple au double, entre la région la plus dépourvue, la Picardie (238/100 000), et la région la mieux dotée, PACA (375/100 000). L'attention doit également être portée sur la situation en outre-mer : dans les Antilles et en Guyane, la densité moyenne était de seulement 219/100 000 et des projections envisagent une chute à 196/100 000 d'ici à 2030.

Les différences sont encore plus frappantes au niveau départemental, allant de 172 médecins pour 100 000 habitants dans l'Eure à 741 pour Paris (et 414 pour le second département, les Bouches-du-Rhône), soit plus du quadruple.

4 % de la population seraient d'ores et déjà concernés par des difficultés d'accès aux soins de premier recours et, sans mesures de correction rapides, cette proportion pourrait connaître une augmentation continue.

Un constat analogue, quoique différent selon les branches, peut être dressé pour les spécialistes : pour les dentistes, la densité varie dans un rapport de 1 à 7 ; pour les kinésithérapeutes, le rapport est de 1 à 4.

2. Les inégalités intrarégionales et intradépartementales

Une analyse géographique plus fine montre que, dans une même région ou dans un même département, des inégalités de répartition criantes peuvent exister. C'est le cas entre les différents départements de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, les départements du littoral étant beaucoup mieux pourvus que les départements alpestres (situation d'autant plus grave que l'activité médicale doit faire face à des difficultés particulières en zone de montagne, si bien qu'à densité égale, l'offre de soins y est forcément moindre que dans d'autres zones). A l'intérieur même des départements du littoral, des inégalités peuvent être constatées entre la frange littorale elle-même et l'arrière-pays, comme c'est le cas dans les Alpes-Maritimes.

L'un des facteurs essentiels de ces différences tient à la présence ou non d'un CHU dans le bassin de vie envisagé : en 2006, selon la DREES, 54 % des effectifs médicaux étaient installés au sein d'un pôle urbain situé dans la zone d'activité d'un CHU. Pour ces zones, l'évolution de la démographie médicale devrait être positive. Dans les zones autres que les pôles urbains avec CHU, le nombre de médecins en activité devrait se réduire par rapport à la situation actuelle. Enfin, les zones rurales, qui regroupaient 8 % des médecins, devraient être confrontées à une diminution de 25 % du nombre de médecins en activité.

Par ailleurs, pour beaucoup de praticiens, en particulier des spécialistes, l'exercice en zone urbaine est préféré à l'exercice en zone rurale pour des raisons :

- de choix de vie : à titre privé, ces professionnels préfèrent généralement vivre en ville pour un meilleur accès aux loisirs, la scolarisation des enfants... ;

- d'emploi du conjoint : le temps n'est plus où le médecin était le seul à travailler dans son couple. Les conjoints des médecins souhaitent travailler et la quête d'un emploi est évidemment plus aisée en ville qu'en zone rurale ;

- de rentabilité, pour ceux qui optent pour un exercice à titre libéral. Le plateau technique nécessaire à l'exercice de certaines professions (dentiste, cardiologues...) correspond à un investissement dont l'amortissement est bien plus aisé dans les villes. Ce phénomène est lié à une autre tendance, également observée : celle des médecins à se regrouper, ne serait-ce que pour réaliser des économies d'échelle dans les investissements ou par la mutualisation des assistants.

Circonstance aggravante, cette évolution touche également les établissements de santé. L'ONDPS a mis en exergue de nombreuses vacances de postes hospitaliers : les petits hôpitaux ont de plus en plus de mal à pourvoir les postes, ce qui affecte durablement le fonctionnement de certains services.

Pour autant, il serait erroné de réduire le champ de la fracture médicale à une opposition entre les zones urbaines et les zones rurales. Toutes les zones rurales, heureusement, ne sont pas menacées de désertification. Inversement, de nombreux secteurs, situés dans des zones urbaines, subissent, en raison notamment d'un climat d'insécurité, un exode de professionnels conduisant à les considérer comme des zones déjà sous-médicalisées ou en passe de l'être.


* 2 « Offre de soins : comment réduire la fracture territoriale ? », rapport d'information fait par M. Jean-Marc Juilhard au nom de la commission des Affaires sociales (Sénat, 2007-2008, n° 14).

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