b) Les concessions faites aux plus gros contributeurs nets
Le Conseil européen, réuni en 1984 à Fontainebleau, avait bien spécifié que la correction du déséquilibre budgétaire britannique, momentanément 78 ( * ) appliquée au Royaume-Uni, était susceptible de bénéficier à tout État membre dont la prospérité relative pouvait le justifier.
La situation économique améliorée du Royaume-Uni ne justifiant plus la correction dont ce pays continuait néanmoins à bénéficier, d'autres gros contributeurs nets, prospères, au budget de l'Union ont naturellement cherché, eux aussi, à se faire octroyer des compensations particulières.
La règle de l'unanimité et l'imprécision des notions de « déséquilibre budgétaire » et de « prospérité relative » ont conduit le Conseil à céder à la tentation d'arracher des compromis, pour clore les sommets européens, par la distribution de cadeaux aux pays les plus exigeants 79 ( * ) .
Mais cette logique ne peut qu'engendrer des frustrations, des surenchères et, en fin de compte, de nouvelles inégalités.
Elle ne permet pas, en effet, de résoudre le problème de la définition du caractère « excessif » d'un déséquilibre budgétaire ni d'approfondit, d'un point de vue économique, la notion de juste retour.
Or, il est fondamental, pour parvenir à des corrections équitables, de pouvoir apporter une réponse claire et consensuelle à ces deux questions.
c) Une participation incomplète du Royaume-Uni aux dépenses d'élargissement
« Le rabais britannique sent le roussi » , titrait le quotidien Libération en octobre 2002, à l'occasion de l'entrée en vigueur des accords de Berlin (1999) et du début des négociations préparatoires du sommet de Bruxelles (2005).
En effet, la prise de conscience du fait que les dépenses liées à l'élargissement de l'Union européenne (passage de l'UE 15 à l'UE 25) allaient provoquer, mécaniquement, une augmentation du chèque britannique, avait rendu évident le caractère aberrant de l'« usine à gaz » 80 ( * ) issue des accords de Fontainebleau.
Le sommet tenu plus tard dans la capitale belge concluait heureusement que « le Royaume-Uni doit participer pleinement au financement des coûts liés à l'élargissement » .
Cependant, l'opportunité d'en finir avec le rabais n'avait pas été saisie. Le principe de la correction britannique était maintenu moyennant divers ajustements techniques décrits plus haut 81 ( * ) .
En outre, l'accord conclu n'était pas satisfaisant sous plusieurs aspects :
- tout d'abord, le consentement de l'Allemagne, des Pays-Bas, de l'Autriche et de la Suède avait été obtenu à l'arraché, moyennant l'octroi à ces pays, gros contributeurs nets, d'avantages particuliers dont les effets sur le système des ressources propres européennes étaient indésirables (introduction de complication et d'inégalités nouvelles sans rationalisation de l'ensemble) ;
- ensuite, la participation du Royaume-Uni aux dépenses d'élargissement n'était pas « complète » , comme la décision du Conseil le proclamait pourtant.
De façon choquante, la Grande-Bretagne avait réussi, en effet, à s'exonérer de toute contribution au financement, dans les pays concernés, de certaines dépenses agricoles (aides directes, interventions sur les marchés, crédits de développement rural de la section « garantie » du FEOGA).
Pourtant, il s'agit de dépenses de cohésion importantes car, comme le rappelle l'article 33 (ex article 39) du traité CE : « L'agriculture constitue, dans les États membres (notamment en retard de développement) un secteur intimement lié à l'ensemble de l'économie » .
Non seulement le Royaume-Uni refusait ainsi de s'associer à ces politiques, mais son chèque devait s'en trouver majoré (ou, tout du moins, l'augmentation de celui-ci, liée aux coûts de l'élargissement, en serait réduite).
Par ailleurs, le Royaume-Uni obtenait un plafonnement à 10,5 milliards d'euros (selon un mécanisme d'une extrême complexité) de sa contribution aux dépenses d'élargissement au cours de la période 2007-2013. La montée en charge de cette participation devait être en outre progressive , de 2009 à 2011.
Par contraste, l'effet des décisions favorables à l'Allemagne, aux Pays-Bas, à l'Autriche et à la Suède devait être, pour sa part, rétroactif (la France en a subi de plein fouet les conséquences en 2009). Progressivité donc, pour la Grande-Bretagne, rétroactivité pour la France 82 ( * ) , pays le plus touché par les conséquences des « compensations » accordées aux autres contributeurs nets importants : où est l'équité ?
* 78 Les conclusions du sommet de Fontainebleau évoquent « une correction qui être maintenant appliquée au Royaume-Uni » et doit bénéficier « le moment venu » à tout État membre dont la situation correspond aux conditions requises (déséquilibre excessif, prospérité relative défavorable). Les termes « maintenant » et « le moment venu » font penser à une mesure provisoire. Pourtant, il y a presque trente ans que cela dure !
* 79 Avantages consentis aux quatre contributeurs nets les plus importants (DRP de décembre 2005)
Allemagne |
Pays-Bas |
Suède |
Autriche |
|
Rabais sur le rabais (à un quart de la contribution normale) |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Réductions brutes de contribution (2007-2013) |
- |
605 M€ |
150 M€ |
- |
Taux d'appel réduits pour la TVA (2007-2013) |
0,15 % |
0,10 % |
0,10 % |
0,225 % |
* 80 Selon les termes de l'auteur de l'article, Jean Quatremer (Libération du 21 octobre 2002).
* 81 Exclusion du total des dépenses réparties rentrant dans le calcul de la correction britannique de celles effectuées dans les nouveaux États membres. Déjà, le DRP du 29 septembre 2000 avait déjà exclu, de façon analogue, les dépenses de préadhésion du montant total des dépenses réparties.
* 82 et aussi, dans une moindre mesure, pour les autres États membres de l'Union européenne, hormis les quatre pays avantagés.