2. Des mesures sensibles à l'organisation des entreprises

Les données permettant d'apprécier le poids relatif des différents secteurs d'activité reposent sur l'agrégation des valeurs ajoutées individuelles des agents économiques (le plus souvent, dans le domaine industriel, des entreprises) classées en fonction de leur activité principale. Se trouvent ainsi comptées comme production de l'industrie une série d'activités qui peuvent n'être pas industrielles par nature.

Inversement, sont rattachées aux services des productions qui incorporent des process industriels...

Cette méthode pose un problème. Dans un pays où les services sont relativement plus développés que dans l'autre, les activités industrielles des entreprises de service ont tendance à être gommées, tandis que les activités de service des entreprises industrielles de l'autre pays le sont aussi. Il peut donc se produire un effet de « caisse de résonnance » qui trouble les comparaisons.

On peut trouver une illustration de cette difficulté dans la traduction statistique du processus de fractionnement des chaînes de valeur dans le secteur industriel dont les conditions peuvent, à leur tour, biaiser les comparaisons (entre pays ou dans le temps) du niveau relatif de l'activité industrielle.

Or, on explique une partie non négligeable de la baisse des emplois industriels par un recours croissant à l'externalisation d'activités du secteur industriel vers celui des services. Pour la France, une étude publiée par la Direction générale du Trésor estime que sur 11 points de réduction de l'emploi industriel entre 1980 et 2007, un quart (3 points) de cette baisse vient de restructurations du système productif obéissant à l'externalisation d'activités de services par les firmes industrielles.

L'impact de ces restructurations sur la composition sectorielle de la valeur ajoutée est probablement un peu moins fort mais il n'est pas négligeable.

L'une des motivations de l'externalisation est de réduire les coûts de production. Ceci se produit dans l'hypothèse où les prestations fournies aux entreprises responsables de l'externalisation le sont à des prix moins élevés que ceux correspondant aux coûts autrefois supportés en interne.

La baisse de la valeur ajoutée industrielle peut n'être pas proportionnelle au nombre d'emplois externalisés si l'entreprise qui externalise parvient à imposer à son fournisseur des tarifs plus avantageux que ceux qu'en quelque sorte elle s'appliquait à elle-même.

De même, la valeur ajoutée de l'entreprise fournisseuse de services augmente, mais dans des proportions qui, dépendant de son pouvoir de marché, ont toutes chances d'être moindres que si on la transposait purement et simplement de la valeur de la production pour compte propre de l'entreprise recourant à l'externalisation.

Quoiqu'il en soit, la valeur ajoutée de l'entreprise à l'origine de l'externalisation baisse. Elle supporte, en effet, des consommations intermédiaires au titre des prestations qu'elle achète désormais aux tiers. Une valeur ajoutée correspondante est créée dans le secteur où intervient l'entreprise qui fournit les biens ou services externalisés. Une partie de ses productions recouvrant des activités de services, la valeur ajoutée du secteur des services augmente quand celle de l'industrie baisse.

Bref, il est certain qu'une partie de la désindustrialisation vue à travers les évolutions respectives de la valeur ajoutée dans l'industrie et dans le secteur des services est attribuable au fractionnement des chaînes de valeur par l'externalisation de fonctions de services.

On observe incidemment que ce processus d'externalisation a des effets sur la répartition sectorielle de la valeur ajoutée, mais il engendre, par ailleurs, une répartition différente des profits. Ceux-ci augmentent globalement, cette augmentation bénéficiant plus aux firmes industrielles qu'au secteur des services.

La restructuration du système productif par l'externalisation :
quelques éléments d'appréciation

Une partie de la désindustrialisation est attribuée au recours à des tiers relevant d'autres secteurs - celui des services principalement - pour assurer des fonctions auparavant accomplies au sein des entreprises du secteur industriel. C'est l'externalisation par l'industrie au secteur des services d'une part des chaînes de production. Par exemple, plutôt que d'assurer le nettoyage de ses locaux, une entreprise peut recourir à une entreprise de nettoyage.

Ce processus provoque comptablement une modification de la répartition de la valeur ajoutée.

L'entreprise qui procède à l'externalisation substitue à une production propre une consommation intermédiaire de service de nettoyage.

Sa valeur ajoutée (différence entre sa production et ses consommations intermédiaires) diminue du fait des achats correspondant aux fonctions externalisées et, avec elle, la valeur ajoutée du secteur industriel.

À l'inverse, l'entreprise fournisseuse du service de nettoyage (dont la valeur ajoutée est classée dans le secteur des services) voit augmenter sa valeur ajoutée (et avec elle augmente la valeur ajoutée du secteur des services).

Au total, la valeur ajoutée n'augmente pas puisque la baisse de la valeur ajoutée de l'entreprise qui externalise est compensée par une hausse strictement équivalente (à l'instant « T ») de l'entreprise de nettoyage, mais, en théorie, une répartition différente de la valeur ajoutée se produit avec une augmentation relative de la valeur ajoutée de services.

Il peut toutefois en aller différemment quand l'entreprise substituée à la production propre est localisée à l'étranger. Dans ce cas, la valeur ajoutée qu'elle dégage est extérieure au champ de la valeur ajoutée nationale. Celle-ci baisse dans la proportion de l'augmentation des consommations intermédiaires de l'entreprise résidente qui recourt à l'externalisation, sans contrepartie dans la hausse de la valeur ajoutée d'une autre entreprise résidente.

En outre, il faut élargir ce point de vue strictement comptable à la considération des objectifs économiques de l'externalisation et de ses effets.

Une entreprise externalise pour améliorer sa productivité. Cet objectif est atteint lorsque la contraction de sa valeur ajoutée est plus faible que la contraction des facteurs de production qu'elle engage, ce qui revient à améliorer le produit par unité de facteur. Si on s'intéresse au facteur travail, l'externalisation permet de réduire le nombre des employés et les coûts de production. Si l'économie de coûts de production est strictement équivalente au supplément de consommation intermédiaire, l'opération est neutre ; si elle lui est supérieure, elle permet d'augmenter la productivité et de diminuer les coûts salariaux unitaires. Ceci peut venir de ce que les salariés de l'entreprise fournisseuse sont relativement moins coûteux que ceux de l'entreprise ayant recours à l'externalisation dont, grâce à celle-ci, elle peut se passer. La mise en concurrence des fournisseurs, l'existence d'économies d'échelle, la flexibilisation des contrats peuvent aller dans ce sens.

Les études sur les effets de l'externalisation sur les sous-traitants de l'industrie semblent montrer que l'externalisation s'accompagne d'une réallocation de la valeur ajoutée en-deçà de ce à quoi elle devrait conduire comptablement. Autrement dit, la baisse de la valeur ajoutée des entreprises qui externalisent est limitée par leur capacité à peser sur les coûts des prestations qu'elles achètent désormais à des tiers.

Dans un tel processus, les modifications apportées au partage de la valeur ajoutée ne se limitent pas à la répartition entre secteurs ni à celle prévalant entre les entreprises. Le partage entre les salaires et les profits a toute chance d'être influencé lui aussi.

Si l'objectif de l'entreprise qui externalise est atteint, la productivité du travail augmente. La valeur ajoutée baisse, mais moins que le nombre d'employés, et la valeur ajoutée par employé augmente. Les salaires peuvent ne pas s'ajuster et dans ces conditions le partage entre les salaires et les profits se déforme au bénéfice de ceux-ci.

Si la valeur ajoutée par employé de l'entreprise fournisseuse diminue le partage salaires/profits de cette entreprise, elle se déforme au détriment de ces derniers à moins que les salaires ne s'ajustent.

En pratique, l'un des effets à court terme de l'externalisation semble être d'accentuer la concentration des profits dans les entreprises qui y procèdent.

Or, l'ampleur de ces restructurations peut différer entre l'Allemagne et la France .

En outre, l'Allemagne, pour sa production industrielle, paraît recourir plus que la France à l'externalisation auprès des firmes étrangères.

Il peut s'ensuivre deux effets pouvant avoir pour conséquence de limiter la déformation apparente de la structure productive de l'Allemagne au détriment de l'industrie :

en premier lieu, si les prix des consommations intermédiaires importées sont inférieurs, à volume identique de consommations intermédiaires, le recul de la valeur ajoutée industrielle lié à l'externalisation est moindre ;

en second lieu, le supplément de production des services provoqué par l'externalisation n'est pas recensé en production de ce secteur s'il bénéficie à un producteur localisé hors du territoire national.

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