B. DES ACTIFS À L'ÉTRANGER PLUS IMPORTANTS POUR LA FRANCE ?

1. Les problèmes concernant le champ des investissements à l'étranger

L'appréciation des flux d'investissement direct à l'étranger pose un problème majeur. Les conventions utilisées par les organismes qui en centralisent les données (FMI, OCDE, CNUCED) conduisent à une surestimation considérable du phénomène.

Ceci tient au fait que les opérations de prêts internes aux groupes multinationaux sont comptabilisées dans le flux d'investissements internationaux au même titre qu'une prise de participation au capital. Cette agrégation revient à pratiquer un évident mélange des genres. Même si les prêts intragroupe représentent des flux de financement internationaux - du reste de plus en plus développés compte tenu de l'extension des groupes multinationaux, de la libéralisation des flux de capitaux et de l'intensification des pratiques d'optimisation financière et fiscale - ils ne répondent pas à l'objet des statistiques d'investissements directes qui est, pour l'essentiel, d'identifier les flux d'épargne entre nations susceptibles de déboucher sur une relocalisation des activités productives.

C'est de ce constat qu'est venue en 2008 l'initiative, tardive mais louable, de l'OCDE de recommander la construction de statistiques d'investissements internationaux neutralisant les prêts croisés internes aux groupes.

Les nouvelles méthodes d'évaluation des investissements directs à l'étranger

L'idée est de purger le suivi des investissements directs étrangers des difficultés qu'il rencontre en raison notamment de la complexification des opérations financières internationales afin d'assurer une meilleure significativité économique des statistiques traditionnelles qui ont pour fonction de restituer les phénomènes de constitution de groupes internationaux.

Les très nombreuses opérations recensées dans les balances des paiements au titre des investissements directs correspondant en fait à des flux financiers, essentiellement transitoires et appelés à se compenser, dans la cadre d'opérations de prêts internes aux groupes multinationaux, sont souvent confiées à des entités spécifiquement dédiées : les entités à vocations spécifiques (EVS également appelées en anglais SPE pour « special purpose entities »). Ces EVS sont contrôlées par des groupes étrangers, ont peu ou pas d'employés, et peu d'activité de production dans les pays dans lesquels ils résident. L'essentiel de leur activité est financière et réalisée pour le compte d'entreprises non-résidentes. A ces activités de financement s'ajoutent des fonctions exercées dans le circuit de règlements entre sociétés , d'un même groupe ou non, les EVS servant souvent de centres de trésorerie.

Il semble, en particulier, que deux phénomènes prennent une importance grandissante :

les capitaux en transit qui correspondent à des opérations intermédiaires entre celui qui les engendre et celui qui en bénéficie effectivement de façon ultime ;

les « boucles d'investissements » qui correspondent à des fonds transférés d'une entité vers une autre mais revenant i n fine à l'entité d'origine.

Le développement de ces flux concerne plus particulièrement la dernière des trois sous-rubriques d'enregistrement des investissements directs étrangers.

Ceux-ci sont saisis à travers :

les opérations en capital social ;

les bénéfices réinvestis à l'étranger (le résultat courant d'une filiale étrangère non remonté sous forme de dividendes vers une maison-mère est considéré par la balance des paiements comme un investissement direct étranger de celle-ci) ;

les « autres opérations » qui recouvrent les prêts transfrontières à court ou long terme entre entités résidentes ou non-résidentes.

C'est cette dernière sous rubrique qui est concernée par les problèmes statistiques ici évoqués.

Il faut liminairement souligner qu'il existe une sorte de concurrence statistique entre cette sous-rubrique et la première citée puisque des prêts entre entités d'un même groupe peuvent être utilisées aux fins de réaliser des opérations en capital qui ne sont alors pas reconnues comme telles mais retracées au tire de cette troisième sous-rubrique.

Quoi qu'il en soit, le développement des opérations de prêts croisés entre entreprises globalisées est à l'origine de biais statistiques :

d'une part, le niveau des investissements directs s'en trouve surestimé puisque selon la méthode traditionnelle du FMI tous les avoirs et créances intra-groupes d'entités résidentes vis-à-vis d'entités non-résidentes sont considérés comme des investissements sortants (inversement, tous les engagements intra-groupes d'entités résidentes vis-à-vis des non-résidentes sont traités en investissements entrants) sans considération de leur destination ultime ;

d'autre part, dans la mesure où la ventilation géographique est effectuée sur la base des pays de première contrepartie (et non de contrepartie finale), il s'ensuit une distorsion géographique du paysage des investissements directs étrangers où les pays accueillant les entités spéciales mentionnées plus haut sont surreprésentés.

C'est pour remédier à ces biais statistiques que l'OCDE a adopté une recommandation 46 ( * ) de corriger le recensement des flux regroupés sous la seule sous-rubrique « Autres opérations ».

Il s'agit d'adopter un « critère d'enregistrement directionnel étendu » à ces opérations (y compris quand elles concernent des sociétés soeurs) sur la base des constats relatifs au lieu de résidence du groupe tel que permet de l'identifier la résidence de l'investisseur ultime du groupe 47 ( * ) .

Plus précisément, l'ensemble des opérations réalisées par les entités d'un groupe donné seraient classées de sorte que les doubles comptes soient éliminés.

Ces nouvelles conventions aboutissent à diminuer considérablement les flux d'investissements directs étrangers. Elles débouchent, en outre, sur des statistiques qui donnent une image plus proche de celles portant sur la réalité des opérations de recomposition internationale du capital des entreprises.

Pour la France, la nouvelle recommandation de l'OCDE réduit le volume des flux d'investissements directs, de l'ordre de 43 % pour les investissements sortants et de 85 % pour les investissements entrants en 2008.

FLUX D'INVESTISSEMENTS DIRECTS SELON LA PRÉSENTATION TRADITIONNELLE
ET LA NOUVELLE PRÉSENTATION DEPUIS 2000

(en milliards d'euros)

Source : Banque de France - Bulletin n°177, 3 ème trimestre 2009

Par ailleurs, les corrections correspondantes conduisent à rapprocher les montants d'investissements directs de ceux relatifs aux opérations de fusions-acquisitions internationales, qu'il s'agisse des investissements vers l'étranger ou de ceux de l'étranger vers la France, sans toutefois que les données soient homothétiques.

FLUX BRUTS D'INVESTISSEMENTS DIRECTS FRANÇAIS À L'ÉTRANGER

Source : Banque de France - Bulletin n°177, 3 ème trimestre 2009

FLUX BRUTS D'INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS EN FRANCE

Source : Banque de France - Bulletin n°177, 3 ème trimestre 2009

Le tableau ci-après présente les données chiffrées correspondant aux deux graphiques précédents :

Enfin, l'application des nouvelles recommandations de l'OCDE réduit les stocks d'investissements directs. Fin 2008 la valeur comptable des stocks détenus à l'étranger est réduite de 30 % (697,4 milliards d'euros au lieu de 1 003,8 milliards) alors que le stock d'investissements directs étrangers en France est revu à la baisse de 43 % (406 milliards d'euros au lieu de 712,4 milliards).


* 46 « Définition de référence des investissements directs internationaux » OCDE. 2008.

* 47 Celle-ci ne peut être déterminée qu'à la suite d'une analyse fine des liaisons financières entre entreprises d'un même groupe. En France, cette analyse est réalisée, chaque année par l'INSEE, dans le cadre de l'Enquête sur les liaisons financières (LIFI).

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