N° 673

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur l'influence du droit communautaire des aides d' État sur le financement des services sociaux par les collectivités territoriales ,

Par Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, MM. André LARDEUX,

et Paul BLANC,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : Mme Muguette Dini , président ; Mme Isabelle Debré, M. Gilbert Barbier, Mmes Annie David, Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Catherine Procaccia, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Milon , vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Gisèle Printz, Patricia Schillinger, Anne-Marie Payet , secrétaires ; Mmes Jacqueline Alquier, Brigitte Bout, Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mme Roselle Cros, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, M. Gérard Dériot, Mme Catherine Deroche, M. Jean Desessard, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Guy Fischer, Mme Samia Ghali, MM. Bruno Gilles, Jacques Gillot, Adrien Giraud, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Mme Valérie Létard, M. Jean-Louis Lorrain, Mme Isabelle Pasquet, M. Louis Pinton, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, MM. René Teulade, Alain Vasselle, François Vendasi, André Villiers.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Les collectivités territoriales françaises sont fortement impliquées dans la lutte contre les exclusions : à côté du rôle joué par les communes ou leurs groupements dans la politique de la ville ou de celui assumé par les régions pour améliorer l'insertion professionnelle des jeunes, les départements tiennent une place éminente dans la mesure où les lois de décentralisation 1 ( * ) leur ont confié la gestion des prestations d'aide sociale.

Les collectivités territoriales françaises ont donc développé un grand nombre d'activités d'aides, notamment dans le secteur social, qu'elles exercent elles-mêmes ou par le biais d'associations. On peut citer, à cet égard, le développement des aides sociales à l'enfance, des aides aux personnes handicapées ou encore des aides aux personnes âgées.

Or, la construction communautaire a peu à peu affecté et limité la liberté des collectivités territoriales dans leur activité d'attribution d'aides 2 ( * ) . L'article 87 §1 du traité CE pose le principe d'incompatibilité des aides d'Etat, dès lors qu'elles affectent les échanges entre les Etats membres et faussent ou menacent de fausser la concurrence. L'intégration en droit français de ces règles communautaires a considérablement fragilisé l'activité sociale des collectivités territoriales.

Tout ceci a conduit les associations à demander une doctrine claire et partagée entre l'Etat, les collectivités territoriales et les associations sur le champ respectif des subventions et des procédures de marché, de délégation de service public ou encore d'appels à projets. En effet, la plupart des services sociaux que les associations prennent en charge sont en réalité à caractère économique au sens de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE). Leur activité est donc soumise aux règles communautaires du droit de la concurrence.

L'adoption d'un cadre communautaire risque de mettre en péril la liberté des Etats membres d'organiser les services sociaux d'une manière adaptée aux besoins des usagers et aux caractéristiques culturelles et géographiques de chaque pays. La position française est elle-même fragile en raison de la spécificité de l'organisation territoriale et de la diversité des modes de gestion des services publics, en raison aussi du rôle de l'initiative associative qui souvent est à l'origine d'actions d'intérêt général, dans un souci d'accessibilité pour le plus grand nombre, sans mandat préalable, mais en sollicitant le concours financier de tous les échelons de la collectivité publique.

Il faut également ajouter que le domaine des services d'intérêt général ne présente pas de dimension européenne évidente qui justifie une intervention de niveau communautaire.

Précisément, il s'agit de savoir si la réglementation européenne relative aux aides d'Etat est compatible avec un financement par subvention et si l'activité des associations doit être nécessairement mise en concurrence par le biais d'un marché public ou d'une délégation de service public.

I. L'ACCLIMATATION PROGRESSIVE DU DROIT COMMUNAUTAIRE À LA NOTION DE SERVICE PUBLIC

A. DEUX PHILOSOPHIES ANTAGONISTES

Les traditions juridiques française et communautaire s'opposent sur la place à donner aux services publics dans la société.

1. La conception française

Conçu dans un pays dont l'unité fut construite et assurée par l'Etat, le droit public français accorde un rôle central au service public, au point que ce dernier constitue, pour certains juristes, la justification même du droit administratif. Qu'il soit mis en oeuvre, directement ou indirectement, par l'Etat ou les collectivités territoriales, le service public apparaît comme un élément du modèle social français largement fondé sur le principe d'égalité entre les citoyens. Le droit administratif a donc favorisé l'intervention publique, tant au niveau national que local, dans l'ensemble des sphères d'activités, non seulement sociales et économiques mais aussi sportives et culturelles. En un sens, la clause de compétence générale vient consacrer cette conception du rôle des pouvoirs publics : dès lors qu'elle agit au nom de l'intérêt général, une collectivité peut, quel que soit son niveau de compétence, intervenir dans la vie de la société.

2. La conception européenne

La conception européenne du rôle de l'Etat, sur laquelle est bâti le droit communautaire, est radicalement inverse. Traumatisés par la crise des années trente et la Seconde Guerre mondiale, les rédacteurs du traité de Rome sont les héritiers d'une autre philosophie de l'Etat, selon laquelle celui-ci est en partie responsable de la crise, pour avoir permis l'essor du protectionnisme économique, et surtout potentiellement liberticide, pour avoir été l'instrument de l'embrigadement des âmes. Le droit communautaire repose donc sur l'une des idées fondamentales de la pensée libérale : c'est la limitation du rôle de l'Etat qui permet de favoriser au mieux la paix et la prospérité en Europe.

On mesure combien cette approche peut heurter la tradition juridique nationale française.


* 1 Loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions ; loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République ; loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale ; loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République ; loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

* 2 Le traité de Maastricht, signé le 7 février 1992 et entré en vigueur le 1 er novembre 1993, exige que la Communauté et les Etats instaurent une «politique économique [...] conduite conformément au respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre» (article 6 B 3).

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