3. Des résultats encourageants malgré certaines difficultés d'application

En privilégiant l'intervention en milieu parental, l'application de la LPJ aura permis une baisse considérable du nombre des placements - environ 30 000 au milieu des années 1970 contre 11 432 en 2009 53 ( * ) - et ce malgré la hausse des signalements - 30 011 en 1980 contre 69 705 en 2009 - et de la population 54 ( * ) . De plus, l'introduction des délais maximaux de placement paraît avoir accru la stabilité pour les enfants.

a) Une loi désormais bien implantée et davantage de stabilité pour les enfants

Conformément aux nouvelles dispositions introduites dans la LPJ en 2006, une première évaluation de son impact sur la stabilité et les conditions de vie des enfants - mesurant en particulier l'effet de la durée maximale d'hébergement - a été remise à l'Assemblée nationale le 20 octobre 2010 55 ( * ) .

Or, aux termes de cette étude 56 ( * ) , il apparaît que les premiers résultats de la LPJ ainsi révisée sont globalement favorables , tant du point de vue de la stabilité des enfants que de celui de l'implantation de la nouvelle loi parmi l'ensemble des acteurs concernés.

? Une amélioration des conditions de vie des enfants suivis

Depuis l'entrée en vigueur des modifications à la LPJ, le recours au placement est moins fréquent, les milieux informels - famille élargie ou personne significative - sont davantage utilisés comme milieux de vie de substitution et les enfants connaissent dans l'ensemble moins d'instabilité qu'auparavant .

Impact de la LPJ révisée sur la stabilité et les conditions de vie des enfants

AVANT l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions de la LPJ

APRES l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions de la LPJ

Recours au placement 1

63 % des enfants pour lesquels des mesures de protection ont été prises

59 % des enfants pour lesquels des mesures de protection ont été prises

Placement dans une ressource informelle 2

25 % des enfants placés

33 % des enfants placés

Nombre de milieux substituts formels différents

2,20 milieux en moyenne

2,06 milieux en moyenne

Nombre de changements
de milieu de vie

2,63 milieux en moyenne

2,23 milieux en moyenne

Enfants qui ne connaissent
aucun changement de milieu de vie

27 % des enfants placés

29 % des enfants placés

Enfants qui connaissent quatre changements de milieu de vie ou plus

26 % des enfants placés

21 % des enfants placés

1 Au moins une fois durant l'intervention du DPJ, peu importe le contexte et la durée du placement ainsi que le type de milieu de vie substitut.

2 C'est-à-dire dans la famille élargie ou auprès d'une autre personne significative pour l'enfant.

Source : Turcotte Daniel et collaborateurs, évaluation des impacts de la nouvelle LPJ au Québec,
rapport de synthèse, Québec, Centre de recherches JEFAR, Université Laval, p. 113.

? Une implantation satisfaisante de la LPJ révisée parmi les acteurs concernés

L'étude constate par ailleurs la forte mobilisation du secteur de la protection de l'enfance pour s'approprier les modifications apportées à la LPJ : plus de vingt et un mille intervenants et gestionnaires des centres jeunesse et des centres de santé et de services sociaux ont participé aux journées de formation et de sensibilisation organisées, la grande majorité des acteurs interrogés 57 ( * ) jugeant positives les nouvelles dispositions mises en place.

b) Mais certaines difficultés subsistent

? Un manque de moyens et de ressources disponibles dans certaines régions

Alors que la moyenne d'âge des familles d'accueil atteint cinq-six ans et que la moitié des intervenants en centres jeunesse auront pris leur retraite dans les quatre prochaines années, le recrutement de nouvelles ressources d'accueil en milieu familial s'avère problématique tant les postulants sont rares. Comme en France, cette situation résulte, pour l'essentiel, d'une image sociale peu valorisée, de l'alourdissement des difficultés des enfants placés ou de l'insuffisance de la compensation financière 58 ( * ) .

Il demeure par ailleurs de fortes inégalités territoriales dans l'application de la LPJ, avec le paradoxe que les régions les moins bien pourvues en intervenants et en moyens sont souvent celles où les besoins sont les plus criants : ainsi, et malgré la publication d'un premier rapport accablant publié sur le sujet en 2007 59 ( * ) , la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) continue d'alerter sur la situation préoccupante des enfants de la communauté autochtone du Nunavik 60 ( * ) . « Tout en reconnaissant l'ampleur des efforts et des changements organisationnels observés au cours des dernières années », la commission rappelle que 30 % des jeunes Inuits font l'objet d'un signalement auprès du DPJ - soit six fois plus que la moyenne provinciale - et qu'entre 2006 et 2009, les signalements d'enfants en danger ont augmenté de 110 % dans les villages de la baie d'Hudson et de 57 % du côté de la baie d'Ungava 61 ( * ) . Outre la difficulté à recruter et à maintenir des intervenants dans le Grand Nord, la pénurie de logements exacerbe tous les problèmes sociaux.

Enfin, les contraintes budgétaires ne permettent pas toujours la mise à disposition de services adéquats aux parents et aux enfants .

? Une application parfois jugée excessive de la LPJ

Tout en reconnaissant les bienfaits de la législation québécoise ainsi que la qualité générale des intervenants en protection de la jeunesse, le docteur Gilles Julien, fondateur de la pédiatrie sociale 62 ( * ) au Québec, déplore que la LPJ soit parfois appliquée avec excès et que, faute d'outils d'accompagnement suffisants permettant de privilégier l'autorité parentale, l'on s'oriente encore trop souvent vers le retrait du milieu familial .

Il convient donc non seulement de retenir une approche dynamique des capacités parentales - un mauvais parent peut devenir un bon parent dès lors qu'il est accompagné et responsabilisé - et de privilégier le recours à la famille élargie et aux ressources de la communauté , à commencer par les centres de pédiatrie sociale 63 ( * ) .

Parce qu'une décision de placement dans les cas de négligence résulte d'une appréciation très subjective et est parfois empreinte de jugement de valeur, le docteur Gilles Julien préconise par ailleurs qu'elle ne soit pas le fait d'un seul intervenant de la protection jeunesse mais qu'elle fasse l'objet d'une réflexion plus collégiale, associant services du DPJ et ressources communautaires 64 ( * ) .

? Répondre à la problématique des « vides de services »

Au sein de l'offre de services dispensés aux jeunes en difficulté et à leurs familles, on distingue les « services de première ligne » - services sociaux généraux et certains services particuliers s'adressant à l'ensemble de la population, dispensés par la centaine de centres de santé et de services sociaux (CSSS) et les organismes communautaires - et les « services de deuxième ligne » - services spécialisés mis en oeuvre par les centres jeunesse (CJ), à destination des enfants dont le développement ou la sécurité peut être ou est compromise - au titre de la LPJ - ainsi qu'aux jeunes contrevenants - au titre de la LSPJA.

Or, à la lecture du rapport de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) 65 ( * ) , il apparaît que « la continuité de services entre les centres jeunesse et les CSSS pour les jeunes en difficulté et leurs parents n'est pas toujours assurée et cela malgré les réformes consécutives du réseau de la santé et des services sociaux » visant précisément à ajuster les responsabilités entre ces différents intervenants.

Le rapport pointe particulièrement la persistance de problèmes de collaboration entre les CSSS et les DPJ ; ainsi, il est encore trop fréquent que, faute de coordination, les enfants et les familles orientés vers les CSSS à l'issue de l'intervention du DPJ se retrouvent dans des « vides de service » de nature à démobiliser les parents en raison d'attentes trop longues. Soulignant que cette situation « accentue les risques de récurrence des signalements d'enfants entraînant ainsi des coûts sociaux importants », la commission en appelle donc aux agences de la santé et des services sociaux pour soutenir les établissements dans la conclusion d'ententes de services.

? S'assurer du caractère exceptionnel de l'hébergement en unité d'encadrement intensif

Depuis 2006, le recours à l'hébergement en unité d'encadrement intensif pour les jeunes dont le comportement engendre un risque sérieux de danger pour eux-mêmes ou pour autrui est encore plus strictement balisé (art. 11.1.1) 66 ( * ) .

Or, si la CDPDJ constate, conformément à l'objectif du législateur, « une réduction significative du nombre d'unités (...) ainsi qu'une diminution progressive du nombre d'hébergements », elle déplore que les informations qui lui sont transmises soient encore trop lacunaires pour lui permettre de s'assurer du respect effectif des droits des enfants 67 ( * ) et que trop peu de centres jeunesse offrent à la fois des activités de réadaptation, des périodes de scolarisation et un accompagnement soutenu et personnalisé. Elle note enfin que « la situation des jeunes filles hébergées exige une solution qui tienne compte de leurs besoins spécifiques ».


* 53 6 630 enfants en ressource de type familial ou famille d'accueil, 2 825 en centre de réadaptation en centre jeunesse ou en ressource intermédiaire, 1 898 confiés à un tiers significatif et 79 placés dans une autre ressource (par exemple dans un centre spécialisé en toxicomanie) (Chiffres au 31 mars 2009, Bilan des directeurs de la protection de la jeunesse, 2009).

* 54 Ainsi qu'en témoigne l'évolution de la proportion d'enfants placés en institution ou en famille d'accueil pour mille enfants (18,9 en 1972, contre 6,7 en 1993) (Le placement des enfants au Québec, des années 1930 à aujourd'hui. Une mesure trop souvent utilisée ? Constatations et hypothèses, Renée Joyal et Carole Chatillon, Service social, vol. 45, n° 2, 1996).

* 55 Cette évaluation doit être déposée périodiquement, la première fois à l'issue d'un délai de trois ans puis tous les cinq ans (art. 156.2).

* 56 Déposée par Dominique Vien, ministre déléguée aux services sociaux, et conduite sous la direction de Daniel Turcotte, professeur à l'Ecole de service social de l'Université Laval.

* 57 384 chefs de service et intervenants des services de l'évaluation-orientation, de l'application des mesures et des ressources/adoption ont été sondés.

* 58 Cf. le rapport « Familles d'accueil et intervention jeunesse : analyse de la politique de placement en ressource de type familial » (groupe de travail sur la politique de placement en famille d'accueil, mai 2000).

* 59 Nunavik. Enquête portant sur les services de protection de la jeunesse dans la baie d'Ungava et la baie d'Hudson. Rapport, conclusions d'enquête et recommandations (avril 2007).

* 60 Le Nunavik, territoire situé au nord du Québec, compte onze mille habitants répartis dans quatorze villages, dont sept situés sur chacune des baies de l'Ungava et de l'Hudson. Plus de la moitié des habitants sont âgés de moins de dix-huit ans.

* 61 Nunavik. Rapport de suivi des recommandations de l'enquête portant sur les services de protection de la jeunesse dans la baie d'Ungava et la baie d'Hudson (juin 2010).

* 62 Approche selon laquelle le développement harmonieux de l'enfant s'appuie sur l'interaction entre ses différentes composantes (physique, intellectuel, émotionnel et spirituel) et ses milieux de vie. La pédiatrie sociale en communauté développe un modèle d'intervention interdisciplinaire, intersectoriel et mobilisateur associant enfants, parents, famille élargie et ressources du milieu communautaire.

* 63 Ces centres ont une double vocation : dispenser des services là où ils manquent et intégrer des services lorsqu'il est possible de faire appel aux ressources déjà existantes au sein de la communauté. En réunissant les principaux intervenants offrant des services spécifiques (petite enfance, centres de santé et de services sociaux, école, centres jeunesse, hôpitaux, etc.), ils souhaitent faciliter le partage de l'information quant à l'évaluation des besoins de l'enfant et augmenter les chances de réussite des interventions auprès de ce dernier.

* 64 Organismes communautaires (ou milieu communautaire) : personnes morales à but non lucratif, gérées par un conseil d'administration composé majoritairement d'utilisateurs des services ou de membres de la communauté qu'elle dessert ; on compte environ huit mille organismes actifs intervenant principalement dans le champ de la santé, des services sociaux ou de l'éducation et expérimentant des pratiques alternatives à celles généralement mises en oeuvre par le réseau institutionnel.

* 65 Qui a désormais pour mandat, depuis la révision de la LPJ en 2006, d'examiner la mise en oeuvre de la loi (art. 156.1) (Rapport déposé à l'Assemblée nationale du Québec, 24 mars 2011).

* 66 Avec, notamment, l'obligation faite à l'établissement d'aviser la CDPDJ (art. 63 de la LPJ), la possibilité pour le jeune et ses parents de contester devant le tribunal la décision prise par le directeur de l'établissement de recourir à ce type d'hébergement (art. 74.2 e) et, enfin, l'inscription dans la loi que cette option, tout comme une mesure d'isolement d'un jeune, ne peut jamais être utilisée à titre de mesure disciplinaire (art. 10).

* 67 Ni l'âge ni le sexe des enfants hébergés ne lui sont actuellement accessibles ; la commission recommande donc de modifier l'article 63 de la LPJ afin d'y inclure les informations suivantes : date de naissance, sexe, origine ethnique ou appartenance à une communauté autochtone, contexte légal, motif ayant justifié l'orientation en unité d'encadrement intensif, comportements problématiques, facteurs de vulnérabilité, dates de début, de fin et de révision de la décision et recommandation associée, fonction de la personne qui prend la décision et nom de l'unité d'origine où est hébergé le jeune.

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