b) Le recours croissant aux services de messagerie

La livraison à distance, rapide et anonyme que permettent les transporteurs de colis, nationaux comme internationaux, via les services de messagerie est une véritable aubaine pour des revendeurs de drogues toujours à la recherche de procédés de commercialisation aussi discrets que possible.

M. François Thierry, commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), a fait état de ce point de vue des difficultés que pose aux services répressifs nationaux la maîtrise des flux de colis et paquets susceptibles de véhiculer des produits stupéfiants : « la France reste [...] un pays de transit pour toute la messagerie expresse [...] . Le hub de Roissy est devenu le second d'Europe pour Federal Express, DHL et Colissimo. Plusieurs millions de paquets par semaine transitent par ces hubs . Certes, les quantités sont mesurées mais il existe un trafic de fourmi et ces opérateurs nous posent un important problème de logistique, les paquets ne restant en transit sur notre territoire qu'un temps très court. Il est extrêmement difficile pour les services douaniers de détecter les trafics en une heure à peine » (52 ( * )) .

L' administration des douanes semble en tout cas avoir saisi l'ampleur du problème et tenter d'y faire face. « Nous sommes aussi de plus en plus présents dans les centres de tri du fret postal et du fret express, où il est assez facile de poser une « nasse » », a déclaré M. Jérôme Fournel, directeur général des douanes et des droits indirects. « Ainsi, l'an dernier, 2 tonnes de stupéfiants et 36 tonnes de tabac y ont été saisies par la douane. Nous travaillons en étroite coopération avec La Poste comme avec les transporteurs express pour recueillir l'information et cibler les colis qui présentent un risque parmi les millions d'envois quotidiens : bien que les trafiquants se montrent de plus en plus subtils dans les acheminements, nous savons que les molécules de synthèse proviennent souvent d'Asie ou du Moyen-Orient » (53 ( * )) .

c) Le défi de l'offre de produits sur internet

Le développement sans précédent du réseau internet au cours des dernières années a rapidement constitué un support très prisé pour des trafiquants ne connaissant pas les frontières, mais également pour des consommateurs désireux de s'approvisionner en toute discrétion.

« Il est vrai qu'en matière de criminalité, internet va être un des gros enjeux des années à venir » a ainsi reconnu M. François Thierry, commissaire divisionnaire, chef de Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS). « Pour ce qui concerne les stupéfiants, internet propose non seulement des graines à la vente mais aussi la méthode pour planter et récolter, ainsi que le matériel. Plus de 400 sites sont accessibles en France. Internet propose également de la vente de produits nouveaux comme le « spice », cannabis de synthèse fabriqué sous forme de spray dont on peut imbiber n'importe quel support à fumer. Ce produit est interdit mais la molécule, Delta 09, est extrêmement puissante. On manque de recul pour évaluer ses incidences sur la santé publique mais un produit plus fort que le cannabis ne devrait pas être bon pour la santé. De tels produits méphédrone, kétamine, spice sont disponibles sur internet... » (54 ( * )) .

M. Franck Zobel, rédacteur scientifique et analyste des politiques en matière de drogue à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), a fait état d'un « nouveau marché, très dynamique », des drogues de synthèse qui « s'est développé essentiellement sur internet », où son organisation a recensé pas moins de 170 commerces en ligne cette année (55 ( * )) . Le docteur William Lowenstein a évoqué quant à lui « le nombre grandissant de patients qui commandent sur des sites de tous pays de nouvelles drogues de synthèse - les « party pills » - totalement légales et livrables en 48 heures tant qu'elles ne sont pas repérées et interdites ». « On peut acheter sur internet tout le matériel et toutes les graines que l'on veut et, avec un investissement de 15 000 euros, certains produisent une tonne de cannabis en intérieur en une année », a reconnu à cet égard M. Gilles Leclair, préfet délégué pour la défense et la sécurité auprès du préfet de la zone de défense Sud (56 ( * )) .

Observant que « les drogues profitent aussi de la mondialisation », M. Philippe Batel, psychiatre, a rapporté pour sa part qu'« aujourd'hui, les cathinones, dérivées des amphétamines et dont fait partie la méphédrone, s'achètent sur internet ». Il s'est alarmé qu'« une quinzaine de ces drogues donnent lieu à des situations de dépendance un peu inquiétantes, les sujets sous leur emprise développant des troubles du comportement et se livrant à des prises de risques majeurs » et a fait remarquer que du fait de l'anonymat du réseau, « on ignore le nombre de consommateurs » (57 ( * )) .

Or, les services répressifs sont pour l'instant démunis face à ce phénomène grandissant, a reconnu M. François Thierry : « je n'ai pas de solution en matière de contrôle d'internet : nous sommes pourtant nombreux à être concernés. Nous agissons avec internet comme pour tous les autres moyens de transport du produit. Nous faisons de la veille et nous allons en faire davantage. Nous visitons ces sites, faisons de l'infiltration, comme pour les autres affaires. [...] On ne fera pas de miracles avec internet dans le domaine des stupéfiants » (58 ( * )) .

M. Jérôme Fournel, directeur général des douanes et des droits indirects, a toutefois assuré avoir « beaucoup investi ces deux dernières années en faveur de la surveillance du commerce électronique », avec la création d'une division spécialisée, Cyberdouane , qui assure en permanence, à partir de moteurs de recherche, la veille sur ce qui se passe sur internet, pour les stupéfiants mais aussi pour les tabacs et les contrefaçons. Il a indiqué que la coopération avec nos partenaires européens est de qualité, « y compris en ce qui concerne les nouvelles drogues et la vente des stupéfiants sur internet », et a évoqué avoir réalisé, à l'automne dernier, « un important travail pour renforcer la lutte contre la cybercriminalité, y compris la vente de médicaments contrefaits » (59 ( * )) .

Les capacités à agir des différents États ne sont pas identiques, a-t-il toutefois reconnu. Ainsi, la France, les Pays-Bas et l'Allemagne sont les seuls à disposer d'une cellule du type Cyberdouane. Or, selon M. Jérôme Fournel, « si l'on veut gagner en efficacité, il faudrait qu'il en existe dans tous les pays et qu'elles fonctionnent en réseau, comme c'est le cas, en France, avec l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication ».


* (52) Audition du 26 janvier 2011.

* (53) Audition du 30 mars 2011.

* (54) Audition du 26 janvier 2011.

* (55) Audition du 19 janvier 2011.

* (56) Audition du 25 mai 2011.

* (57) Audition du 11 mai 2011.

* (58) Audition du 26 janvier 2011.

* (59) Audition du 30 mars 2011.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page