c) Conforter la réponse pénale et corriger les incohérences en créant une incrimination d'usage simple sanctionnée par une contravention

? Remédier aux incohérences du dispositif en vigueur

Certaines remarques ou prises de position exprimées devant la mission amènent les rapporteurs à s'interroger sur la cohérence de plusieurs éléments du régime juridique de l'usage de drogues. Est-il, en particulier, durablement envisageable de faire encourir à de jeunes consommateurs de cannabis nullement voués à l'addiction une peine de prison d'un an tout en renonçant par avance, sans trop le dire, à appliquer la sanction ? Qu'en est-il alors de la valeur de l'interdit, du respect dû à la loi ? Est-il raisonnable de remettre à la discrétion des procureurs de la République le choix de ne pas engager les poursuites pénales contre des « délinquants » que le jeune âge incite à débusquer l'incohérence et à dénoncer l'arbitraire des adultes ? L'hétérogénéité territoriale de la politique pénale pratiquée à l'encontre de telle ou telle catégorie de jeunes primo-usagers est-elle soutenable ? Mme Françoise Baïssus, chef du bureau de la santé publique, du droit social et de l'environnement du ministère de la justice, a déclaré à ce propos : « Même si la mise en oeuvre n'est pas forcément uniforme dans tous les tribunaux de France métropolitaine et d'outre-mer, il n'existe pas un tribunal qui n'ait pas de politique pénale en matière d'usage de stupéfiants. Ceci mérite d'être relevé : qui dit politique pénale dit prise de conscience du fait qu'il faut apporter au moins une réponse pénale. » (236 ( * )) On a vu que cette réponse pénale n'est actuellement en rien garantie, du fait même de l'absence de réalisme de son architecture ; quand elle intervient, on souhaiterait du moins qu'elle soit uniforme d'une cour d'appel l'autre pour chaque catégorie significative d'usagers. Ce n'est pas le cas : un fumeur de haschich court en principe le risque de s'entendre condamner à un an de prison à tel endroit mais ne subit que les rigueurs tempérées du rappel à la loi à tel autre. Telles sont les conséquences normales de l'indépendance des parquets. Les circulaires ministérielles d'application de la loi du 31 décembre 1970 tentent, apparemment sans grands résultats on l'a vu, d'harmoniser et de rationaliser la politique pénale des parquets. Le législateur peut sans doute contribuer au résultat attendu en créant une peine contraventionnelle de primo-usage.

? Répondre à la réalité du primo-usage

Il s'agit de dissuader l'usager débutant - surtout le jeune - tout en continuant d'orienter l'usager problématique vers la prise en charge thérapeutique et sociale décrite dans la deuxième partie du présent rapport. Dans l'intervalle de ces deux extrêmes, les solutions mentionnées plus haut, à commencer par le stage de sensibilisation, doivent bien entendu rester appliquées.

La création d'une amende contraventionnelle sanctionnant la première consommation procède ainsi du constat que le primo-usager constitue une catégorie spécifique et appelle une réponse telle. Le monde de la drogue est bien une juxtaposition de situations très diverses qui rendent indispensable, en matière répressive comme en matière de traitement, la création d'outils diversifiés.

? Diversifier le public soumis à la réponse pénale

Cet effet attendu de la contraventionnalisation des premiers usages résulte des observations présentées plus haut sur la probable étroitesse du public faisant actuellement l'objet d'une réponse pénale à l'usage de drogues illicites. La possibilité d'infliger une contravention forfaitaire aux abords des collèges et lycées, par exemple, devrait favoriser la prise de conscience de l'interdit par toute une nouvelle population d'expérimentateurs.

? Désengorger les tribunaux

On notera pour mémoire, car cette préoccupation n'est pas au coeur des sujets d'intérêt de la mission d'information, l'opportunité de concourir au désengorgement des tribunaux. En dépit de ses lacunes notoires, l'exercice des poursuites contre les usagers de drogues illicites joue en effet un rôle dans la charge de travail des parquets et des juridictions pénales.

? Responsabiliser les parents

Même fixée à un taux modeste, on peut penser que la contravention alertera les parents des mineurs sur les pratiques de leurs enfants et la nécessité de s'impliquer dans la prévention.

? L'argument contraire de la perte de la possibilité de remonter les filières

L'enquête policière et la garde à vue offrent l'opportunité de remonter les filières à partir des informations livrées par l'usager interpellé, y compris le primo-usager. C'est pourquoi les magistrats et policiers auditionnés par la mission se sont prononcés contre la contraventionnalisation. Ainsi, M. François Thierry, commissaire divisionnaire, chef de l'office central pour la répression du trafic des stupéfiants, a estimé : « Il est important de conserver des infractions qui permettent de toucher les organisations criminelles ; si vous les supprimez, vous privez les services d'enquête d'un moyen d'accès à ces organisations. Il s'agit d'infractions occultes, difficiles à mettre en lumière. La situation peut être très calme dans un quartier alors que celui-ci est aux mains d'une organisation de trafiquants ! Un intérêt de l'incrimination est de contraindre l'usager à nous parler, avant de l'envoyer chez le médecin ou l'assistante sociale. » (237 ( * )) De même, pour Mme Françoise Baïssus, chef du bureau de la santé publique, du droit social et de l'environnement du ministère de la justice : « On a largement évoqué cette possibilité en 2004. Il est très intéressant de conserver l'infraction délictuelle avec une peine d'emprisonnement à la clé et la possibilité de garde à vue : c'est une façon irremplaçable de remonter les trafics. Lors de la préparation de la loi sur le dopage, nous avons cherché à pénaliser l'usage de produits dopants : faute d'y être arrivés, on ne parvient pas à remonter les filières. C'est évidemment sur le consommateur qu'il faut se concentrer si l'on veut remonter le trafic. C'est toujours ainsi que les choses se passent, il s'agit d'un cadre procédural qui simplifie la remontée des filières et améliore la possibilité de lutter contre le trafic. » (1) Néanmoins, la réforme de la garde à vue limite la possibilité de faire pression au cours de la garde à vue sur les personnes interpellées. Surtout, selon M. Bernard Petit, sous-directeur de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière à la direction générale de la police nationale, « la disparition de l'incrimination délictuelle ferait perdre à nos collègues des brigades territoriales ou des commissariats, qui sont en contact avec l'usager, la possibilité de remonter au moins un échelon dans la filière, et d'atteindre le petit trafiquant implanté dans une rue ou une barre d'immeubles, où il cause déjà des dégâts. En revanche, elle serait sans effet sur ceux qui enquêtent sur le trafic national ou international et mènent des actions d'entrave aux arrivages massifs. » (238 ( * )) Au regard de l'intérêt social d'une réponse pénale plus efficace et effective car mieux calée sur la réalité des faits, la perte, par la police, de la possibilité de remonter du primo-consommateur verbalisé sur le trottoir du lycée à son fournisseur immédiat apparaît largement indifférente .

? À cet argument central, un document communiqué à la mission par le ministre de la justice (239 ( * )) avance que la contraventionnalisation représenterait un abaissement du niveau de la répression aux yeux de l'opinion publique. Il fait également état de certaines craintes : une banalisation de la consommation des stupéfiants, traitée comme le sont de simples infractions au code de la route ; des problèmes de recouvrement des amendes ; l'impossibilité de recourir à l'injonction thérapeutique dans les cas complexes ; l'exclusion des règles de la récidive ; l'inégalité devant la loi des contrevenants selon les ressources financières dont ils disposent ; le problème de la saisie des produits ; l'insuffisance d'une durée de rétention de quatre heures en lieu et place de la garde à vue, désormais impossible ; la disparition du levier que constitue « l'échange » entre le policier et le consommateur ; enfin, la disparition, pour l'autorité judicaire, de la possibilité d'évaluer la situation socioéducative du mineur consommateur de stupéfiants.

Vos rapporteurs soulignent pour leur part que :

- leur proposition de contraventionnaliser la première consommation de drogue illicite tend plutôt à renforcer la réponse pénale en passant d'une carence manifeste à une répression effective. L'opinion ne peut s'y tromper ;

- l'argumentation présentée par le ministère paraît valable à l'encontre d'une contraventionnalisation de toute consommation, y compris la consommation récurrente et la consommation problématique. Elle est en revanche moins convaincante en ce qui concerne la première consommation, seul objet en vérité de la proposition de vos rapporteurs ;

- l'exclusion des règles de la récidive pour la première consommation ne gênera guère la police, qui ne s'adresse que peu, actuellement, à la catégorie de consommateurs visée par la proposition de vos rapporteurs. Il serait en tout état de cause loisible au législateur, s'il le jugeait utile, de soumettre la nouvelle infraction contraventionnelle aux règles de la récidive ;

- l'éventuelle rétention de quatre heures d'un primo-usager jamais enregistré auparavant dans les fichiers de la police pour une infraction d'usage de drogue illicite semble un plafond plus que raisonnable. Si un primo-usager ne reconnaît pas l'infraction pour laquelle il est verbalisé, cette possibilité de rétention est de nature à faciliter les opérations de saisie et d'analyse nécessaires ;

- la perte de « l'échange entre le consommateur et le policier » à l'occasion de la garde à vue peut parfaitement s'admettre dans l'intérêt d'une réponse pénale plus systématique et plus efficace qu'elle ne l'est actuellement ;

- la perte de la possibilité d'ordonner l'injonction thérapeutique ne pose pas d'insurmontables problèmes dans le cas de primo-usagers appelés à rentrer dans le régime de la répression délictuelle, avec son cortège de réponses thérapeutiques, quand le rappel à l'ordre de la contravention n'a pas eu l'effet dissuasif espéré ;

- enfin, les objections tenant aux ressources des contrevenants inciteraient, si on les suivait, à supprimer toutes les infractions sanctionnées par des contraventions.


* (236) Audition du 26 janvier 2011.

* (237) Audition du 26 janvier 2011.

* (238) Audition du 30 mars 2011.

* (239) Courrier de M. Michel Mercier, Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, du 22 juin 2011.

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