2. En dépit d'erreurs initiales en voie d'être corrigées

Si la fusion s'est révélée avantageuse dans son principe, des erreurs ont cependant été commises au moment de sa mise en oeuvre, ce qui confirme l'impression que sa préparation a été trop rapide.

a) L'illusion du métier unique

La plus grave a certainement trait à la volonté, manifestée au début de la fusion, de créer un métier unique.

Pour Gabrielle Simon, de la CFTC, « l'illusion du métier unique relevait de l'euphorie initiale suscitée par la fusion » : l'ensemble des agents devaient, à l'issue d'une période de formation, être capables d'exercer indifféremment les métiers de l'indemnisation et du placement. Cette polyvalence aurait apporté à Pôle emploi une formidable souplesse dans la gestion de son personnel et aurait permis de mettre en face de chaque demandeur d'emploi un conseiller capable de répondre à toutes ses interrogations.

En conséquence, Pôle emploi a lancé, l'année de sa création, un vaste programme de formation de son personnel : en 2009, 21 000 agents ont reçu une formation afin de pouvoir répondre aux questions de base que se posent les demandeurs d'emploi. Ces sessions de formation ont obligé les agents à s'absenter de leurs postes de travail alors que des milliers de demandeurs d'emploi supplémentaires se présentaient chaque jour dans les agences.

Le président du conseil d'administration de Pôle emploi a admis, à demi-mot, que la direction avait peut-être fait preuve d'un peu de naïveté sur ce point : « Nous avions pensé, peut-être benoîtement, que le mariage des métiers au sein de Pôle emploi serait facile. Or, nous constatons que l'inscription et l'indemnisation d'un côté, et le placement de l'autre, restent deux métiers de nature différente. Certains agents peuvent se montrer polyvalents mais d'autres n'y parviennent pas. Il est donc préférable que les personnes travaillent en binôme, plutôt que de les contraindre à exercer ces deux métiers. »

Les témoignages recueillis par la mission confirment que l'idée du métier unique a suscité un réel trouble au sein du personnel : beaucoup d'agents ont éprouvé la crainte de ne pouvoir exercer correctement un métier pour lequel ils n'avaient pas été embauchés ainsi qu'un sentiment de dévalorisation de leur expertise professionnelle.

Cependant, « une réelle évolution s'est produite, la direction générale admettant que les agents ne peuvent à la fois assurer le placement et l'indemnisation » , comme l'a noté Gabrielle Simon.

Christian Charpy a convenu devant la mission que « pour former des agents parfaitement polyvalents, il faut vingt à vingt-cinq jours de formation ; cinq à sept jours ne suffisent qu'à acquérir des compétences de premier niveau dans tous les domaines. L'idée d'une polyvalence totale a été abandonnée ; l'objectif est que 20 % à 25 % des agents soient entièrement polyvalents à l'horizon 2013. En moyenne, à l'heure actuelle, chaque agent bénéficie de cinq jours de formation par an » .

Le personnel de Pôle emploi est aujourd'hui réparti entre deux filières - gestion des droits et intermédiation - certains agents possédant toutefois la double compétence. La direction souhaite néanmoins que tous les agents possèdent un « socle commun de compétences » permettant de réaliser les activités de base de la relation avec les chômeurs (accueil physique, traitement téléphonique, traitement des inscriptions sur Internet, examen de la recevabilité des dossiers, etc.).

b) La mise en place tardive d'un système informatique commun

Dans le monde contemporain, l'utilisation de l'outil informatique est devenue incontournable et est une source de gains de productivité considérables. Or la mission a constaté, avec étonnement, que Pôle emploi a continué de fonctionner, pendant deux ans, avec les deux systèmes d'information hérités de l'ANPE et des Assedic.

D'après les témoignages qu'elle a recueillis, ces deux systèmes ne pouvaient être que difficilement connectés, ce qui a grandement compliqué le travail des agents. Un salarié issu des Assedic ne pouvait par exemple accéder au système d'information de l'ex-ANPE qu'en tant qu'« invité » et son travail était perdu dès qu'il fermait sa session informatique. Il devait donc sauvegarder ses données sur une clé USB pour pouvoir reprendre plus tard son travail là où il l'avait laissé...

Un système informatique commun, dénommé Neptune, a enfin été déployé dans le courant du premier semestre de 2011. Sa mise en place était initialement programmée pour le mois de juin 2010, mais de sérieux incidents constatés dans les régions où il a été d'abord été testé, en Poitou-Charentes et en Aquitaine notamment, ont conduit la direction générale à la différer.

Aujourd'hui, Neptune semble fonctionner convenablement, même si la mission observe que ce logiciel ne paraît pas briller par sa simplicité d'utilisation. Huit applications différentes coexistent en effet et il n'est pas prévu, pour des raisons de coût, de les simplifier. Lors de son audition, le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, Xavier Bertrand, a par ailleurs fait observer que le système informatique ne permet de mémoriser que deux secteurs d'activité pour la recherche d'emploi. Un demandeur d'emploi qui est intéressé par un troisième secteur professionnel ne recevra donc pas les offres d'emploi correspondantes.

Dans ce contexte, la mise en place du logiciel Aude, développé pour la réalisation de l'EID, a légitimement inquiété le personnel. Les conseillers se plaignent de bugs encore trop fréquents et la vigilance s'impose donc dans ce domaine 19 ( * ) .

Au total, la mission juge impératif que Pôle emploi poursuive la modernisation de ses systèmes d'information.


* 19 Ce n'est pas la première fois que le service public de l'emploi rencontre des difficultés avec son système d'information : en 2008, notre collègue Serge Dassault faisait observer que le projet Géode, censé rapprocher les systèmes d'information des Assedic et de l'ANPE, avait coûté 135,5 millions d'euros, alors que l'estimation initiale en 1996 était de 22,8 millions, sans jamais recevoir le moindre début d'application (rapport d'information Sénat n° 409, session 2007-2008, fait par Serge Dassault au nom de la commission des finances).

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