Table ronde avec les représentants d'organismes de formation
(mardi 31 mai 2011)

La mission commune d'information auditionne, lors d'une table ronde , M. Philippe Caïla, directeur général, Mmes Patricia Bouillaguet, directrice générale adjointe, et Anne-Marie Bjornson-Langen, directrice d'Afpa Transition, de l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), MM. Laurent Boulanger, président de la commission sociale, et Philippe Scelin, président de la commission marchés et partenaires publics, de la Fédération de la formation professionnelle (FFP), Michel Clézio, président de la Fédération nationale des unions régionales des organismes de formation (Urof), et Gérard Navarro, vice-président du syndicat national des organismes de formation de l'économie sociale (Synofdes), affilié aux Urof .

M. Claude Jeannerot, président . - Nous avons le plaisir de recevoir les représentants de plusieurs organismes de formation.

Nous nous intéressons à la question de l'accès des demandeurs d'emploi à la formation professionnelle, qui est souvent décisive pour favoriser leur retour à l'emploi. Comment travaillez-vous avec Pôle emploi sur ce sujet pour orienter les demandeurs d'emploi vers les formations que vous proposez ?

L'Afpa occupe une position particulière par rapport à Pôle emploi. En effet, récemment, un millier de psychologues de vos équipes de travail ont été transférés à Pôle emploi. Par ailleurs, Afpa Transition, filiale de l'Afpa, accompagne les titulaires de contrats de transition professionnelle (CTP). Nous aimerions que vous nous présentiez cette expérience, qui vous place à peu près sur le même terrain que Pôle emploi, celui de l'accompagnement.

M. Philippe Caïla, directeur général de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) . - Je précise qu'Afpa Transition est un département, non une filiale de l'Afpa ; cependant, nous détenons bien une filiale, qui est dédiée aux contrats de transition professionnelle historiques gérés par l'Afpa.

Pôle emploi a été constitué le 1 er janvier 2009. Simultanément, le cadre institutionnel de l'Afpa a connu deux changements importants. Premièrement, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a abouti à la décentralisation de la formation professionnelle des demandeurs d'emploi vers les conseils régionaux et à l'élargissement des compétences des conseils régionaux en matière de formation professionnelle. Auparavant, la formation professionnelle était financée par une subvention de l'Etat votée annuellement par le Parlement dans le cadre de la loi de finances. Deuxièmement, un avis du Conseil de la concurrence, rendu le 18 juin 2008, a modifié le cadre juridique de la formation des demandeurs d'emploi. Les activités de service public de l'Afpa, parmi lesquelles l'orientation des demandeurs d'emploi, ont été distinguées des opérations ouvertes à la concurrence, dont font partie les activités de formation des demandeurs d'emploi. L'Afpa exerce d'autres missions de service public, comme l'élaboration des titres du ministère du travail, qui était une de ses missions historiques.

En dépit des modifications juridiques intervenues, personne ne contestera le rôle de l'Afpa au sein du service public de l'emploi (SPE). Le changement d'organisation et d'environnement de deux grands opérateurs du SPE est intervenu en même temps. De ce fait, l'Afpa devait renouer et reconfigurer ses partenariats avec Pôle emploi.

Aujourd'hui, Pôle emploi, en tant que prescripteur de formations, pour les demandeurs d'emploi, détient un rôle de prescripteur vis-à-vis de l'Afpa. L'Afpa est également un opérateur de formation pour Pôle emploi, avec parfois des rapports de sous traitance dans le cadre de mises en concurrence. Enfin, l'Afpa peut être, au cas par cas, partenaire de Pôle emploi, notamment lorsque nous montons des opérations financées par d'autres, notamment par les conseils régionaux.

Vous avez fait allusion à l'article 53 de la loi de novembre 2009 sur la formation professionnelle, qui a organisé le transfert des psychologues de l'Afpa vers Pôle emploi. Ce transfert nous a conduits à redéfinir nos relations avec Pôle emploi dans le cadre de l'action de prescription de Pôle emploi et de l'activité d'opérateur de l'Afpa. En revanche, les relations partenariales que nos deux organisations pourraient entretenir dans le cadre du service public de l'emploi n'ont pas encore été bien définies à ce stade.

Le 30 mars 2010, l'Afpa et Pôle emploi ont signé une convention, portant sur la mise à disposition des outils que l'Afpa utilisait pour la réalisation de ses prestations d'orientation, dites de S2. La convention vise également à rendre l'offre de formation de l'Afpa plus lisible, pour fluidifier l'entrée en formation. Notre relation s'organise autour d'un Extranet, mais le calage de cet outil informatique nous a posé des problèmes tandis que Pôle emploi a eu du mal à l'intégrer dans son propre système d'information. Enfin, la convention précise les modalités de sécurisation des parcours d'accès à l'emploi et à la qualification pour les bénéficiaires.

Le transfert des psychologues de l'Afpa à Pôle emploi a véritablement déchiré le corps social de l'Afpa, historiquement constituée autour d'un pôle « formateurs » et d'un pôle « psychotechnique du travail ». Jusque récemment, l'Afpa était le premier employeur privé de psychologues du travail en France. Elle a transféré 600 psychologues, 197 assistants techniques de l'orientation, 27 ingénieurs de formation, 55 adjoints technico administratifs et 34 managers. Selon nous, ce transfert constitue un apport de savoir faire à Pôle emploi pour réaliser ses missions d'orientation.

Le départ des agents de l'Afpa vers Pôle emploi a été organisé sur la base du volontariat. Conformément à nos prévisions, les trois quarts des salariés concernés ont choisi de partir, un quart demeurant à l'Afpa. L'organisation de l'Afpa en a été modifiée : nous avons créé une nouvelle direction « relation clients stagiaires », et mis en place le département interne Afpa Transition pour gérer l'activité d'accompagnement des personnes en transition professionnelle et des entreprises. Afpa Transition supervise les contrats de transition professionnelle et travaille avec Pôle emploi pour accompagner les personnes licenciées pour des raisons économiques.

Alors que la loi avait fixé la date du transfert au 1er avril 2010, Pôle emploi a été absorbé par ses problèmes d'organisation jusqu'en septembre 2009. C'est à partir du moment où la loi a été adoptée que les partenaires sociaux de l'Afpa ont commencé à négocier pour organiser les conditions du transfert, qui a été préparé entre novembre 2009 et mars 2010. Nous avons respecté les délais qui nous étaient impartis, ainsi que notre engagement auprès des salariés de leur laisser la possibilité de choisir ou non d'être transférés à Pôle emploi.

En 2009, dernière année pleine de réalisation de notre prestation d'orientation dite S2, 235 067 services d'appui à la construction d'un parcours de formation ont été réalisés par nos psychologues. Cette prestation consistait à recevoir les demandeurs d'emploi pour les orienter vers une action de formation, de préqualification ou vers d'autres prestations. L'année du transfert sur les neuf mois écoulés à partir du 1 er avril 2010, Pôle emploi, qui a repris cette prestation sous le nom de prestation d'orientation professionnelle spécialisée (Pops), a réalisé 89 000 Pops. La continuité du service a donc été globalement assurée, mais à un moindre niveau.

Nous nous félicitons de l'esprit de coopération qui a animé les équipes qui ont mené le projet de transfert, à la direction générale comme dans les directions régionales de Pôle emploi. Nous avons réuni plusieurs fois le comité de pilotage pour assurer le suivi du transfert après le 1 er avril. La dernière réunion a eu lieu le 14 décembre 2010. Ces réunions nous ont permis de régler toutes les questions administratives.

Apprécier l'impact du transfert sur les relations entre l'Afpa et Pôle emploi me semble prématuré. L'Afpa est, par sa taille, le premier opérateur de formation de France et nous pouvons donc recevoir des flux importants de demandeurs d'emploi et de salariés. De ce fait, nous avons besoin d'une organisation industrielle pour amener dans nos formations un nombre significatif de demandeurs d'emploi. En 2010, année du transfert, nous avons reçu le même nombre de demandeurs d'emploi qu'en 2009, à 1 % près. Cependant, en 2011, nous devrons assurer nous-mêmes le recrutement des demandeurs d'emploi à qui Pôle emploi a prescrit des formations.

Mme Patricia Bouillaguet, directrice générale adjointe de l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) . - Dans le cadre des marchés subséquents passés par Pôle emploi, nous avons intégré près de 3 300 demandeurs d'emploi dans nos formations en 2010, soit un nombre plus élevé qu'en 2009, ce qui a généré 50 millions d'euros de chiffre d'affaires.

75 % des formations commandées par Pôle emploi sont qualifiantes. 28 % concernent les activités du bâtiment et des travaux publics (BTP), 10 % l'industrie, 12 % le tertiaire administratif et 31 % le tertiaire de services (hôtellerie et restauration, transports, services aux personnes et aux entreprises). 19 % des commandes de Pôle emploi portent sur des formations de remise à niveau sur les compétences de base ou sur des formations courtes d'adaptation des compétences.

Nous avons constaté une rigidité des commandes et une lourdeur des procédures administratives. A titre d'exemple, un appel d'offres a été lancé en juillet 2009 mais les premiers bons de commande nous sont parvenus seulement en décembre 2009. Or, la crise économique était manifeste dès la fin de l'année 2008 et la mobilisation de l'ensemble des acteurs était requise pour trouver des solutions rapides à la montée du chômage, notamment dans les régions touchées par des sinistres économiques.

Les modalités actuelles d'achat de formations, telles qu'elles sont mises en oeuvre, ne nous permettent pas de réagir rapidement à des évolutions conjoncturelles de l'emploi ni d'adapter le système de formation aux besoins qui en découlent en termes de reconversions et de formations pour les demandeurs d'emploi. Les formations se programment en amont, en tenant compte des formateurs et des activités proposées. Peut-être le dialogue avec les opérateurs de formation sur les modalités pratiques de mise en oeuvre des formations commandées est-il insuffisant ? Nous ne pouvons répondre dans un délai de trois jours à une commande de formation. Certaines commandes ont donc été traitées avec difficulté. Une réponse rapide à une commande n'est pas toujours compatible avec une programmation normale de nos activités. Nos formateurs ne peuvent intégrer à la dernière minute des demandeurs d'emploi supplémentaires. C'est pourquoi nous dialoguons en permanence avec Pôle emploi pour trouver des modes de passation de commandes de formation qui répondent aux besoins du marché de l'emploi tout en permettant aux opérateurs de maintenir un niveau de qualité conforme aux exigences des publics que nous recevons.

M. Philippe Caïla . - Je précise que nous ne remettons pas en cause le principe de l'appel d'offres lui-même, ni la mise en concurrence. Cependant, les modalités d'achat des prestations de formation par voie d'appel d'offres n'ont pas encore atteint en France un degré de maturité suffisant. En effet, soit le délai de passation des commandes est trop long, soit on nous demande de faire preuve de réactivité dans des délais beaucoup trop courts pour pouvoir redéployer notre offre de formation. Pour certains métiers, dans le BTP ou l'industrie par exemple, l'organisation d'une formation peut nécessiter le montage d'un atelier d'installation thermique et sanitaire à l'autre bout d'une région, ce qui est bien sûr plus compliqué que d'organiser une présentation sur paper board dans une salle.

Pour que nos procédures arrivent à maturité, il convient de faire travailler ensemble les différentes strates qui concourent à l'appel d'offres : les juristes, qui se préoccupent de rédiger un cahier des charges conforme au code des marchés publics, les techniciens, à la recherche des meilleures prestations possibles, les acheteurs, qui s'intéressent avant tout aux coûts.

M. Laurent Boulanger, président de la commission sociale de la Fédération de la formation professionnelle (FFP) . - Le code des marchés publics, qui est le cadre juridique dont dispose la puissance publique pour gérer sa politique d'achat, est structurant aux yeux de la FFP. Il permet de donner corps aux grands principes de la liberté d'accès au marché et de l'égalité de traitement. Cependant, il faut distinguer l'esprit des textes de leur application. C'est là que le bât blesse parfois car la lecture que chaque institution a des textes peut être laxiste ou au contraire limitative et formaliste, comme c'est plutôt le cas pour Pôle emploi.

En effet, cet établissement obéit à une logique très normative, notamment en ce qui concerne l'achat de prestations d'accompagnement, un peu moins pour l'achat de prestations de formation. Les cahiers des charges sont exagérément centrés sur les moyens et les procédures. Ils laissent peu de place à la différenciation, à la singularité et à la plus-value des offres des différents prestataires. Nous devons décrire nos locaux par le menu, les fiches CV de nos formateurs sont entièrement modélisées et la prestation attendue est définie au quart d'heure près. Parallèlement, la pondération entre la note technique et la note attribuée en fonction du prix a conduit à favoriser le moins-disant, en contradiction avec l'esprit du mieux-disant qui anime le code des marchés publics.

Par ailleurs, le marché des prestations de formation est l'un des seuls, dans l'univers de la commande publique, à être aussi fragile financièrement. Nous espérons que cette situation évoluera lors du prochain appel d'offres. Les prestataires dépendent des flux prescrits par Pôle emploi, or les flux minimum et maximum prévus par les contrats varient dans un écart de un à trois. Pôle emploi nous a posé de réels problèmes de flux, au mépris du contrat moral que nous avions passé avec l'institution. En outre, une part de notre rémunération, de l'ordre de 30 % à 40 %, varie en fonction du placement des stagiaires. La récession économique a remis en cause notre modèle économique initial et créé une insécurité financière pour un nombre important de nos structures.

Au moment de mener les actions de formation, l'application des procédures administratives a occasionné de nombreuses difficultés. J'ai en effet l'impression de consacrer davantage de temps à rapporter nos actions qu'à les réaliser effectivement. Par exemple, une prestation de trois mois donne lieu à trois comptes rendus écrits. En outre, la gestion calendaire des signatures est kafkaïenne. Nous devons saisir les données sur deux systèmes d'information distincts. J'ai constaté qu'une prestation de trois mois peut nécessiter quatorze ou quinze procédures administratives différentes. Enfin, les preuves d'emploi sont gérées de façon très pointilleuse, ce qui complique le versement de notre part de rémunération variable. Pour caricaturer, nous avons l'impression que Pôle emploi n'a pas délégué ses services mais les a simplement externalisés.

En décembre 2010, la FFP et Pôle emploi ont signé une charte de coopération, qui repose sur le principe suivant : associer le stagiaire à la « production » de la formation. Cette charte vise à appliquer ce principe au stade de l'élaboration de la demande de formation, aussi bien qu'à celui de sa mise en oeuvre. Nous devons adopter une logique de co-construction avec Pôle emploi et dialoguer en permanence avec lui afin d'améliorer le service rendu. Cependant, dresser un bilan serait prématuré. Notre objectif est l'appropriation et la déclinaison locale de cette charte par les instances régionales de Pôle emploi et de la FFP. Les directions régionales de Pôle emploi semblent plutôt séduites par cette démarche.

En ce qui concerne la coordination entre Pôle emploi, les conseils régionaux et les branches professionnelles, il est difficile d'apporter une appréciation globale en raison des disparités qui existent entre les régions. Aussi, nous devrions peut-être plutôt nous demander si l'organisation actuelle favorise une coordination régionale efficace. Nous en doutons car chaque institution a sa propre légitimité qui découle de la nature de ses financements. Pôle emploi gère des financements nationaux, qui sont déconcentrés au niveau régional, tandis que les lois relatives à la décentralisation ont consacré l'autonomie des régions en matière de gestion des fonds de la formation. Les branches, quant à elles, sont financées par des fonds privés et obéissent à une logique sectorielle et non territoriale. Si l'espace régional représente, selon nous, le niveau d'intervention le plus adéquat, le fait régional n'existe pas encore. De plus, comme les acteurs sont concentrés sur l'élaboration des contrats de plan régionaux de développement de la formation professionnelle (CPRDFP), qui doivent être achevés d'ici le 30 juin, nous manquons de temps pour discuter de notre nécessaire coordination.

M. Michel Clézio, président de la Fédération nationale des unions régionales des organismes de formation (Urof) . - Le rapport de la Cour des comptes de 2008, le rapport de M. Jean-Marie Marx sur la formation professionnelle et celui de Mme Rose Marie Van Lerberghe sur la territorialisation de Pôle emploi, tous deux parus en 2010, dressent les mêmes constats et tirent les mêmes conclusions. La mise en oeuvre des axes de progrès est difficile pour plusieurs raisons :

- les demandeurs d'emploi sont mobiles, contrairement aux idées reçues. Ainsi, 40 % retrouvent un emploi dans un métier qui n'était pas le leur initialement, ce qui témoigne de leur bonne volonté lorsqu'il s'agit de changer de qualification professionnelle et d'être formés ;

- cependant, les demandeurs d'emploi bénéficient moins que les salariés de la formation professionnelle, en dépit de l'ouverture du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) aux demandeurs d'emploi et des efforts des partenaires sociaux en ce sens ;

- presque la moitié des demandeurs d'emploi auxquels les conseillers de Pôle emploi ont prescrit une formation n'y entrent pas effectivement.

Les rigidités liées à l'application du code des marchés publics ont conduit Pôle emploi à signer un accord-cadre qui permet des achats plus souples à travers la labellisation pluriannuelle des opérateurs de formation. Cependant, nous constatons que la politique d'achat reste problématique, malgré cet accord, en raison de problèmes techniques qui pourraient facilement être corrigés. Obliger chaque opérateur à être présent sur toute une famille de métiers et dans l'ensemble d'une région empêche de s'appuyer sur les compétences historiques reconnues des opérateurs sur un territoire. De même, les marchés subséquents relèvent parfois d'une logique obscure, tant en ce qui concerne la commande de certains métiers que la localisation des actions de formations. On m'a rapporté des situations incongrues, par exemple l'ouverture d'une formation de pizzaïolo dans un bourg, qui ne me semblent pas relever d'une analyse économique des besoins du territoire. Ce problème pose également la question de la complémentarité des acteurs, y compris en amont de la formation, en termes d'orientation, d'analyse économique et de mise en oeuvre des actions sur le territoire.

Je confirme que la procédure d'achat actuelle a un caractère technocratique. Cependant, elle présente l'avantage d'empêcher des opportunistes de remporter des marchés, sur un fondement déclaratif, en étant ensuite incapables d'assurer les prestations promises. Je suis favorable à une mise en concurrence exigeante des opérateurs.

De même, je suis plus favorable à une individualisation des parcours des demandeurs d'emploi qu'à l'émission de commandes ponctuelles de formation, de date à date, sur un parcours préétabli. Chaque demandeur d'emploi possède déjà des compétences et bénéficie d'expériences antérieures. Il doit s'approprier d'autres connaissances. C'est pourquoi nos prestations doivent être plus individualisées et organisées sous forme de modules. Nous devons réaliser un effort et les différents financeurs doivent agir en cohérence et en complémentarité. Or, aujourd'hui, cette définition d'une politique commune n'est sans doute pas suffisamment aboutie.

Enfin, le problème des compétences-clés doit être mieux pris en compte. Pôle emploi doit repérer plus finement les difficultés de certains demandeurs d'emploi dans l'appréhension des savoirs de base.

M. Gérard Navarro, vice-président du syndicat national des organismes de formation de l'économie sociale (Synofdes), affilié aux Urof . - Pôle emploi, en dépit de ses efforts, n'organise pas une concertation suffisante avec les opérateurs de formation. Les appels d'offres ne donnent pas lieu à une véritable évaluation. Les engagements de qualité ne sont pas souvent respectés et nous gérons très difficilement les flux, qui dépendent du calendrier scolaire et d'autres événements externes, ce qui est inacceptable. Les exigences administratives sont très importantes et les conditions financières qui nous sont imposées drastiques. Un demandeur d'emploi qui manque un jour de formation sur six mois n'est pas payé les six mois, ce qui me semble inique. Les délais de mise en oeuvre sont très courts et les opérateurs ne maîtrisent pas le volume des formations, ce qui leur complique la tâche.

Par ailleurs, le dialogue entre Pôle emploi et le demandeur d'emploi est limité, pour ne pas dire inexistant. Les demandeurs d'emploi n'ont pas de référent attitré et ignorent souvent où ils iront lorsqu'une formation leur est prescrite. Il nous est impossible de satisfaire aux exigences de placement demandées par Pôle emploi, qui sont intenables lorsque les demandeurs d'emploi sont très éloignés de l'emploi.

En outre, j'ai l'impression que Pôle emploi n'a pas pris la mesure de la réforme considérable de la formation professionnelle qui est aujourd'hui en cours. La coordination avec les conseils régionaux est satisfaisante en Franche-Comté, en Midi-Pyrénées ou dans le Limousin, mais est absente dans d'autres régions. Ainsi, en Ile-de-France, le conseil régional et Pôle emploi ont ouvert chacun, il y a une quinzaine de jours, un CAP petite enfance, ce qui n'était pas nécessaire au regard des besoins. Les offres de formation des différents acteurs ne sont pas assez complémentaires. Selon moi, nous devrions engager une réflexion globale entre les différents acteurs pour savoir plus précisément ce que nous pourrions offrir à nos concitoyens les plus démunis.

M. Claude Jeannerot, président . - Vos propos semblent attester d'un manque de concertation et d'échanges, et d'une organisation pointilleuse et bureaucratique de la commande de formations par Pôle emploi.

Le directeur général de l'Afpa a soulevé la question du recrutement des stagiaires de la formation professionnelle. Pôle emploi achète des formations en passant commande à un certain nombre d'organismes comme l'Afpa. Cela dit, la région représente un autre donneur d'ordres important. Comment Pôle emploi joue-t-il son rôle de prescripteur de formation, non seulement pour les formations dont il est lui-même commanditaire, mais également pour celles qui ont été achetées par la région ? Le joue-t-il correctement ? Si nous voulons considérer la formation comme une solution potentielle pour les demandeurs d'emploi, mobilisable par Pôle emploi et par les opérateurs de formation, comment les connexions fonctionnent-elles ?

M. Jean-Paul Alduy . - Après avoir écouté vos interventions, nous n'avons pas le moral ! La formation professionnelle est une clé du retour à l'emploi, or le mécanisme semble bureaucratisé et les flux non maîtrisés. Nous pouvons avoir le sentiment que les sommes dédiées à la formation professionnelle sont mal utilisées. Vous qui êtes directement concernés et désireux de voir le système fonctionner, quelles voies de progrès identifiez-vous ?

Dans le Nord-Pas-de-Calais, nous avons observé une plate-forme de formation qui réunit Pôle emploi et la région. Nous avons eu l'impression que son fonctionnement était satisfaisant, que le dialogue était réel, que les accords-cadres destinés à définir la politique de formation à moyen terme permettaient un travail efficace. Cette plate-forme est-elle la seule voie de progrès ? D'autres ont-elles été expérimentées ?

Mme Annie David . - De même que mon collègue, je comprends difficilement comment les demandeurs d'emploi peuvent espérer retrouver du travail par le biais de la formation dans ce contexte. Quelle était la situation antérieure à la création de Pôle emploi ? Ces difficultés sont-elles nouvelles ou anciennes ? Le caractère très technocratique et administratif des appels d'offres était-il déjà manifeste auparavant ? Selon vos propos, l'Afpa proposait 235 000 parcours d'orientation S2. Or Pôle emploi n'a réalisé que 89 000 Pops. Comment gérez-vous les conséquences de ce recul ?

Mme Christiane Demontès . - Je m'interroge sur l'évolution des relations entre l'offre de formation, les donneurs d'ordres et les stagiaires demandeurs d'emploi et salariés. Je vous rappelle que nous sommes partis d'une situation très insatisfaisante. Ancienne vice présidente de la région Rhône-Alpes en charge de la formation, j'ai le sentiment que le marché de la formation a été fortement assaini. Autrefois, beaucoup de personnes peu sérieuses répondaient aux appels d'offres. Les critères plus rigoureux établis ensuite ont permis d'écarter les opérateurs les moins professionnels du marché de la formation. Quel est votre avis à ce sujet ?

Vous êtes évalués en fonction de vos résultats en matière de placement dans l'emploi. Est-ce choquant d'évaluer un opérateur proposant des formations aux demandeurs d'emploi à travers ce critère ?

M. Philippe Caïla . - Pôle emploi travaille bien avec l'ensemble des financeurs, sans privilégier les formations qu'il a lui-même achetées, si l'on excepte un ou deux problèmes sporadiques en région. Nous ne devons pas dresser de mauvais procès à Pôle emploi sur ce thème. Cependant, la qualité de la prescription s'est dégradée : nous devons nous assurer que les personnes qui nous sont envoyées sont en mesure de suivre la formation prescrite, pour éviter les spirales d'échec.

Monsieur le rapporteur, nous sommes optimistes. Seulement, les opérateurs que nous sommes jugent que les fonds publics seraient mieux employés s'ils n'étaient pas perdus dans une gestion administrative de la commande publique.

Je précise continuellement à nos formateurs que leur mission n'est pas de former à un métier mais de conduire les personnes à l'emploi par un métier. Telle est la finalité de notre action. Je ne m'oppose pas au paiement au résultat, tant que nous disposons d'une liberté sur nos moyens et nos modalités d'actions. Pour nous, la formation ne se limite pas à l'obtention d'un titre professionnel mais doit aboutir à l'insertion dans l'emploi. Nous demandons des procédures administratives allégées. Pôle emploi est un établissement public administratif, qui est régi par le code des marchés publics. Auparavant, les Assedic achetaient les formations de façon plus souple. Ses achats portaient sur des montants plus réduits et s'adressaient à un public plus restreint, circonscrit aux seuls demandeurs d'emploi indemnisés.

Je regrette l'absence d'une gouvernance régionale et d'une conférence des financeurs. La formation professionnelle est organisée selon un système de tiers payant : 5 % des ménages seulement en France paient leur formation, contre 30 % en Allemagne. Nous devrions envisager la création d'une conférence des financeurs au niveau régional. Cette structure permettrait d'additionner les financements, afin que les demandeurs d'emploi soient placés au centre d'une politique de développement territorial. Un système de gouvernance régionale est nécessaire compte tenu de la multiplicité des acteurs finançant la formation : conseils régionaux, Etat, organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) et demandeurs d'emploi.

Les 89 000 Pops ont été réalisées durant les neuf derniers mois de l'année 2010. La fusion de deux organismes aux cultures si différentes que l'ANPE et les Assedic a conduit à ce que les problèmes d'organisation prennent le pas sur la mission, dans un contexte où l'organisme faisait face à une conjoncture très difficile. La conduite de la fusion était prioritaire. Elle a gêné la continuité de nos actions et de celles du service public de l'emploi. Cependant, nous sommes rassurés car nous avons reçu autant de demandeurs d'emploi en 2010 qu'en 2009, en organisant le recrutement avec le conseil régional.

M. Claude Jeannerot, président . - Cela veut-il dire que la fonction de recrutement dans les formations que vous proposez aujourd'hui est gérée de façon satisfaisante ?

M. Philippe Caïla . - Tout ceci est encore très récent puisque le système a été mis en place il y a moins d'un an. Notre fonction de sourcing en recrutement doit bénéficier d'une montée en compétences. D'ici deux ans, je saurai si le processus est devenu plus fluide.

La prescription de formation doit être souple, pour permettre aux organismes de formation de positionner les demandeurs d'emploi et de les accompagner dans leur parcours de formation. Or la prescription est parfois trop bureaucratisée.

M. Claude Jeannerot, président . - Nous pressentons qu'il y a une marge de progrès dans la prescription de formations par Pôle emploi et c'est pourquoi nous insistons sur ce point.

M. Laurent Boulanger . - Nous n'avons pas encore trouvé le moyen d'avoir un système d'information transparent et reconnu comme efficace par tous les acteurs. Les différentes institutions concernées n'ont jamais réussi à trouver un terrain d'entente sur ce sujet. Certaines voudraient construire un système regroupant uniquement les formations financées sur fonds publics, à l'exclusion des fonds privés ; or, comme cela a été rappelé, 5 % des actifs financent eux-mêmes leur formation. La construction d'un système d'information transversal, qui reprendrait l'ensemble de l'offre de formations, me semble pertinente.

Pour paraphraser une formule célèbre, je dirai que le code des marchés publics est le pire des systèmes à l'exception de tous les autres. Nous avons maintenant un peu de recul pour l'analyser au vu de ce qui a été fait par les conseils régionaux, qui l'utilisent depuis plus longtemps que Pôle emploi. Il est toujours difficile, au début, pour une institution, de se servir du code des marchés publics. On observe qu'il est souvent appliqué, dans un premier temps, de manière excessivement rigide, mais cela s'arrange généralement par la suite. Les régions appliquent ainsi le code des marchés publics avec discernement. Enfin, je vous l'accorde, cette procédure nous a permis d'assainir le secteur.

Je suis tout à fait favorable à l'intéressement des opérateurs au résultat. Cependant, je doute de la viabilité du modèle économique propre aux prestations d'accompagnement. En effet, la part variable liée au résultat, qui est par nature incertaine, me semble excessive par rapport à la part fixe.

Aujourd'hui, la taille de Pôle emploi et la masse des financements dont il dispose, expliquent que les répercussions soient plus importantes en cas de dysfonctionnement.

Monsieur le rapporteur, nous sommes optimistes. Pour moi, deux voies incontournables de progrès s'imposeront dans les années à venir : remettre de la souplesse dans le système français de formation professionnelle et réaffirmer la place de l'individu au coeur du dispositif, par le développement de comptes épargne-formation et du droit individuel à la formation (Dif). Nous gagnerions à voir l'individu s'approprier sa formation et avoir voix au chapitre sur le financement de celle-ci, avec un accompagnement et une régulation, plutôt que d'aborder la formation par les statuts et les dispositifs.

M. Michel Clézio . - Pôle emploi prescrit insuffisamment sur les formations financées par les régions. Il prescrit même parfois difficilement sur ses propres marchés subséquents. Des axes de progrès existent à cet égard : la loi de 2009 contient des dispositions sur le développement du service public de l'orientation (SPO) et sur la mise en oeuvre d'un portail exhaustif qui permette d'avoir accès, en temps réel, aux offres de formation et aux places disponibles.

Je me prononce, moi aussi, en faveur de la mise en place d'une conférence des financeurs. Au regard de l'objectif de l'individualisation de l'offre de formations, nous avons besoin de mener des actions plus complémentaires avec les financeurs. Les acteurs de l'orientation doivent également dialoguer davantage. Une concertation avec les organismes de formation, qui sont souvent ceux qui connaissent le mieux les freins à l'emploi que rencontrent les demandeurs d'emploi, est également indispensable.

Nous pensons que le système fonctionnait mieux auparavant parce qu'il était plus empirique et n'avait pas la même dimension. Aujourd'hui, certains acteurs ont pris de l'importance. Toutefois je suis mal placé, en tant qu'opérateur, pour affirmer de manière définitive que le système antérieur était meilleur.

Je ne partage pas le point de vue exprimé par Mme Christiane Demontès. En effet, pour moi, les acteurs opportunistes n'ont jamais été aussi nombreux qu'aujourd'hui sur le marché de la formation. En trente ans, j'ai constaté que des acteurs s'étaient professionnalisés grâce aux régions. Or, aujourd'hui, je constate l'existence d'opportunistes qui s'implantent dans des régions pendant deux ans, avant d'être invalidés par Pôle emploi, une fois que leur manque de moyens est constaté.

Aucun d'entre nous n'est choqué d'être rémunéré en fonction du placement. Cependant, une prime au placement n'est pas équitable lorsqu'elle représente l'unique condition d'équilibre financier de l'opération. Elle devrait être un bonus pour permettre à l'opérateur de se développer. Telle est l'ambiguïté d'un marché dont les vertus sont louées mais dont seuls certains aspects sont retenus.

Enfin, je ne fais pas l'apologie de la procédure des marchés publics en matière de formation et de placement des demandeurs d'emplois, ce en quoi je me distingue peut-être de mes collègues. Je suis favorable à la constitution d'un service public de la formation et du placement des demandeurs d'emploi qui respecterait l'égalité de traitement et les règles de la concurrence. Le droit communautaire permettrait la construction d'un tel organisme, qui nous permettrait de nous inscrire dans une politique structurelle de long terme et de nous appuyer sur ce que chacun d'entre nous propose de meilleur.

La loi de 2009 a apporté de nombreuses améliorations. Cependant, la situation s'améliorera encore si les rouages administratifs sont agrémentés d'un soupçon d'intelligence.

Mme Anne-Marie Bjornson-Langen, directrice d'Afpa Transition . - Nous sommes à mi-chemin dans nos relations avec Pôle emploi, qui nous considère souvent comme de simples sous-traitants. Or, ce mode de relation n'est pas le bon en matière d'accompagnement et d'orientation, qui réclament plutôt un partenariat. Je suppose que la situation sera différente le jour où les organismes de formation et d'accompagnement, Pôle emploi et l'ensemble des acteurs du retour à l'emploi travailleront ensemble autour d'un même objectif, à savoir le retour à l'emploi des demandeurs d'emploi.

Je ne connais pas la plate-forme que vous avez mentionnée, mais je sais que les opérations se déroulent correctement lorsque plusieurs financeurs et interlocuteurs débattent pour régler les problèmes des demandeurs d'emploi en situation difficile, en poursuivant un objectif commun. Or cette relation de confiance fait aujourd'hui défaut car le code des marchés publics a instauré une relation qui n'est pas la plus efficace pour le client ou le bénéficiaire final.

M. Claude Jeannerot, président . - Votre propos touche au sens même de l'action que vous menez. Je vous remercie de compléter vos interventions de contributions écrites, si vous le souhaitez.

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