N° 760

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur l' archéologie préventive et la valorisation scientifique ,

Par MM. Pierre BORDIER et Yves DAUGE,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, MM. Jean-Pierre Plancade, Jean-Claude Carle , vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Catherine Dumas , secrétaires ; M. Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mme Marie-Agnès Labarre, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, MM. Jean-Pierre Leleux, Claude Léonard, Mme Claudine Lepage, M. Alain Le Vern, Mme Christiane Longère, M. Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Philippe Nachbar, Mmes Mireille Oudit, Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Roland Povinelli, Jack Ralite, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Votre commission de la culture s'est depuis toujours particulièrement intéressée à l'archéologie préventive et a suivi de près l'évolution de ce système unique au monde depuis la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001 qui en a posé les fondements théoriques et juridiques, créant l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ainsi que le service public national s'appuyant sur les services régionaux d'archéologie.

Avant l'adoption de cette loi fondatrice pour l'archéologie préventive, la politique était celle des « fouilles de sauvetage » qui avaient pour base juridique la loi du 27 septembre 1941 et consistaient à s'opposer à la destruction des sites archéologiques par les travaux concourant à l'aménagement du territoire, en négociant avec les aménageurs. Cette approche, tout en jetant les bases de l'actuelle archéologie préventive, ne reposait pas sur un cadre juridique solide conforme aux engagements pris par la France en signant en 1992 la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique.

La loi du 17 janvier 2001 indiquait alors très clairement l'objectif de la politique publique d'archéologie préventive : la recherche scientifique, basée sur un équilibre entre la préservation du patrimoine archéologique et le développement économique. Son article premier disposait que « l'archéologie préventive , qui relève de missions de service public, est partie intégrante de l'archéologie. Elle est régie par les principes applicables à toute recherche scientifique . Elle a pour objet d'assurer, à terre et sous les eaux, dans les délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l'étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d'être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l'aménagement. Elle a également pour objet l'interprétation et la diffusion des résultats obtenus ».

Malgré la clarification juridique opérée par ce texte et par la loi n° 2003-707 du 1 er août 2003 qui a reconnu le rôle de nouveaux acteurs (collectivités territoriales, opérateurs privés) et a institué la redevance d'archéologie préventive, des problèmes demeurent. Outre le sujet récurrent de son financement, qui sera évoqué dans le présent rapport, l'archéologie préventive est pointée du doigt par les acteurs de l'aménagement du territoire qui en soulignent les lourdeurs et dysfonctionnements.

Les regards critiques sont nombreux, les témoignages d'élus ou d'aménageurs regrettant vivement la durée des opérations et leur impact en termes de développement économique. Les nombreuses questions parlementaires 1 ( * ) adressées au ministre de la culture en témoignent, laissant planer un doute sur l'utilité finale de l'archéologie préventive à travers laquelle l'État doit veiller à la détection, la conservation ou la sauvegarde par l'étude scientifique du patrimoine archéologique.

Un récent sondage IPSOS 2 ( * ) montre pourtant que 85 % des personnes interrogées perçoivent l'utilité des recherches archéologiques.

Alors la question reste toute entière : à quoi sert l'archéologie préventive ? Tout comme l'archéologie dite « programmée », elle sert un but scientifique et nous aide à mieux connaître notre passé, notre histoire.

Pourtant, lors d'une audition 3 ( * ) dédiée à l'archéologie, la commission de la culture du Sénat a entendu deux témoignages qui pouvaient laisser planer un doute sur cette utilité reconnue. Le premier, de l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (UNICEM), abondait dans le sens de la critique évoquée plus haut tandis que le second, celui du professeur Chapelot, soulignait l'affaiblissement de l'effort scientifique à partir d'une diminution des publications relatives à l'archéologie médiévale.

Le président Jacques Legendre posait alors cette question : « L'effort de la Nation se traduit-il bien par une amélioration des connaissances scientifiques ? » C'est pour y répondre que vos rapporteurs ont été désignés par la commission de la culture et ont procédé aux auditions et déplacements nécessaires pour saisir tous les enjeux de l'archéologie préventive.

Pour comprendre le processus d'élaboration de la recherche et de la valorisation, ils ont jugé nécessaire de reprendre les fondamentaux de l'archéologie préventive. La présentation des acteurs, des différentes étapes et des problématiques pour l'ensemble de la chaîne sont nécessaires pour dresser un constat pertinent et formuler des préconisations adaptées.

Ainsi, après avoir mis en évidence la complexité de la chaîne au service de l'archéologie préventive, vos rapporteurs ont souhaité présenter 14 propositions visant à réaffirmer la place de la recherche dont il s'agit désormais de renforcer le pilotage.

I. L'ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE : UNE CHAÎNE COMPLEXE AU SERVICE DE LA SCIENCE

A. LES ÉTAPES DE L'ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE

1. Un rappel des procédures et définitions

L'archéologie étudie les éléments du patrimoine enfoui pour en tirer des informations historiques sur les occupations humaines qui se sont succédé et sur leur contexte.

L'archéologie en France s'exerce de deux façons : dans le cadre de l'archéologie préventive, objet du présent rapport, et dans celui de l'archéologie dite « programmée ». L'archéologie préventive vise à assurer la sauvegarde du patrimoine archéologique lorsqu'il est menacé par des travaux d'aménagement tandis que l'archéologie « programmée » est motivée par des objectifs de recherche scientifique en dehors de toute menace pesant sur un gisement archéologique. Seules les modalités opérationnelles distinguent ces deux formes dont l'objectif commun est de faire progresser la science et la connaissance du passé.

Quel que soit le régime juridique, c'est donc une démarche scientifique qui sous-tend la procédure décisionnelle de l'archéologie. Elle constitue le fil conducteur permettant aux différentes instances de définir leurs avis ou d'arrêter leurs décisions, en l'occurrence à chaque étape de l'archéologie préventive. Lorsque la détection d'un patrimoine archéologique justifie d'aller jusqu'au bout de la procédure (soit dans moins de 2 % des cas), celle-ci se compose de deux grandes phases : le diagnostic et la fouille. Il est utile d'en rappeler les étapes intermédiaires, les acteurs, problématiques et liens avec la recherche scientifique présentés dans le schéma ci-après.

DESCRIPTION DES ÉTAPES CLÉS DE L'ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE

Le diagnostic archéologique a pour objet de détecter la présence éventuelle de vestiges archéologiques et d'en caractériser la nature, d'en déterminer la datation et l'état de conservation. Il « vise, par des études, prospections ou travaux de terrain, à mettre en évidence et à caractériser les éléments du patrimoine archéologique éventuellement présents sur le site et à présenter les résultats dans un rapport » (article R. 523-15 du code du patrimoine).

Il est réalisé par l'Institut national de la recherche archéologique préventive (Inrap) ou par un service archéologique de collectivité territoriale agréé par l'État qui conclut ensuite avec l'aménageur une convention relative aux délais et modalités pratiques de réalisation de la prescription (article L. 523-7 du code du patrimoine). L'exécution des diagnostics relève ainsi d'un monopole public et les modalités de désignation de l'opérateur sont organisées par le décret n° 2004-490 du 3 juin 2004 (nouveaux article R. 523-1 et suivants du code du patrimoine) qui accorde une priorité d'attribution aux services territoriaux agréés sur le territoire desquels l'opération d'aménagement doit avoir lieu. Si plusieurs services agréés coexistent, l'article R. 523-29 donne la priorité du choix de diagnostic à la commune (ou au groupement de communes dans l'hypothèse d'un transfert de compétence et donc d'un service agréé propre), puis au département et enfin à la région. Si aucune collectivité ne décide d'exercer cette compétence, le diagnostic est attribué à l'Inrap. L'établissement public intervient donc en dernier ressort, après exercice de l'option par les services agréés compétents.

La décision d'une collectivité ou d'un groupement de collectivités, dont le service archéologique a été agréé, peut intervenir soit ponctuellement (compétence ponctuelle), soit de façon permanente et exclusive pour toutes les opérations d'aménagement ou de travaux réalisés sur son territoire pendant une durée minimale de trois ans (compétence générale). Ces deux modalités définies par l'article L. 523-4 du code du patrimoine n'ont évidemment pas les mêmes conséquences pour l'organisation du travail de l'Inrap qui, en l'absence de compétence générale, ne peut planifier en amont ses interventions et par conséquent ses besoins. Mais elle permet aux collectivités qui le souhaitent de s'organiser progressivement, comme cela est détaillé ultérieurement.

L'achèvement de toute opération de diagnostic donne lieu à la remise d'un rapport détaillé au service régional de l'archéologie concerné. Il est la référence à partir de laquelle le préfet de région (service régional de l'archéologie) établit (ou non) les prescriptions d'une opération de fouille ou d'une éventuelle décision de conservation.

La fouille d'archéologie préventive constitue l'étape suivante et incombe à la personne projetant d'exécuter les travaux ayant donné lieu à la prescription. Elle « vise, par des études, des travaux de terrain et de laboratoire, à recueillir les données archéologiques présentes sur le site, à en faire l'analyse, à en assurer la compréhension et à présenter l'ensemble des résultats dans un rapport final » (article R. 523-15 du code du patrimoine).

Les opérations de fouilles sont réalisées sous la responsabilité des aménageurs, qui en choisissent 4 ( * ) l'opérateur. En effet, depuis l'ouverture à la concurrence de ce secteur décidée par le législateur (loi n° 2003-707 du 1 er août 2003 modifiant la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive), trois catégories d'acteurs peuvent réaliser les opérations de fouilles et être candidates sur l'ensemble du territoire : l'Inrap, les services de collectivités territoriales agréés, ou les opérateurs privés agréés. Une convention est conclue entre aménageur et opérateur (article L. 523-9 du code du patrimoine). Ce dernier doit remettre un rapport final au terme des fouilles. L'aménageur notifie l'achèvement des travaux et dans un délai de 15 jours le préfet de région délivre une attestation de libération des terrains : les travaux d'aménagement peuvent alors commencer.

Qu'il s'agisse d'un diagnostic ou d'une fouille, l'opérateur agréé ne peut être compétent que sous réserve que la nature du site et la période chronologique concernée correspondent aux domaines de la recherche pour lesquels ils ont été agréés. En outre certains opérateurs ne demandent l'agrément que pour l'une ou l'autre de ces deux phases opérationnelles de l'archéologie préventive. L'agrément est délivré pour une durée de cinq ans renouvelable par arrêtés conjoints du ministre de la culture et du ministre chargé de la recherche, après consultation du Conseil national de la recherche archéologique (CNRA), selon des modalités définies par l'article R. 522-9 et suivants du code du patrimoine.

A l'issue des fouilles, les différents acteurs interviennent, selon une répartition des rôles qui est détaillée plus loin dans le présent chapitre, pour mettre en oeuvre l'activité de recherche et de valorisation.

LA CARTE ARCHÉOLOGIQUE NATIONALE

Définie par l'article L. 522-5 du code du patrimoine : « Avec le concours des établissements publics ayant des activités de recherche archéologique et des collectivités territoriales, l'État dresse et met à jour la carte archéologique nationale. Cette carte rassemble et ordonne pour l'ensemble du territoire national les données archéologiques disponibles.

Dans le cadre de l'établissement de la carte archéologique, l'État peut définir des zones où les projets d'aménagement affectant le sous-sol sont présumés faire l'objet de prescriptions archéologiques préalablement à leur réalisation ».

L'article R. 523-6 précise qu'un arrêté du préfet de région est adressé au préfet du département ou des départements intéressés par le zonage aux fins de publication au recueil des actes administratifs de la préfecture, ainsi qu'aux maires des communes intéressées. Il fait l'objet d'un affichage en mairie pendant un mois à compter du jour où il a été reçu. Il est tenu à la disposition du public dans les préfectures et dans les mairies.

La carte archéologique nationale apparaît comme le pivot de la politique de prévention en matière archéologique. Elle constitue un instrument de recherche et de gestion du patrimoine archéologique qui s'enrichit du résultat des études, diagnostics, fouilles sur l'ensemble du territoire. Cet outil vise à répondre aux engagements de la France dans le cadre de la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique, signée à Malte le 16 janvier 1992 et ratifiée en 1995. L'article 7 de cette convention prévoit notamment qu'en vue de faciliter l'étude et la diffusion de la connaissance des découvertes archéologiques, chaque partie s'engage à réaliser ou actualiser les enquêtes, les inventaires et la cartographie des sites archéologiques dans les espaces soumis à sa juridiction.

La carte archéologique nationale est gérée par l'outil informatique PATRIARCHE, créé au début des années 2000 alors que les services du ministère de la culture étaient les seuls habilités à l'alimenter. Compte tenu des nouvelles dispositions du code du patrimoine présentées ci-dessus (article L. 522-5) prévoyant la contribution établissements publics et des services territoriaux agréés, cet outil est en cours de refonte afin qu'ils aient un accès direct aux données de la carte qui les concernent. Cela n'a pas empêché les SRA de conclure avec certains services territoriaux agréés des conventions de mise à disposition des données.

Comme l'a indiqué le ministère de la culture à vos rapporteurs : « la participation des opérateurs privés n'est pour l'instant pas prévue par les textes mais bien évidemment les données que ceux-ci recueillent sont intégrées à la carte archéologique par les services de l'État ».

2. L'archéologie préventive en chiffres
a) L'archéologie préventive : des taux de prescriptions stabilisés

Les prescriptions de diagnostic

Comme l'indique le tableau ci-dessous, à l'exception de la première année de mise en oeuvre du nouveau régime juridique, le taux de prescription s'est très rapidement stabilisé entre 6 et 8 %. Cette zone constitue pour le ministère de la culture et l'Inrap un taux satisfaisant, dans la mesure où il garantit une certaine sécurité aux aménageurs en leur évitant de tomber sur des découvertes fortuites en cours de chantier.

DOSSIERS INSTRUITS ET DIAGNOSTICS PRESCRITS DE 2002 À 2010

Année

Nombre de dossiers d'aménagement instruits (1)

Nombre de diagnostics prescrits dans l'année (2)

Taux de prescription de diagnostics (2/1)

2002

23 147

3 201

13,83 %

2003

29 363

2 132

7,26 %

2004

35 263

2 603

7,38 %

2005

35 593

2 524

7,09 %

2006

37 663

2 493

6,62 %

2007

36 576

2 438

6,67 %

2008

29 065

1 999

6,88 %

2009

28 125

1 922

6,83 %

2010

32 524

2 389

7,35 %

Source : Ministère de la culture et de la communication - Sous-direction de l'archéologie - Juin 2011

Source : Ministère de la culture et de la communication - Sous-direction de l'archéologie - Juin 2011

Source : Ministère de la culture et de la communication - Sous-direction de l'archéologie - Juin 2011

Les données ci-après illustrent le détail des chiffres pour l'année 2010 et donnent l'exemple de la région Alsace pour une appréciation locale.

Les DRAC-SRA ont été saisis de 32 524 dossiers d'aménagement de toute nature

29 745 soit 91,46 % par les services instructeurs

2 544 soit 7,82 % par les aménageurs eux-mêmes

235 soit 0,72 % par d'autres circuits

Ils ont émis 2 666 arrêtés de prescription de diagnostic ( * )

(et 277 arrêtés d'annulation de prescriptions de diagnostic.)

soit un taux de prescription moyen de 8,20 %

(7,35 % avec les arrêtés d'annulation)

Par exemple la région Alsace a reçu 443 dossiers et a émis 86 prescriptions de diagnostic

représentant 1,36 % des dossiers reçus par les DRAC-SRA

et 3,23 % des prescriptions de diagnostic émises, pour un taux de prescription brut de 19,41 %

13 prescriptions de diagnostic ont été annulées

le taux de prescription réel est de 16,48 %

Source : Ministère de la culture et de la communication - Sous-direction de l'archéologie - Juin 2011

Les prescriptions de fouilles

Comme l'indique le tableau ci-dessous, le taux de prescription de fouilles a quant à lui connu des évolutions plus importantes au cours de ces dernières années, en ne dépassant pas globalement la barre des 2 %.

DOSSIERS INSTRUITS ET FOUILLES PRESCRITES DE 2002 À 2010

Année

Nombre de dossiers d'aménagement instruits (1)

Nombre de fouilles prescrites dans l'année (2)

Taux de prescription de fouilles (2/1)

2002

23 147

409

1,77 %

2003

29 363

419

1,43 %

2004

35 263

472

1,34 %

2005

35 593

541

1,52 %

2006

37 663

523

1,39 %

2007

36 576

552

1,51 %

2008

29 065

595

2,05 %

2009

28 125

504

1,79 %

2010

32 524

637

1,96 %

Source : Ministère de la culture et de la communication - Sous-direction de l'archéologie - Juin 2011

La stabilisation est valable non seulement en nombre de prescriptions mais aussi en surfaces prescrites, plutôt à la baisse. Le tableau suivant montre l'évolution de cette donnée depuis 2004, en hectares.

Ces chiffres permettent donc de répondre aux critiques selon lesquelles les prescriptions connaîtraient une croissance exponentielle . Malgré tout, l'examen de ces mêmes taux par région peut se révéler intéressant. En effet, les chiffres varient d'une région à l'autre, comme le montrent les tableaux ci-après.

SAISINES


Source : Ministère de la culture et de la communication - Sous-direction de l'archéologie - Juin 2011

DIAGNOSTICS


Source : Ministère de la culture et de la communication - Sous-direction de l'archéologie - Juin 2011

FOUILLES

Source : Ministère de la culture et de la communication - Sous-direction de l'archéologie - Juin 2011

Dès lors se pose la question de l'existence de tendances de certains préfets à « surprescrire » ou à « sousprescrire ». Si l'on fait la moyenne des taux de prescriptions par région depuis 2002, on constate de fortes disparités entre territoires. Ainsi les régions d'Alsace, de Champagne-Ardenne, du Languedoc-Roussillon ou de la Martinique connaissent des taux de prescription de diagnostic comme de fouille bien supérieurs aux taux national qui est inférieur à 2 %. Leurs taux moyens de prescription de fouille sur 9 années consécutives sont respectivement de 4,46 %, 3,36 %, 4,25 % et 6,2 %.

Ceux-ci sont-ils le fait d'une conception très personnelle du besoin de prescription ou bien correspondent-ils à l'hétérogénéité des richesses du sol ? Ces différences sont-elles bien cohérentes avec un objectif scientifique décliné sur tout le territoire ? C'est une question que seul un examen scientifique pourrait appréhender, afin de mettre en relation la carte archéologique nationale, les résultats observés au regard des enjeux scientifiques et la politique de prescription de chaque région. Il s'agit de comprendre si ces taux correspondent, in fine , à une production scientifique ayant une valeur ajoutée en termes de développement de la connaissance du passé. Mais, comme la suite du rapport va le montrer, il semble qu'aujourd'hui le pilotage scientifique de l'archéologie préventive ne permette pas de produire ce type d'analyse.

b) L'épineuse question des délais

La question des délais d'intervention constitue un point de cristallisation des tensions récurrentes dans le domaine de l'archéologie préventive. Elles sont à la source de toutes les critiques de cette politique publique et souvent au coeur des questions parlementaires depuis 2002.

Les délais fixés par le code du patrimoine, et rappelés dans l'encadré ci-après, ont déjà fait l'objet de réductions en 2009 en contrepartie d'une augmentation du taux de la redevance (loi n° 2009-179 du 17 février 2009 pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés).

ÉTAPES CLÉS DE L'ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE : ACTEURS ET DÉLAIS

La première phase en jeu est celle des diagnostics , pour laquelle l'Inrap indique intervenir dans 90 % des cas, les autres étant traités par les services agréés des collectivités territoriales. Les moyens dont dispose l'établissement public influent donc considérablement la donne. Deux axes d'amélioration des délais peuvent être considérés : un meilleur financement de l'Inrap adapté aux besoins réels, et une montée en puissance des collectivités territoriales pour un partage plus équilibré du monopole public de l'activité de diagnostic.

Le premier axe est crucial puisque, dans la mesure où beaucoup de délais sont normés (cf. extrait du code du patrimoine ci-dessous), les retards peuvent provenir soit de la durée de conclusion de la convention soit de la durée nécessaire pour remettre le rapport de diagnostic une fois l'intervention de terrain achevée. En ce qui concerne le second axe, des débats ont récemment eu lieu sur l'éventualité de modifier le droit d'option dont disposent les collectivités qui peuvent aujourd'hui choisir entre une compétence ponctuelle (ne garantissant donc pas une meilleure planification de l'activité et des besoins de l'Inrap) et une compétence permanente pour une période d'au moins 3 ans. L'hypothèse de réforme évoquée consisterait à n'offrir aux collectivités disposant d'un service agréé que la possibilité de choisir entre la compétence permanente ou le renoncement à toute compétence sur les diagnostics. Vos rapporteurs estiment qu'une telle réforme serait préjudiciable à l'équilibre du système car tous les témoignages recueillis sur le terrain et au cours des auditions montrent clairement que le développement des services territoriaux agréés a justement pu se faire parce qu'un jour les collectivités estimaient que, sur un cas spécifique, elles pouvaient assumer la compétence du diagnostic. C'est parce qu'elles ont pu apprécier les avantages d'une intervention directe sur un chantier qu'elles ont démontré leur efficacité et l'intérêt d'une collectivité à disposer de son propre service agréé et à le renforcer. Si les collectivités n'avaient le choix que de la compétence permanente, pour tous les diagnostics prévus sur leur territoire, cela sonnerait la fin du développement des services territoriaux agréés, ce qui est précisément le contraire de l'objectif recherché. Parce que vos rapporteurs sont convaincus du bien-fondé du développement et de la montée en puissance des services territoriaux agréés pour une meilleure prise en charge des diagnostics, ils sont fermement opposés à la remise en cause du droit d'option dont disposent les collectivités aujourd'hui en application de l'article L. 523-4 du code du patrimoine .

En ce qui concerne les fouilles , deux moments sont identifiables : le temps nécessaire à la conclusion d'un contrat de fouille entre l'aménageur et l'opérateur, et la durée de l'opération. Cette dernière dépend d'un grand nombre de critères (localisation de la fouille, nature des vestiges, nature des sols, emprise du projet, etc.) qui rendent difficile une appréciation de durée moyenne. Le temps de la conclusion du contrat est celui qui cristallise les difficultés. Or cette phase est entre les mains de l'aménageur, qui, selon la loi, est le maître d'ouvrage de l'opération de fouilles. Plusieurs actions se succèdent (appel d'offre et contacts avec les opérateurs concurrents, formalisation de l'offre, sélection de l'opérateur, etc.) sans intervention de l'État. La fixation de nouveaux délais paraît délicate à envisager.

LES DÉLAIS PRÉVUS DANS LE CODE DU PATRIMOINE

Pour les diagnostics

C'est l'article L. 523-7 qui encadre les délais : « Une convention , conclue entre la personne projetant d'exécuter des travaux et l'établissement public ou la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales dont dépend le service archéologique territorial chargé d'établir le diagnostic d'archéologie préventive , définit les délais de réalisation des diagnostics et les conditions d'accès aux terrains et de fourniture des matériels, équipements et moyens nécessaires à la réalisation des diagnostics . Les délais courent à compter de la mise à disposition des terrains dans des conditions permettant de se livrer aux opérations archéologiques. Sous réserve des dispositions des troisième et quatrième alinéas applicables en cas d'un dépassement de délai imputable à l'opérateur , la convention détermine les conséquences pour les parties du dépassement des délais .

Faute d'un accord entre les parties sur les délais de réalisation des diagnostics, ces délais sont fixés, à la demande de la partie la plus diligente, par l'État .

Lorsque, du fait de l'opérateur et sous réserve des dispositions prévues par le contrat mentionné au premier alinéa , les travaux nécessaires à la réalisation du diagnostic ne sont pas engagés dans un délai de quatre mois suivant la conclusion de la convention mentionnée au premier alinéa, la prescription est réputée caduque .

Lorsque, du fait de l'opérateur, le diagnostic n'est pas achevé dans le délai fixé par la convention, la prescription de diagnostic est réputée caduque à l'expiration d'un délai fixé par voie réglementaire .

Pour les fouilles

C'est l'article L. 523-9 qui précise les délais : Le contrat passé entre la personne projetant d'exécuter les travaux et la personne chargée de la réalisation des fouilles fixe , notamment, le prix et les délais de réalisation de ces fouilles ainsi que les indemnités dues en cas de dépassement de ces délais.

(...) Lorsque, du fait de l'opérateur et sous réserve des dispositions prévues par le contrat mentionné au premier alinéa , les travaux nécessaires aux opérations archéologiques ne sont pas engagés dans un délai de six mois suivant la délivrance de l'autorisation (...), l'État en prononce le retrait. Ce retrait vaut renonciation à la mise en oeuvre des prescriptions édictées(...).

Lorsque, du fait de l'opérateur, les travaux de terrain nécessaires aux opérations archéologiques ne sont pas achevés dans un délai de douze mois à compter de la délivrance de l'autorisation mentionnée au deuxième alinéa, délai prorogeable une fois pour une période de dix-huit mois par décision motivée de l'autorité administrative prise après avis de la commission interrégionale de la recherche archéologique, l'État en prononce le retrait. Les prescriptions édictées en application de l'article L. 522-2 sont réputées caduques.

c) La montée en puissance des opérateurs privés face à la prédominance de l'Inrap et des services des collectivités territoriales.

Quatre catégories d'acteurs interviennent au cours des différentes phases de l'archéologie préventive.

L'Institut national des recherches archéologiques préventives (Inrap) , opérateur historique issu de l'Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN), devenu un établissement public administratif avec la loi du 17 janvier 2001, soit 28 ans après sa création. Les missions de l'Inrap ont été fixées par la loi de 2001 et figurent désormais à l'article L. 523-1 du code du patrimoine.

L'établissement public compte environ 1 665 agents opérationnels, de terrain, et 445 agents fonctionnels (filière administrative ou filière scientifique et technique). Il est organisé autour de huit directions interrégionales 5 ( * ) , assumant des fonctions déconcentrées du siège (définition et mise en oeuvre de la programmation territoriale, mise en oeuvre de la politique de prévention et de sécurité ; actions de valorisation et de communication ; etc.).

L'établissement évalue sa part de marché à 90 % 6 ( * ) pour les diagnostics et 70 % pour les fouilles. En 2010 l'Inrap recense 1 687 diagnostics et 294 fouilles à son actif. Ces chiffres sont évidemment à considérer en tenant compte du décalage dans le temps entre la prescription et la mise en oeuvre effective des opérations de terrain, qu'il s'agisse des diagnostics ou des fouilles. Cette nuance est importante si l'on reporte ces chiffres au nombre de prescriptions qui étaient, en 2010, de 2 389 pour les diagnostics (la part de l'Inrap représenterait alors 70 %) et de 637 pour les fouilles (soit 46 % pour l'Inrap).

Les services archéologiques des collectivités territoriales . Au 27 mai 2011, on dénombrait 64 services archéologiques territoriaux agréés se répartissant de la façon suivante :

- 23 communes (dont 10 ayant opté pour la compétence générale) ;

- 8 établissements publics de coopération intercommunale ou EPCI (dont 2 deux ayant opté pour la compétence générale) ;

- 33 départements (dont 2 ayant opté pour la compétence générale).

Sur les 63 collectivités disposant d'un service archéologique agréé pour les diagnostics (une commune n'a pas demandé l'agrément pour cette phase opérationnelle), 14 seulement (soit 22 %) ont donc choisi d'exercer une compétence permanente d'au moins trois années. Huit collectivités n'ont pas demandé l'agrément pour les fouilles, ne souhaitant intervenir que sur la phase de diagnostic.

D'après l'ANACT (Association nationale pour l'archéologie de collectivité territoriale), représentée dans 47 des 64 services archéologiques territoriaux agréés, environ un millier d'agents travaillent pour ces services qui représentent 76 % des opérateurs agréés en France. Le ministère de la culture évalue la part de marché des services territoriaux à 15 % des opérations de fouilles.

Les opérateurs privés représentent 20 des 76 opérateurs agréés pour les fouilles (8 des 84 collectivités dotées d'un service archéologique y ayant renoncé), soit 26 %, ce qui constitue un bouleversement du paysage de l'archéologie préventive. En effet, en 2003, le législateur adoptait la loi n° 2003-707 du 1 er août 2003 ouvrant à la concurrence le secteur des activités de fouille et aucun agrément n'avait été délivré à un opérateur autre qu'un service archéologique territorial. Ce n'est qu'en 2004 que les trois premiers agréments furent délivrés à des opérateurs privés. En sept ans ce sont donc 17 nouvelles structures privées qui ont été reconnues pour pouvoir intervenir dans le secteur concurrentiel des fouilles.

Le statut varie d'un opérateur à l'autre puisqu'il y a :

- 11 SARL (société à responsabilité limitée) soit 55 % des opérateurs ;

- 1 SCOP-SARL (société coopérative de type SARL) ;

- 1 personne physique ;

- 4 associations ;

- 2 SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle) ;

- 1 SA (société anonyme).

D'après le syndicat national des archéologues professionnels, ces structures privées représentent environ près de 500 emplois. Leur taille est très variable, allant de une à cent personnes. Leur part de marché globale serait comprise entre 15 % et 30 % selon les évaluations estimées pour les autres opérateurs.

NOMBRE D'AGRÉMENTS DÉLIVRÉS POUR DES OPÉRATIONS DE FOUILLES (CUMUL)

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Collectivités territoriales

27

29

37

43

44

46

50

56

Autres

0

3

10

16

17

18

18

20

Total

27

32

47

59

61

64

68

76

Source : Ministère de la culture et de la communication - Sous-direction de l'archéologie - Juin 2011

ÉVOLUTION DU NOMBRE D'OPÉRATEURS DE FOUILLES
ENTRE 2003 ET 2010

Source : Ministère de la culture et de la communication - Sous-direction de l'archéologie - Juin 2011


* 1 Au moins 200 depuis 2003.

* 2 IPSOS Marketing - Étude « Image de l'archéologie et de l'Inrap auprès du grand public » - François de SARS - Guillaume CAMBE - Étude n° 10-050090-01 - Décembre 2010.

* 3 Audition de M. Chapelot, 6 décembre 2010, commission de la culture du Sénat.

* 4 Si l'aménageur est une personne publique soumise au code des marchés publics, la passation du contrat de fouilles est soumise aux règles de passation des marchés de travaux fixées par ce code.

* Ce chiffre est à considérer avec prudence car certains arrêtés émis en début d'année correspondent sans doute à des saisines de l'année précédente.

* 5 Centre-Ile-de-France, Grand Est nord, Grand Est sud, Grand Ouest, Grand Sud-Ouest, Méditerranée, Nord-Picardie et Rhône-Alpes-Auvergne

* 6 L'Inrap avance ce chiffre en se basant sur les années 2009/2010 mais sa part de marché était moins importante les années précédentes.

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