QUELLE STRATÉGIE ET QUELS MOYENS POUR LA COLLECTIVITÉ DES TAAF ?

Claude BIRRAUX

La France est confrontée aux problèmes de l'optimisation et du renouvellement des moyens maritimes nécessaires et à celui de la surveillance maritime. Je m'interroge sur les points suivants.

Quel sera l'avenir du Marion Dufresne II, lorsque l'Etat sera pleinement propriétaire de ce navire après 2015 ?

Quelle est la situation de l'étude d'interministérialisation des moyens maritimes de l'Etat dans la zone ? Qui en sera responsable ?

L'internationalisation de certains moyens est-elle envisageable ? Est-elle susceptible de porter sur l'accroissement des échanges de patrouille de surveillance ? Certaines des dessertes des îles peuvent-elles être partagées avec l'Australie, l'Afrique du Sud ou d'autres contrées ?

En termes de logistique terrestre et marine, l'optimisation ou la mutualisation des moyens des deux opérateurs principaux de la région est-elle souhaitable ? Le serait-elle au niveau de l'opérateur portuaire, de l'entreposage en métropole ou à La Réunion ou de la confection des colis et des charges ?

Les partenariats existants, fondés sur une bonne volonté réciproque, doivent-ils être formalisés ? Ceux qui s'organisent entre les TAAF, l'IPEV, la Marine Nationale ou les amateurs de pêche concernant certains transports de biens et de personnes peuvent-ils être accrus ?

Les plates-formes scientifiques mises à disposition par les TAAF et l'IPEV sont-elles utilisées au maximum de leurs capacités ? La disparition de certains moyens logistiques bride-t-elle au contraire leur pleine exploitation ?

Comment envisager l'avenir des îles Kerguelen ? Les TAAF peuvent-elles s'inspirer de l'exemple du Svalbard, ouvert à l'international et positionné comme la plate-forme de recherche aux portes de l'Arctique, qui bénéficie à l'ensemble de la communauté scientifique mondiale ? D'autres pays sont-ils susceptibles d'être pris en exemple ?

Cette plate-forme internationale de recherche subantarctique est-elle susceptible d'intéresser les Etats-Unis, l'Inde ou la Chine ?

Benoît AMEYE, Secrétariat général à la Mer

Le Secrétariat Général de la Mer, placé sous l'autorité du Premier ministre, anime et coordonne les travaux d'élaboration de la politique du Gouvernement en matière maritime. Il veille à l'échelon central à la coordination des actions de l'Etat en mer. C'est au titre de ces compétences que je tenterai de vous éclairer sur les moyens dont dispose la collectivité des TAAF, notamment sur les ressources aéromaritimes de l'Etat dans la zone des TAAF.

En effet, les TAAF ne sont pas seulement des terres, ce sont aussi, et peut-être surtout, des espaces maritimes riches et immenses, puisqu'avec près de 2,3 millions de kilomètres carrés de ZEE, ils représentent 85 % des ZEE françaises de l'océan indien et plus de 20 % de la totalité des espaces maritimes français. Pour l'autorité responsable de la coordination de l'action de l'Etat en mer, les moyens aéromaritimes des TAAF représentent donc un enjeu majeur, un enjeu régional qui s'inscrit dans un contexte national difficile de réduction des moyens de l'Etat en mer, et plus spécifiquement de ses moyens aéromaritimes. Ces difficultés sont actuellement examinées au niveau interministériel et nourrissent des réflexions sur la mutualisation, mutualisation des moyens et des missions.

Je vous propose donc, simplement, dans une première partie, de vous décrire très rapidement l'évolution des moyens aéromaritimes de l'Etat, telle qu'elle est aujourd'hui envisagée dans le sud de l'Océan indien, avec un focus sur les moyens particuliers des TAAF, évolution qui fait apparaître des difficultés capacitaires à moyen terme, avant d'envisager, tout aussi sommairement compte tenu du temps qui m'est imparti, quelques solutions esquissées afin de pallier, dans une logique de mutualisation et d'optimisation, ces difficultés annoncées.

L'évolution des moyens maritimes des TAAF : apparition de difficultés capacitaires à moyen terme

Des réductions capacitaires qui concernent tout l'outre-mer français

La question des moyens de surveillance et d'intervention de l'Etat dans ses espaces maritimes n'est spécifique ni aux TAAF ni au sud de l'océan indien, elle concerne tout l'outre-mer français, soit près de 97 % des 11 millions de kilomètres carrés des ZEE françaises.

Cette question a émergé essentiellement à cause de la réduction significative du format des armées outre-mer, le ministère de la défense étant, de très loin, le premier pourvoyeur de moyens aéromaritimes de l'Etat, et notamment des moyens hauturiers, des moyens consacrés à des missions de défense mais aussi à un large spectre de missions civiles.

Cette réduction du format des armées outre-mer découle naturellement des orientations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 et de la révision générale des politiques publiques, orientations traduites dans la loi de programmation militaire 2009-2014 du 29 juillet 2009 et déclinées dans un schéma directeur des forces de souveraineté outre-mer édité par l'état-major des armées en février 2010, schéma directeur qui fait apparaître des RTC, ou réductions temporaires de capacités.

A la demande du Premier ministre, les conséquences de ces RTC ont fait l'objet d'analyses détaillées, et une réflexion interministérielle pilotée par le cabinet du Premier ministre est en cours afin de pallier les difficultés que ces réductions capacitaires pourraient engendrer. C'est dans ce cadre général de réduction des capacités de l'Etat en mer outre-mer que s'inscrit la réflexion sur les moyens des TAAF.

Et sont sensibles dans les TAAF

Les TAAF appartiennent, pour ce qui concerne l'action de l'Etat en mer, à la zone maritime sud de l'océan indien. Le rapprochement, pour cette zone, entre d'une part la liste des moyens aéromaritimes de l'Etat appelés à disparaître dans les prochaines années et, d'autre part, celle des nouveaux moyens est assez éloquent. Seront ainsi prochainement désarmés, pour la marine nationale :

- les deux patrouilleurs de 400 tonnes, La Boudeuse , désarmée en 2010, et La Rieuse , en cours de cession, bâtiments de peu d'intérêt pour les îles subantarctiques mais qui en revanche prenaient une part très active dans la surveillance et la police des pêches en zone Eparses-Mayotte, avec près de 80 jours de mer chacun ;

- le bâtiment de transport léger La Grandière , qui assure normalement quatre rotations logistiques par an au profit des Eparses, sera désarmé en 2014 ;

- et le Patrouilleur austral Albatros , qui assure 100 jours de mer pour la surveillance des pêches en zone australes, sera également désarmé en 2014.

A ces désarmements de bâtiments de la marine s'ajoutent de fortes craintes sur la pérennité des moyens des autres administrations : la charte d'affrètement du patrouilleur des affaires maritimes Osiris arrive à échéance le 31 décembre 2013, et il est fort probable, compte tenu de l'âge de cet ancien navire de pêche espagnol, qui a déjà dépassé les 40 ans, qu'elle ne soit pas reconduite ; l' Osiris, accessoirement largement financé, directement ou indirectement, par l'administration des TAAF, assure 150 jours de mer de surveillance des pêches en zone australes et normalement 40 jours de mer en zone Eparses.

Ces craintes concernent aussi les moyens propres aux TAAF :

- les TAAF sont les propriétaires du Marion Dufresne , qui assume une double mission de desserte logistique des îles australes, sous la responsabilité des TAAF, à raison de quatre rotations annuelles de 30 jours chacune, auxquelles peut s'ajouter, ponctuellement, une rotation au profit des Eparses, et des travaux océanographiques au bénéfice des communautés scientifiques, sous la responsabilité de l'Institut polaire français Paul-Emile Victor (IPEV), pour un quota de 217 jours par an ; l'emprunt souscrit pour l'acquisition de ce navire sera remboursé en 2014, le contrat d'affrètement liant les TAAF à CMA-CGM arrivera à échéance en avril 2015 : se pose donc la question de son renouvellement, une question étroitement liée au positionnement de l'IPEV et pour laquelle plusieurs scénarios sont envisagés, parmi lesquels une jouvence du navire permettant de le prolonger tout en réduisant des coûts d'entretien extrêmement lourds, ou une revente ;

- se pose également la question du devenir de l' Astrolabe , un ancien supply-ship de 65 mètres qui dessert la Terre Adélie depuis son port base de Hobart, en Tasmanie ; c'est le deuxième navire que les TAAF co-affrètent avec l'IPEV, pour une durée de 120 jours par an ; son contrat d'affrètement avec le propriétaire-armateur P&O Maritime Services court jusqu'au 30 septembre 2013 et pourra être reconduit tacitement jusqu'en 2017, mais ne devrait pas être reconduit au-delà car le navire arrivera en fin de vie (il aura alors 31 ans). Le remplacement de ce navire est donc également une préoccupation.

- Enfin, je mentionne le navire de recherche La Curieuse , propriété des TAAF, un navire de 25 mètres qui opère désormais plus d'un mois et demi par an à Kerguelen pour les besoins de campagnes scientifiques, et qui est exploité depuis 2009 en partenariat avec l'armement privé mauricien Indian Ocean Exploration, armement auquel ce navire est progressivement cédé.

Je crois avoir ainsi fait le tour des moyens nautiques appelés à disparaître au cours des prochaines années, ou sur le devenir desquels pèsent de fortes interrogations. La liste des remplaçants annoncée est plus courte :

- le PSP Malin , ancien chalutier arraisonné dans les TAAF et transformé en patrouilleur par la marine nationale, devrait arriver à La Réunion en septembre 2011 ;

- sinon, d'ici 2019 et l'éventuelle livraison du premier BATSIMAR, un patrouilleur de la marine nationale d'environ 1500 tonnes, aucun bâtiment hauturier d'Etat ne devrait apparaître dans le paysage local.

Il risque donc de ne plus rester, pour l'action de l'Etat en mer, de 2015 à 2019, outre Le Malin , que les deux frégates de surveillance de la marine nationale, dont le potentiel est cependant de plus en plus absorbé par les opérations de lutte contre la piraterie au nord de l'océan indien.

Ont ainsi été examinées les moyens maritimes, des moyens essentiels pour des îles subantarctiques dépourvues d'accès aérien.

Pour les Eparses, dont le personnel et une partie du ravitaillement sont aujourd'hui acheminés par les Transall de l'armée de l'air, l'annonce du retrait de ces appareils à l'horizon 2018 constitue également un sujet d'inquiétude.

Pour résumer les perspectives : les moyens maritimes de l'Etat dans la zone, moyens de surveillance et d'intervention, mais aussi moyens logistiques, vont être significativement réduits d'ici 2015, avec une interrogation majeure sur le devenir du Marion Dufresne après 2015.

Les solutions envisagées

Ces perspectives appellent des mesures correctives afin de conserver les moyens nécessaires au noyau dur des missions, qui perdurent. De nombreuses pistes ont été envisagées, telles que :

- le déploiement temporaire de moyens basés en métropole, une solution à la fois peu crédible compte tenu de l'activité des moyens métropolitains et peu efficiente ;

- l'accélération du programme de remplacement des patrouilleurs de la marine nationale ;

- ou encore la voie de la coopération internationale, coopération multilatérale ou bilatérale, une piste qui doit être encore explorée mais qui ne devrait offrir, notamment pour les îles subantarctiques, qu'un potentiel limité : le partenaire australien, dont le Border Protection Command et son patrouilleur Ocean Protector assurent des missions de surveillance dans les ZEE australes françaises, a ainsi laissé entendre que des contraintes internes le conduiraient à diminuer sa présence sur zone dans les prochaines années.

La solution aujourd'hui privilégiée, mais il ne s'agit encore que d'un projet, est celle d'un bâtiment mutualisé multi-missions, ou B3M. De quoi s'agit-il ?

C'est un projet novateur, né d'une initiative locale, une proposition des TAAF reprise par le préfet de La Réunion, délégué du gouvernement pour l'action de l'Etat en mer, et transmise au niveau central. L'idée maîtresse de ce projet est la mutualisation :

- des missions de l'Etat sur un théâtre unique, missions de souveraineté, missions d'action de l'Etat en mer et missions logistiques ;

- des moyens et expertises pour la conception et la construction du navire ;

- des moyens humains et financiers pour l'exploitation opérationnelle du navire.

Ce projet est naturellement interministériel et s'inscrit donc parfaitement dans le cadre de la fonction garde-côtes, mais pourraient y être également associés des partenaires privés. La réflexion conduite localement sous l'autorité du préfet de La Réunion a conduit à un projet B3M avec deux navires, répondant à des besoins différenciés sur des théâtres eux-mêmes distincts, le théâtre austral et le théâtre Mayotte-Eparses-canal du Mozambique, d'où l'appellation de B4M.

De ces deux navires, le projet B4M est aujourd'hui le plus avancé. Aux missions de surveillance maritime dans une zone soumise au risque piraterie, aux missions de police, impliquant une capacité de coercition, à la mission de contrôle des pêches de l' Osiris , aux missions logistiques et humanitaires du Batral et du Marion Dufresne , il doit également ajouter une mission de surveillance du milieu marin que l'Agence des aires marines protégées devra assurer dans les parcs naturels marins créés à Mayotte et en projet aux Glorieuses.

Le projet transmis par le préfet de La Réunion est désormais examiné au niveau central. C'est un projet ambitieux, une ambition en termes de missions et une ambition interministérielle. C'est aussi un projet délicat. Les principales difficultés concernent la définition du navire, son financement ainsi que sa gouvernance.

La réflexion sur le deuxième bâtiment mutualisé multi-missions, le B3M Australes, qui pourrait associer le groupement d'intérêt économique des pêcheurs de légine, aujourd'hui armateur de l'Osiris, est moins avancée. En effet, le projet reste notamment suspendu aux orientations qui seront adoptées concernant l'avenir du Marion Dufresne .

C'est pourquoi la réflexion, à laquelle vous nous avez invités, sur les moyens de desserte des îles subantarctiques, ne peut s'inscrire autrement que dans une vision d'ensemble sur le phasage, la combinaison et le volume des moyens logistiques des TAAF, mais également sur les moyens aéromaritimes de l'Etat et de ses partenaires internationaux au sud de l'Océan indien. L'exercice ne s'en trouve pas simplifié.

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