Françoise GAILL, Directrice de l'Institut Ecologie et Environnement (InEE), CNRS

Cette région présente pour nous un intérêt stratégique majeur. Nous disposons d'un réseau d'observation unique au monde. Ainsi, les stations de recherche polaires et subpolaires sont réparties le long d'un gradient latitudinal unique. Par ailleurs, les îles océaniques sont très isolées et soumises à de fortes contraintes climatiques. Leur biodiversité est contrastée. La sensibilité et l'importance des écosystèmes de ces régions sont remarquables. La faible anthropisation de ces environnements nous permet de les considérer comme des systèmes modèles et favorise l'observation de l'adaptabilité des écosystèmes et des organismes aux changements globaux.

La zone atelier de recherches sur l'environnement antarctique et subantarctique représente pour l'InEE un outil majeur, qui peut s'insérer dans un dispositif européen à travers la notion de Très Grande Infrastructure de Recherche (TGIR). Elle représente à elle seule 20 % du potentiel des laboratoires travaillant en France sur les régions polaires. C'est pourquoi nous possédons des espaces de travail d'envergure véritablement internationale. Ces laboratoires se sont inspirés de ces environnements pour mener des observations à moyen et à long termes, en établissant des ponts disciplinaires entre écologie terrestre, biologie marine et océanographie physique.

L'éloignement de ce terrain, qui pourrait susciter le désintérêt, oblige la zone à l'innovation. C'est ce à quoi se sont employés les laboratoires impliqués depuis de nombreuses années dans les îles subantarctiques, en devenant leaders mondiaux pour l'élaboration et la mise en oeuvre de capteurs embarqués sur les animaux, informant sur leurs déplacements et activités en mer, sur les caractéristiques de leur environnement (température, pression, salinité, chlorophylle ...), sur leur métabolisme ou sur les conditions climatiques de l'océan austral. Ces informations, combinées avec plus de 50 ans de suivi des populations d'oiseaux et de mammifères marins, permet aujourd'hui à la France de disposer d'une base de données unique au monde, véritable patrimoine national et international. Cela illustre bien pourquoi cette zone subantarctique est primordiale au regard de la recherche scientifique.

Le CNRS a par ailleurs initié un programme AllEnvi aux îles Eparses sur la demande du préfet des TAAF. Ainsi, nous avons instauré un consortium d'organismes de recherche en 2009, formalisé un appel à manifestations d'intérêt puis un appel à projets. Une mission de terrain a été conduite cette année avec le Marion Dufresne ; elle fera l'objet d'une restitution en novembre prochain dans le cadre de l'Année de l'Outre-mer. 53 lettres d'intention ont été recueillies, exprimant l'intérêt de 100 laboratoires et d'une diversité d'institutions. La quasi-totalité des établissements d'enseignement supérieur et les organismes de recherche ont été intéressés.

Nous jugions que c'était important. En effet, les possessions françaises dans l'Océan Indien se répartissent selon leur latitude, au long de trois gradients originaux :

un gradient climatique (tropical/polaire) ;

un gradient biogéographique (Océan austral/Océan indien) ;

un gradient anthropique (milieu naturel/milieu anthropisé).

L'étude du gradient climatique conditionne la pérennité de la recherche dans les îles Eparses. Cet ensemble de territoires est stratégique du point de vue de la recherche océanographique et de l'étude de la biodiversité. Nous devrions placer ces îles dans l'environnement plus global de l'Océan Indien, étudier le gradient terre/mer mais également la troisième dimension de l'océan, ainsi qu'étendre les études sur la biodiversité et les changements climatiques aux ressources vivantes et minérales. Selon nous, cette fenêtre sur l'Océan indien est une position géostratégique européenne. En effet, la France serait première à disposer de cet ensemble d'infrastructures. Cette position est également importante pour l'Alliance.

Nous avions envisagé d'instaurer un observatoire de l'Océan Indien, avec un consortium formé de divers organismes. Nous nous sommes aperçus que le Marion Dufresne n'était pas le navire le mieux adapté pour circuler dans les îles Eparses. Cependant, il est absolument indispensable pour assurer notre rayonnement dans l'Océan Indien et pour y mener des travaux océanographiques d'envergure incluant l'étude des écosytèmes marins. Nous pourrions imaginer l'usage de navires plus légers et d'avions pour assurer un transport vers les îles Eparses. L'idée de mutualiser ce type d'activité, hors Marion Dufresne, serait concevable.

Cependant, ces programmes n'auraient pu aboutir sans l'ingénierie offerte par l'IPEV pour mener des études de terrain et sans ses infrastructures. A notre avis, la nécessité d'effectuer la jouvence à mi-vie du Marion Dufresne (horizon 2015) s'impose d'autant plus que son potentiel en termes d'études de la biodiversité n'a pas été suffisamment exploité à ce jour. Nous en avons besoin. Bien que ce grand navire soit aujourd'hui exploité à temps plein, nous devons réfléchir à la meilleure façon de valoriser encore davantage, sur le plan scientifique, la présence française dans cet océan.

La notion de grand observatoire de l'Océan Indien a été énoncée dans le cadre du Grenelle de la Mer, pour rappel. Cela vaut la peine de s'y arrêter.

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