B. PROTÉGER LES DROITS HUMAINS ET LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE EN TENANT COMPTE DES SOUHAITS PRÉCÉDEMMENT EXPRIMÉS PAR LES PATIENTS

La Convention pour la protection des droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine - convention sur les droits de l'Homme et la biomédecine, dite Convention d'Oviedo -, a été adoptée par le Conseil de l'Europe en 1997. Elle a été, à ce jour, ratifiée par 29 États membres, dont la France. Ce texte décline les principes fondamentaux applicables à la médecine quotidienne ainsi que ceux applicables aux nouvelles technologies dans le domaine de la biologie humaine et de la médecine. Nul ne peut, à cet égard, subir un traitement contre sa volonté.

La Convention prévoit notamment que si un patient n'est plus en mesure d'exprimer sa volonté au moment où une intervention médicale est jugée nécessaire, les souhaits qu'il a pu exprimer précédemment doivent être respectés. Ces volontés peuvent être consignées au sein de testaments de vie, de procurations permanentes ou de directives anticipées.

La commission des questions sociales, de la santé et de la famille a relevé dans le rapport qu'elle a présenté devant l'Assemblée parlementaire l'absence d'homogénéité des législations des 47 États membres en ce qui concerne ces documents.

La résolution adoptée par l'Assemblée invite en conséquence les pays qui ne disposent pas d'une législation spécifique à adopter rapidement une feuille de route afin de s'en doter. Ces documents devront respecter un certain nombre de principes :

• se présenter sous forme écrite et être pleinement pris en compte lorsqu'ils ont été correctement validés et enregistrés, idéalement au sein de registres publics ;

• les instructions préalables contenues dans ces textes qui sont contraires à la loi ne sont pas considérées comme valables ;

• la fonction consistant à représenter un malade devrait pouvoir être exercée par deux personnes, dont l'une s'occuperait des biens et l'autre, de la santé et du bien-être;

• une autorité compétente devrait être habilitée à enquêter et, si nécessaire, à intervenir, dans les cas où le mandataire n'agit pas conformément à la procuration permanente ou dans l'intérêt du mandant.

M. Jean-Paul Lecoq (Seine-Maritime - GDR) , intervenant au nom du groupe pour la Gauche unitaire européenne a souhaité s'élever contre un amendement apporté au texte, qui rappelle la position de principe adoptée par l'Assemblée parlementaire contre l'euthanasie il y a quelques années :

« Je tiens à saluer la qualité du travail effectué par le rapporteur sur cette question d'éthique particulièrement difficile, qui mériterait un temps de débat plus long.

Volontairement, le projet de résolution avait choisi de ne pas aborder les questions relatives à l'euthanasie et à l'arrêt des traitements en fin de vie, afin de proposer un texte équilibré, respectueux des libertés. Nous sommes donc scandalisés par l'initiative individuelle de quelques-uns qui cherchent à dénaturer et à détourner l'objectif initial de ce rapport en proposant l'amendement n o 4, qui vise à ramener au centre du débat les questions de l'euthanasie et du suicide assisté.

Il n'est pas question d'obliger de manière détournée les États à se positionner sur ces questions. L'utilisation du présent à valeur impérative dans le sous-amendement oral, pour empêcher de légiférer sur cette question, donne une portée temporelle inacceptable à cette proposition.

Le maintien de ce sous-amendement oral conduirait notre groupe à ne pas voter le projet de résolution. Je ne pense pas que cela ferait avancer la protection des droits de l'Homme. Cela ne serait pas non plus une attitude constructive pour notre Assemblée. Néanmoins, nous ne nous laisserons pas piéger par la politique de terre brûlée de quelques-uns.

Ce qui nous intéresse particulièrement, c'est justement le rapport à la liberté de chacun. Ce qu'il faut respecter avant tout, c'est l'autonomie des patients, leur liberté de choisir, dans le respect de leurs convictions et croyances, quels types de soins ils souhaitent lorsqu'ils sont en situation de fragilité ou d'inconscience.

Récemment, je relisais La fin de l'autorité d'Alain Renaut. Pour lui, l'autorité du médecin en tant qu'autorité scientifique est l'un des derniers vestiges de l'autorité traditionnelle.

La loi Kouchner du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, a précisé, en codifiant la jurisprudence du juge administratif, l'obligation pour les médecins d'informer les patients des traitements relatifs à leur état de santé. L'autonomisation et la responsabilisation des patients sont un progrès indéniable.

La loi française apparaît comme un exemple d'équilibre entre deux responsabilités et deux libertés : la liberté du malade de recevoir et d'accepter un traitement, et celle du médecin de répondre à son serment de sauver des vies.

Je souhaiterais, à ce titre, citer la position du juge français dans une ordonnance de référé du 16 août 2002 qui tire les conséquences de la loi du 4 mars 2002 : « Le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu'il se trouve en état de l'exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d'une liberté fondamentale ; toutefois les médecins ne portent pas à cette liberté fondamentale, telle qu'elle est protégée par les dispositions de l'article 16-3 du code civil et par celles de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, une atteinte grave et manifestement illégale lorsqu'après avoir tout mis en oeuvre pour convaincre un patient d'accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de tenter de le sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état ; le recours, dans de telles conditions, à un acte de cette nature n'est pas non plus manifestement incompatible avec les exigences qui découlent de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, et notamment de son article 9. »

Cette position équilibrée et respectueuse du droit conventionnel européen me semble être un exemple intéressant à présenter comme exemple de bonne pratique. J'espère que l'Assemblée saura raison garder et que le texte amendé en commission ne sera pas retenu. »

En dépit de la position exprimée par le groupe GUE, l'amendement a été adopté.

Mme Christine Marin (Nord - UMP) a tenu, dans son intervention, à rappeler les difficultés juridiques que ne manqueraient pas de poser à l'avenir ces directives, mais a souhaité voter en faveur du texte :

« Je tiens à féliciter le rapporteur pour le travail remarquable qu'il a effectué sur ce sujet difficile. Il aboutit à un projet de résolution et de recommandation équilibré auquel je vais souscrire, mais pas sans réserves.

Si le sujet que nous abordons aujourd'hui en séance n'est ni celui de l'euthanasie ni celui du suicide assisté, il n'en demeure pas moins extrêmement proche de ces questions. C'est pourquoi je soutiens la proposition de texte amendé en commission pour que toute ambiguïté sur la proposition du rapporteur soit levée.

C'est un sujet extrêmement sensible parce qu'il soulève des questions éthiques mais aussi parce qu'il aborde des questions relatives à la liberté des individus, à leur autonomie, et surtout à leur dignité.

Pour illustrer mon propos, je souhaiterais aborder une question personnelle, douloureuse, mais qui met bien en lumière la difficulté d'avoir une position tranchée sur la protection des droits humains et la dignité de la personne en tenant compte des souhaits précédemment exprimés par les patients. Il n'est pas facile, encore aujourd'hui, pour moi d'en parler, mais si je franchis ce pas, c'est parce que je crois que cela peut être utile aux débats de ce jour.

Que faire lorsque l'on assiste à la mort de son père, dans des souffrances atroces, confrontée à son impuissance devant la dégradation lente du corps alors que l'âme est encore intacte ? Que faire lorsque l'on assiste à la mort de son père, lors d'une agonie lente, et que l'on est confrontée à son impuissance à répondre aux appels à l'aide ? Que faire lorsque l'on assiste à la mort de son père, confrontée à l'acharnement thérapeutique des médecins, contraire au principe de dignité, mais soumise au secret espoir qu'il ne s'agisse pas d'un acharnement ? J'avoue avoir prié pour que ses souffrances cessent. J'ai finalement été exaucée. Heureusement ou malheureusement ?

Une fois sortie de l'émotion, comment légiférer sur cette question ? Comment s'assurer du consentement éclairé des patients ? Est-ce encore l'émotion qui devra guider notre réflexion de ce soir ? Comment réussir à concilier le respect de la dignité et la volonté de vivre ? Si l'on peut recueillir le souhait des patients, comme le propose le texte, comment, alors, s'assurer de la pérennité de cette volonté ? Le libre arbitre que j'exprime aujourd'hui sera-t-il celui que j'exprimerai dans trois mois ? Quelle validité, dès lors, accorder à ces directives anticipées, aux testaments de vie ou procurations permanentes qu'encourage le texte ? Comment réconcilier les deux principes que sont le respect de la dignité de la personne humaine et celui de l'autonomie de la volonté ? Aujourd'hui je n'ai toujours pas trouvé la réponse à toutes ces questions. Mais le rapport a au moins le mérite d'exister et je le voterai. »

M. François Rochebloine (Loire - NC) a également adopté une position nuancée sur ce texte :

« En découvrant dès les premières lignes du projet de résolution une référence au respect du droit à la vie privée, à l'autonomie de la personne et à la dignité humaine, on ne peut que se sentir d'accord, dans un premier mouvement, avec la démarche proposée. Mais encore faut-il être parfaitement au clair sur les dispositions prises ou proposées au nom de ces grands principes.

Je suis d'accord, en premier lieu, pour assurer le respect sans faille des dernières volontés de personnes souhaitant procéder à un don d'organes. Mais s'il faut encourager de telles pratiques qui peuvent sauver des vies, on ne peut cependant pas tolérer, même au nom de la santé publique, les pressions qui accompagnent certaines demandes de prélèvements, fût-ce au nom de la science.

Je suis également tout à fait d'accord pour proscrire tous les actes qui relèvent de l'acharnement thérapeutique. La personne humaine ne peut pas être objet de soins : elle est un sujet que les soins visent à restaurer dans son autonomie et dans sa dignité. Il me semble d'ailleurs qu'une telle obligation pèse sur le médecin ou le chirurgien du seul fait de l'exercice de son art ; que le malade lui ait fait connaître sa volonté sur ce point n'ajoute ni ne retire rien à ses devoirs de soignant.

La même visée de restauration de la capacité de la personne malade, en fin de vie, à penser, agir, parler et communiquer de la façon la plus libre et la plus autonome possible me semble justifier amplement le développement des soins palliatifs. Accompagner de manière respectueuse, progressive et techniquement sûre un patient vers l'accomplissement de sa vie n'est plus perçu, aujourd'hui, comme un échec de la science mais comme une marque ultime de fraternité. J'adhère donc pleinement au rapport à ce propos.

En revanche, la notion de « testament de vie » suscite en moi beaucoup plus de réserves. S'il s'agit de formaliser, dans un document à valeur contractuelle, les risques et les chances d'un traitement ou d'une opération - et pas seulement du point de vue du praticien qui administre le traitement ou réalise l'opération -, pourquoi pas ? Ce système existe déjà dans différents pays, dans la perspective de parer à d'éventuelles actions en responsabilité. On peut imaginer qu'il soit mis en oeuvre de manière plus large pour permettre une expression personnelle du malade sur ce qu'il attend et sur ce qu'il n'attend pas des soins qui vont lui être prodigués. Mais s'il s'agit de faire obligation au praticien, dans une situation thérapeutique jugée a priori défavorable par le malade, d'interrompre des soins alors que des perspectives d'amélioration de la santé existent encore, je ne peux être d'accord. D'abord, parce qu'une telle décision confère au praticien une responsabilité terrible. Ensuite, parce qu'elle est irrémédiable alors que la volonté du malade peut évoluer au fil de sa maladie et qu'il peut être temporairement hors d'état de l'exprimer alors que lui seul est apte à le faire avec une conscience libre. Enfin, parce qu'elle ouvre la voie à nombre de manipulations et de pressions dans lesquelles la dignité et l'autonomie de la personne ne trouvent pas leur compte - or, c'est bien ces valeurs que l'on entend restaurer ou promouvoir.

Ainsi, je souscris à l'intention générale du rapport mais je n'adhère pas à toutes ses préconisations. »

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