III. LE « GLOBAL FOOD AND FARMING FUTURES » BRITANNIQUE

L'exercice de prospective inclut une contrainte générale de soutenabilité et s'affranchit délibérément de tout objectif d'autosuffisance alimentaire des régions du monde .

Parmi les implications de la contrainte de soutenabilité figure l'hypothèse que l'élévation de la production agricole ne devrait pas reposer sur la mobilisation de nouvelles terres autrement que de façon marginale.

Le rapport identifie cinq défis :

équilibrer la demande anticipée par une production soutenable ;

garantir la stabilité des productions en protégeant les plus vulnérables contre les épisodes de volatilité ;

assurer un approvisionnement effectif afin d'éliminer la faim dans le monde ;

faire que le système alimentaire contribue positivement à la maîtrise du changement climatique ;

maintenir la biodiversité et les fonctions des écosystèmes.

Il insiste sur les problèmes existants :

- la faim dans le monde avec 925 millions d'individus souffrant de la faim, un autre milliard d'hommes étant mal nourris tandis qu'un milliard d'hommes le sont trop ;

- le nombre élevé de situations où la production alimentaire est insoutenable avec notamment une dégradation des sols, une surexploitation des ressources en eau par l'irrigation, une extrême dépendance aux énergies fossiles et des émissions de gaz à effet de serre trop fortes.

Les objectifs retenus par le rapport appellent la mise en oeuvre immédiate de politiques publiques adaptées qui doivent opérer au bon niveau, qui est un niveau global.

Les cinq défis identifiés d'emblée suscitent des propositions d'action.

Pour équilibrer la demande anticipée par une production soutenable, il est suggéré :

- d'accroître la productivité de façon durable à partir des savoirs existants par la fourniture d'une formation adéquate, l'amélioration du fonctionnement des marchés et de l'accès aux marchés, le renforcement de l'appareil juridique des droits fonciers, l'amélioration des infrastructures, notamment de transport, des pays ;

- de recourir à des nouvelles technologies pour hausser le niveau de production et répondre à de nouvelles menaces, la recherche d'espèces adaptables au changement climatique devant être prioritaire ainsi que la mise en réserve d'espèces, végétales notamment ;

- de réduire le gaspillage (estimé de 30 à 50 % de l'ensemble des matières premières agricoles) ce qui permet d'augmenter les disponibilités sans effort productif (avec les inconvénients d'un tel effort) supplémentaire. La hausse des prix devrait favoriser ce processus mais des mesures complémentaires seront nécessaires notamment pour aider au stockage et à la conservation dans les pays pauvres ou mieux apprécier demande et offre instantanément à travers le développement des télécommunications ;

- d'améliorer la « gouvernance » du système alimentaire . À cette fin, le rapport estime, en préambule, que la sécurité alimentaire gagnera plus à un bon fonctionnement des marchés qu'à des politiques destinées à assurer l'autosuffisance , que de plus grands pouvoirs devraient être attribués aux institutions internationales pour prévenir les restrictions aux échanges dans les moments de crise (moyennant le cas échéant le développement de l'aide humanitaire), que les interventions publiques dans les pays développés (subventions notamment) sont antiéconomiques et nuisent à la sécurité alimentaire du monde et que leur démantèlement doit être accéléré. Dans le même esprit, selon le rapport, les aides aux communautés rurales ne devraient pas distordre les prix alimentaires et d'éventuelles normes environnementales dans le cadre de l'OMC risqueraient d'avoir des effets protectionnistes. Il est recommandé de conclure rapidement le cycle agricole de Doha tout en assurant un « traitement spécial et différencié » aux économies les moins développées.

Ces différentes suggestions relatives à l'horizon des politiques agricoles - autosuffisance ou sécurité alimentaire ? - et au cadre du commerce international - ouverture totale ou mitigée - comportent à l'évidence un certain nombre de contradictions. S'y ajoutent quelques positions étonnantes sur le rôle des acteurs du système alimentaire dont témoigne l'appréciation suivante sur la structure des marchés. Les positions dominantes sont vues comme en voie de renforcement mais, sauf à ce que la concurrence ne soit sérieusement affectée, le rapport ne juge pas que ce processus justifie une intervention particulière. Évidemment, toute la question est celle de la limite entre les positions de domination excessives et les autres.

- d'agir sur la demande notamment en ce que l'intensité agricole des aliments diffère sensiblement et pour des raisons de santé publique. Les instruments fiscaux ou de communication peuvent être mobilisées à cette fin et la consommation de viande est, comme dans presque toutes les études prospectives, mise particulièrement en cause.

L'objectif de garantir la stabilité des productions en protégeant les plus vulnérables contre les épisodes de volatilité est justifié par la hausse des risques en ce domaine due à des facteurs non économiques (conflits) ou économiques (notamment en raison du prix d'autres matières premières comme le pétrole).

Pour l'atteindre, les problèmes cruciaux à régler sont :

- la détermination du niveau acceptable de volatilité ;

- la possibilité d'atténuer ses conséquences ;

- le niveau de l'intervention (producteurs ou consommateurs ?) ;

- la pertinence du niveau international comme échelon de régulation.

Les interventions sur les prix de marché peuvent aller dans le sens de cet objectif, et devraient bénéficier prioritairement aux populations pauvres, mais des filets de sauvegarde seraient sans doute plus adaptés.

L'intervention sur les prix par sa globalité peut être plus coûteuse qu'un soutien plus ciblé qui n'exerce pas d'effets de distorsion sur les productions et préserve la qualité du signal-prix.

Une certaine régulation des marchés s'impose quand leurs évolutions ne reflètent pas les fondamentaux (l'état des stocks notamment).

Mais, les politiques générales de stockage ne sont pas jugées pertinentes car elles peuvent accentuer les mouvements haussiers des prix, même si des politiques régionales ciblées peuvent être justifiées .

On retrouve comme souvent la même ambivalence des positions sur des éléments clefs pour le fonctionnement du système alimentaire.

En revanche, la gestion du risque doit progresser avec l'accès des plus pauvres aux assurances et des filets de sauvegarde en cas de prix excessifs.

La nécessité d'assurer un approvisionnement effectif pour éliminer la faim dans le monde est déjà un des objectifs du Millenium mais l'atteindre dans les temps paraît impossible.

Cet objectif appelle des mesures qui ne relèvent pas nécessairement du système alimentaire lui-même même si celui-ci peut y contribuer.

La production alimentaire engendre des gains de bien-être plus forts pour les pauvres que d'autres secteurs productifs (1 % de production (PIB) supplémentaire venant de l'agriculture augmente les consommations des pauvres de 6 % tandis que, quand elle vient d'autres secteurs, l'effet est nul pour eux).

Aussi la lutte contre la faim doit passer par le développement agricole non seulement pour des raisons de disponibilité d'aliments mais aussi pour ses effets macroéconomiques et sociaux sur le revenu des plus pauvres .

Des actions collectives doivent être entreprises pour poser les bases concrètes d'une expansion des activités productives des petits agriculteurs, notamment en valorisant mieux le rôle des femmes.

L'exemple du Brésil est cité comme représentatif d'une politique volontariste et à succès de lutte contre la faim.

L'agriculture a souffert de 20 ans de sous-investissement à la suite de la réduction des programmes internationaux d'aide publique. Le rapport ne chiffre pas l'aide nécessaire et privilégie les préconisations de type institutionnel (axées sur la gouvernance de lutte contre la faim).

La contribution du système alimentaire à la lutte contre le changement climatique s'impose en raison de la responsabilité de l'agriculture dans les émissions de gaz à effet de serre (CO 2 CH4 - méthane - et N 2 O - oxyde nitreux -).

Elle doit être également pensée sous l'angle des effets de la lutte contre le changement climatique sur l'agriculture.

L'agriculture émet 12 à 14 % des gaz à effet de serre et même 30 % si l'on tient compte de la gestion des surfaces. Une étude de 2006 a estimé que 31 % des émissions de gaz à effet de serre étaient associés à l'agriculture dans l'Union européenne, notamment à travers les engrais et le bétail.

Les engagements des pays dans la réduction des gaz à effets de serre ne pourront être tenus sans une contribution de l'agriculture même si l'agriculture est exclue de nombreux engagements nationaux pris à cet effet.

Votre rapporteur considère que cette dernière situation devrait faire l'objet d'une évaluation particulière.

Les pratiques agricoles peuvent avoir des effets décisifs puisqu'aussi bien il y a à peu près autant de carbone dans la couche superficielle du sol (30 cm) que dans la totalité de l'atmosphère.

Les moyens à utiliser sont :

- la création d'un mécanisme d'incitations pour encourager les réductions d'émissions ;

- les normes ;

- l'implication des consommateurs pour favoriser les bonnes pratiques ;

- l'implication volontaire des producteurs.

Les agriculteurs pourraient se voir indemnisés de leurs productions au service de la stabilité climatique.

Le rapport évoque la conditionnalité environnementale des aides publiques à l'agriculture.

Le maintien de la biodiversité et des fonctions des écosystèmes doit être une des composantes principales de l'action visant à assurer la sécurité alimentaire.

Mais, la préservation de la biodiversité impose un fardeau particulier aux plus pauvres. Il faut donc indemniser ces pays, les préserver des effets des politiques incompatibles avec la biodiversité mises en oeuvre par leurs voisins, internaliser mieux les coûts de la réduction de la biodiversité.

Particulièrement attentive à l'impact environnemental des modèles agricoles, la prospective britannique débouche sur des préconisations dessinant un développement agricole mixte où les évolutions tendancielles se concilient avec l'essor des agricultures du Sud et où la place du marché est renforcée sans pour autant que les interventions publiques soient ignorées 88 ( * ) . Pourtant, celles-ci apparaissent plutôt correctives hormis quand il s'agit de « verdir » la production agricole. De même les conditions d'un codéveloppement de l'agriculture traditionnelle et de l'agriculture moderne et productive ne sont pas réellement élucidées.

Le « Global food and farming futures » britannique qui met l'accent sur d'importantes questions environnementales propose une vision du futur agricole qui n'est pas exempte de quelques ambiguïtés.

Les différentes « priorités » dégagées peuvent rentrer en conflit sans que ceci ne soit vraiment explicité non plus que les moyens de surmonter les contradictions ne sont précisés.


* 88 Ici encore une certaine ambivalence sinon une ambivalence certaine.

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