CHAPITRE II :
QUELLES PERSPECTIVES
POUR LES RENDEMENTS AGRICOLES ?

Les prospectives agricoles accordent généralement un rôle majeur aux rendements pour élever le niveau de la production aux seuils nécessaires à la résolution de l'équation quantitative entre la demande et les ressources.

En cela elles ne font que prolonger les tendances du passé qui ont vu la progression des rendements expliquer l'essentiel de l'augmentation de la production agricole.

La FAO estime que dans les 30 ans à venir l'augmentation de la production viendra pour les 2/3 de l'augmentation des rendements et pour 1/3 de celle des surfaces.

En Asie, il faudrait, en Chine, augmenter les rendements de 50 à 65 %, en Inde les tripler (idem au Pakistan) ; en Indochine les tripler aussi et en Indonésie les doubler.

En Afrique du Nord, il faudrait doubler les rendements des cultures irriguées et les accroître de moitié dans les zones sèches.

En Afrique subsaharienne, l'accroissement des surfaces à rendement inchangé suffirait à peine en 2050 à faire face aux besoins. Pour conserver les ressources en forêt et ménager l'environnement, il faudra doubler ou tripler les rendements.

Dans l'Afrique des hautes terres (Est), il faudrait au moins multiplier les rendements par 5 à 8, ce que l'on a de la peine à imaginer. Dans les autres régions, comme les régions sahéliennes ou le Nigéria, ils devraient être multipliés par 3 à 6.

En Amérique centrale et dans les Caraïbes, l'ampleur des besoins alimentaires obligera en moyenne à tripler les rendements.

Toutefois, la contribution future des rendements à la résolution de l'équation alimentaire n'est pas sans soulever des discussions.

On remarque que la croissance des rendements s'essouffle en plusieurs points du globe.

Ces constatations appellent des analyses systématiques. Peut-être doivent-elles être comprises en fonction d'une grande distinction dont il faut faire état d'emblée.

Théoriquement, la croissance de la production agricole est tributaire d'une augmentation du potentiel et (ou) de la réduction des écarts entre les rendements observés et ce potentiel30(*).

Chacun de ces objectifs est plus ou moins fiable et chacun a un coût propre. Ce n'est pas la même chose d'élever le potentiel de production et de combler un retard par rapport à un potentiel.

Ces différences doivent être prises en considération au stade de la conception des politiques de développement agricole. Par ailleurs, elles jouent un rôle pour préciser les prospectives envisageables de l'équilibre alimentaire dans le monde.

Les pays « à la frontière technologique » sont aujourd'hui ceux qui dominent les marchés agricoles mondiaux tant par les capacités de production que par les positions concurrentielles qu'offre l'avance technologique. Ce sont souvent (pas toujours) les pays exportateurs.

Plus généralement, les perspectives d'évolution du potentiel comptent :

- pour apprécier la contribution potentielle des producteurs à la satisfaction d'une demande en expansion ;

- et pour estimer la compétitivité relative des productions agricoles.

Mais cette dernière est tributaire des progrès réalisés par les pays en retard, compte tenu des coûts du rattrapage.

Or, l'étude de Fisher et al sur les perspectives des rendements semble établir que l'augmentation du potentiel pourrait se faire à l'avenir à coûts fortement croissants dans le futur.

Dans ces conditions, les pays à la frontière technologique ne pourraient pas suivre le rythme d'expansion de la demande alimentaire et les coûts marginaux de leur production s'alourdiraient. Cette dernière situation confère aux prix agricoles à venir un rôle déterminant pour la contribution à l'équilibre alimentaire que pourraient apporter ces pays en même temps qu'elle peut impacter les prix alimentaires dans le futur si d'autres producteurs n'interviennent pas sur les marchés.

En bref, dans l'hypothèse où le potentiel des pays à la frontière technologique ne pourrait pas être aisément élevé - qui semble une observation assez consensuelle -, il faudrait compter sur le comblement du retard des pays éloignés de leur potentiel. Cette considération plaide puissamment pour la mise en oeuvre de tous les moyens nécessaires au rattrapage agricole des pays en retard de développement. Elle trouve son pendant dans les appels à accroître l'investissement dans le secteur agricole, de ces pays notamment, celui-ci étant entendu dans un sens assez large puisqu'il comprend les investissements dans l'exploitation mais aussi dans son environnement.

Mais alors l'attention doit se porter sur les conditions de cet investissement.

Avant de les envisager, il convient de peser les termes d'un débat omniprésent : celui portant sur l'arbitrage entre l'extension des terres et les rendements.

I. LA QUERELLE DE LA COMBINAISON PRODUCTIVE : Y-A-T-IL UNE ALTERNATIVE ENTRE TERRES OU RENDEMENTS ?

A. UNE QUESTION THÉORIQUE PLUS COMPLEXE QU'ON NE LE PRÉSENTE SOUVENT...

À quel type d'investissement agricole doit-on procéder ?

La question est souvent vue à travers l'alternative entre l'intensification de la production par hectare (l'élévation des rendements) et des orientations où l'on procéderait plutôt par la mobilisation des terres et qui correspondent à l'extensification de la production agricole.

Ainsi, deux modèles de développement agricole s'opposent :

- l'un où la productivité par hectare serait le moyen prioritaire du développement ;

- l'autre où la mobilisation de nouvelles terres, l'extension des sols cultivés, constituerait la réponse au défi de l'augmentation de la production agricole.

Cette opposition semble procéder essentiellement de considérations écologiques et agronomiques et est présentée comme ayant une portée normative ou, du moins, constituant un cadre d'action.

Les partisans de la première solution revendiquent la préservation des terres et sa contribution environnementale : lutte contre l'effet de serre, maintien de la biodiversité... L'emblème de cette position pourrait être la forêt amazonienne.

L'extensification des terres, de son côté, se recommande de l'évitement des nuisances liées aux process de l'agriculture « productiviste », et son horizon est celui de l'intégrité des milieux (sols, ressources en eau...).

Ces questions sont évidemment importantes et doivent être pleinement prises en compte. Pourtant, il est certain qu'une approche pertinente du sujet oblige à dépasser les propos globalisants pour se tenir au plus près de réalités qui sont diverses et nuancées.

Le bilan des coûts environnementaux de chaque modèle devrait être clarifié ce qui peut supposer souvent de le resituer dans des contextes très locaux. Il va de soi que dans la plupart des pays les moyens de cette clarification manquent en fait si bien qu'à ce stade la « querelle » est essentiellement théorique.


* 30 En exceptant l'extensification des surfaces cultivées.