PREMIÈRE PARTIE - QUELS ENJEUX POUR RIO ?

I. RIO+20 À LA CHARNIÈRE D'UN MONDE NOUVEAU

A. DE 1992 À 2012 : LE MONDE A PROFONDÉMENT CHANGÉ

Entre 1992 et 2012, le monde a changé de plus en plus rapidement, sans que cette accélération des mutations n'ait été anticipée ni réellement maîtrisée. Dès lors, les principes de Rio adoptés en 1992 sont tout à la fois lucides et datés.

1. D'un sommet de la Terre à l'autre

Les conférences internationales se suivent et ne se ressemblent pas. Voilà un principe constant des négociations multilatérales. Ne serait-ce que par le contexte dans lequel elles interviennent. Entre les deux sommets de Rio, le monde a profondément changé . En 1992 en effet, on ne parlait pas encore de pays émergents tels qu'on les connaît aujourd'hui. Les négociations étaient alors beaucoup plus simples, ou en tout cas plus schématiques. Elles se comprenaient en effet comme des échanges entre pays développés et pays non-développés, selon le paradigme classique Nord-Sud. Il y avait le Nord et un Sud au sein duquel on distinguait des pays en voie de développement. Et c'est autour de l'agenda environnemental des pays du Nord que s'est en grande partie organisé le Sommet de la Terre de 1992. On en appelait alors à la responsabilité des pays du Nord de s'interdire toute atteinte à l'environnement dans les pays du Sud. Aujourd'hui, les pays « émergents », souverains dans leurs choix économiques, sont invités à construire leur développement sur d'autres fondements que ceux qui ont prévalu dans les pays industrialisés.

Mais en vingt ans, les lignes ont bougé : les pays émergents ont justement émergé, accentuant la compétition des économies et la concurrence sur l'exploitation des ressources naturelles et l'accès à l'énergie. L'exigence environnementale est tantôt un frein, tantôt un enjeu stratégique.

L'année 2012 est aussi l'an I d'un grand basculement planétaire : désormais, le poids économique des pays en voie de développement est supérieur à celui des pays développés, ce qui modifie considérablement la donne, notamment d'un point de vue géopolitique. Comme l'indiquait Pascal Lamy lors de son audition devant les commissions du développement durable et des affaires économiques du Sénat le 11 avril 2012, « le temps qu'il faut à ces nouveaux équilibres pour trouver leur place dans les organisations internationales est beaucoup plus long que le temps de ces transformations » . Il a ainsi ajouté : « des pays pauvres deviennent puissants » , résumant ainsi le blocage du cycle de négociations commerciales de Doha par exemple : « comment déterminer si ce sont désormais des pays riches avec beaucoup de pauvres ou des pays encore pauvres avec désormais un grand nombre de riches » ?

Les principes qui ont régi les négociations et les relations interétatiques depuis le milieu du 20 ème siècle, fondés sur la réciprocité entre les pays riches et la flexibilité envers les pays en développement, deviennent inopérants : les pays émergents changent la donne et remettent en question la théorie du « traitement spécial et différencié », sur laquelle se fondent tant les négociations commerciales que climatiques par exemple, ou plus largement environnementales.

Le développement économique est historiquement lié à un faible coût des ressources naturelles, de l'énergie et de la main d'oeuvre (le développement économique repose sur l'abondance des ressources naturelles et de l'énergie et sur un faible coût de la main d'oeuvre) ; le libéralisme qui s'est imposé dans le monde au cours de ces vingt dernières années repose sur une faible intervention publique. Toutes ces variables sont contradictoires avec les objectifs du développement durable. Les arrière-pensées ne sont donc plus les mêmes. La promesse d'un développement durable comme outil au service du développement économique des pays en développement n'a pas été tenue. Les pays émergents suspectent aujourd'hui l'unanimisme environnemental de n'être en réalité qu'un prétexte pour freiner leur développement économique. Si ces préventions ne sont pas levées à Rio, rien ne sera possible, ni du point de vue de l'environnement, ni du point de vue du développement.

En 1992, la Conférence de Rio avait emporté les espoirs du monde entier : le sommet avait duré pas moins de douze jours, de nombreux chefs d'Etat étaient présents, à commencer par le Président des Etats-Unis, et les documents adoptés avaient installé, pour la première fois, les principes du développement durable au coeur du droit international.

Aujourd'hui en 2012, il semble que la ferveur ait disparu et que la crise ait douché/calmé les espoirs de 1992.

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