3. La nécessité d'arbitrages entre les besoins opérationnels et les préoccupations industrielles
L'absence d'une instance d'arbitrage génère, sans doute à tort, un sentiment d'opacité, d'absence de collégialité et d'absence de stratégie tout court. Vos rapporteurs ont le sentiment que nombre de décisions récentes en matière d'équipements ont été prises à la va-vite, pour en finir avec des atermoiements qui n'auraient que trop duré.
Pour effectuer ces choix l'Etat doit disposer d'une instance de dialogue et d'arbitrage adaptée, lui permettant d'orienter et d'accompagner la stratégie d'acquisition, en la passant au crible des objectifs poursuivis.
Ce rôle incombe normalement au Comité Ministériel d'Investissement (CMI), démembrement du Conseil de défense, dont la création récente semblerait ne pas avoir apporté tous les résultats escomptés.
L'existence de conflits possibles entre stratégie d'acquisition et stratégie industrielle de défense n'est ni nouvelle, ni propre à la France. C'est ainsi que, pour des raisons de stratégie industrielle la décision fut prise au plus haut niveau d'interdire à l'aéronavale d'acquérir des avions militaires américains F18, alors que les vieux Crusader étaient hors d'âge et que le Rafale marine était loin d'être prêt.
De même on peut imaginer sans peine que c'est pour des raisons de stratégie industrielle et non pour des raisons opérationnelles que l'armée américaine a choisi de recourir à Boeing plutôt qu'à EADS pour les avions ravitailleurs de type MRTT.
Enfin, il n'est pas difficile d'imaginer que les nombreux rebondissements de l'acquisition de BPC français par la Russie résultent d'affrontements au sein de l'appareil d'Etat russe entre les tenants d'une stratégie d'acquisition privilégiant l'équipement des troupes aux tenants d'une stratégie industrielle faisant prévaloir les intérêts de l'industrie nationale.
Toute la question est de savoir comment régler ces conflits, par quelles procédures, avec quelle transparence, selon quels principes. De ce point de vue, l'exemple britannique de la « nouvelle stratégie d'acquisition » mérite d'être étudié (voir schéma ci-après) 13 ( * ) . On peut lire dans l' executive summary de cette revue les éléments suivants 14 ( * ) :
« 1. Défendre le Royaume-Uni est une des premières responsabilités du Gouvernement. Pour atteindre cet objectif, nous devons équiper nos Forces armées et nos agences de sécurité nationale avec le meilleur équipement que nous puissions nous offrir, de façon à leur permettre de protéger le Royaume-Uni et de promouvoir les intérêts de notre pays, à la fois actuels et futurs, et ce faisant d'obtenir le meilleur rapport qualité-prix (« best value-for-money ») pour le contribuable.
« 2. Toutes les fois que cela sera possible, nous nous efforcerons de satisfaire les besoins de défense et de sécurité du Royaume-Uni, à travers des mises en concurrence, sur le marché domestique et sur le marché mondial, achetant sur étagères lorsque cela correspond aux besoins. Toutefois, l'acquisition d'équipements de défense ou de sécurité est substantiellement différente de l'acquisition d'équipements communs. Aussi nous prendrons des mesures pour protéger les avantages opérationnels du pays et sa liberté d'action, mais seulement quand cela est nécessaire pour notre sécurité nationale. (...) ».
* 13 The Defence Strategy for Acquisition Reform - presented to Parliament by the Secretary of State for Defence - February 2010 Cm 7796
* 14 National Security through Technology : Technology, Equipment and Support for UK Defence and Security -presented to Parliament by the Secretary of State February 2012 Cm 8278