II. LES TRAVAUX DE LA MISSION D'INFORMATION

La mission d'information du Sénat est née d'une volonté, celle de faire toute la lumière sur les enchaînements qui n'ont pas permis de détecter rapidement les pratiques de la société PIP. Pour faire la lumière sur cette affaire, elle a étendu ses investigations à l'ensemble des dispositifs médicaux implantables. Depuis qu'elle a commencé ses travaux, des difficultés majeures concernant d'autres dispositifs que les prothèses mammaires sont apparues au grand jour.

Soucieuse d'éviter qu'une fois le système d'autorisation et de contrôle des dispositifs médicaux mis à plat, un nouveau scandale éclate, dans le domaine de la chirurgie ou de la médecine esthétiques, elle a choisi d'étendre le champ de ses investigations aux interventions à visée esthétique, qui constituent désormais un enjeu à part entière.

Depuis sa constitution, le 21 février dernier, la mission a mené trente-deux heures d'auditions, dont six tables rondes. Au total, ce sont plus de cinquante organisations, associations ou entreprises qui lui ont fait part de leurs préoccupations ou suggestions. Conformément à la volonté de transparence décidée dès le départ, ces auditions - à de rares exceptions près - ont été ouvertes au public et à la presse. Elles ont également fait l'objet d'une diffusion simultanée sur le site Internet du Sénat, ainsi que d'un enregistrement vidéo.

Trois déplacements ont permis de compléter les éléments recueillis au cours de ces auditions. Le suivi du processus de fabrication de prothèses en silicone par six membres de la mission ainsi que la présentation d'un centre de formation à la pose de dispositifs implantables utilisés en cardiologie ont fait l'objet d'un reportage audiovisuel disponible en ligne.

Afin d'obtenir des précisions sur la législation applicable dans les deux domaines relevant de son champ d'investigation, la mission s'est rendue aux Etats-Unis, notamment au Maryland, Etat modèle en matière de régulation esthétique, ainsi qu'en Suède et au Danemark, deux pays aux réglementations plus drastiques ayant mené des expérimentations intéressantes sur les registres médicaux. Elle a complété ces informations auprès de l'ambassade d'Australie en France, pays qui lui était apparu en pointe, tant en matière de suivi des dispositifs médicaux que de vigilance par rapport aux pratiques de médecine esthétique.

Elle s'est enfin attachée à appréhender l'état d'avancement de la refonte des directives européennes relatives aux dispositifs médicaux et s'est rendue à Bruxelles , pour s'entretenir avec les représentants de la direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission ainsi qu'avec Gilles Pargneaux, député européen, rapporteur de la résolution du Parlement européen sur les prothèses mammaires.

Les dispositifs médicaux :
un secteur méconnu à l'impact croissant en matière de santé

Parce qu'il recouvre une multitude de produits, du pansement au pacemaker , de l'abaisse-langue à la prothèse de hanche, de la lentille de contact au drug eluting stent 7 ( * ) , le secteur des dispositifs médicaux reste largement méconnu. Il se situe toujours dans l'ombre du médicament, bien qu'il s'agisse d'un domaine fondamentalement différent .

Médicament et dispositif médical :
des caractéristiques fondamentalement différentes

Médicament

Dispositif médical

Evolution technologique

Lente

Rapide

Mode d'action

Chimique

Physique

Industries de base

Chimie

Multiples : chimie, électronique, mécanique, textile, plasturgie...

Durée d'action

Courte

Longue

Possibilité d'expérimentation in vitro

Forte

Faible

Faculté de mettre en oeuvre des traitements à l'aveugle

Forte

Faible ou nulle

Faculté de mener des essais sur des populations de patients étendues

Forte

Quasi nulle

Source : mission d'information du Sénat sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique

Le nombre de produits regroupés sous cette appellation dépasse de très loin celui des médicaments et la nature des fabricants est très variée, de la multinationale à la micro-entreprise innovante. Pourtant, les dispositifs médicaux concernent chacun d'entre nous, à des degrés divers, quotidiennement ou presque. A l'avenir, l'allongement de la durée de la vie aura un impact fort sur l'utilisation des plus sophistiqués d'entre eux - les dispositifs médicaux implantables - sur lesquels la mission d'information a choisi de faire porter ses investigations en priorité 8 ( * ) . L'évolution des techniques permettra de recourir à des matériels de santé plus personnalisés, plus petits et moins invasifs. Ces transformations auront pour conséquence d'accentuer les difficultés que pose leur évaluation préalable : contrairement aux médicaments, ces produits de santé ne peuvent par définition faire l'objet d'études à l'aveugle, avec groupe témoin, sous placebo. L'étroitesse des populations concernées constitue un frein supplémentaire à la réalisation d'essais touchant des cohortes de malades.

La réflexion ne saurait oublier l'impact économique de ces deux secteurs . La France constitue le quatrième producteur mondial de dispositifs médicaux, filière qui emploie soixante mille personnes. Sa technologie est reconnue en matière d'aide technique, de systèmes de chirurgie mini-invasive, de diagnostic par imagerie, de diagnostic in vitro et, pour ce qui entre dans le champ d'étude de la mission, de prothèses.

Car, ne l'oublions pas, dans tous les cas, ces produits s'adressent à des personnes qui souffrent de problèmes de santé. La mesure du rapport entre le bénéfice attendu et le risque encouru est au coeur de l'analyse qui doit en être faite.

Lorsque la vie même du patient est en cause, un certain niveau de risque doit être accepté. Mais encore faut-il que ce risque soit correctement mesuré avant la commercialisation du produit et fasse l'objet d'un suivi précis après l'implantation .

Les interventions à visée esthétique :
nouvelles pratiques, nouveaux dangers

La problématique des interventions à visée esthétique est fondamentalement différente : réparer une infirmité, lutter contre la maladie ou prolonger la vie de personnes qui souffrent dans leur chair n'est pas la seule motivation de ceux qui y font appel. Au contraire, beaucoup sont en bonne santé physique ; on ne peut donc admettre que leur vie soit mise en danger et leur intégrité physique menacée.

Il est logique que ces interventions ne présentent aucun danger. Une prise de conscience semble se dessiner, si l'on en croit le recul sensible des techniques les plus invasives. En revanche, de nouvelles techniques de médecine esthétique apparaissent sans cesse. Médecins, dentistes, professionnels de l'esthétique, revendiquent de pouvoir pratiquer ces actes. De nouveaux marchés se créent pour les industriels. L'imagination est sans limite et, si elle n'est pas condamnable en soi, la volonté de nos contemporains de prendre en compte leur image ne doit pas leur faire perdre de vue l'essentiel : ne pas nuire à leur santé. Evidemment, toutes ces interventions ont un coût ; en conséquence, le marché du tourisme esthétique médical est né, et avec lui de nouveaux risques sanitaires.

En matière d'esthétique, la France continue d'attirer les amoureux de la « French touch » , chirurgie esthétique dont les résultats paraissent plus naturels que les interventions réalisées dans d'autres pays. Les soins esthétiques constituent une activité économique en plein développement, pourvoyeuse d'emplois non délocalisables au sein d'un secteur - les services à la personne - en forte croissance.

La mission a pleinement conscience de ces enjeux, sans qu'ils puissent prévaloir sur les implications de santé publique. Il est fondamental de mettre en oeuvre un nouvel équilibre entre innovation et évaluation, entre impact économique et protection des consommateurs, de sorte à placer la sécurité de tous au premier rang des priorités.


* 7 Dispositif médical implantable actif de cardiologie utilisé dans le traitement de l'athérosclérose.

* 8 Elle a toutefois exclu de son champ d'étude trois domaines qui relèvent de problématiques particulières : le tatouage et le piercing, régis par une réglementation qui date de 2008 et n'est pas contestée ; la chirurgie de changement de genre, qui dépasse de loin la préoccupation esthétique ; les implants dentaires, qui justifient une investigation propre.

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