II. RESPONSABILISER LES ACTEURS DE L'ESTHÉTIQUE POUR MIEUX PRENDRE EN COMPTE SES IMPLICATIONS SANITAIRES

A. POSER LES BASES D'UNE TYPOLOGIE DES PRATIQUES DE MÉDECINE ESTHÉTIQUE

1. Instituer un marquage CE spécifique aux dispositifs et produits esthétiques afin de garantir leur innocuité

La plupart des substances injectables et des dispositifs médicaux utilisés dans le cadre d'interventions à visée esthétique sont soumis au contrôle de l'ANSM, qui dispose de pouvoirs de police sanitaire à l'égard de produits de santé dangereux. A ce titre, dans une décision du 16 août 2011, l'ANSM a restreint, par exemple, la mise sur le marché et l'utilisation des dispositifs médicaux injectables (acide hyaluronique) dans le comblement et l'augmentation des volumes corporels à visée esthétique, en excluant l'indication d'augmentation mammaire à visée esthétique.

Toutefois, le statut des produits à visée exclusivement esthétique continue de faire débat : si l'on s'en tient à une lecture littérale de la définition d'un dispositif médical par les directives communautaires, les dispositifs conçus dans une finalité purement esthétique pourraient apparaître exempts de l'obligation de marquage CE au titre des directives de 1990 et 1993, les fabricants étant libres de se soustraire aux évaluations et contrôles cliniques correspondants.

Certains lasers épilatoires sont considérés comme des dispositifs médicaux dès lors qu'ils sont utilisés dans le traitement d'affections telles que l'hirsutisme. A ce titre, ils sont soumis aux exigences des directives relatives aux dispositifs médicaux et font l'objet d'un contrôle après leur mise sur le marché par l'ANSM. Néanmoins, ces mêmes lasers peuvent être utilisés à des fins exclusivement esthétiques et ne sont pas, dans ces circonstances, assimilés à des dispositifs médicaux, bien qu'ils reposent sur les mêmes principes de fonctionnement que les lasers à usage médical.

Le droit français a anticipé assez tôt la problématique posée par les lasers médicaux. L'article 2 de l' arrêté du 30 janvier 1974 portant réglementation concernant les lasers à usage médical précise que « les lasers à usage médical sont des appareils devant être utilisés par un médecin ou sous sa responsabilité » . En établissant une classification des lasers, qu'ils soient à impulsion ou à émission continue, cet arrêté permet de couvrir l'ensemble des lasers susceptibles d'être utilisés à des fins d'épilation : il en réserve donc l'usage aux seuls médecins, qu'ils interviennent dans un cadre thérapeutique ou dans une perspective exclusivement esthétique .

En revanche, se pose la question de l'autorité nationale compétente dans le contrôle des « produits frontières » , c'est-à-dire les produits à finalité esthétique inclassables, qui ne sont ni des dispositifs médicaux au sens des directives communautaires, ni des produits cosmétiques . Parmi ces produits, on recense aussi bien les cabines de bronzage que les lampes à lumière pulsée utilisées pour l'épilation (« lampes flash ») et les dispositifs de blanchiment des dents.

Pour ces produits, la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) dispose d'une compétence générale qui demeure, cependant, difficile à exercer en pratique. En application du principe de la libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne et à la liberté du commerce et de l'industrie, une interdiction requiert un motif de santé publique , lequel ne peut être mis en évidence que par une expertise scientifique . L'expertise est réalisée par les agences sanitaires (l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), la HAS, l'ANSM), ou encore des laboratoires d'experts et ne parvient donc qu'indirectement à la DGCCRF.

Plusieurs enquêtes ont pourtant fait apparaître que les appareils mettant en oeuvre la technique de la lumière pulsée, utilisés de façon croissante par les esthéticiennes, ne font pas toujours l'objet des contrôles permettant de garantir le respect des exigences de sécurité, en particulier pour prévenir tout risque de brûlure ou de dépigmentation 89 ( * ) .

Le même type de problème se pose pour les cabines de bronzage à ultraviolets (UV). En juillet 2009, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé « cancérogènes certains pour l'homme (groupe 1) » les rayonnements ultraviolets solaires ainsi que les rayonnements émis par les installations de bronzage artificiel. Une étude publiée par des chercheurs américains en avril 2012 90 ( * ) a conclu à une accentuation du risque de mélanome chez les jeunes , multiplié par huit chez les femmes et par quatre chez les hommes en l'espace de quarante ans, dans le cas d'une exposition répétée aux UV en cabine de bronzage. Selon le docteur Jerry Brewer, directeur de l'étude, « les personnes recourant fréquemment à la lampe à bronzer ont 74 % plus de risques de développer un mélanome » . La France compte plus de quinze mille cabines UV fréquentées par près de 16 % de la population, ce chiffre étant en augmentation constante.

Un grand nombre de produits et dispositifs médicaux sont donc susceptibles d'être utilisés dans un but esthétique. Tant les exigences de sécurité sanitaire que les autorités compétentes en matière de contrôle varient selon les cas :

- les produits à finalité exclusivement esthétique , tels que les cabines UV, sont soumis à un marquage CE non médical, dont l'octroi est conditionné au respect de simples exigences de sécurité de type « horizontal » (comme par exemple la sécurité électrique) ;

- les dispositifs médicaux historiquement destinés à des actes de chirurgie reconstructrice à caractère invasif ont vu leur usage progressivement détourné dans le cadre d'indications exclusivement esthétiques (produits de comblement, prothèses mammaires). Si l'on s'en tient à une lecture stricte de la définition des dispositifs médicaux et du champ d'application des directives de 1990 et 1993, un produit qui ne revendique que des finalités esthétiques et ne poursuit aucune visée thérapeutique n'est pas tenu d'obtenir le marquage CE. Face à cette difficulté, la Commission européenne entend régulariser la situation juridique des dispositifs à visée esthétique et à caractère invasif en les intégrant dans le champ des dispositifs médicaux, comme ce fut le cas lors de la reclassification des prothèses mammaires en dispositifs de classe III ;

- les produits « frontière », moins invasifs mais dérivés de techniques médicales, sont utilisés dans un but exclusivement esthétique : c'est le cas d'un certain nombre de lasers épilatoires, de puissance inférieure aux lasers exclusivement réservés à l'usage médical dans certains pays, ou des lampes « flash » à lumière pulsée. Ces produits ne sont pas formellement soumis à l'obligation du marquage CE préalablement à leur commercialisation. Toutefois, afin de pouvoir attester du niveau de sécurité de leurs matériels, un certain nombre de fabricants recherchent l'obtention de la certification auprès d'organismes notifiés sans que leur classification en dispositifs médicaux soit forcément justifiée.

Il est raisonnable de penser, à la suite du scandale des prothèses mammaires PIP, que les autorités communautaires consacreront le caractère de dispositif médical pour tous les produits invasifs ou implantables à visée esthétique dans le cadre de la révision des directives relatives aux dispositifs médicaux. Néanmoins, l'absence de règles spécifiques de classification concernant les autres dispositifs utilisés à des fins esthétiques, en particulier ceux commercialisés auprès des professionnels non-médecins du secteur de l'esthétique, voire du grand public, ne permet pas de garantir la mise à la disposition des professionnels et des clients d'informations fiables sur l' évaluation de leur rapport bénéfices-risques . Certains de ces produits ne sont pas soumis au marquage CE applicable aux dispositifs médicaux ou sont, au mieux, soumis aux exigences essentielles de sécurité horizontale imposées par d'autres directives européennes dans le cadre de la « nouvelle approche ». L'innocuité des dispositifs autorisés à la commercialisation en vente libre doit pouvoir être étayée par des données cliniques.

Les référentiels traditionnels de l'évaluation du bénéfice thérapeutique organique sur un sujet malade ne sont pas appropriés pour les produits et dispositifs à finalité esthétique. Ils s'en distinguent, d'une part, par un niveau différent d'acceptation du risque par rapport au bénéfice escompté , et, d'autre part, par la très grande diversité de la technique employée, de la conception et de la composition de ces produits . Il n'est pas possible de laisser au fabricant la possibilité d'apprécier seul si son produit mérite ou non un marquage CE. Il doit se soumettre à des tests d'évaluation des bénéfices que l'utilisateur est en droit d'attendre de ce produit et des risques potentiellement encourus.

Dans ces conditions, la mission estime indispensable de prévoir une réglementation européenne spécifique pour l'ensemble des produits et dispositifs à finalité esthétique , qu'ils soient utilisés par des médecins ou par les professions non médicales du secteur de l'esthétique. Conformément à la logique de la « nouvelle approche », ces produits seraient soumis à des exigences de sécurité sanitaire harmonisées et à des principes d'évaluation clinique adaptés à leur nature : une telle réglementation aurait le mérite de clarifier le cadre juridique actuel, en ne laissant plus aux seuls fabricants le choix de soumettre leur produit au processus d'évaluation que suppose l'octroi d'un marquage CE.

Proposition n° 24 :
Instituer un marquage CE spécifique aux dispositifs et produits esthétiques
afin de garantir leur innocuité

Différences entre un dispositif médical et un dispositif esthétique

DM
Dispositif médical

« DE »
Dispositif esthétique

Destination

Médicale

Esthétique

Marquage CE


• Décerné par un organisme certifié


• Iso 13485


• Audit annuel


• Certification fabricant


• Rapport de test de conformité établi par un organisme notifié (directives sur la sécurité électrique, notamment la directive 2006/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au matériel électrique destiné à être employé dans certaines limites de tension )


• Iso 9001

Etude ou investigation clinique

Obligatoire

(avec un résultat de bénéfice sur risque avantageux)

Facultative

Matériovigilance

Oui

Non

Documentation et formation

Complète, et associée à la sécurité d'utilisation

Suffisante pour une bonne utilisation

Source : mission d'information du Sénat sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique


* 89 Système de refroidissement, filtre efficace pour neutraliser les sections indésirables du spectre lumineux des infrarouges et des ultraviolets...

* 90 Mayo Clinic Proceedings, volume 87, issue 4, pages 328-334, avril 2012.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page