H. FAUT-IL RECALIBRER LE « SOCLAGE » BUDGÉTAIRE DES BASES DE DÉFENSE ?

1. Un calibrage initial insuffisant : impasse et cavalerie budgétaires

A l'issue de leurs visites dans les bases de défense, vos rapporteurs estiment à environ 20 à 25% le montant de l'impasse budgétaire affectant les crédits du soutien par les bases de défense. Il manque, sur un budget total de 650 millions d'euros, de l'ordre de 130 millions pour boucler l'année 2012, soit un trimestre entier de dépenses.

Ils ont pu observer dans les bases trois grandes constantes : enveloppe budgétaire sous dotée, dépenses incompressibles conduisant à des économies forcées pas toujours rationnelles, exécution 2012 obérée par des reports de 2011.

Ce phénomène d'impasse budgétaire a été « camouflé » en 2011 par un certain ralentissement dans la fluidité des dépenses, consécutif aux difficultés organisationnelles et à la montée en puissance parfois laborieuse des nouveaux circuits et des nouvelles procédures, qui ont obstrué les circuits de dépense. Le manque de crédits a toutefois conduit à d'importants reports de dépenses sur 2012.

Avec la même insuffisance de crédits initiale, la gestion 2012 est forcément obérée par ces reports.

Comme l'a souligné un commandant de base de défense à vos rapporteurs, « ce n'est pas le moteur qui est mauvais, il manque juste de carburant. »

Il est à déplorer en outre que cette situation, en ôtant toute visibilité aux commandants de base, ne les empêche de mener à bien une stratégie de dépense conduisant à l'optimisation de leurs moyens : ils sont de fait contraints à user d'expédients pour gérer la pénurie....

Vos rapporteurs se sont entretenus de cette situation préoccupante avec le Général Commandant interarmées du soutien (COMIAS), qui est conscient des difficultés budgétaires rencontrées par les commandants de base de défense. Une mission d'audit a été diligentée pour chiffrer précisément les besoins, à la fois pour boucler l'année 2012 et pour la loi de finances pour 2013.

Les causes de cette insuffisance de « soclage » tiennent peut-être à une mauvaise estimation initiale des crédits qui étaient nécessaires aux unités pour assurer leur propre soutien mais aussi, peut-être, à une certaine tendance à sous-estimer les dépenses du soutien, qui s'avèrent inexorables in fine , pour préserver les dépenses d'investissement... Cette clé de lecture, livrée par un commandant de base de défense, est intéressante ; elle expliquerait comment cette impasse budgétaire « latente » serait désormais plus apparente, avec l'individualisation et la globalisation de ces crédits dans le nouveau budget opérationnel de programme.

2. Une situation constatée sur toutes les bases visitées
a) L'exemple de la Base de défense de Metz-Thionville

Sur la base de Metz-Thionville, la première qu'ils ont visitée, vos rapporteurs ont pu mesurer pour la première fois l'ampleur du phénomène d'impasse budgétaire qu'ils ont, par la suite, rencontré sur la totalité des quatre bases visitées.

L'équation, résumée dans les deux graphiques ci-dessous, est simple : avec des besoins 2012 estimés à 16,3 millions d'euros et un budget accordé de seulement 11,87 millions d'euros, le point de rupture budgétaire se situe en septembre, et le dernier trimestre de dépenses n'est pas couvert par la dotation accordée :

Source : base de défense de Metz-Thionville

Un point de rupture budgétaire en septembre,

avec des dépenses non couvertes pour le dernier trimestre

Source : base de défense de Metz-Thionville

b) L'exemple de la base de Tours

La situation est la même à Tours, où la gestion budgétaire 2011 a montré une insuffisance des moyens budgétaires nécessaires au soutien des formations.

Initialement, l'allocation budgétaire envisagée était de 7,5 millions d'euros , actualisée par le responsable de budget opérationnel de programme en fin de gestion à 9,4 millions d'euros . Comparée au seuil de dépenses incompressibles (engagements contractuels sur les marchés de prestations de services externalisées pour 3,8 millions d'euros et dépenses de fluides-énergies pour 3,8 millions d'euros, soit un total de 7,6 millions d'euros), cette allocation initiale ne permettait même pas le soutien courant (carburant terrestre, fournitures de bureaux, location de copieurs, affranchissement, téléphone....).

Aux difficultés initiales d'identification du périmètre du soutien commun, se sont ajoutées des difficultés organisationnelles et techniques, liées à la mise en route des  bases de défense au 1er janvier 2011. Ces difficultés expliquent un engagement budgétaire final de 9,4 millions d'euros, à la hauteur des moyens financiers mis en place fin novembre 2011, mais inférieurs aux besoins réels qui se sont finalement élevés à 10,3 millions d'euros.

Les difficultés à assurer de façon fluide les besoins des formations, pendant la phase de montée en puissance de la base de défense, s'expliquent par les transferts de responsabilités opérées (pouvoir adjudicateur / service exécutant) entre les structures d'exécution (PFAF, ESID,....DIRISI) et de ventilation des marchés (entre structure d'achat soutien commun, structure spécialisée), ce qui a provoqué des ruptures de traitement dans les besoins.

Les délais de mise en place de procédures standardisées ont ralenti le rythme de consommation attendu lors du 1er trimestre ; ainsi la codification CHORUS des marchés, les modalités de suivi des nomenclatures CPV 46 ( * ) en application du code des marchés publics, l'emploi de la régie, les modalités de recours aux procédures dérogatoires, le seuil de compétence et de délégation de signature...

Enfin, des difficultés techniques de systèmes d'information et de formation associées des opérateurs ont également minoré la capacité de traitement nominale des besoins des formations soutenues.

Malgré ces goulets d'étranglement, la dotation budgétaire 2011 n'a pas suffi à couvrir les besoins de la base de défense , ce qui a généré un report d'engagements sur 2012 (prestations « énergie » fournies mais non engagées en raison d'insuffisance de crédits) à hauteur de 0,9 millions d'euros .

Cependant, le commandant de la base de défense, interrogé à ce sujet, précise qu'il n'a pas été fait de déni de soutien : « Les charges, non budgétées ou non référencées sur les périmètres de soutien qui mettaient en cause la sécurité des personnels, des installations ou la réalisation de la mission, ont été assurées. »

Des mesures d'économies et de restrictions ont été mises en oeuvre pour rester dans la cible de crédits « espérés » de 10,3 millions d'euros (9,4 millions de budget+ 0,9 millions d'euros de demande complémentaire non obtenue), soit un effort de 9% sur un besoin réel en gestion de 11,25 millions d'euros. Ces efforts se sont traduits par un entretien limité des infrastructures (contrôles réglementaires et entretien curatif des installations dangereuses), par le non-renouvellement du mobilier vétuste , par les restrictions d'emploi des véhicules de la gamme commerciale , par la revue des prestations externalisés sur marchés et par l'application stricte des périodes de chauffe .

c) L'exemple de la base de Charleville-Mézières

Le budget exécuté en 2011 est de 1,2 million d'euros. Il est extrêmement contraint, comme on peut le lire ci-dessous :

En 2011, les principaux postes budgétaires étaient :

- le fonctionnement des bâtiments : 618 330€,

- l'entretien courant du parc immobilier : 227 460€,

- l'approvisionnement et le maintien en condition des matériels divers : 120 340€,

- les autres dépenses de fonctionnement courant : 162 780€.

Des lignes secondaires étaient approvisionnées à hauteur de quelques milliers d'euros :

- communication, documentation, relations publiques 18 000€,

- déplacement du personnel : 14 160€

- dépenses de télécommunication et frais postaux : 25 800€

- soutien courant du personnel : 26 900€

- matériels divers liés au soutien de l'homme : 13 700€

Le reliquat se répartit sur des budgets comme le maintien en condition des matériels de bureau (2 500€), réalisation et maintien en condition des matériels de transport (2 780€), approvisionnement et maintien en condition des matériels informatique ( 2 300€), etc.

Pour 2012, le budget demandé était de 2 060 850€, l'enveloppe obtenue est de 1 506 786€.

L'augmentation de 1,2 M€ à 2M€ entre 2011 et 2012 s'explique par le changement de périmètre du soutien. Le groupement de soutien souligne qu'il n'y a aucune inflation, bien au contraire. Par exemple, le renouvellement de l'ameublement, l'accidentologie, les nouvelles mesures de sécurité ne faisaient pas partie de l'ancien périmètre du soutien.

Comme il a été indiqué sur place à vos rapporteurs : « La situation à 1,5M€ est intenable pour l'année 2012. »

d) L'exemple de la base de Nouméa

Lors de la récente mission de la commission en Nouvelle Calédonie, les sénateurs membres de la mission ont interrogé le commandant de la base de défense de Nouméa sur la situation budgétaire de la base.

Alors que les besoins initiaux évalués par la base de défense au titre de l'exercice 2012, étaien de 11,5 M€, seuls 8,5 M€ de crédits ont été alloués.

Partant de ce constat, un plan d'économies a été mis en place, visant à assurer la continuité du soutien « au mieux » :

- espacement des fréquences de nettoyage des locaux,

- espacement des fréquences d'entretien des espaces verts,

- suppression de prestations « de confort » (fontaines d'eau réfrigérées, navettes de personnel externalisées),

- contrôle et pilotage accrus de certaines dépenses (climatisation, eau, téléphonie fixe et mobile),

- révision à la baisse des minima de certains marchés,

- arbitrages sur le renouvellement de l'ameublement « troupe » et « cadres mariés »,

- réduction du parc de véhicules de la gamme commerciale,

- réduction de la part consacrée à l'entretien de l'infrastructure (entretien « locatif »).

Après analyse en cours d'année suite à la prise en compte des effets de ces mesures, le besoin a été réévalué à hauteur de 9,5 M€. Il « manque » donc toujours 1 million d'euros de crédits sur 2012.

e) L'exemple de la base de Toulon

A Toulon comme ailleurs vos rapporteurs ont pu observer les trois grandes constantes des budgets des bases de défense : enveloppe sous dotée, dépenses incompressibles, exécution 2012 obérée par les reports 2011 .

Source : Gsbdd de la base de défense de Toulon

La structure du budget limite les marges de manoeuvre en gestion :

- les dépenses obligatoires et inéluctables représentent 72% du budget prévisionnel (57 M€) et 87% du budget actuellement alloué (47,62 M€).

- le reste à payer de 2011 s'élève à 4,6 M€ ;

Par ailleurs, sur les 36,7 M€ de dépenses inéluctables, 20 M€ sont consacrés aux énergies et fluides et 12 M€ sont nécessaires pour les contrats d'externalisation dont notamment 4 M€ pour l'entretien des locaux et les déchets et  4,3 M€ pour le gardiennage.

Le responsable d'unité opérationnelle n'a donc pas de levier à court terme sur ces dépenses dont le niveau dépend directement de l'activité (nombre de bâtiments au port base notamment), du climat (saison de chauffe) et du prix de l'énergie.

Là comme ailleurs des dépenses d'infrastructure ont dû être reportées (annulation du remplacement programmé de 6 chaudières vétustes).

Enfin, les dépenses modulables (15,7 M€) sont estimées à un niveau de stricte suffisance (1,3 M€ par mois) qui, rapporté à l'effectif soutenu de 24.000 personnes, représente une dépense mensuelle par ETP de l'ordre de 55 €.

Vos rapporteurs ne manqueront naturellement pas de faire état de cette situation préoccupante au ministre de la défense.


* 46 Common Procurement Vocabulary, vocabulaire commun pour les marchés publics de l'Union Européenne

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