b) Le double jeu de la Suisse, plus grand commun diviseur de l'UE
La Suisse n'est pas étrangère au blocage des négociations, même si elle n'y participe pas directement, n'étant pas membre de l'UE.
D'une part, elle sert d'alibi au Luxembourg et à l'Autriche : tant que la Suisse garde son secret bancaire, le Luxembourg et l'Autriche invoquent l'équité concurrentielle pour le garder aussi. C'est pourquoi ces deux pays bloquent l'adoption, par la Conseil, d'un mandat de négociation par lequel le Conseil demanderait à la Commission européenne de passer en son nom un nouvel accord avec la Suisse, incluant une clause relative à l'échange d'informations sur demande conforme aux standards internationaux : en effet, mécaniquement, un tel accord mettrait fin à la période transitoire dont bénéficient le Luxembourg et l'Autriche 382 ( * ) . On peut relever néanmoins le paradoxe que cache ce refus, puisque des conventions bilatérales 383 ( * ) entre chacun des vingt-sept États membres et les cinq États tiers en question intègrent désormais ce standard d'échange de renseignements.
D'autre part, la Suisse contribue à faire grandir la division entre les États membres de l'UE : en effet, elle a approché chacun d'eux pour finalement conclure dernièrement avec trois d'entre eux, l'Allemagne, le Royaume-Uni en octobre 2011 puis l'Autriche en avril 2012, des accords bilatéraux, dits « accords Rubik ». Par ces accords, qui restent à ratifier, la Suisse garantit à l'État partenaire d'imposer les fonds non déclarés que ses ressortissants détiennent en Suisse. En échange, l'anonymat des clients est préservé. A l'heure où les États membres de l'UE cherchent par tous moyens à rétablir l'État de leurs finances publiques, le système de prélèvement proposé par la Suisse se présente comme une opportunité... L'Italie serait elle aussi prête à franchir le pas, qui lui permettrait dès 2013 d'obtenir des rentrées budgétaires concernant le stock d'avoirs italiens en Suisse, en évitant la longueur, l'aléa et le coût des procédures de recherche, de contrôle et de recouvrement, et d'engranger à l'avenir une recette annuelle sur les revenus de l'épargne, entendus plus largement dans les accords « Rubik » que dans la directive Epargne. D'autres États membres, dont la Grèce, la Belgique et la Suède, seraient en train d'étudier des accords similaires.
Les accords Rubik signés avec l'Allemagne et le Royaume-Uni Ces accords concernent les personnes physiques résidant dans ces deux pays et qui sont titulaires d'un compte ou d'un dépôt en Suisse ou bénéficiaires effectifs des avoirs détenus par une société de domicile, une société d'assurance ou une autre personne physique. Une personne physique n'est pas concernée par l'imposition pour les avoirs détenus au sein de groupement de personnes ou de patrimoines, de trusts ou de fondations, si le bénéficiaire effectif ne peut pas être établi de manière définitive 384 ( * ) . Ces accords régularisent la fraude passée grâce à un prélèvement forfaitaire libératoire effectué par la Suisse sur tous les comptes détenus par un résident allemand ou britannique en Suisse (à l'exclusion des contenus des coffres-forts et des contrats d'assurance-vie sans risque vie). Cette imposition forfaitaire permet au contribuable de continuer à bénéficier de la confidentialité sur ses avoirs détenus en Suisse et éteint toutes créances fiscales 385 ( * ) pour l'État de résidence sur ce stock d'avoirs (détenus dans des comptes ouverts avant le 31 décembre 2010), sauf pour les contribuables faisant l'objet d'une investigation lors de l'entrée en vigueur de l'accord ou si les avoirs proviennent d'activités criminelles 386 ( * ) . Le taux d'imposition forfaitaire variera entre 19 et 34 % pour le Royaume-Uni et entre 21 et 41 % pour l'Allemagne, en fonction de la durée de détention des avoirs et de l'évolution de leur montant depuis l'ouverture du compte. Cette imposition est établie et prélevée par les établissements financiers, qualifiés d'agents payeurs, l'administration fédérale suisse reversant ensuite l'intégralité de son produit à l'État partenaire. Pour le futur, seuls les revenus de l'épargne (intérêts, mais aussi dividendes, OPCVM assimilés et plus-values de cession) feront l'objet d'une taxation par une retenue à la source libératoire reconnue comme équivalente à l'imposition domestique. Le calcul et le recouvrement de cette retenue libératoire font intervenir les mêmes intermédiaires (agents payeurs et administration fédérale) que l'impôt forfaitaire sur le stock d'avoirs. Le taux de cette taxation est fixé, pour l'Allemagne, au niveau de la retenue à la source libératoire prévue en droit interne allemand (26,375 %) et, pour le Royaume-Uni, à un niveau 387 ( * ) légèrement inférieur au taux marginal d'imposition pratiqué dans ce pays selon la catégorie de revenus concernée. Les accords s'accompagnent d'une clause spécifique d'échange de renseignements qui permet aux autorités allemandes et britanniques de formuler, dans un premier temps, respectivement 1300 demandes sur deux ans ou 500 demandes par an sans avoir à mentionner le nom de la banque, mais seulement l'identité du contribuable 388 ( * ) , si toutefois la demande est fondée sur des « raisons plausibles » correspondant à un risque fiscal identifié dans le cadre d'une procédure de contrôle. Néanmoins, cette clause restera sans effet pour les comptes ouverts avant le 31 décembre 2010, s'ils ont fait l'objet d'une imposition forfaitaire puis de retenues à la source annuelles, considérées comme libératoires, sauf en cas de changement de titulaire ou d'apport de capitaux depuis cette date. Le nombre de cas dans lesquels la Suisse sera tenue de répondre à une demande de renseignements dans le cadre de ces accords sera donc limité. En outre, les autorités helvétiques informeront le contribuable avant de communiquer toute information à leur État de résidence. En contrepartie, le Royaume-Uni et l'Allemagne se sont engagés à ne plus acquérir de fichiers dérobés à des banques suisses. Le fonctionnement de l'accord est cautionné financièrement par les banques et a vocation à être contrôlé par l'administration suisse. |
* 382 En vertu de l'article 10.2 de la directive.
* 383 Ainsi, la France a ratifié en octobre 2010 l'avenant à la convention entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée à Paris le 9 septembre 1966 (et son protocole additionnel), modifiée par l'avenant signé à Paris le 3 décembre 1969 et par l'avenant signé à Paris le 22 juillet 1997, signé à Berne le 27 août 2009.
* 384 Cas des trusts discrétionnaires pour lesquels le trustee a tous pouvoirs pour gérer les biens et répartir les revenus entre bénéficiaires.
* 385 Impositions sur les revenus comme sur le capital, y compris les droits de succession.
* 386 Incluant expressément la fraude fiscale dans l'accord signé avec le Royaume-Uni.
* 387 Entre 27 et 48 %.
* 388 Quota révisable d'ici 2 ans pour l'Allemagne (3 ans pour le Royaume-Uni).