B. L'AMBITION D'UNE ACTION COMMUNE CONTRE L'ÉVASION FISCALE CONTRARIÉE PAR LES INTÉRÊTS NATIONAUX
En réponse à la demande du Conseil européen des 1 er et 2 mars 2012, le Conseil ECOFIN a présenté au Conseil européen des 28 et 29 juin 2012 un rapport faisant aveu d'impuissance sur la plupart des dossiers clefs initiés par la Commission européenne pour lutter contre l'évasion fiscale, même si, sur certains de ces dossiers, une poursuite des efforts de négociation pourrait éventuellement rendre possible une décision ou une adoption unanime du Conseil.
1. En matière de fiscalité des personnes physiques : l'inatteignable échange automatique d'informations
La commission d'enquête s'est rendue à Bruxelles le 16 mai 2012, au lendemain d'un Conseil ECOFIN qui, une nouvelle fois, s'était conclu par une impasse sur deux dossiers liés et décisifs pour la lutte contre l'évasion fiscale en Europe : la révision de la directive Epargne et la négociation d'un nouvel accord en la matière entre l'Union européenne et la Suisse .
a) Le Luxembourg et l'Autriche bloquent la nécessaire révision de la directive Epargne
La combinaison de la liberté des mouvements de capitaux dans l'UE et de la souveraineté fiscale faisant courir le risque que des résidents de l'UE ne payent pas d'impôts sur les intérêts qu'ils perçoivent grâce à leur épargne localisée dans un État membre où ils ne résident pas, le Conseil européen s'est fixé pour objectif, dès l'an 2000, de mettre l'échange d'informations au fondement de l'imposition des revenus de l'épargne des non résidents. Ceci a permis l'adoption en 2003 d'une directive communautaire sur la fiscalité de l'épargne (dite directive Epargne) . Cette directive pose comme principe que les « agents payeurs » (ceux qui paient les intérêts) sont tenus de déclarer les intérêts perçus par les contribuables résidant dans d'autres États membres. Une période de transition était néanmoins prévue pour la Belgique, l'Autriche et le Luxembourg : ces trois pays n'étaient alors pas encore prêts à échanger automatiquement des informations et ont obtenu d'appliquer transitoirement une retenue à la source, qui est aujourd'hui de 35 %. Pour des raisons d'équité concurrentielle, la directive de 2003 prévoit que cette période transitoire s'achèvera quand les cinq États tiers concurrents (la Suisse, le Liechtenstein, Andorre, Monaco ou Saint-Marin) garantiront à l'UE un échange effectif d'informations sur demande, conforme au standard de l'OCDE : tous les États membres de l'UE participeront donc à l'échange automatique d'informations quand sera prise, à l'unanimité du Conseil, la décision de négocier de telles conventions bilatérales avec ces cinq États tiers .
Quelques années ont suffi pour montrer que la directive Epargne pouvait facilement être contournée : en effet, dans l'état actuel du texte, les personnes physiques peuvent échapper à l'imposition en recourant à des entités ou constructions juridiques (de type trusts ou fondations) dont les revenus ne sont pas imposés. Par ailleurs, l'utilisation d'instruments financiers innovants plutôt que d'un compte d'épargne classique dans une banque peut aussi permettre d'échapper à la directive Epargne qui ne couvre que les versements directs d'intérêts.
C'est pourquoi la Commission européenne a proposé en 2008 de revoir la directive Épargne pour étendre son champ d'application et la rendre ainsi véritablement efficace contre l'évasion fiscale : la Commission propose une « approche par transparence » obligeant l'opérateur économique établi dans l'UE à appliquer la directive (échange d'informations ou retenue à la source) au moment du paiement des intérêts en faveur d'une structure intermédiaire non taxée et située hors de l'UE, comme si ce paiement était directement effectué au profit de la personne physique résidant dans l'UE qui en est le bénéficiaire effectif. Quand ces structures intermédiaires non imposées sont établies au sein de l'UE, elles devront agir comme « agents payeurs à la réception », c'est-à-dire appliquer la directive (échange d'informations ou retenue à la source) à la réception de tout paiement d'intérêts provenant d'un quelconque opérateur économique, où qu'il soit établi et indépendamment de la distribution réelle de toute somme au profit des bénéficiaires effectifs qui sont des personnes physiques. En outre, la Commission propose d'étendre le champ d'application de la directive, notamment aux revenus provenant de tout fonds de placement, de titres équivalents à des créances ou de contrats d'assurance-vie dont la performance est liée à des revenus provenant de créances.
Cela fait donc plus de trois ans que cette révision est proposée aux États membres de l'UE. Mais le dossier est bloqué au Conseil : si la Belgique a levé le secret bancaire depuis le 1 er juillet 2011, deux États, le Luxembourg et l'Autriche, persistent à vouloir le maintenir . Ils estiment qu'il serait inéquitable de leur imposer l'échange automatique d'informations quand la Suisse et les autres pays tiers ne seraient contraints qu'à un échange sur demande, correspondant aux normes OCDE. Pour éviter que la Suisse et les autres pays tiers ne tirent profit de la révision de la directive Epargne, ces deux États membres soulignent donc la nécessité d'assurer un parallélisme entre les dispositions de la directive Epargne révisée et la mise à jour des conventions fiscales entre l'UE et la Suisse et les autres pays tiers.