c) Le refus français de céder à la tentation « Rubik »

La France a pour l'instant décliné la proposition suisse. En application de l'article 11 de la loi de finances rectificative pour 2011 389 ( * ) , le Gouvernement a remis au Parlement, en février 2012, un rapport présentant les avantages et inconvénients pour la France qu'il y aurait à conclure un tel accord : d'une part, le Gouvernement estime que cet accord procurerait une rentrée budgétaire certes immédiate 390 ( * ) mais aléatoire . Le parlement allemand ne s'y est d'ailleurs pas trompé : le Bundesrat ne semble pas prêt à ratifier l'accord Rubik signé par le Gouvernement allemand... Le Royaume-Uni paraît plus enclin à entrer dans cette logique, ce qui ne laisse de surprendre au regard des habitudes de dignité de cette nation et de la connaissance qu'elle ne peut manquer d'avoir de l'existence sur le seul fichier HSBC dont elle dispose de plus de 700 clients britanniques, soit un chiffre supérieur au quota de demandes d'échanges de renseignements concédé par la Confédération helvétique aux services de Sa Majesté.

Il n'est pas exclu que certains contribuables transfèrent leurs comptes ailleurs d'ici à l'entrée en vigueur de l'accord ou recourent à des « structures écran » pour échapper à l'application de l'accord. De surcroît, la diligence avec laquelle les agents payeurs suisses appliqueront l'accord reste incertaine et son contrôle par l'administration fédérale se fonde sur une méthode de sondage qui est loin d'apporter les garanties nécessaires . Par ailleurs, la clause d'échange de renseignements spécifique prévue par les accords Rubik ne constitue pas une avancée par rapport à la convention fiscale franco-suisse en vigueur depuis le 4 novembre 2010 391 ( * ) . Enfin, la retenue à la source et le maintien de l'anonymat sont un frein à l'individualisation de l'impôt et, par exemple, à l'application d'un taux progressif et ne permettent pas d'imposer le patrimoine.

A titre illustratif, on peut remarquer le recul progressif des versements effectués par le Luxembourg et l'Autriche au titre du système transitoire de prélèvement à la source, en application de la directive Epargne en vigueur :

(en euros)

Montants versés par le Luxembourg

Montants versés par l'Autriche

2009

17 315 445,70

1 082 776,99

2010

11 253 209,69

507 435,94

2011

8 963 073,89

393 772,89

Source : Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne.

Comment expliquer cette baisse continue des versements effectués au titre de la retenue à la source, alors même que le taux de la retenue, fixé à 20 % en 2009 et 2010, a été relevé à 35 % au 1 er juillet 2011 ? Sans doute cette baisse atteste-t-elle des possibilités de contournement de la directive Epargne en vigueur ; mais elle révèle aussi le caractère aléatoire du produit d'une retenue à la source sur les revenus des contribuables français quand elle est confiée à des pays voisins auxquels la France n'a aucun droit de réclamer des informations ou des explications sur les montants versés .

D'autre part, le Gouvernement souligne dans son rapport au Parlement qu'un accord de type « Rubik » semble peu compatible avec nos principes républicains et avec nos engagements, tant européens qu'internationaux, dont on doit au demeurant relever qu'ils sont également ceux de nos partenaires européens . Au niveau européen, M. Algirdas Semeta, commissaire en charge de la fiscalité, dont votre rapporteur a rencontré le cabinet, a estimé, dans un courrier adressé le 5 mars 2012 à la présidence danoise du Conseil de l'UE, que les États membres étaient certes libres de négocier des accords internationaux mais que de tels accords ne sauraient empiéter sur des domaines où une action commune de l'UE a été entreprise ou, même, est envisagée : la Commission européenne défend ainsi la nécessité d'une approche coordonnée entre les États membres de l'UE sur la fiscalité de l'épargne .

De surcroît, un accord de type « Rubik » peut s'interpréter comme une forme d'amnistie : en libérant le contribuable concerné de toute obligation fiscale, pénalité ou poursuite tout en préservant son anonymat, il empêche en effet d'identifier les résidents détenant des comptes à l'étranger non déclarés et de régulariser leur situation. La politique de la France est de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales par le renforcement continu des dispositifs du contrôle : identification de virements vers l'étranger effectués par les résidents français grâce à l'exercice du droit de communication auprès des banques, création du fichier EVAFISC recensant des informations laissant présumer la détention de comptes à l'étranger, analyse des transactions réalisées en France au moyen de cartes de crédits étrangères... En outre, la France privilégie une action consistant à favoriser la régularisation en France des avoirs expatriés frauduleusement. Votre rapporteur reviendra ci-dessous sur le bilan de la cellule de régularisation mise en place en 2009 par le Ministère des finances.

Comme la France le défend depuis plusieurs années au sein du G20, la transparence est assurément la seule manière de lutter efficacement et durablement contre l'évasion fiscale. Il est donc fondamental de consacrer le modèle de l'échange automatique d'informations, déjà à l'échelle de l'UE, même si la Suisse essaye de remettre en cause ce modèle en faisant valoir que la retenue à la source est un modèle durablement équivalent. L'UE sera ensuite plus forte pour le promouvoir à l'échelle mondiale en soutenant l'action du G20 et de l'OCDE en faveur de la transparence fiscale.

Déjà, les États-Unis d'Amérique exercent une pression en ce sens : dès le 1 er janvier 2014, leur législation FATCA ( US Foreign Account Tax Compliance Act ) promulguée le 18 mars 2010 obligera les établissements financiers du monde entier à déclarer aux États-Unis les comptes des ressortissants américains de par le monde. Pour effectuer une telle transmission, l'établissement financier devra obtenir l'accord du client concerné ; un client ne donnant pas son accord sera réputé non disposé à coopérer. En pareil cas, l'établissement financier devra procéder à une retenue fiscale égale à 30 % du montant de tous les paiements en provenance des États-Unis. Il est probable que les établissements financiers ne s'acquittant pas de ces obligations se trouvent à terme exclus du plus grand marché financier du monde, le marché américain.

Cette obligation de déclaration des comptes américains risque de se heurter à certaines limites légales et contractuelles qui protègent le secret bancaire en Suisse, consacré par la loi fédérale en 1934 392 ( * ) . La Suisse a donc entrepris de négocier un accord-cadre avec les États-Unis pour faciliter la mise en oeuvre du FATCA. Dans leur déclaration commune du 21 juin 2012 concernant ce futur accord-cadre, les États-Unis et la Suisse sont convenus d'organiser une déclaration aux autorités fiscales américaines, par les banques suisses, des comptes dont les titulaires sont des Américains mais sous réserve de plusieurs assouplissements :

- certains établissement suisses seront exemptés de FATCA, tels les institutions ou fonds de prévoyance, d'autres y seront réputés conformes comme certains petits établissements ayant une activité locale ;

- les États-Unis renoncent à la retenue à la source prévue par le FATCA au bénéfice du fisc américain pour tout paiement en provenance des États-Unis sur les comptes suisses des clients américains non coopérants ;

- les établissements suisses ne seront pas tenus de fermer le compte d'un titulaire qui ne coopère pas ni d'indiquer nommément son identité mais seulement de transmettre le nombre de ces comptes et leur montant total et de répondre rapidement aux demandes groupées d'assistance administrative émanant de l'autorité fiscale américaine sur ces comptes.

Contrairement au modèle de mise en oeuvre dont sont convenus avec les États-Unis cinq grands États de l'UE (Allemagne, France, Italie, Espagne et Royaume-Uni), les données ne seront donc pas échangées par le biais d'une base de données centrale de l'État, mais fournies directement aux autorités fiscales américaines par les établissements financiers. Si certains des assouplissements négociés par la Suisse pour la mise en oeuvre de FATCA ont également été consentis aux cinq États de l'UE, votre rapporteur relève que la Suisse s'est employée, avec succès, à protéger autant que possible l'identité des contribuables peu coopératifs et à conforter le principe de l'échange d'informations sur demande...

C'est dans ce contexte que la présidence danoise de l'UE a décidé de faire remonter le blocage de la révision de la directive Epargne au niveau des chefs d'État au Conseil européen des 28 et 29 juin 2012 , dans l'espoir que les vingt-sept États membres fassent pression sur les deux réfractaires. Comment comprendre en effet que le Luxembourg, pays fondateur de la Communauté européenne, empêche l'échange d'informations entre banques européennes ? D'autant que son premier ministre, M. Jean-Claude Juncker, préside l'Eurogroupe et prône la saine gestion des finances publiques...

Hélas, l'ordre du jour très chargé de ce Conseil européen n'a pas permis de débloquer ce dossier. Celui-ci risque de rester en plan pour au moins un an , les deux présidences chypriote et irlandaise n'ayant pas intérêt à donner une accélération à la construction d'un ordre fiscal européen...


* 389 Loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011.

* 390 Dont le Gouvernement ne donne aucune évaluation, se référant à celle du rapporteur de la commission des finances de l'Assemblée nationale, soit environ 1 milliard d'euros du fait de la régularisation du stock et une rentrée annuelle légèrement inférieure au titre de la retenue à la source.

* 391 La nouvelle rédaction permet à la France d'obtenir des renseignements de la part des autorités suisses sans limitation quant à la nature des impôts, des personnes et des renseignements visés par la demande. Elle ne permet plus à la Suisse d'invoquer le secret bancaire pour refuser de transmettre des informations. De surcroît, elle n'exige la communication du nom de l'établissement bancaire tiers détenteur présumé que dans la mesure où il est connu.

* 392 Dont l'article 47 prévoit des peines pénales pour tout employé de banque suisse qui transmettrait des informations sur la clientèle sans y être autorisé.

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