B. LA FRANCE DISPOSE, EN OUTRE, D'UNE INDUSTRIE MARITIME À FORT POTENTIEL

Comme l'a souligné Monsieur Francis Vallat du Cluster Maritime Français devant le groupe de travail « La France est un grand pays maritime, pas seulement parce que grâce à l'outre-mer, son « territoire » s'étend sur 11 millions de km 2 , mais aussi et surtout parce que son secteur économique maritime compte 11 fleurons et leaders maritimes mondiaux. »

1. Des entreprises d'excellence

Le Livre bleu définissant la stratégie française pour les mers et les océans constate que « État côtier parmi les plus importants, la France est aussi une puissance industrielle maritime qui s'ignore » .

Même si plusieurs secteurs rencontrent des difficultés importantes, elle peut s'appuyer sur une recherche océanographique mondialement reconnue, un tourisme littoral florissant, des sociétés de service très présentes sur les marchés internationaux des banques et assurances, et elle conserve toute la panoplie des capacités maritimes et des savoir-faire associés : dans le transport maritime avec des armements français très performants ; dans la construction navale civile et militaire ; dans la surveillance maritime ; dans la pêche hauturière avec des flottes de haute technologie ; dans le secteur des hydrocarbures offshore avec des leaders mondiaux ; dans l'industrie touristique (construction nautique de plaisance, thalassothérapie, etc.).

Au plan national, le secteur maritime français est aujourd'hui riche de 310 000 emplois directs hors tourisme et de 52 milliards en valeur de production. C'est autant que l'automobile et deux fois le secteur aéronautique.

Aussi, les entreprises françaises figurent-elles parmi les premières entreprises mondiales dans le secteur maritime de la construction navale, mais aussi dans l'industrie off-shore, la recherche scientifique, l'armement et l'assurance.

Dans le domaine de la production d'énergie fossile, le secteur de l'industrie parapétrolière offshore français est le deuxième exportateur du monde, avec 18 % du marché mondial des services de support à l'extraction offshore.

L'industrie parapétrolière offshore française comprend notamment TECHNIP, que nous avons déjà cité, leader mondial du management de projets, de l'ingénierie et de la construction pour l'industrie de l'énergie, mais aussi les groupes BOURBON et CGGVeritas

Dans le domaine des énergies marines renouvelables, les industries françaises sont en pointe avec ALSTOM qui est le premier fournisseur mondial d'équipements et de services hydroélectriques, avec plus de 25 % de la puissance mondiale installée, AREVA Wind, EDF Energies Nouvelles ou encore DCNS avec son implication dans les hydroliennes, les houlomoteurs, et l'énergie thermique des océans (R&D).

Les armateurs français interviennent en effet dans toutes les filières : transport de marchandises, avec notamment le groupe CMA-CGM qui est aujourd'hui le troisième armement mondial de transport maritime en conteneurs et le premier français, le transport en vrac avec Louis Dreyfus Armateurs, le transport de passagers, la recherche océanographique, le transport de matériel roulant, l'activité et les services offshore avec, notamment Bourbon, un leader des services maritimes à l'offshore pétrolier et de l'assistance et sauvetage.

L'armement français compte ainsi une centaine de compagnies qui opèrent 1.200 navires dont 618 sous pavillon français. 305 Millions de tonnes de marchandises et 12 millions de passagers sont transportés par an. Avec une moyenne d'âge de 7,4 ans, sa flotte est l'une des plus jeunes et diversifiées au monde.

L'industrie de la construction et de la réparation navale françaises emploie quant à elle environ 40.000 personnes et se situe au 6 e rang mondial et au 2 e rang européen du marché global civil et militaire avec notamment DCNS, un des leaders mondiaux du naval de défense, Constructions Mécaniques de Normandie, pionnière sur le marché des navires rapides, STX France SA spécialisés dans la construction de navires de 300 mètres de long.

Les savoir-faire français sont connus et les navires construits en France sont des navires de niche à forte valeur ajoutée : paquebots, méthaniers ou navires de plaisance dont la France est le premier constructeur européen.

2. Un secteur en croissance forte

La France dispose ainsi de nombreux acteurs industriels de premier plan dans des secteurs promis à un développement croissant.

Une récente étude de DCNS sur l'avenir de l'économie maritime à passé au crible plusieurs domaines de ce secteur afin de déterminer les marchés potentiels dans les 20 ans à venir : le marché de la Défense, celui de l'exploitation des ressources en mer, qu'elles soient énergétiques ou non, le domaine des ressources halieutiques, le domaine des ressources pétrolières et gazières offshore, le domaine des énergies marines (EMR) et, plus généralement, des énergies en mer qui regroupe les différents segments des énergies renouvelables (hydrolien, marémoteur, houlomoteur, pression osmotique et Energie Thermique des Mers) ainsi que les marchés de la production d'électricité utilisant la mer comme support (éolien offshore posé ou flottant, solaire flottant et électronucléaire flottant ou immergé), le domaine des marchés des minerais et de l'eau de mer, celui des services en mer, du transport maritime, et des services liés à l'exploitation de navires.

Il se dégage de cette étude que l'économie maritime représente un chiffre d'affaires mondial de 1 500 Mds€ annuels.

Il se décompose comme suit :

- 850 Mds€ concernent des produits d'exploitation (pétrole, gaz : halieutique, minerais et dessalement de l'eau de mer) ;

- 450 Mds€ concernent les services (transport, autres services, ports, support) ;

- 120 Mds€ concernent la construction navale (civile et militaire) ;

- 56 Mds€ concernent les budgets étatiques de défense et de sécurité ;

Parmi ces 1 500 Mds€, 190 Mds€ proviennent de secteurs qui n'existaient pas il y a dix ans, notamment, les hydrocarbures offshore profonds, le secteur des minerais et du dessalement de l'eau de mer, l'aquaculture industrielle et les algues, les énergies marines et les services associés.

Ces activités nouvelles devraient représenter 500 milliards de dollars environ d'ici 2020, et seront comparables au volume de l'industrie mondiale du luxe ou du transport aérien : 400 Milliards pour la première et 600 pour la seconde.

Si l'industrie française, qui représente déjà une part significative de ce marché, ne capte que 10 % de ces nouveaux marchés, elle pourrait dégager un chiffre d'affaires supplémentaire de l'ordre de 50 milliards d'euros, c'est-à-dire un quasi-doublement du chiffre d'affaires actuel avec les conséquences positives que l'on peut imaginer en termes d'emplois.

3. Une industrie de défense de premier plan

Dans l'ensemble du secteur maritime, la France a, par ailleurs, conservé la maîtrise nationale des technologies et des capacités de concevoir, fabriquer et soutenir les équipements nécessaires à sa Marine nationale.

Dans la mesure où la question des industries souveraines fait également l'objet d'un groupe de travail dirigé par MM. Daniel REINER et Yves POZZO DI BORGO, le présent rapport ne s'y attardera pas.

La France a décidé, de longue date, d'appliquer une politique d'autonomie stratégique en matière de défense, en général, et dans le domaine marin, en particulier.

Cette autonomie constitue un objectif stratégique. Ainsi le Livre blanc de 2008 indique que « les capacités sous-marines sont stratégiques aussi bien pour la dissuasion et le renseignement que pour l'intervention (frappes de précision à distance de sécurité - opérations spéciales). La maîtrise de la conception et de la réalisation des sous-marins à propulsion nucléaire devra donc être conservée et même développée au niveau national. »

L'exercice de cette souveraineté suppose la possibilité d'un accès libre aux capacités permettant de répondre aux besoins opérationnels des forces armées du XXI è siècle.

Pour cela, l'industrie française, soutenue par l'Etat, a développé des technologies et des moyens industriels efficaces pour produire des systèmes d'armes aussi complexes que les sous-marins ou les porte-avions ce qui a exigé un effort dans la durée pour bâtir une compétence technique et pour former des hommes capables d'entretenir et de transmettre ce savoir-faire.

La préoccupation d'autonomie est une caractéristique essentiellement partagée par la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis d'Amérique. La plupart des autres pays européens mettent moins l'accent sur le besoin d'autonomie et consentent à une dépendance plus marquée vis-à-vis de fournisseurs étrangers, notamment américains.

L'Etat français a favorisé, depuis près de 20 ans, la constitution de groupes industriels plurinationaux. Plusieurs groupes ont aujourd'hui une dimension significative à l'échelon mondial ou bien sont des leaders mondiaux.

Autour des grands industriels que sont DCNS, STX, THALES et EADS, l'industrie navale française rassemble de nombreuses PME et PMI.

Grâce à la maîtrise de savoir-faire et de technologies complexes, elle contribue non seulement à notre autonomie mais également à la diffusion de l'innovation et à la compétitivité de notre pays.

Le succès du sous-marin lanceur d'engins le Terrible, un des objets les plus complexes au monde livré en 2010 avec le missile M51, en est l'illustration.

De même, le 4 avril 2012, la DGA et la Marine nationale ont réussi l'interception d'une cible aérienne simulant l'attaque d'un missile antinavire supersonique volant à très basse altitude grâce à la mise en oeuvre du système PAAMS (principal anti-air missile system) et du missile Aster 30 de la frégate Forbin.

Il s'agit d'une première en Europe qui illustre la capacité des industriels français à créer des coopérations européennes pour produire un système d'armes essentiel pour protéger un groupe aéronaval contre un type de menace particulièrement dangereux.

Soutenue par les grands contrats des frégates multi-missions (FREMM), des sous-marins nucléaires d'attaque BARRACUDA, ou des bâtiments de projection et de commandement (BPC), l'industrie navale française a également connu au cours des dernières années d'importants succès à l'exportation.

Sa part dans les exportations de matériels de défense, qui était de 15 % à 20 % au début des années 2000 est passée à plus de 30 % il y a cinq ans pour atteindre plus de 50 % en 2009 grâce aux contrats conclus avec le Brésil et l'Inde.

L'industrie navale française bénéficie ainsi de la montée en puissance des enjeux maritimes. Comme l'a fait observer, Monsieur Patrick Boissier, Président Directeur Général de DCNS : « Ces enjeux de la maritimisation se traduisent déjà concrètement dans les résultats de notre groupe. Nous exportons nos produits en Inde, au Brésil et même en Russie - chose impensable il y a dix ans à peine. Ces pôles stratégiques réarment leur Marine afin de profiter également des océans et se tournent vers la France. En 2011 notre chiffre d'affaires et nos effectifs ont progressé pour la deuxième année consécutive. »

Si les perspectives d'avenir sont bonnes, la position majoritaire sur les marchés exports des industries française et européenne est cependant aujourd'hui fortement concurrencée par les entreprises asiatiques .

L'Europe était jusqu'il y a peu la seule à exporter. Les navires développés pour la marine américaine ne sont pas conçus pour l'export. En matière de sous-marins conventionnels, par exemple, l'Allemagne et la France se sont partagés le marché accessible, jusqu'à ce que de nouveaux entrants tels que la Russie et la Corée du Sud se présentent au début des années 2010. Cette concurrence nouvelle renforce le besoin de rapprochements industriels européens.

Sur les marchés civils, on observe depuis plusieurs années un renversement des positions dominantes entre les pays historiques, qui ont cherché à conserver la construction de navires à forte valeur ajoutée, mais à faible volume, et les pays émergents comme la Chine et la Corée du Sud, qui sont montés en puissance sur la scène internationale via la construction des navires de marchandises.

Plus récemment, ces pays proposent dans leurs catalogues des navires plus complexes, à l'image des FPSO (Unité flottante de production, de stockage et de déchargement) coréens. Les chantiers civils européens sont aujourd'hui dans une position délicate qui devrait nourrir trois types de stratégie : le regroupement au niveau européen pour atteindre des tailles critiques, la montée en gamme avec le développement de navires au contenu technologique renforcé et enfin l'investissement dans les marchés émergents.

L'avenir de l'industrie navale française réside sans doute en grande partie dans des produits à forte valeur ajoutée, en particulier dans le domaine de l'armement qui relève de la haute technologie. La Corée du Sud, qui produit déjà des coques de sous-marins, ne dispose, par exemple, pas encore des systèmes d'armes permettant de les équiper.

Dans ce contexte la dispersion de l'industrie européenne dans le naval de défense devient un élément de faiblesse. L'Europe compte ainsi 23 acteurs majeurs dans le domaine naval, pour un chiffre d'affaires d'environ 8 milliards, quand les Etats-Unis comptent 4 acteurs majeurs pour un chiffre d'affaires de 10 milliards.

C'est ce qui fait dire à de nombreux interlocuteurs que seuls une coopération et des rapprochements à l'échelle européenne pourront compenser cette faiblesse et permettre aux acteurs du secteur d'atteindre la taille critique pour faire face à la concurrence.

Il est, à cet égard, significatif que le géant américain Lockheed Martin, n° 1 de l'industrie américaine de défense représente, un chiffre d'affaires de près de 20 fois celui de DCNS.

Le maintien de l'avance technologique dans ce domaine dépendra de la capacité à soutenir et mieux organiser la recherche, le développement et l'innovation.

De ce point de vue, l'activité des industriels dépendant des commandes nationales et européennes reste fragile du fait de la crise des finances publiques européennes.

Les politiques de désendettement et de réduction des déficits publics ont déjà exercé une forte pression sur les budgets de défense dont la baisse cumulée atteint 33 milliards d'euros entre 2009 et 2010, soit une diminution de 12,5%.

Comme le souligne le document préparatoire à l'actualisation du Livre blanc intitulé  « La France face aux évolutions du contexte international et stratégique » produit par le SGDSN : « l'Europe risque d'affecter, à terme, les compétences technologiques et les capacités militaires, la force de l'Alliance atlantique, la base industrielle et technologique de défense européenne ».

L'industrie navale française est, de ce fait, particulièrement attentive à ce que les commandes passées soient maintenues afin de conserver la visibilité nécessaire à une industrie qui s'inscrit dans le long terme.

L'acquisition et le maintien des savoir-faire industriels et opérationnels nécessitent plusieurs dizaines d'années de recherches, de tests, de développements technologiques et d'entraînement opérationnel. Un tel acquis nécessite du temps, s'inscrit dans le long terme et impose une vision stratégique .

Comme le disait Voltaire : « La marine est un art et un grand art ; on a vu quelquefois de bonnes troupes de terre formées en deux ou trois années par des généraux habiles et appliqués ; mais il faut un long temps pour se procurer une marine redoutable » 16 ( * ) .

Des programmes de sous-marins ou de frégates se construisent dans la durée, avec des temps de développement longs et la nécessité de réunir un grand nombre de compétences.

De nombreux interlocuteurs du groupe de travail ont souligné :: la situation britannique où la perte des savoir-faire anglais dans le domaine des sous-marins comme des porte-avions doit être signalé.

Aujourd'hui, les Britanniques ont des difficultés à mettre au point leur nouveau SNA de type Astute nécessitant l'aide de l'industrie américaine. Quant au projet de porte-avions de la classe Queen Elizabeth , on estime qu'au regard de la perte de très nombreux savoir-faire opérationnels et industriels liés à la mise en oeuvre de ce type de bâtiment, le premier navire ne sera opérationnel que dans plus d'une dizaine d'années alors qu'Américains et Français soutiennent totalement cette entreprise.

Un constat qui fait dire à plus d'une personne auditionnée qu'on peut en très peu de temps perdre la maîtrise de certaines techniques qui ont été acquises et qui ne pourront l'être de nouveau qu'à l'issue de nombreuses années nécessaires notamment à la formation du personnel.

Comme l'a souligné M. Andreas Loewenstein, directeur de développement et de la stratégie de DCNS : « Il y a par exemple un pas-de-géant entre la connaissance théorique de la chaudronnerie et une pratique excellente. Le même pas existe dans tous les domaines opérationnels qui touchent à la mer. »


* 16 Louis XV, page 28

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