II. CETTE STRATÉGIE MILITAIRE DOIT ÊTRE ACCOMPAGNÉE D'UNE STRATÉGIE INDUSTRIELLE DE VALORISATION DU SECTEUR MARITIME ET D'UNE STRATÉGIE DIPLOMATIQUE EUROPÉENNE EN FAVEUR D'UN MODÈLE MARITIME INTERNATIONAL RESPONSABLE

A. SOUTENIR L'ÉCONOMIE MARITIME FRANÇAISE

Même si plusieurs secteurs rencontrent des difficultés importantes, l'économie maritime française peut s'appuyer sur une industrie, des services et un savoir-faire reconnu.

La France dispose d'acteurs mondiaux dans les domaines maritimes à plus forte croissance : hydrocarbures offshore profonds (Technip, CGG Veritas, Total), minerais et dessalement de l'eau de mer (Eramet, Veolia), aquaculture industrielle et algues (l'Oréal, Yves Rocher, etc) et énergies marines (DCNS) ou encore la plaisance, où le groupe Beneteau occupe la première place mondiale.

Ces industries sont essentielles à la croissance de demain.

1. Soutenir la filière industrielle des chantiers navals dans la compétition internationale.

Au sein d'une production européenne très rudement concurrencée par la construction navale en série en Corée du sud et en Chine, le savoir-faire français se concentre sur des segments à très forte valeur ajoutée autour notamment de 3 produits : les grands navires à passagers et les navires militaires et les énergies marines renouvelables. Les efforts devront être poursuivis pour conforter la cohésion du Groupement des Industries de la Construction et des Armements Navals qui fédère l'ensemble de l'industrie navale.

Le secteur des énergies renouvelables est encore en phase de démarrage. Mais il présente des potentialités de développement où l'industrie navale française entend se positionner de manière claire et rattraper un retard encore absorbable. Les EMR, toutes technologies confondues génèrent 3 emplois par mégawatt installé (source pôle de compétitivité mer Bretagne). Cela signifie que les prévisions à 2020 devraient créer 18 000 emplois dans ce secteur.

La démarche relative au « navire du futur » peut également donner à notre industrie navale une aptitude à se renouveler, à retrouver une compétitivité émoussée face aux grands chantiers asiatiques, et à faire de ce secteur économique, qui fut un pilier économique, un nouveau pôle de compétence.

Le GICAN devra être soutenu dans ses programmes de recherche et de développement ainsi que dans ses missions de promotion du "made in France" en matière navale, gage de qualité, de performance et de sécurité. Pour ce qui concerne la construction et la réparation des navires de pêche, il conviendra d'envisager l'impact de l'interdiction préconisée dans un délai très court par la Commission européenne des rejets à bord des bateaux.

Cette réforme radicale et contestée au sein de la filière halieutique représente néanmoins une opportunité pour réfléchir sur les problématiques liées à l'organisation du travail des équipages et à la sécurité à bord avec des espaces plus grands qu'entraînera la libération de la jauge supplémentaire.

De même, la réduction de l'effort de pêche qu'initie la réforme de la PCP devra logiquement privilégier les unités les plus vétustes et les plus dangereuses pour la vie des marins. Elle devra être accompagnée par un plan européen destiné au recyclage durable des navires en fin de vie.

Il semble prioritaire de conforter la synergie créée autour de la conception d'un bateau propre et sobre dans le cadre d'un port plus économe en foncier, moins pénalisant pour l'environnement et mieux intégré à la ville .

La filière française de construction navale de navires à propulsion à gaz peut être à l'avant-garde sur ce secteur d'autant plus important que les flottilles européennes de pêche sont toutes à renouveler.

Les réflexions sur le navire du futur doit intégrer les évolutions nécessaires à la pérennité filière halieutique . Il est fondamental de travailler sur de nouveaux modes de production d'énergie alternatifs au gasoil mais aussi au gaz dont le prix est indexé sur le pétrole.

Les recherches sur la filière Hydrogène ou les moteurs supra-conducteurs devront être soutenues. Nos capacités de recherche et de production sont en mesure de placer la France dans la compétition des prochaines décennies en la matière.

De même dans le domaine de l'autoprotection non létale des navires , la filière française a des opportunités de gagner de nouveaux marchés en offrant des systèmes nouveaux permettant de disposer de différents niveaux de protection permettant de régler la plupart des questions de responsabilité que soulèvent les équipes armées embarquées.

2. Développer les ressources énergétiques et minérales marines.

Disposant d'un exceptionnel potentiel pour son exposition aux vents et marées, la France pourrait devenir demain un centre de gravité des technologies d'énergies marines renouvelables (EMR).

La France doit aller vite, notamment pour les territoires insulaires de l'outre-mer, afin de favoriser leur autonomie en énergie. Ils ne peuvent se permettre d'attendre l'organisation d'une filière industrielle stable et rentable. Les investisseurs étrangers, qui sont prêts technologiquement pourraient utiliser cette brèche pour prendre place et investir massivement afin de couvrir les besoins ignorés trop longtemps.

Parmi ces énergies renouvelables, l'énergie thermique des mers possède un potentiel de développement remarquable. Compte tenu de l'avance des industries françaises dans ce secteur d'avenir et de ses possessions maritimes dans les eaux chaudes, la France devrait être en mesure d'être un leader dans ce domaine. Son développement permettrait aux outre-mer d'acquérir une indépendance énergétique rapidement dans une logique durable. L'ETM permettrait à la France de devenir exportateur d'énergie plutôt qu'exportateur de technologie productrice d'énergie.

Les affirmations du Grenelle de l'environnement, ses affichages et autres effets d'annonce dont l'objectif de parvenir à 23% d'énergies renouvelables d'ici 2020 devraient emporter l'adhésion si cela se traduisait par une véritable stratégie écologique et industrielle mobilisant les moyens et soutenant la recherche.

Les acteurs français du secteur sont appuyés par des compétences académiques de premier plan (Ifremer, Centrale Nantes, etc.) et les pôles de compétitivité Mer Bretagne et Mer PACA (90% du potentiel de R&D maritime française, près de 400 projets financés pour 700 M€).

Pour permettre à ces acteurs de se développer il convient :

1 - d'élaborer une feuille de route stratégique du développement industriel dans les domaines précités . Elle inclura notamment la poursuite des développements technologiques initiés par les acteurs, en particulier ceux des pôles Mer.

Ces développements pourront bénéficier de l'appui du Programme-Cadre pour la Recherche et le Développement de l'Union européenne, auquel la France doit proposer urgemment d'inclure les océans parmi ses priorités de recherche. Il est, de ce point de vue, regrettable que, dans l'élaboration du 8 è PCRD, les EMR aient été « oubliées » à l'instar de toute considération sur le maritime.

2 - d'engager un programme de géologie sismique sous-marine des eaux sous souveraineté française afin de cartographier nos ressources minérales et d'hydrocarbures.

Dans le secteur minier, la France gagnerait à fédérer les acteurs susceptibles de s'engager dans la prospection et l'exploitation sous-marine . Il s'agit, en effet, d'un secteur qui exige des investissements lourds et des compétences spécialisés. Fédérer les compétences et les financements publics et privés permettraient sans doute de créer les synergies nécessaires pour amorcer le développement de cette filière. En parallèle, la France devrait proposer à ses partenaires internationaux de réaliser pour leur compte l'identification géologique de leurs ressources sous-marines ;

3 - de s'assurer de l'implantation en France des centres industriels liés au développement des énergies marines , des bioalgues ou de la valorisation des minerais sous-marins. Pour cela il convient de lancer des plans d'accompagnements de ces industries sous la forme de vagues successives d'appels d'offres (2013 pour les hydroliennes, 2014 pour l'éolien flottant, 2015 pour les minerais sous-marins et les bioalgues).

Il est fondamental qu'une orientation politique forte et claire soit prise pour indiquer le poids stratégique des EMR dans le développement de notre économie.

Comme la direction du nucléaire fut indiquée sans hésitation il y a 50 ans, il faut prendre aujourd'hui des décisions structurantes de notre société pour les 30 années à venir, car la France a la possibilité dans ce secteur de devenir un leader de l'énergie à l'échelle mondiale.

Dans le cadre d'une nouvelle politique industrielle de redressement productif, les énergies marines renouvelables ont donc toute leur place.

Le groupe de travail propose de créer un commissariat aux énergies marines renouvelables qui puissent fédérer les acteurs publics et privés de ce secteur afin d'accélérer ma mise en place de ces nouvelles technologies.

3. Définir une véritable stratégie portuaire pour favoriser l'inter modalité et la compétitivité

Les ports français sont aujourd'hui confrontés à la concurrence, dans un contexte d'économie mondialisée, et au développement de grandes plateformes logistiques dans les ports européens tels que Rotterdam, Amsterdam ou Anvers.

Premièrement, la politique d'aménagement doit assurer une desserte efficiente de ces ports afin de permettre le développement de transports intermodaux. Cette dimension est à prendre en compte au niveau de la stratégie portuaire mise en oeuvre par l'Etat pour les grands ports maritimes nationaux.

De même, l'Etat aura la responsabilité de soutenir les collectivités territoriales ayant en charge la gestion des ports décentralisés dans le développement des dessertes multimodales de ceux-ci.

La logistique apparaît comme un élément majeur dans la mise en oeuvre de la stratégie globale de compétitivité portuaire et les plus grands ports mondiaux sont ceux qui ont réussi à favoriser l'intermodalité multidimensionnelle : maritime, voie fluviale, fer, route et air.

Le défi se révèle plus grand encore devant la nécessité de maîtriser les espaces et les capacités d'accueil d'une activité logistique en pleine croissance et multimodale.

Des perspectives sont certes tracées avec la création d'un conseil de coordination pour les ports de la façade Atlantique, avec le grand projet Port 2000 au Havre et son corollaire marseillais Fos XXL, avec surtout la mise en service à l'horizon 2018 du canal Seine Nord (106 kms de long, 4,2 milliards d'euros) qui reliera les ports du Havre et de Rouen à Dunkerque et au complexe portuaire nord européen.

Le relatif désenclavement des ports français sur les 3 façades maritimes ne sera pérennisé qu'avec une amélioration structurelle de leur desserte ferroviaire : contournement de Melun à l'est de Paris, contournement de Lyon pour le trafic originaire ou à destination de Marseille et restructuration ferroviaire autour du hub logistique Boulogne-Calais- Dunkerque, plateforme logistique de première importance pour le Royaume-Uni.

Deuxièmement : des solutions doivent être trouvé pour accueillir les immenses navires de grande longueur et à tirant d'eau supérieur à 20 mètres , car la taille des ports sera déterminante, ainsi que sa capacité à absorber le trafic de marchandises.

Une solution pourrait être d'implanter dans nos eaux un hub maritime à partir duquel des navires de tonnage raisonnable irrigueraient le marché, favorisant ainsi l'intermodalité par des volumes à traiter restant dans des limites cohérentes.

Troisièmement, la qualité de service et la fiabilité des équipements portuaires doivent être renforcées. Dans un contexte global d'augmentation des trafics et des échanges internationaux par voie maritime, la recherche de nouvelles performances du service portuaire reste une ardente obligation mais aussi un défi.

Quatrièmement, un assouplissement du calendrier de mise en oeuvre des zones SECA (sulfure emission controlled aera) où les rejets des gaz d'échappement sont strictement contrôlés doit être envisagé.

Aujourd'hui limitées à la Manche et une partie de la mer du Nord, ces zones pourraient être étendues et provoquer des situations de gestion des émissions incompatibles avec les carburants maritimes disponibles sur le marché. Et donc avoir un impact négatif sur les ports européens. Lorsque l'Organisation Maritime Internationale a adopté en 2008 l'obligation pour les armateurs d'utiliser un carburant a faible teneur en soufre, les Etats ont fait le pari que le délai fixe a 2015 pour les zones dites SECA serait suffisant pour permettre aux acteurs du secteur énergétique et aux motoristes de s'adapter.

Force est de constater que cela n'a pas été le cas. Dans le contexte tendu actuel, le risque aujourd'hui est de provoquer un report modal de la mer vers la terre, c'est-à-dire un retour vers la route ou d'autres moyens de transport plus contraignants.

Si les armateurs européens ont déjà réduit leurs émissions de soufre de 80% depuis 2006, un délai supplémentaire semble néanmoins nécessaire pour la mise au point de solutions nouvelles telles que le gaz naturel liquéfie (GNL) ou les scrubbers (dispositif d'épuration des gaz d'échappement), qui ne sont, a ce jour, ni techniquement disponibles ni économiquement viables.

Ces efforts devront être accompagnés d'un développement des autoroutes de la mer. Une longue période de fort soutien public sera probablement nécessaire avant l'émergence de projets privés matures avec un financement partagé entre la prise en charge par la sphère publique du coût des infrastructures et le financement du mode de transport maritime par les armateurs. Ce soutien public devra en revanche être acté par un engagement sur la durée des armements qui bénéficient des subventions publiques.

4. Développer une pêche et une aquaculture durables

La pêche maritime française emploie directement 24 000 marins embarqués, sans compter la transformation des produits de la mer et les cultures marines.

Elle constitue, par ailleurs, un rouage de notre indépendance alimentaire qu'il faut sauvegarder, même si, déjà, elle ne peut plus couvrir que 80 % de nos besoins, ce qui pénalise notre balance des paiements : le déficit global de la France au regard de sa consommation de poissons, est passé en dix ans de 500 000 à 1 million de tonnes.

Or, la flotte de pêche française est extrêmement fragilisée. De 1990 à 2008, le nombre de navires a diminué de 43 % afin de préserver les ressources.

Si l'Europe Bleue a permis à nos pêcheurs l'accès aux eaux communautaires non françaises, la France doit peser de tout son poids dans l'élaboration de la Politique Commune des Pêches (PCP) qui puisse leur redonner espoir.

La France doit aussi dessiner un plan, lisible et responsable, de renouvellement et de modernisation de sa flotte. En tenant compte des contraintes nouvelles de la pêche et, notamment, en prônant des outils et des pratiques plus économes en carburant.

A la veille de la redéfinition des grandes lignes de la Politique commune de la pêche (PCP) qui devrait entrer en vigueur le 1 er janvier 2013, la France doit militer pour le développement durable et raisonné de ce secteur économique traditionnel qui fait vivre une importante population sur nos littoraux.

Face à la raréfaction des ressources halieutiques et à la crise alimentaire qui menace notre planète, l'aquaculture constitue un secteur porteur qui ne cesse de croître.

50% des produits aquatiques consommés dans le monde proviennent aujourd'hui de l'aquaculture. L'aquaculture française constituée de la conchyliculture, de la pisciculture marine et de la pisciculture continentale dispose d'un savoir-faire reconnu au niveau international depuis prés de 30 ans. Mais bien que pionnière dans le développement de l'industrie aquacole en Europe, la France accuse aujourd'hui un certain retard par rapport à certains de ses voisins du continent et les niveaux de production restent marginaux par rapport à la demande.

Pour favoriser le développement de cette filière, il est nécessaire de conforter sur la durée les indispensables passerelles entre la recherche fondamentale et appliquée, la puissance publique et les pêcheurs/éleveurs .

La France doit par ailleurs s'appuyer sur ses territoires d'Outre-mer, qui bénéficient d'un savoir-faire dans la production aquacole, et renforcer son investissement dans le développement et la modernisation de cette filière. Essentielle pour le développement économique et social de ces collectivités et pour l'aménagement de leur territoire, cette activité constitue un enjeu afin de répondre à la demande du marché local mais aussi au niveau de la métropole. De véritables pôles d'excellence aquacole régionaux doivent être créés sur les territoires ultra-marins que sont Saint-Pierre-et-Miquelon, Antilles/Guyane, Mayotte/Réunion et Nouvelle-Calédonie.

5. Suivre et évaluer notre politique maritime

L'ensemble de ces actions pourra utilement être regroupé au sein d'une loi de programmation maritime quinquennale . Il importe que le Parlement puisse débattre annuellement de la Politique maritime de la France.

Ce débat parlementaire permettra en effet de faire un point chaque année, de confirmer ou infirmer les enjeux stratégiques en cours et les adapter en y incluant au premier chef la stratégie maritime industrielle et tout particulièrement l'évolution et l'évaluation des actions concernant les « nouvelles industries de la mer ».

La tenue du Conseil Interministériel de la Mer (CIMER) tous les 18 mois devrait permettre en outre un meilleur pilotage de cette politique.

Il convient enfin de renforcer les moyens et le rôle du Secrétariat général à la Mer dans la mise en oeuvre du Format de la fonction Garde-côtes.

En effet, le Secrétariat général à la mer a aujourd'hui la compétence pour définir ce format en coordination avec les ministères concernés. Un renforcement de ses moyens d'expertise et de son rôle dans la déclinaison concrète de ce format au niveau de chaque administration lui permettrait de jouer un rôle accru dans la recherche des moyens les plus adaptés et les moins coûteux pour remplir les missions de la fonction Garde-côtes.

Page mise à jour le

Partager cette page