B. LES DÉTERMINANTS DE LA DÉPENSE

Le rapport de la Cour des comptes met en lumière les facteurs de l'augmentation très significative des frais de justice. Il souligne que « l'accroissement des dépenses de frais de justice est étroitement lié au développement de l'activité juridictionnelle et au recours accru à des procédés technologiques nouveaux ». Dans cette perspective, un effet prix et un effet volume doivent être distingués.

1. La revalorisation des tarifs : l'effet prix

Mécaniquement, la revalorisation de certains tarifs au cours des dernières années a débouché sur un alourdissement de la dépense en frais de justice. La Cour des comptes passe en revue plusieurs évolutions de tarifs, dont votre rapporteur spécial souligne toutefois que nombre d'entre elles étaient devenues indispensables au fil du temps .

Dans le domaine médical , les revalorisations successives (en 2006 puis en 2007 et 2008, enfin en 2011) du tarif de certaines prestations (examen médical de garde à vue, examen médical des victimes, honoraire des experts psychiatres...) ont naturellement conduit à un renchérissement de ces prestations.

Les frais relatifs aux traductions et à l'interprétariat ont subi la même tendance. Le tarif des interprètes a été fixé à 25 euros de l'heure en septembre 2008, puis est passé à 42 euros de l'heure au 1 er mars 2009 (auparavant, ce tarif variait entre 14,79 euros et 16,58 euros). Ces décisions ont eu un impact certain sur les budgets des juridictions. Ainsi, au tribunal de grande instance (TGI) de Paris, la dépense d'interprétariat a presque triplé depuis 2007 (7,6 millions d'euros en 2010).

Un redémarrage à la hausse des frais de gardiennage de scellés a en outre été observé en 2010 (+ 9,4 % selon la Cour des comptes). Cette charge avait pourtant été stabilisée à la suite d'un audit de modernisation sur la gestion des scellés en 2007. Cet audit avait notamment conclu à la double nécessité d'instaurer un contrôle effectif de la durée de garde des véhicules en fourrière et de développer leur vente durant l'instruction.

Votre rapporteur spécial considère qu'en matière de scellés, des marges de manoeuvre peuvent encore être exploitées par les gestionnaires, notamment en optimisant la durée de garde des véhicules .

Encore l'effet prix résultant de ces différentes revalorisations est-il minoré par le non-paiement par le ministère de la justice des cotisations sociales qui pourraient être dues sur les prestations réalisées par les collaborateurs occasionnels du service public (COSP) de la justice . Ce non-paiement entre pourtant en contradiction avec les dispositions de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999. La Cour des comptes estime à 30 millions d'euros le coût du paiement de ces cotisations.

Lors de l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes ( cf. annexe), il est ressorti que les crédits censés couvrir l'acquittement des cotisations ont toutefois été redéployés au cours des derniers exercices au sein du budget de la justice. Ainsi, Julien Dubertret, directeur du budget, a-t-il indiqué en réponse à Philippe Marini, président de votre commission, qu'« il avait été décidé de soumettre ces prestations à cotisations sociales. Des dotations avaient été prévues au budget du ministère de la justice à cet effet. Nous n'avons toutefois jamais réussi à mettre en oeuvre le paiement de ces cotisations sociales, pour des raisons liées sans doute autant à la Sécurité sociale qu'à l'Etat. Cette dotation de vingt ou trente millions d'euros a ainsi servi de source de redéploiement au profit notamment des frais de justice . Les redéploiements n'ont rien de choquant au sein des budgets. Cette dotation, prévue chaque année, a toutefois été systématiquement redéployée ».

De même, le ministère de la justice ne s'acquitte-t-il pas de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dans le cas de ces prestations. Pourtant, selon l'analyse de la Direction de la législation fiscale (DLF), celles-ci pourraient être assujetties à la TVA.

La Cour des comptes recommande de clarifier rapidement le régime de la TVA et celui des cotisations sociales applicables aux expertises judiciaires. Votre rapporteur spécial ne peut qu'abonder dans ce sens .

2. La responsabilité de la législation et le recours accru aux techniques scientifiques : l'effet volume
a) La nécessité d'évaluer en amont l'impact budgétaire d'une loi

Un effet volume se fait également sentir sur les frais de justice. Il est souvent lié à des évolutions législatives. C'est notamment le cas dans le domaine de la justice pénale .

La Cour des comptes souligne que « depuis une dizaine d'années, nombre de nouveaux textes législatifs en matière pénale, impliquent des mesures dont les coûts organisationnels et de frais de justice ne sont pas négligeables ». Parmi la liste des exemples retenus à l'appui de ce constat figure l'augmentation de la dépense des frais d'enquêtes sociales rapides, d'enquêtes de personnalité et de contrôles judiciaires (+ 19 % depuis 2006). Cette augmentation résulte notamment du recours accru au contrôle judiciaire depuis 2008.

De même, la loi n° 2011-267 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011 (dite « LOPPSI 2 ») a introduit en matière de sécurité routière des peines obligatoires de confiscation du véhicule pour certains délits (conduite sans permis et récidive de conduite en état d'ivresse, après usage de stupéfiants ou à grand excès de vitesse). Ces confiscations ont pour conséquence « des frais d'enlèvement et de gardiennage des véhicules, estimés à 17,2 millions d'euros ».

L'enquête de la Cour des comptes a donc le mérite de rappeler la responsabilité du législateur au regard de l'accroissement des frais de justice. Au cours des dernières années, votre commission des finances a d'ailleurs fréquemment insisté sur l'importance des études d'impact avant d'adopter de nouvelles dispositions législatives . Ce souci doit être partagé entre le Gouvernement et le Parlement. Le vote d'un nouveau texte de loi doit être éclairé par ses éventuelles implications budgétaires, au risque dans le cas contraire de placer l'institution judiciaire face à un accroissement non anticipé de ses dépenses et in fine de l'amener à une impasse financière.

b) Le coût de la police technique et scientifique (PTS)

Soumise aux aléas législatifs, la justice pénale fait par ailleurs de plus en plus de place aux techniques scientifiques dans le cadre de la recherche de la preuve. Ce glissement dans l'approche des affaires et des enquêtes présente lui aussi des conséquences importantes sur l'évolution des frais de justice.

La Cour des comptes rappelle que « le rôle décisif de l'ADN dans l'élucidation des affaires pénales explique le recours accru à des expertises coûteuses en frais de justice pour répondre à l'impératif de performance des services enquêteurs ». La montée en puissance du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) illustre la part croissante de la police technique et scientifique (PTS) dans les techniques d'enquête.

Relevant de la même logique, les interceptions judiciaires voient également leur nombre croître. La Cour évoque « la banalisation de l'identification des auteurs via leur téléphone portable » : la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité prévoit que le juge des libertés et de la détention (JLD) autorise, sur requête du procureur de la république, l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications.

Rejoignant la Cour des comptes dans son diagnostic, votre rapporteur spécial souligne que le passage d'une justice fondée sur la culture de l'aveu à une justice orientée vers la culture de la preuve s'accompagne de coûts supplémentaires en termes de frais de justice .

Dès lors, une question se pose : jusqu'où la PTS peut-elle répondre aux besoins d'une justice de masse ? Faut-il, par exemple, avoir recours à l'analyse ADN pour élucider un vol de téléphone portable ? Il s'agit là d'une question de fond pour notre société et qui renvoie à la conception même des objectifs que l'on assigne à l'institution judiciaire. Car la justice, comme le rappelle l'enquête de la Cour des comptes, a un coût.

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