(2) Russie : restructurations et investissements massifs
La Russie bénéficie de l'héritage de l'URSS dans le domaine spatial. Au milieu des années 1990, elle a assuré la commercialisation des lanceurs développés par l'industrie soviétique par le biais de partenariats avec des sociétés occidentales.
Ainsi, en 1993, un joint venture a été créé entre les sociétés Lockheed, Khrunichev et Energia (LKEI) pour la commercialisation de la fusée Proton, dont le premier lancement remonte à 1965. En 1995, à la suite de la fusion des sociétés américaines Lockheed et Martin Marietta, la société International Launch services (ILS) a été créée pour la commercialisation des services de lancement de Proton et de la fusée américaine Atlas. En 2006, la société Space Transport Inc. a acheté la part possédée par Lockheed Martin dans ILS, qui se concentre depuis lors sur la commercialisation du seul lanceur Proton, tandis que le lanceur américain Atlas V (de même que la fusée Delta) est opéré par un joint venture formé en 2006 entre Lockheed Martin et Boeing (ULA, pour United Launch Alliance ). Khrunichev est devenu l'actionnaire majoritaire d'ILS en 2008.
Sea Launch est un autre exemple de ce type de partenariat : créée en 1995, il implique Boeing, la société russe Energia (héritière de toute la politique spatiale soviétique, notamment dans le domaine du vol habité), le Norvégien Kvaerner Maritime et deux sociétés ukrainiennes fournissant une partie du lanceur, d'origine soviétique, Zenit. Les lancements ont lieu à partir d'une plateforme mobile placée en mer au niveau de l'équateur. Après avoir connu un échec en 2007, Sea Launch est entrée en procédure de faillite (chapitre 11 de la loi américaines sur les faillites) en 2009, mais a redémarré ensuite les lancements, après une reprise par Energia en 2010. Sa filiale Land Launch utilise une variante de ce système, dans laquelle la fusée Zenit est lancée de Baïkonour.
Eurockot est un autre exemple de coopération industrielle. Il s'agit d'un joint venture entre EADS Astrium (51 %) et Khrunichev (49 %), commercialisant le lanceur léger Rockot, dérivé d'un missile intercontinental soviétique, lancé à partir de la base russe de Plesetsk.
Enfin, cette politique de coopération est à l'origine de la création de la société Starsem (1996), filiale d'Arianespace, constituée avec Astrium, l'Agence spatiale russe Roskosmos et le Centre spatial de Samara, chargée de commercialiser le lanceur moyen Soyouz. La réussite de cette coopération fut le prélude à l'installation de Soyouz au Centre spatial guyanais (CSG). Arianespace poursuit parallèlement une activité de lancements depuis Baïkonour par l'intermédiaire de cette filiale. Pour la Russie, ce partenariat avec l'Europe permet d'augmenter le nombre de lanceurs produits à Samara (environ 10-15 par an aujourd'hui, contre une soixantaine au début des années 1980...). Il rend possible le lancement de satellites institutionnels européens, tels que Galileo ou Pléiades, pour lesquels le lancement à partir du territoire européen est requis. Il permet un accroissement des performances du lanceur par rapport à Baïkonour, le CSG étant idéalement situé, près de l'équateur.
La Russie a récemment restructuré son industrie qui était très dispersée (plus de 500 entreprises) avec pour objectif de créer, à terme, 4 à 5 holdings concurrentes. Ces transformations sont probablement indirectement à l'origine des échecs subis en 2011, lors de 4 lancements, et précédemment (Proton a connu un échec par an en moyenne depuis six ans).
Il y a fort à parier que les difficultés rencontrées par la Russie seront transitoires, d'autant que ce pays investit massivement pour relancer sa politique spatiale. Un nouveau port spatial est en construction à l'est du pays (Vostotchny) et une nouvelle famille de lanceurs (Angara) est en cours de développement, pour assurer l'indépendance de la Russie, notamment vis-à-vis des anciens États de l'URSS, la base de Baïkonour, actuellement utilisée pour les lancements de Proton, Soyouz et Zenit, étant située au Kazakhstan.
Depuis l'arrêt par les Américains de la Navette spatiale (2011), les Russes sont les seuls à procéder à des vols habités vers l'ISS, grâce à la version adaptée du lanceur Soyouz, opérés depuis Baïkonour.
Enfin, la Russie est très présente dans la coopération avec de nombreux pays (Chine, Inde, Brésil). Bien placée sur le marché des lanceurs, elle souhaiterait, à l'avenir, accroître sa présence sur le marché des autres services spatiaux (satellites de télécommunication notamment).