M. Olivier Pulvar, Sociologue, Maître de conférences en sciences de l'information et de la communication

La démarche de numérisation et de valorisation du fonds télévisuel « outre-mer » par l'Institut National de l'Audiovisuel représente une aventure technologique extraordinaire entamée en 2007 et prévue de s'achever en 2018. Elle s'inscrit dans l'action de sauvegarde et de partage des archives nationales de tous les territoires français dont l'INA est garant, et à ce titre, elle émarge pleinement aux missions de la République. Elle vise à donner « [...] toute sa place au patrimoine audiovisuel outre-mer dans les collections de l'INA pour être mieux connu, mieux vu, mieux utilisé et mieux échangé avec l'ensemble des Français et des millions de visiteurs mensuels du site internet de l'INA ».

Pour qui s'intéresse au rôle de l'information et de la communication (ici, de l'image et du son) dans les transformations des sociétés, une démarche de numérisation n'est pas neutre en soi. Elle ne peut ignorer les territoires à l'origine de ce patrimoine audiovisuel, ni ne peut laisser en marge les acteurs, co-producteurs des messages. S'il s'agit de débattre des enjeux liés au partage de la mémoire audiovisuelle des outre-mer, on se doit d'interroger la volonté de regrouper en un seul projet les mémoires des différentes communautés concernées pour construire une identité commune de l'outre-mer français. Quels en sont les enjeux de mémoire ? Quel rôle l'audiovisuel y joue-t-il à l'intérieur des territoires outre-mer et au-delà ? Comment des appropriations sociales différentes de l'histoire peuvent-elles conduire à une histoire commune ?

La mémoire, cette représentation du passé à vocation collective, joue le rôle d'instauration du groupe, de la communauté, de la société dans le présent. L'appel au passé constitue une dimension privilégiée de la mise en récit par une société française soucieuse de produire son identité nationale. Si une divergence des approches de situations contemporaines survient, on a affaire à un conflit de mémoires qui se structure lui-même autour de mémoires du conflit.

Tout l'enjeu consiste à substituer à l'évocation publique d'approches différentes du passé la mise en public de figures/événements mémoriel(le)s partagées, affranchies de production identitaire exclusive pour l'engager dans un projet collectif. Avant même d'interroger la cohésion sociale d'une collectivité humaine, il faut interroger la cohésion des groupes qui cohabitent dans cette collectivité. Pour aller dans le sens de Ricoeur (2000), le système de représentation dominant qui assume pleinement son passé limite les quêtes identitaires antagonistes. La mémoire littérale fait ainsi place à une mémoire exemplaire (Todorov, 1998).

De leur côté, les médias, en diffusant une mémoire collective, interviennent dans les constructions identitaires. Les formes culturelles dans leurs présentations et représentations se transmettent, se renforcent, se transforment. Cela se vérifie tant à partir des médias nationaux qu'à partir des médias locaux. La médiatisation constitue en effet une des voies de communication empruntées pour mettre en récit des sentiments d'appartenance, elle est utilisée pour discuter publiquement du sujet. Aux Antilles par exemple, les conditions d'un débat public sur l'identité collective peuvent depuis peu se retrouver dans la remémoration de faits passés en lien avec l'esclavage, la mise en scène de l'actualité touchant aux rapports inter-raciaux ou bien aux relations avec un bassin régional. Car les mémoires audiovisuelles éclatées des outre-mer sont suffisamment récentes comparativement à celle uniformisée de l'Hexagone, pour rappeler la finalité historique des médias du service public outre-mer jusqu'il y a peu : être « la voix de la France ».

Aujourd'hui, la médiatisation croissante des identités, avec ses conditions techniques et ses pratiques professionnelles, pose la question du stéréotypage. Mais dans le même temps, la réflexion autour de la fonction identitaire des médias renouvelle la manière d'appréhender les phénomènes culturels. D'autres lectures des cultures se dessinent pour des organisations sociales qui s'insèrent dans un mouvement inédit d'intégration globale du monde. Qu'en est-il lorsqu'il s'agit d'écrire une histoire commune avec les outre-mer à partir des archives audiovisuelles ?

M. Pascal Blanchard, Historien, Chercheur associé au CNRS au laboratoire communication et politique, directeur du groupe de recherche Achac :

Cela signifie-t-il, Madame Isabelle Veyrat-Masson, que la télévision serait du patrimoine, de la culture, c'est-à-dire qu'elle composerait un vrai élément d'archive pour comprendre la société, et qu'il faudrait donc faire l'histoire de la télévision ? Vous êtes la grande spécialiste de l'histoire de la télévision en France : quelle est votre réaction après avoir écouté les interventions précédentes ? Jusqu'à maintenant, l'outre-mer était peu présent dans l'histoire de la télévision française, on n'en parlait pas beaucoup, on le connaissait mal. Quel est votre sentiment ?

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