Mme Juliette Corré, Chef du département de la cohésion sociale, de la santé et de l'enseignement au ministère des outre-mer

Pour rebondir sur ce qui vient d'être dit concernant le vieillissement, je voudrais parler des enjeux liés à la prise en charge de la dépendance. Dans les territoires d'outre-mer, il y a eu des rattrapages en matière d'équipements et de prise en charge des personnes âgées mais les écarts avec la métropole restent encore importants. On est à un taux d'équipement global de l'ordre de 50 pour 1 000 personnes de 75 ans et plus alors qu'en métropole ce taux est de 127 pour 1 000. L'écart est donc assez grand et il va vraisemblablement se creuser en raison de ce qui vient d'être expliqué si rien n'est fait pour développer des services, des équipements et la formation des personnels qualifiés. Les enjeux sont importants en termes de financement, d'autant que les personnes âgées bénéficient de l'aide sociale, ce qui pèse sur les finances départementales qui doivent dans le même temps construire des établissements d'hébergement pour personnes âgées (EHPA).

Le ministère des outre-mer a pleinement conscience de ces difficultés et portera ces problématiques auprès des ministères concernés pour lancer et appuyer des initiatives.

Le deuxième enjeu qui me paraît important pour les outre-mer concerne la jeunesse : sur les 2,6 millions d'habitants des départements et des collectivités d'outre-mer, 41 % de la population a moins de 25 ans (50 % en Guyane, 60 % à Mayotte). La jeunesse ultramarine doit construire son avenir dans un contexte économique et social particulièrement difficile. On a vu précédemment que le taux de chômage des jeunes était très important. Plus de 36 % des jeunes ultramarins de 17-18 ans ont des problèmes avec la lecture et l'écriture. Le taux de réussite au baccalauréat s'est bien amélioré mais l'accès aux études supérieures reste encore faible.

En outre, les jeunes font face à des contraintes spécifiques en termes de mobilité avec le coût des transports pour venir en métropole ou pour se rendre dans les pays environnants, avec des transports en commun pas forcément développés en liaisons interdépartementales ou avec de fortes contraintes géographiques. Le tissu économique est majoritairement constitué de petites entreprises qui offrent moins de possibilités de stages, ce qui freine le développement de l'alternance. Il y a une capacité insuffisante de cofinancement pour les équipements sportifs ou socio-culturels, de même pour les activités périscolaires.

Les défis pour la jeunesse portent sur l'éducation et l'enseignement. Le système éducatif est confronté à des problématiques majeures : la prégnance de la question de la maîtrise de la langue et de l'illettrisme, le multilinguisme (surtout en Guyane), un taux de scolarisation trop élevé en éducation prioritaire puisqu'il est deux fois plus important que dans l'Hexagone, sans oublier un accès limité à l'enseignement supérieur.

Dans le cadre des discussions sur la refondation de l'école, le ministère des outre-mer a développé un certain nombre de pistes d'action qui nous paraissent très importantes et que l'on soutiendra encore. L'école primaire doit être une priorité. Il convient de mieux identifier les difficultés d'apprentissage, d'augmenter le taux de scolarisation dès 2 ans et d'atteindre 100 % dès 3 ans.

Dans les territoires où la langue française n'est pas la langue première, des dispositifs pédagogiques à partir de la langue maternelle doivent être développés pour favoriser l'apprentissage du français. Il convient aussi d'adapter l'enseignement aux spécificités culturelles et linguistiques des territoires, pour y faciliter les apprentissages, notamment celui du français.

Concernant les territoires, les quartiers ou les familles les plus défavorisés, il faut conforter les dispositifs d'aides aux élèves et notamment en développant l'encadrement par les enseignants.

À l'autre bout de la chaîne de l'enseignement, les universités d'outre-mer sont jeunes et accueillent plus d'élèves d'origine modeste qu'en métropole (plus de 40 % des étudiants des DOM sont boursiers contre 30 % au niveau national). Le taux de réussite est plus faible : le taux de passage de L1 à L2 est par exemple de 30 % contre 60 % au niveau national. Les universités de l'Hexagone sont attractives pour les bons étudiants alors que les universités ultra-marines n'ont peut-être pas encore assez diversifié leur offre de formation. Pourtant, leur positionnement géographique pourrait favoriser des coopérations internationales et la proximité de structures de recherche implantées sur leur territoire permettrait de développer une stratégie d'excellence.

Le soutien à la mobilité des jeunes constitue également un levier pour aider les jeunes à accéder aux études, à la formation et à l'emploi. Il existe des dispositifs gérés par l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM), comme le « passeport mobilité études », le « passeport mobilité formation professionnelle » ou le fonds d'échanges à but éducatif, culturel et sportif.

Des actions spécifiques de formation professionnelle ont été menées. Je pense par exemple au Service Militaire Adapté (SMA) qui est un dispositif d'insertion propre aux outre-mer. Il existe depuis les années 1960 et permet à des jeunes de 18 à 25 ans de recevoir une formation militaire, citoyenne et professionnelle, voire qualifiante. Le SMA doit se développer pour accueillir à terme 6 000 volontaires. Il travaille en réseau avec l'ensemble des acteurs de l'orientation, de la formation, de l'emploi et de l'entreprise.

Par ailleurs, une autre spécificité propre aux outre-mer est un dispositif qui s'appelle le fonds d'expérimentation pour la jeunesse. Doté de 2 millions d'euros, il permet, par des appels à projet, d'aider des jeunes à développer des actions pour leur insertion sociale et professionnelle. Nous avons ciblé cette année la situation des filles.

Le dernier défi qui me paraît important pour la cohésion sociale et la réduction des inégalités est la santé. On a rappelé tout à l'heure que d'énormes progrès avaient été accomplis pour que l'espérance de vie dans les outre-mer rattrape celle de la métropole. C'est globalement vrai, même s'il faut nuancer ce point selon les territoires. Les indicateurs de mortalité (mortalité prématurée avant 65 ans et mortalité évitable) sont moins bons que ceux de la métropole et le taux de mortalité infantile est près de deux fois supérieur à celui de la moyenne nationale.

L'offre de soins a beaucoup progressé et la restructuration du secteur hospitalier s'est bien passée mais il reste quand même des inégalités au sein des territoires qui ne sont pas couverts de la même façon. La démographie médicale n'est pas au même niveau qu'en métropole, notamment pour les spécialistes, et notamment en Guyane et à Mayotte.

Dans ces territoires où 30 % de la population bénéficie de la CMUC, la fragilité sociale a un impact sur la santé. Pour certaines personnes, la santé n'est pas une priorité, l'accès aux soins est difficile et les messages de prévention sont inadaptés... La prévalence de certaines pathologies touche les populations les plus en difficulté : addictions ; obésité et pathologies associées comme le diabète ou les maladies cardio-vasculaires ; VIH Sida (notamment dans les départements français d'Amérique).

Des réponses doivent être apportées pour réduire ces inégalités. Certaines ont déjà été mises en place, d'autres sont en train de se développer. Concernant la démographie médicale, il faut poursuivre et aller jusqu'au bout de la création d'une filière complète des études médicales. Des expériences de télémédecine se développent dans l'ensemble des DOM. Je pense par exemple à la Guyane avec la coopération entre le centre hospitalier et les centres de santé, ou à Saint-Pierre-et-Miquelon où la télédialyse vient d'être lancée. Enfin, il y a des plans de santé nationaux pour lesquels nous avions travaillé sur des déclinaisons outre-mer (par exemple le plan santé sur la nutrition et l'obésité). Ces plans santé sont déclinés au niveau local par les ARS et les associations.

En conclusion, je dirai que les défis de la cohésion sociale pour les outre-mer reposent non seulement sur un rattrapage en termes de structures, d'outils et de dispositifs par rapport au niveau national mais aussi sur une adaptation au contexte spécifique de chacun des territoires. Il faut également s'appuyer sur l'environnement national et international qui peut les rendre attractifs pour leur développement économique et social.

M. François-Xavier Guillerm, animateur des débats

Merci Mme Corré.

M. Jacques Moineville, vous êtes directeur délégué de l'Agence Française de Développement. Vous connaissez bien l'outre-mer puisque vous avez été en poste en Nouvelle-Calédonie et en Guyane, puis au ministère. Vous allez intervenir pour nous expliquer comment l'AFD peut agir pour répondre à ces enjeux démographiques, participer à la réflexion et au financement des politiques publiques.

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