III. LA CONSTRUCTION PROGRESSIVE D'UNE RÉPONSE DE L'UNION EUROPÉENNE AU DÉFI DE L'INTÉGRATION DES ROMS

A. UNE INTERVENTION ENCORE RELATIVEMENT RÉCENTE

L'engagement de l'Union européenne en faveur des Roms est, en comparaison de celui du Conseil de l'Europe, relativement récent. Dans les domaines concernés, l'Union européenne ne dispose, au mieux, que d'une « compétence partagée » avec les États membres, quand il ne s'agit pas d'une « compétence d'appui ».

1. Le cadre général de l'Union européenne pouvant s'appliquer aux Roms

Plusieurs dispositions générales du droit européen peuvent être applicables aux Roms.

Il s'agit en particulier de la liberté de circulation et du droit au séjour , qui sont reconnus à tous les citoyens de l'Union en vertu du traité sur l'Union européenne et de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004. Pour les séjours de moins de trois mois, le droit de libre circulation et de séjour est ouvert sans autre condition ou formalité que la détention d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport en cours de validité, mais sous la réserve du respect de l'ordre public. Ce droit n'est cependant maintenu, conformément à la directive, que s'il ne constitue pas « une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale de l'État membre d'accueil ». Pour les séjours de plus de trois mois, le droit à la libre circulation et au séjour comporte deux limites : le droit au séjour peut cesser si le comportement de la personne concernée constitue une menace pour l'ordre public ; il peut également prendre fin si la personne, n'exerçant aucune activité professionnelle, ne dispose ni des ressources suffisantes ni d'une assurance maladie complète.

Par ailleurs, à l'exception notable des citoyens bulgares et roumains , pour lesquels les États membres ont été autorisés à maintenir des dispositions transitoires jusqu'au 31 décembre 2013 afin de restreindre l'accès à leur marché du travail, les autres ressortissants de l'Union européenne jouissent également du principe de libre circulation des travailleurs , garanti par l'article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Aujourd'hui, huit États membres maintiennent encore des restrictions à la libre circulation des travailleurs roumains et bulgares. En outre, l'Espagne, qui avait initialement levé les mesures transitoires le 1 er janvier 2009, les a réintroduites pour les seuls ressortissants roumains le 22 juillet 2011, face à la situation fortement dégradée du marché de l'emploi.

Tableau relatif à l'accès au marché du travail des ressortissants bulgares et roumains dans les vingt-cinq autres États membres de l'Union européenne

État membre

Accès au marché du travail

Allemagne

Restrictions avec des simplifications

Autriche

Restrictions avec des simplifications

Belgique

Restrictions avec des simplifications

Chypre

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2007)

Danemark

Accès libre (depuis le 1 er mai 2009)

Estonie

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2007)

Irlande

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2012)

Grèce

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2009)

Espagne

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2009)

Restrictions pour les travailleurs roumains
(depuis le 22 juillet 2011 au titre de la clause de sauvegarde)

Finlande

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2007)

France

Restrictions avec des simplifications

Italie

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2012)

Lettonie

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2007)

Lituanie

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2007)

Luxembourg

Restrictions avec des simplifications

Hongrie

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2009)

Malte

Restrictions

Pays-Bas

Restrictions avec des simplifications

Pologne

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2007)

Portugal

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2009)

République tchèque

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2007)

Royaume-Uni

Restrictions

Slovénie

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2007)

Slovaquie

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2007)

Suède

Accès libre (depuis le 1 er janvier 2007)

Source : Commission européenne (situation au 30 juillet 2012)

Il convient également d'ajouter à ces règles le principe de non-discrimination , aujourd'hui protégé par plusieurs textes au niveau de l'Union européenne et, en premier lieu, par la Charte des droits fondamentaux, proclamée à Nice le 7 décembre 2000. Son article 21 interdit « toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle ». Il prohibe également toute discrimination fondée sur la nationalité. Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Charte a acquis une force juridique contraignante, même si le protocole n° 30 annexé au traité de Lisbonne précise qu'elle ne crée pas de nouveaux droits justiciables en Pologne et au Royaume-Uni (le Conseil européen a admis que la République tchèque pourrait également bénéficier de ce protocole). Mais, sans même la Charte, deux directives garantissent, depuis 2000, l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique (directive 2000/43/CE du 29 juin 2000), y compris en matière d'emploi et de travail (directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000).

2. Le développement d'actions spécifiques en faveur des Roms

Au-delà de ces principes de portée générale, la perspective de l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale, à la fin des années 1990, a conduit l'Union européenne à accorder une plus grande attention à la question des Roms , compte tenu de la mobilité de ces populations et du caractère transnational des difficultés qu'elles soulevaient. L'Union a donc, dans la phase de pré-adhésion, invité les pays candidats à faciliter l'intégration économique et sociale des populations roms présentes sur leur territoire. A cette fin, des fonds ont été octroyés dans le cadre du programme PHARE afin de financer plusieurs actions en faveur des Roms. Par la suite, les fonds structurels (Fonds social européen, FEDER) ont également été mobilisés pour financer des projets en direction des populations roms.

Mais c'est véritablement à partir de 2007 que l'Union européenne s'est engagée dans une réelle démarche en faveur des Roms . Cette date n'est d'ailleurs probablement pas le fruit du hasard puisque l'année 2007 a non seulement été déclarée « année européenne de l'égalité des chances pour tous », mais elle a coïncidé également avec l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l'Union européenne. Le Conseil européen de décembre a reconnu, pour la première fois, que ces populations devaient faire face à une « situation très particulière », qui justifiait que l'Union et les États membres mettent tout en oeuvre pour améliorer leur inclusion. Or, dans un rapport remis en juin 2008, la Commission européenne a observé qu'en dépit des nombreux instruments déjà existants, qu'il s'agisse des dispositions juridiques interdisant les discriminations ou du rôle des fonds structurels, leur mise en oeuvre restait bien souvent insuffisante.

Aussi, un premier Sommet européen sur l'inclusion des Roms a-t-il été organisé le 16 septembre 2008, à l'issue duquel la Commission européenne a été mandatée pour organiser l'échange de bonnes pratiques entre les États membres et à stimuler la coopération. Un deuxième sommet s'est tenu en avril 2010, aux lendemains de la publication d'une communication de la Commission européenne sur l'intégration sociale et économique des Roms .

Cette communication constitue l'un des deux documents de référence de la Commission européenne consacrés à la question des Roms. Elle vise principalement à améliorer l'efficacité des instruments existants afin de faciliter l'intégration sociale et économique des Roms au regard des principaux volets (éducation, emploi, logement, santé). La Commission encourage, à cette fin, les États membres à mieux utiliser les fonds structurels, en particulier le Fonds social européen, en faveur de l'inclusion des Roms. Elle leur suggère également de mettre en place des politiques qui favorisent l'accès à l'emploi et la non-ségrégation dans les domaines de l'enseignement, du logement et des soins de santé. Elle insiste particulièrement sur la nécessité d'une meilleure mise en oeuvre des dispositifs à l'échelon local. Dans cette optique, elle confirme la mise en place d'une plateforme pour l'inclusion des Roms destinée à permettre aux États d'échanger sur leurs expériences respectives.

Quelques mois à peine après la publication de cette communication, les expulsions brutales de campements roms durant l'été 2010 ont mis en lumière la persistance de mesures discriminatoires à l'encontre des Roms et le manque d'implication de certains États membres sur ces questions. L'Union européenne a alors décidé de renforcer son action et de mieux accompagner les États membres dans les responsabilités qui leur incombent.

A cette fin, une Task Force a été établie en septembre 2010 pour analyser l'utilisation et l'efficacité des fonds européens et nationaux destinés à l'intégration des Roms. Cette Task Force s'est néanmoins heurtée, dans son travail de recherche, à l'absence de chiffres fiables quant à l'importance de la population rom dans les différents États membres.

En avril 2011, la Commission européenne a surtout obligé les États membres à se saisir de la question en les contraignant à soumettre, d'ici la fin de l'année 2011, une stratégie nationale d'intégration des Roms présents sur leur territoire , sur la base de lignes directrices définies au niveau européen. Les lignes directrices ainsi fixées par la Commission visent à permettre aux Roms d'avoir accès, dans chacun des États membres, aux mêmes droits que les autres citoyens. Elles couvrent quatre domaines :

- l'accès à l'éducation : la Commission demande aux États membres de veiller à ce que chaque enfant rom achève au moins sa scolarité à l'école primaire ;

- l'accès à l'emploi : l'objectif est d'ouvrir pleinement à ces populations l'accès à la formation professionnelle, au marché de l'emploi et aux régimes de travail indépendant ;

- l'accès aux soins de santé : les États membres doivent garantir un accès équitable aux soins de santé, aux services de prévention et aux services sociaux, pour réduire en priorité le taux de mortalité infantile ;

- l'accès au logement : la Commission exige qu'il soit mis fin aux discriminations en matière de logement, en facilitant en particulier l'accès au logement social, et que les communautés roms soient par ailleurs raccordées aux réseaux publics de distribution d'eau potable et d'électricité.

En imposant aux États membres d'élaborer des stratégies nationales, la Commission européenne retient finalement une démarche assez inédite , dans un domaine dans lequel l'essentiel des compétences relève pourtant des États membres . En effet, cette approche suppose que les politiques nationales seront désormais encadrées et surveillées au niveau de l'Union européenne. La Commission européenne s'est engagée à rendre un rapport annuel pour évaluer la qualité de ces stratégies et leur mise en oeuvre au niveau national. A cette fin, elle devrait associer largement l'Agence des droits fondamentaux à son travail de contrôle. Cette évolution doit être appréciée d'une manière très positive au regard du caractère transnational du défi posé par les populations roms, mais aussi du manque d'engagement manifesté par la grande majorité des États membres sur ces questions jusqu'à présent. Comme l'a souligné un interlocuteur à Bruxelles, la présence de 10 à 12 millions de Roms en Europe, dont environ 8 millions dans l'Union européenne, est susceptible d'être une « bombe à retardement » si l'on ne prend pas dès aujourd'hui le problème à bras le corps. Par ailleurs, il convient de souligner que l'élaboration de stratégies nationales présente un double avantage : elle permet, d'une part, d'adapter la réponse à chaque situation nationale et, d'autre part, de responsabiliser les États membres.

La Commission européenne n'a d'ailleurs pas relâché sa pression sur les États membres depuis la publication de ce cadre stratégique. En effet, comme l'ont indiqué les représentants de la Commission européenne, plusieurs avancées ont encore été réalisées au cours des derniers mois.

La Commission a en effet pris l'initiative d'organiser des réunions bilatérales régulières avec les États membres sur la question des Roms afin d'évoquer l'état d'avancement des stratégies et favoriser les échanges de bonnes pratiques. C'est dans ce cadre qu'une réunion s'est tenue avec la France le 20 septembre dernier et que des réunions ont également eu lieu ou sont programmées avec la Roumanie, la Bulgarie et la Hongrie notamment.

Elle a par ailleurs demandé à chaque État membre de désigner un point de contact au niveau national , afin de disposer d'un interlocuteur sur les questions relatives aux Roms. Des réunions entre ces points de contact devraient être organisées régulièrement à Bruxelles.

Elle a enfin décidé la mise en place d'un groupe de travail, dit « groupe pionnier », composé de la Bulgarie, de l'Espagne, de la Finlande, de la France, de la Hongrie, de l'Italie, et de la Roumanie, afin de renforcer les échanges d'expériences entre les États membres. Ce groupe devra notamment examiner les actions qui sont menées sur le terrain, réfléchir à une meilleure utilisation des fonds européens, et préparer les discussions à venir au Conseil. Sur la base du travail qu'il réalisera, la Commission envisage de présenter au Conseil, au printemps 2013, une proposition de recommandation , qui pourrait notamment aborder la question de l'utilisation des fonds.

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