Rapport d'information n° 203 (2012-2013) de Mlle Sophie JOISSAINS , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 11 décembre 2012

Disponible au format PDF (230 Koctets)


N° 203

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 décembre 2012

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la création d'un parquet européen ,

Par Mlle Sophie JOISSAINS,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Louis Lorrain, Jean-Jacques Lozach, François Marc, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

Mesdames, Messieurs,

Construire une Europe judiciaire apparaît chaque jour davantage comme une exigence. Depuis des années déjà, l'Europe cherche à se rapprocher des citoyens en leur démontrant la plus-value qu'elle peut apporter. La protection des personnes et des biens requiert que notre organisation judiciaire soit en phase avec un monde où les échanges se multiplient sans considération des frontières, y compris malheureusement quand ces échanges sont le fait de réseaux criminels bien organisés.

La coopération judiciaire en matière pénale existe depuis longtemps. Elle se développe dans le cadre de relations bilatérales entre magistrats ou dans un cadre multilatéral, notamment au titre de conventions internationales et au sein de l'unité Eurojust. Elle donne souvent des résultats efficaces. La lutte contre le terrorisme en fournit une illustration concrète.

Les traités européens ont pris en compte cette exigence de coopération : le traité de Maastricht (1992) a institué la coopération dans le domaine de la « justice et des affaires intérieures » ; le traité d'Amsterdam (1997) a fixé l'objectif de la réalisation d'un espace européen de liberté, de justice et de sécurité. Le droit dérivé européen a lui-même mis en place des instruments très pertinents pour développer cette coopération : le mandat d'arrêt européen en est l'expression la plus symbolique.

S'appuyant sur les travaux de la Convention européenne, présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing, qui avaient trouvé une traduction dans le projet de Constitution pour l'Europe, le traité de Lisbonne a donné une nouvelle impulsion à la construction de l'espace judiciaire européen. Il a ouvert la voie à une certaine harmonisation du droit pénal et de la procédure pénale. Il a créé les conditions pour un renforcement d'Eurojust.

Le traité de Lisbonne permet, par ailleurs, la création d'un Parquet européen. Dans sa rédaction issue du traité de Lisbonne, l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) prévoit que pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, le Conseil, statuant à l'unanimité, peut instituer un Parquet européen à partir d'Eurojust. À défaut d'unanimité, un groupe d'au moins neuf États membres peut concrétiser ce projet dans le cadre d'une coopération renforcée. Le Conseil européen peut, simultanément ou ultérieurement, décider d'étendre les attributions du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière.

Ce faisant, le traité de Lisbonne a concrétisé les réflexions antérieures qui avaient conclu à l'utilité de créer un Parquet européen. On mentionnera, en particulier, le Corpus juris élaboré par un groupe d'experts, sous la direction du professeur Mireille Delmas-Marty, publié en 1997. Plus récemment, le Livre blanc de la Commission européenne du 11 décembre 2001 avait proposé son institution pour la protection des intérêts financiers de l'Union européenne.

À plusieurs reprises, le Sénat a montré son attachement à la réalisation de l'espace judiciaire européen et à la constitution d'une autorité européenne responsable des poursuites. Au sein de la Convention européenne qui avait préparé le projet de Constitution pour l'Europe, nos anciens collègues le président Robert Badinter et le président Hubert Haenel avaient pris une part active pour concrétiser des avancées dans ce domaine, y compris au moyen de la coopération renforcée.

L'Assemblée nationale a elle-même soutenu le projet de Parquet européen, en particulier dans une résolution européenne en date du 14 août 2011.

Cependant, la création d'un Parquet européen suppose d'identifier clairement toutes ses implications sur la coopération judiciaire européenne mais aussi sur notre propre organisation judiciaire. La conférence internationale, organisée par la Cour de cassation avec le soutien de la Commission européenne, les 11 et 12 février 2010, sous l'impulsion de son Procureur général Jean-Louis Nadal, y avait grandement contribué.

C'est aussi tout l'intérêt de l'étude remarquable, publiée en février 2011, que le Conseil d'État a réalisée à la demande du Premier ministre sur la suggestion du président de l'Assemblée nationale, dans le cadre d'un groupe de travail présidé par M. Jacques Biancarelli, Conseiller d'État, délégué au droit européen.

Cette étude, qui a nourri le travail de votre rapporteur, ne sous-estime pas la difficulté de la tâche. Sur le plan juridique, la notion de Parquet est équivoque. Force est de constater qu'il existe deux grands modèles de parquet : un modèle « continental » - dont la France - dans lequel le parquet a pour mission, dans le cadre d'une procédure inquisitoire, d'exercer l'action publique devant les juridictions répressives mais aussi - en amont - de diriger l'action des services de police judiciaire ; un modèle anglo-saxon, fonctionnant selon une logique accusatoire, dans lequel le ministère public ne dirige pas l'action des services d'enquête et se limite à la mise en oeuvre des poursuites devant les juridictions. Sur le plan politique, en dépit du renforcement de la coopération, le droit pénal et la procédure pénale sont encore très largement perçus dans les États membres comme relevant de la souveraineté nationale. Toutefois, pour ce qui concerne la France, l'institution effective d'un Parquet européen n'appellerait pas une nouvelle révision constitutionnelle.

Pour autant, bien que réelles, ces difficultés ne sont pas insurmontables. Elles doivent l'être au regard des enjeux majeurs qui sont en cause : protéger les intérêts financiers de l'Union européenne ; lutter contre la grande criminalité transfrontière.

Les auditions qu'elle a conduites - appuyées par les réflexions antérieures et par l'étude du Conseil d'État - ont permis à votre rapporteur d'identifier ces difficultés mais aussi d'évaluer les voies envisageables pour les surmonter. Comme chaque avancée de la construction européenne, la création d'un Parquet européen sera réalisée dès lors que seront conjugués une réelle ambition de tout ou partie des États membres de relever ensemble ces défis et un souci de pragmatisme dans la démarche.

Notre ancien collègue le président Robert Badinter a été chargé d'évaluer la position des États membres. Il remettra ses conclusions en fin d'année.

La Commission européenne devrait présenter une étude d'impact d'ici la fin de 2012. Elle envisage d'adopter une proposition en vue de la création d'un Parquet européen en juin 2013. Le président José Manuel Barroso a mentionné la création du Parquet européen dans son discours devant le Parlement européen sur l'état de l'Union européenne.

I. LA CRÉATION D'UN PARQUET EUROPÉEN : UNE RÉPONSE ADÉQUATE À DES ENJEUX MAJEURS, CONSACRÉE PAR LE TRAITÉ DE LISBONNE

La création d'un Parquet européen peut permettre de répondre à deux enjeux majeurs : protéger les intérêts financiers de l'Union européenne, objectif essentiel dans ces temps de crise économique et financière ; lutter plus efficacement contre la grande criminalité qui se déploie sans considération pour les frontières nationales. Le traité de Lisbonne prend en compte ces deux enjeux et précise ce que pourraient être les missions d'un Parquet européen.

A. DES ENJEUX MAJEURS

1. La protection des intérêts financiers de l'Union européenne
a) Une exigence qui s'est affirmée progressivement

La nécessité de protéger les intérêts financiers de l'Union européenne est clairement apparue à la suite de la décision prise en 1970 (traité signé à Luxembourg le 22 avril 1970 et décision du Conseil du 21 avril) de remplacer les contributions nationales des États membres par des ressources propres au budget des « Communautés européennes ». Un premier projet de modification du traité du 22 avril 1970 fut élaboré en vue d'adopter une réglementation commune sur la protection pénale de ces intérêts financiers et sur la poursuite des infractions. Ce projet n'aboutit cependant pas et il fut jugé préférable de confier cette responsabilité aux États membres. Cette responsabilité fut d'ailleurs clairement énoncée, en 1989, par la Cour de justice qui posa le principe de l'assimilation du niveau de protection des intérêts financiers communautaires à celui des intérêts financiers des États membres (arrêt du 21 septembre 1989, Commission c/ Grèce). Par la suite, elle exigea de ces derniers qu'ils instituent des sanctions efficaces, dissuasives et proportionnées dans ce domaine. En 1989, est néanmoins créée auprès de la Commission européenne une Unité de coordination de la lutte anti-fraude (UCLAF) chargée de mener des enquêtes administratives dans ce domaine.

La convention du 27 novembre 1995 relative à la protection des intérêts financiers de l'Union européenne a précisé les obligations à la charge des États membres. Cette convention définit la fraude aux intérêts financiers de l'Union comme « tout acte ou omission intentionnel » ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte aux recettes ou aux dépenses des Communautés européennes. Elle impose aux États membres de prévoir les incriminations correspondantes dans leur législation. Cette convention a été amendée par un premier protocole en date du 27 septembre 1996 relatif à la lutte contre la corruption, qui a imposé aux États membres d'incriminer les actes de corruption passive et active, impliquant notamment les fonctionnaires communautaires et nationaux. Un second protocole, en date du 19 juin 1997 a pris en compte le blanchiment et a institué en outre une responsabilité des personnes morales.

Entretemps un règlement du 18 décembre 1995 a donné une définition extensive de l'irrégularité en matière de protection des intérêts financiers de l'Union européenne : « Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue. » Il a par ailleurs mis en place un cadre d'harmonisation des sanctions administratives dans les États membres (délai de prescription, régime des sanctions...).

Dans le but de veiller à une mise en oeuvre effective de ces textes, l'Office de lutte anti-fraude (OLAF) a été créé le 28 avril 1999. L'OLAF s'est substitué à l'UCLAF. Institué au sein de la Commission européenne, il bénéficie d'une certaine autonomie dans la conduite de ses enquêtes.

La coresponsabilité de l'Union européenne et des États membres est désormais clairement établie par les traités : en vertu des articles 310 § 6 et 325 du TFUE, ils ont l'obligation de combattre toute forme d'activité illégale affectant les intérêts financiers de l'Union. Leur responsabilité ne peut être éludée par les États membres qui gèrent les 4/5è des dépenses de l'Union européenne et qui collectent les ressources propres traditionnelles (principalement des droits de douane et des droits agricoles mais aussi des droits antidumping et des cotisations sur le sucre). Ils ont l'obligation de communiquer, chaque trimestre, à la Commission européenne les irrégularités qu'ils ont détectées dans les domaines de gestion partagée, de la préadhésion et des ressources propres traditionnelles.

b) Un nombre significatif d'irrégularités

Sur la période 2007-2011, le nombre d'irrégularités signalées, tous secteurs confondus, est resté globalement stable jusqu'en 2010 où la fraude présumée a atteint un pic avec un montant évalué à 600 millions d'euros par an. En 2011, 1 230 irrégularités ont été signalées comme frauduleuses (fraude présumée ou établie), soit une baisse d'environ 35 % par rapport à 2010, avec un impact financier estimé à 404 millions d'euros (- 37 %). Ce recul était néanmoins prévisible après la forte hausse de 2010 qui avait été provoquée par un effet « cyclique » dû à la clôture de la période de programmation 2000-2006 au titre de la politique de cohésion et par l'introduction d'un système de gestion des irrégularités dans le cadre de cette politique. Celle-ci reste, au titre des dépenses, le secteur où le nombre des irrégularités signalées comme frauduleuses est le plus élevé (54 % du total) et l'impact financier le plus important (69 % du total).

Si ces évaluations permettent d'avoir une vue d'ensemble sur les mises en cause des intérêts financiers de l'Union, leur précision n'est pas avérée de façon absolue. Selon la Commission européenne, le montant réel devrait être encore plus élevé puisque tous les cas ne sont pas détectés et signalés. C'est ainsi que dans son rapport annuel 2011 sur la protection des intérêts financiers de l'Union européenne et la lutte contre la fraude, la Commission européenne relève des différences significatives entre les approches adoptées par les États membres dans leurs procédures de signalement des irrégularités frauduleuses ou non. Certains États membres continuent de notifier des taux très bas de fraude. Ce qui pose la question de l'adéquation de leur système national de signalement. En outre, les montants en cause peuvent être beaucoup plus importants selon la définition que l'on donne aux « intérêts financiers » de l'Union européenne 1 ( * ) .

c) Un dispositif insuffisant pour assurer une protection effective des intérêts financiers de l'Union européenne

La nécessité de protéger les intérêts financiers de l'Union européenne prend une actualité particulière dans le contexte de la crise financière et de la crise de la dette qui affectent les États membres. Dans sa communication du 26 mai 2011 2 ( * ) , la Commission européenne a pointé les insuffisances du dispositif actuel de protection des intérêts financiers de l'Union européenne. Elle souligne les difficultés nées de la grande variété de systèmes et de traditions juridiques. La Convention de 1995 et ses actes liés n'ont été pleinement mis en oeuvre que dans cinq États membres.

Dans un arrêt du 4 octobre 2006 Tillack c/ Commission, le Tribunal de première instance a jugé que l'éventuelle ouverture d'une procédure judiciaire à la suite de la transmission d'informations par l'OLAF, ainsi que les actes juridiques subséquents, relevaient de la seule et entière responsabilité des autorités nationales. Or, les autorités judiciaires nationales n'ouvrent pas systématiquement d'enquête pénale à la suite d'une recommandation de l'OLAF (depuis 2000, 93 dossiers OLAF ont été classés sans suite par les ministères publics nationaux, sans raison particulière ; 178 autres dossiers l'ont été pour des motifs discrétionnaires). Au total, seulement 7 % des dossiers OLAF font l'objet de poursuites pénales dans les États membres, seuls compétents pour agir comme l'a rappelé la Cour de justice.

Il existe de grandes différences entre les États membres tant dans la définition des infractions pénales concernées (tels le détournement de fonds ou l'abus de pouvoir), dans le concept de fonctionnaire retenu pour l'application des règles anticorruption ou encore la responsabilité pénale des chefs d'entreprises et des personnes morales, engagée dans certains États mais pas dans d'autres.

C'est pourquoi le taux de condamnation dans le cas d'infraction portant atteinte au budget de l'Union varie d'un État membre à l'autre de 14 à 80 %. Trop souvent les enquêteurs, procureurs et juges nationaux se heurtent à des obstacles juridiques et pratiques, tels que des compétences limitées territorialement, la non recevabilité de preuves recueillies par des autorités étrangères, une restriction des poursuites aux affaires nationales ou encore une coopération insuffisante entre les autorités. Cette situation aboutit au classement d'affaires où l'OLAF a pourtant procédé à une enquête qui a conclu à une fraude présumée suffisamment grave. Les déficiences des mécanismes de coopération sont par ailleurs visibles alors même que la protection du budget de l'Union nécessite souvent de mener des enquêtes transfrontalières.

Pour surmonter ces difficultés, la Commission européenne a annoncé son intention d'utiliser les nouveaux outils prévus par le traité de Lisbonne. Elle a ainsi présenté, le 11 juillet 2012, une proposition de directive qui définit, d'une part, des infractions communes à tous les États membres et, d'autre part, les sanctions qu'il convient d'adopter dans le but de renforcer l'effet dissuasif et le potentiel répressif des dispositions applicables. Sa proposition de directive du 12 mars 2012 concernant le gel et la confiscation des produits du crime dans l'Union européenne fait de la confiscation une priorité stratégique en tant que moyen de lutte contre la criminalité organisée.

En juin 2011, la Commission européenne a adopté une communication sur sa stratégie antifraude. En décembre 2011, elle a proposé une révision des textes afin d'assurer que les États membres mettent en place des mécanismes efficaces pour prévenir les pratiques commerciales malsaines et accroître la transparence. Elle a par ailleurs lancé un plan d'action contre la contrebande de cigarettes et d'alcool le long de la frontière orientale de l'Union européenne. En outre, les opérations douanières conjointes donnent des résultats appréciables (par exemple, l'opération baptisée « Fireblade » organisée en avril 2011 par la Hongrie et la Commission (OLAF) en coopération avec Europol).

Toutes ces actions sont positives et de nature à renforcer la politique de protection des intérêts financiers de l'Union européenne. Mais les traités offrent d'autres instruments que la Commission européenne souhaite utiliser, en particulier les mesures de coopération judiciaire en matière pénale (article 82 TFUE), la définition de dispositions législatives relatives à la fraude (articles 310 § 6 et 325 § 4 TFUE), l'attribution de compétences d'investigation à Eurojust (article 85 TFUE) et la création d'un Parquet européen à partir d'Eurojust (article 86 TFUE).

2. Le renforcement de la coopération judiciaire pénale

Les accords de Schengen ont constitué une étape majeure pour la coopération policière et judiciaire en Europe. Ils ont aboli progressivement le contrôle aux frontières intérieures et permis d'élaborer une politique commune aux frontières extérieures des États parties. Sur le plan des enquêtes, ils ont apporté des améliorations non négligeables aux mécanismes de coopération policière, et notamment l'observation transfrontalière, le droit de poursuite, les centres de coopération policière et douanière (CCPD).

La Convention d'entraide judiciaire du 29 mai 2000 et son protocole additionnel du 16 octobre 2001 ont renforcé, au sein de l'Union européenne, les mécanismes d'entraide institués par les conventions du Conseil de l'Europe. Première convention à avoir été adoptée après l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne, la convention de 2000 a généralisé la transmission directe des procédures entre les autorités judiciaires des États membres et introduit de nouvelles formes d'entraide : utilisation de la vidéoconférence, livraisons surveillées, enquêtes discrètes, équipes communes d'enquête.

a) La reconnaissance mutuelle

Depuis le Conseil européen de Tampere en 1999, le principe de reconnaissance mutuelle constitue la pierre angulaire de la coopération judiciaire européenne. Pour faciliter la mise en oeuvre de ce principe, le programme de La Haye (2004) avait insisté sur l'importance de renforcer la confiance mutuelle.

Au titre de la reconnaissance mutuelle, la principale réalisation demeure le mandat d'arrêt européen, qui a été établi par une décision-cadre du 13 juin 2002. Il est opérationnel dans les vingt-sept États membres depuis le 1 er janvier 2007. Depuis sa mise en place, 54 689 mandats d'arrêt européen ont été émis par les États membres donnant lieu à la remise de 11 630 suspects. Dans le cadre de l'ancienne procédure d'extradition, les affaires traitées duraient en moyenne une année. Ce délai est désormais réduit à seize jours, lorsque le suspect consent à son extradition, ou à quarante-huit jours lorsque ce n'est pas le cas.

La Commission européenne relève toutefois, dans un rapport d'évaluation d'avril 2011, que l'efficacité du mandat d'arrêt européen peut être entravée par des préoccupations liées au respect des droits fondamentaux dans les États membres ainsi que par une utilisation excessive dans des cas qui ne le justifient pas véritablement. L'établissement de normes européennes minimales en matière de droits des personnes soupçonnées d'un délit ou poursuivies peut répondre au premier écueil en garantissant la tenue de procès équitables. L'Union européenne a déjà adopté des dispositions législatives portant sur le droit à l'interprétation et à la traduction dans les procédures ainsi que sur le droit à l'information des suspects. La Commission a présenté une proposition de directive en vue de garantir l'accès à un avocat et le droit à communiquer avec les membres de sa famille et ses employeurs. Chacune de ces mesures s'appliquera aux suspects faisant l'objet d'un mandat d'arrêt européen.

L'hétérogénéité des normes d'incrimination et de sanction constitue une vraie difficulté qu'il faut lever. Comme le souligne Eurojust, à laquelle fait écho l'étude du Conseil d'État, les États membres où le faux monnayage est faiblement incriminé risque d'être moins enclins à poursuivre cette infraction que d'autres États membres comme la France, où cette infraction est passible d'une peine de trente ans de réclusion criminelle.

La disparité des procédures pénales est une autre difficulté encore plus sensible. Le rapport annuel d'Eurojust 2009 souligne la diversité des « législations relatives à l'interception des communications, à l'audition des témoins (par ex. dans les affaires de criminalité organisée ou de traite des êtres humains), et aux exigences de recevabilité des preuves (par ex. les déclarations de témoins, qui peuvent n'être admissibles que lorqu'elles sont reçues par un juge et non par la police). »

Depuis le traité d'Amsterdam, l'Union européenne a adopté plus d'une dizaine de textes (décisions-cadre, décisions) dans ce domaine. Mais, en pratique, ces instruments ne sont pas toujours transposés par les États membres. Lorsqu'ils le sont, ils ne fonctionnent pas de manière satisfaisante au niveau de l'ensemble de l'Union européenne, à l'exception notable du mandat d'arrêt européen. À partir de 1 er décembre 2014, la Commission européenne aura la faculté de mettre en cause les États membres devant la Cour de justice pour manquements.

Au-delà, les pratiques devront évoluer vers plus de solidarité européenne. Les possibilités offertes par les dispositifs européens ne sont malheureusement pas toujours connues dans les juridictions nationales. L'accent doit donc être mis sur la formation des magistrats et sur l'utilisation des réseaux de coopération.

Dans le cadre du programme de Stockholm, adopté par le Conseil européen en mai 2010, de nouvelles pistes ont été ouvertes. C'est ainsi qu'un véritable mandat européen d'obtention de preuves, se substituant à tous les instruments existants, pourrait être mis en place. Il serait automatiquement applicable dans toute l'Union.

b) La coopération entre les autorités judiciaires

La coopération judicaire s'est par ailleurs développée à travers les magistrats de liaison et le réseau judiciaire européen (RJE). Créés en 1996, sur la base d'accords bilatéraux ou multilatéraux, les magistrats de liaison permettent d'accélérer, par des contacts directs avec les services compétents et les autorités judiciaires de l'État d'accueil, toutes les formes de coopération judiciaire. Ils facilitent une meilleure connaissance des systèmes juridiques et judiciaires entre les États membres. Mis en place en 1998, le réseau judiciaire européen avait à l'origine vocation à faciliter à l'occasion d'une procédure pénale, l'exécution d'une demande d'entraide judiciaire en principe bilatérale. Il fonctionne désormais comme un réseau de « points de contact judiciaires » entre les États membres.

Des progrès ont été enregistrés dans les échanges d'informations. Une décision du Conseil du 6 avril 2009 a institué le système européen d'informations sur les casiers judiciaires (ECRIS), qui offre aux États membres un système électronique d'échange d'informations extraites des casiers judiciaires. Encore faut-il rappeler que l'interconnexion des casiers judiciaires est née en 2003 d'une initiative franco-allemande. Elle s'est fondée sur la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale d'avril 1959. C'est donc là encore de l'initiative de quelques États qu'a pu émerger ensuite une solution valable pour l'ensemble de l'Union européenne.

Le rôle d'Eurojust pour développer la coopération judiciaire pénale s'est par ailleurs affirmé. Le nombre de demandes d'assistance liées à la lutte contre la criminalité transfrontalière grave émanant des États membres s'est établi à 1 441 en 2011 (contre 1 421 en 2010). Le nombre de dossiers traités au cours des réunions de coordination d'Eurojust est passé de 140 à 204 entre 2010 et 2011. En décembre 2008, sous la présidence française, le Conseil a adopté une décision qui tend à renforcer Eurojust, en développant les prérogatives des membres nationaux et du collège et en établissant une cellule de réaction rapide pour traiter les affaires les plus urgentes.

En dépit de ces avancées, beaucoup reste encore à faire pour ancrer les missions d'Eurojust dans les pratiques judiciaires nationales et aller vers un véritable parquet européen. Il apparaît indispensable que les perspectives ouvertes par le traité de Lisbonne soient utilisées.

En outre, l'exécution des demandes d'entraide se heurte à la diversité des systèmes juridiques qui reconnaissent des modalités différentes d'administration de la preuve. Les conditions de fond et de forme pour protéger les libertés peuvent varier selon les États membres. La Direction générale des Affaires criminelles et des Grâces relève que les autorités judiciaires françaises se voient fréquemment opposer une fin de non recevoir à une demande d'interceptions téléphoniques, de perquisition, d'audition d'une personne dans le cadre d'une mesure de contrainte ou selon des modalités garantissant à la personne l'effectivité de certains droits. Des différences culturelles aussi peuvent contribuer à l'incompréhension des demandes, par exemple en raison d'une perception différente de la gravité des infractions en cause.

c) Le développement de la coopération policière

La coopération policière a devancé la coopération judiciaire : Interpol date de 1923 ; Europol a été créé avant Eurojust. Elle fonctionne très bien dans un cadre bilatéral (en particulier avec l'Espagne, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie et la Belgique). Outre son effet sur la durée de l'enquête (une commission rogatoire internationale prend de six mois à un an), cette coopération peut se heurter au problème de l'identification des bons interlocuteurs car les structures sont différentes.

Dans un cadre intergouvernemental, sept États (l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et l'Autriche) ont négocié, en 2005, le traité de Prüm qui a ensuite été intégré dans le cadre communautaire par la décision du Conseil du 6 août 2008. Ce texte permet aux services répressifs d'avoir accès aux bases de données contenant des informations liées à l'ADN, aux empreintes digitales et aux immatriculations de véhicules. Due à une initiative suédoise, une décision du Conseil du 18 décembre 2006 a par ailleurs établi une obligation de répondre aux demandes d'information. Les conditions d'accès au système d'information sur les visas (VIS) pour des raisons de sécurité ont été fixées par la décision du Conseil du 23 juin 2008. La directive du 15 mars 2006 a défini les conditions de conservation des données relatives au trafic des communications électroniques.

Créée par la convention du 26 juillet 1995, dans le cadre de ce qui était alors le « troisième pilier », l'Office européen de Police (Europol) a été intégré dans le cadre communautaire par la décision du Conseil du 6 avril 2009 sous la forme d'une agence européenne. Ses compétences ont été, à cette occasion, étendues à toutes les formes de criminalité transfrontalière.

Europol compte 800 agents dont 150 officiers de liaison. La France y est représentée par la Police nationale, la Gendarmerie et la Douane. Europol est chargé de centraliser les données sur la criminalité « sérieuse » et « organisée ». Sa base de données est alimentée par les ministères nationaux de l'intérieur (la France et l'Allemagne sont les plus gros contributeurs en données). Europol apporte par ailleurs son soutien opérationnel aux enquêtes des États membres. Des réunions opérationnelles permettent de confronter les positions des États membres avec les analyses d'Europol.

Europol a développé des outils qui fournissent aux services répressifs des États membres des renseignements sur les phénomènes criminels : un système d'information destiné à recueillir des données relatives à la criminalité transfrontalière et à en permettre l'échange ; des fichiers de travail à des fins d'analyse. Il existe 18 fichiers d'analyse. Europol a des relations continues avec Eurojust (plus de 150 réunions opérationnelles par an) qui est associé à 12 de ces 18 fichiers.

Le traité de Lisbonne prévoit expressément l'association des parlements nationaux au contrôle d'Europol. C'est une exigence démocratique qui doit être concrétisée. Sur la proposition de votre commission des affaires européennes, le Sénat a adopté, le 29 juin 2011, une résolution européenne soulignant que cette association doit être organisée de façon à la rendre effective et permanente.

Les équipes communes d'enquête, dont la création a été rendue possible par une décision-cadre du 13 juin 2002, permettent aux autorités judiciaires et policières d'un État membre d'intervenir sur le territoire d'un autre État membre avec l'accord de cet État. Il s'agit donc d'une dérogation majeure au principe de territorialité de la loi pénale. Ces équipes communes sont créées par deux États membres au moins avec un objectif précis et pour une durée limitée. Elles mènent leurs opérations conformément au droit de l'État membre sur le territoire duquel elles interviennent. En pratique, il s'agit le plus souvent une coopération bilatérale « déguisée » en coopération multilatérale. La participation d'Europol et d'Eurojust devrait être plus systématique. En 2011, Eurojust a joué un rôle de plus en plus important dans ce domaine : trente-trois nouvelles équipes communes d'enquête ont été constituées, avec l'aide d'Eurojust ; les membres nationaux d'Eurojust ont participé à 29 d'entre elles.

Dans le cadre du programme de Stockholm, qu'il a adopté en mai 2010, le Conseil européen a préconisé « le renforcement des moyens opérationnels et des outils mis à la disposition des juges, des procureurs et de tous les autres intervenants dans le domaine de la justice. À cet effet, il recommande une participation plus active d'Eurojust et des réseaux judiciaires européens en matière civile et pénale, afin d'améliorer la coopération et la mise en oeuvre effective du droit de l'Union par tous les praticiens. »

B. UNE VOIE CONSACRÉE PAR LE TRAITÉ DE LISBONNE

1. Des réflexions antérieures
a) Le Corpus Juris de 1997

La proposition de créer un Parquet européen n'est pas nouvelle. Elle a été formulée à plusieurs reprises avant d'être inscrite dans les traités. Comme le souligne l'étude du Conseil d'État, la publication, en 1997, du Corpus Juris par un groupe d'experts mandaté à cet effet par la Commission européenne a constitué une « étape décisive ». Réalisé sous la direction du professeur Mireille Delmas-Marty, cet important travail a, pour la première fois, précisé ce que pourrait être ce ministère public européen dans le domaine spécifique de la protection des intérêts financiers de l'Union. Selon le document, il s'agirait d'une autorité indépendante « indivisible et solidaire » composée d'un procureur général européen et, dans chaque État membre, de procureurs européens délégués. Ces derniers seraient compétents pour la recherche, la poursuite, le renvoi en jugement et l'exercice de l'action publique devant la formation de jugement nationale pour la répression d'une série d'infractions mais aussi pour l'exécution des peines. Des incriminations communes à tous les États membres seraient par ailleurs définies.

b) Les initiatives du Sénat

Le Sénat s'est lui-même montré très actif pour promouvoir la création d'un Parquet européen dans le cadre d'un processus de construction de l'espace judiciaire européen. Dès 1997, la délégation pour l'Union européenne publiait un rapport d'information sur la construction d'un espace judiciaire européen qui préconisait la création d'un ministère public européen et la définition d'un droit pénal de l'Union pour lutter contre la grande criminalité transnationale.

Ce rapport proposait de recourir à une méthode originale, à savoir la réunion des représentants des Parlements nationaux et du Parlement européen dans une enceinte chargée d'élaborer les textes d'unification des droits pénaux. Cette méthode a par la suite été retenue pour l'élaboration de la Charte européenne des droits fondamentaux, puis pour la préparation du projet de traité constitutionnel.

L'idée d'un parquet européen a resurgi à l'occasion des négociations relatives à la création d'Eurojust, proposée par les États membres au Conseil européen de Tampere en 1999. Le 29 mars 2001, le Sénat adoptait une résolution européenne dans laquelle il demandait notamment au Gouvernement « d'agir au sein du Conseil afin qu'une Convention composée de parlementaires nationaux et européens ainsi que de représentants des gouvernements et de la Commission européenne soit réunie pour étudier, dans les matières relevant de la compétence d'Eurojust, les conditions de l'unification des droits pénaux et de la création d'un ministère public européen ainsi que toute question que l'expérience d'Eurojust mettrait en lumière. » En pratique cependant, le Conseil de l'Union européenne devait finalement décider qu'Eurojust serait une simple unité chargée d'améliorer la coopération judiciaire.

En décembre 2001, dans une résolution, relative au mandat d'arrêt européen et à la lutte contre le terrorisme, le Sénat soulignait notamment que « seule l'unification au niveau européen des incriminations et des procédures constituerait une réponse adaptée à l'ampleur des défis soulevés par les formes graves de criminalité internationale ». Le Sénat considérait que cette unification impliquait notamment : la constitution d'une autorité responsable des poursuites ; l'attribution à Europol de compétences opérationnelles.

c) Le Livre vert de la Commission européenne du 11 décembre 2001

Présenté par la Commission européenne, le 11 décembre 2001, le Livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un Procureur européen a marqué une nouvelle étape importante. En septembre 2000, alors que s'achevaient les négociations qui allaient conduire au traité de Nice, la Commission européenne avait soumis à la Conférence intergouvernementale une proposition de création d'un parquet européen compétent en matière de protection des intérêts financiers de la Communauté. Les chefs d'État et de Gouvernement n'ont pas retenu cette proposition qui fut reprise dans le livre vert. Deux motifs étaient avancés par la Commission européenne à l'appui de sa proposition : la spécificité des intérêts financiers communautaires dont la protection justifiait la création d'une fonction de poursuite au niveau européen ; la considération que, conformément au principe de subsidiarité, la Communauté était la plus légitime à défendre ses propres intérêts et aussi la plus apte à le faire.

Selon le livre vert, le procureur européen serait exclusivement compétent en matière de fraude aux intérêts communautaires. Le ministère public devant être compétent sur l'ensemble du territoire communautaire, la Commission européenne estimait qu'une définition commune des incriminations poursuivies serait nécessaire. Certaines infractions ont déjà donné lieu à l'élaboration de définitions communes : la fraude, la corruption et le blanchiment de capitaux.

La Commission européenne considérait que le procureur européen devrait être compétent pour poursuivre d'autres infractions liées à la protection des intérêts financiers communautaires : fraude en matière de passation de marché, association de malfaiteurs, abus de fonction, révélation de secret de fonction...

Le livre vert suggérait que les missions du procureur européen soient les suivantes :

- le procureur européen devrait rassembler les preuves, à charge et à décharge, afin de permettre, le cas échéant, d'engager des poursuites à l'encontre des auteurs des infractions définies en commun pour protéger les intérêts financiers de la Communauté. Il devrait ainsi être chargé de la direction et de la coordination des poursuites. Le procureur européen aurait une compétence spécialisée, prioritaire sur les compétences des autorités de poursuite nationales, mais pour autant articulée avec celles-ci afin d'éviter les doubles emplois ;

- recourant aux autorités de recherche existantes (police) pour l'exécution des investigations, le procureur européen exercerait la direction des activités de recherche dans les affaires qui le concernent ;

- le procureur européen aurait compétence, sous le contrôle du juge, pour renvoyer en jugement les auteurs des faits poursuivis ;

- le procureur devrait, lors du procès lui-même, exercer l'action publique afin de défendre les intérêts financiers des Communautés.

Selon le livre vert, le procureur européen serait choisi parmi des personnalités offrant toutes les garanties d'indépendance, et qui réunissent les conditions requises pour l'exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions juridictionnelles. Le procureur européen devrait être indépendant, tant à l'égard des parties au procès qu'à l'égard des États membres et des institutions et organes communautaires. Il serait nommé, pour un mandat de six ans non renouvelable, par le Conseil de l'Union européenne à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission et après avis conforme du Parlement européen. Le ministère public européen serait un organe, dirigé par le procureur européen et composé de procureurs européens délégués, désignés par chaque État membre.

Un ou plusieurs procureurs européens délégués pourraient être institués dans chaque État membre, selon le volume d'affaires à traiter et leur propre organisation judiciaire interne. Les procureurs européens délégués seraient habilités par le procureur européen sur proposition de leur État membre d'origine, parmi les fonctionnaires nationaux chargés, dans leur État membre respectif, de fonctions de poursuites pénales. Il pourrait s'agir, selon les États membres, de procureurs nationaux, ayant ou non le statut de magistrat, ou bien de fonctionnaires désignés à cette fin, là où l'institution du ministère public n'est pas connue. Le livre vert ne se prononçait pas sur la possibilité ou non pour les procureurs délégués de cumuler des fonctions nationales et leurs fonctions européennes.

Le procureur européen pourrait être saisi par toute personne physique ou morale et pourrait s'autosaisir. Certaines autorités nationales et communautaires ayant des compétences particulières dans le domaine de la lutte contre la fraude aux intérêts communautaires auraient l'obligation de saisir le procureur européen. Le principe de la légalité des poursuites serait retenu avec quelques exceptions. Les actes accomplis sous l'autorité du procureur européen, dès lors qu'ils pourraient mettre en jeu les libertés individuelles et les droits fondamentaux, devraient être soumis au contrôle du juge national exerçant la fonction de juge des libertés. À l'issue de la phase préparatoire au jugement, un juge national exerçant la fonction de contrôle du renvoi en jugement confirmerait les charges sur la base desquelles le procureur européen entend requérir et la validité de la saisine de la juridiction de renvoi.

Dans une résolution du 13 juillet 2002, le Sénat avait considéré que « seules la constitution d'une autorité responsable des poursuites et l'unification des règles et procédures pénales nécessaires à la mise en oeuvre efficace des poursuites et des enquêtes constitueraient une réponse adaptée face à ces formes graves de criminalité transfrontalière. » Il avait, en conséquence, approuver le principe de la création d'un « ministère public européen » compétent en matière de protection des intérêts financiers de la Communauté. Cependant, pour le Sénat, la création d'un « ministère public européen » devrait s'accompagner, dans le domaine considéré, d'une unification des incriminations et des procédures pénales, la plus complète possible. Cette unification devrait en particulier porter sur la définition des incriminations, y compris la tentative ou la complicité, les circonstances aggravantes et atténuantes, ainsi que les régimes de prescription. À défaut d'unification, et uniquement en matière de sanctions et de procédures pénales, il serait envisageable de recourir à l'harmonisation et au principe de reconnaissance mutuelle. En outre, la résolution soulignait que la création du Procureur européen devrait s'accompagner de la création au niveau européen d'une instance juridictionnelle seule chargée de contrôler les actes du procureur susceptibles de porter atteinte aux libertés ainsi que l'acte de renvoi en jugement. À terme, selon la résolution, la création au niveau européen d'une juridiction de jugement compétente pour juger les affaires poursuivies par le Procureur européen devrait être envisagée notamment pour assurer l'homogénéité des décisions prises sur le territoire de la Communauté.

Depuis deux à trois ans, le discours des États membres a évolué sur la perspective de créer un Parquet européen. Des discussions ont été menées sous présidence espagnole (1 er semestre 2010) et belge (2 nd semestre 2010).

2. Le traité de Lisbonne
a) Une reconnaissance qui demande confirmation par une décision unanime du Conseil

Après l'échec de la tentative faite lors des négociations du traité de Nice, le traité constitutionnel, concrétisant les réflexions de la Convention européenne, ouvrit la voie à une reconnaissance du Parquet européen. Le traité de Lisbonne a repris ce projet désormais inscrit à l'article 86 du TFUE.

Article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

1. Pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un Parquet européen à partir d'Eurojust. Le Conseil statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen.

En l'absence d'unanimité, un groupe composé d'au moins neuf États membres peut demander que le Conseil européen soit saisi du projet de règlement. Dans ce cas, la procédure au Conseil est suspendue. Après discussion, et en cas de consensus, le Conseil européen, dans un délai de quatre mois à compter de cette suspension, renvoie le projet au Conseil pour adoption.

Dans le même délai, en cas de désaccord, et si au moins neuf États membres souhaitent instaurer une coopération renforcée sur la base du projet de règlement concerné, ils en informent le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Dans un tel cas, l'autorisation de procéder à une coopération renforcée, qui est visée à l'article 20, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne et à l'article 329, paragraphe 1, du présent traité, est réputée accordée et les dispositions sur la coopération renforcée s'appliquent.

2. Le Parquet européen est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, le cas échéant en liaison avec Europol, les auteurs et complices d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, tels que déterminés par le règlement prévu au paragraphe 1. Il exerce devant les juridictions compétentes des États membres l'action publique relative à ces infractions.

3. Les règlements visés au paragraphe 1 fixent le statut du Parquet européen, les conditions d'exercice de ses fonctions, les règles de procédure applicables à ses activités, ainsi que celles gouvernant l'admissibilité des preuves, et les règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure qu'il arrête dans l'exercice de ses fonctions.

4. Le Conseil européen peut, simultanément ou ultérieurement, adopter une décision modifiant le paragraphe 1 afin d'étendre les attributions du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière et modifiant en conséquence le paragraphe 2 en ce qui concerne les auteurs et les complices de crimes graves affectant plusieurs États membres. Le Conseil européen statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen et après consultation de la Commission.

Cette inscription du Parquet européen dans les traités constitue une étape essentielle en vue de la construction d'une véritable Europe de la justice. Pour autant, fruit d'un compromis entre les États membres hostiles et ceux qui sont favorables à ce projet, la rédaction de l'article 86 TFUE laisse ouvertes beaucoup de questions.

En premier lieu, la reconnaissance ne signifie pas création. Celle-ci reste une option qu'il appartient au Conseil de mettre en oeuvre avec l'approbation du Parlement européen.

Le Parquet européen devra être créé « à partir d'Eurojust ». Cette formulation très générale ouvre volontairement la voie à plusieurs interprétations, comme l'a relevé le Conseil d'État et comme l'ont confirmé les auditions conduites par votre rapporteur. On peut, en effet, envisager un parquet collégial ; une personne désignée comme procureur européen et assistée de procureurs adjoints ; une unité spécifique aux côtés d'Eurojust et s'appuyant sur l'expérience de cette unité de coopération ; une unité créée à partir des compétences dévolues à Eurojust ; une solution mixte.

Sur la procédure de création, le traité établit une procédure législative spéciale qui requiert l'unanimité au sein du Conseil et l'approbation par le Parlement européen. Cette approbation paraît acquise. Le Parlement européen, à plusieurs reprises, a demandé l'adoption des mesures nécessaires à la création d'un Parquet européen 3 ( * ) .

En revanche, l'unanimité au Conseil sera vraisemblablement impossible à réunir compte tenu des positions qui ont déjà été exprimées par les États membres. La situation est néanmoins rendue encore plus complexe en raison des régimes dérogatoires accordés au Royaume-Uni, à l'Irlande et au Danemark. En vertu de l'article 1 er de chacun des protocoles 21 et 22 annexés aux traités, ces pays ne participent pas aux décisions du Conseil relative à l'espace de liberté, de sécurité et de justice (titre V de la troisième partie du TFUE, au sein duquel figure l'article 86 permettant la création du Parquet européen). C'est la clause dite d'« opt out ». Toutefois, ces mêmes protocoles autorisent ces trois États membres à manifester auprès du Conseil leur souhait de participer à telle ou telle action entreprise dans le cadre de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (clause dite d'« opt in »). En conséquence, en l'absence d'opt in de leur part, l'unanimité sur la décision de créer un Parquet européen devrait s'apprécier sur vingt-quatre États membres.

b) La voie de la coopération renforcée

Cependant, en l'absence d'unanimité, le traité ouvre la voie à une coopération renforcée. Face au blocage résultant de l'absence d'unanimité, un groupe composé d'au moins neuf États membres pourra demander que le Conseil européen soit saisi du projet de règlement. Dans ce cas, la procédure au Conseil sera suspendue.

Après discussion, et en cas de consensus, le Conseil européen, dans un délai de quatre mois à compter de cette suspension, renverra le projet au Conseil pour adoption. Cette procédure originale témoigne de l'importance de la volonté politique dans la mise en oeuvre du projet de Parquet européen.

Dans le même délai, en cas de désaccord, et si au moins neuf États membres souhaitent instaurer une coopération renforcée sur la base du projet de règlement concerné, ils en informeront le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Dans un tel cas, l'autorisation de procéder à une coopération renforcée sera réputée accordée et les dispositions des traités sur la coopération renforcée s'appliqueront. Les États volontaires auront donc les moyens de surmonter l'absence de consensus en lançant le projet dans le cadre d'une coopération renforcée à partir du projet de règlement élaboré par le Conseil européen.

L'article 86 TFUE précise les missions qui seront celles du Parquet européen. Celui-ci sera compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, le cas échéant en liaison avec Europol, les auteurs et complices d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Il exerce devant les juridictions compétentes des États membres l'action publique relative à ces infractions. Cependant, les infractions concernées ne sont pas définies. Il reviendra aux règlements qui créeront le Parquet européen de les déterminer.

c) Un champ de compétences extensible

En deuxième lieu, le champ de compétences du Parquet européen n'est pas borné par le traité. Très clairement, celui-ci le centre en priorité sur la protection des intérêts financiers de l'Union européenne. Tel était également le choix du livre vert de la Commission européenne de 2001. Comme votre rapporteur l'a indiqué précédemment, ce domaine répond à des enjeux importants et la création d'un Parquet européen pourrait avoir une plus-value évidente.

Mais le Conseil européen pourra décider, simultanément ou ultérieurement, d'étendre les attributions du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière. Une telle extension donnerait, à l'évidence, au projet toute sa portée en proposant une réponse concrète aux attentes de nos concitoyens dans la lutte contre la grande criminalité.

3. La création d'un Parquet européen n'appellerait pas une nouvelle révision constitutionnelle

L'étude du Conseil d'État a analysé la question de savoir si la création d'un Parquet européen impliquerait en France une nouvelle révision constitutionnelle. On sait que la décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre 2007, relative au traité de Lisbonne, a considéré qu'une révision s'imposait au regard de l'article 86 du TFUE ouvrant la possibilité de la création d'un parquet européen, eu égard à la portée d'une telle perspective quant à l'exercice de la souveraineté nationale.

La loi constitutionnelle du 4 février 2008 a modifié l'article 88-1 de la Constitution, qui est désormais ainsi libellé :

« La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »

Le Conseil d'État fait valoir qu' « il semble (...) raisonnable d'estimer que les conséquences inhérentes à l'institution effective du Parquet européen, pour ce qui est de l'atteinte excessive à la souveraineté nationale, ont été nécessairement acceptées par la loi constitutionnelle du 4 février 2008, toutes les virtualités comprises dans l'article 86 TFUE étant purgées de leurs éventuels vices d'inconstitutionnalité ». Pour le Conseil d'État, toutefois, cette analyse ne vaut que sous une double réserve, d'une part, d'une absence de modification de l'article 86 TFUE, c'est-à-dire du champ matériel du Parquet européen et, d'autre part, du respect de l'ensemble des principes constitutionnels par la totalité des règlements d'application qui seront adoptés par le Conseil aux fins de permettre son institution effective.

II. POUR UNE DÉMARCHE AMBITIEUSE ET PRAGMATIQUE

Comme le Sénat l'a fait valoir à plusieurs reprises, votre commission des affaires européennes considère que la démarche doit être ambitieuse et donc intégrer la perspective d'une extension du champ de compétences du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave transnationale. Mais pour aboutir, la démarche doit aussi être pragmatique et donc procéder par étapes en ménageant la souplesse nécessaire

A. PRENDRE EN COMPTE À TERME LA LUTTE CONTRE LA GRANDE CRIMINALITÉ

1. L'intérêt manifeste d'une extension à la criminalité grave transfrontière
a) Répondre à l'attente des citoyens

Le Sénat a manifesté de façon constante tout l'intérêt qu'aurait la création d'un Parquet européen pour renforcer la coopération pénale et lutter plus efficacement contre la grande criminalité.

Sur le rapport de nos collègues députés Guy Geoffroy et Marietta Karamanli, au nom de la commission des affaires européennes, l'Assemblée nationale a adopté, le 14 août 2011, une résolution européenne qui souligne que « la lutte contre la criminalité grave transnationale appelle une réponse forte et commune de l'Union européenne qui permette de pallier les insuffisances de la coopération judiciaire pénale et le morcellement de l'espace judiciaire européen » et qui « souhaite la création d'un parquet européen compétent, dès l'origine, en matière de lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, en application du 4 de l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. »

Lors d'une audition conjointe par la commission des lois et par la commission des affaires européennes, qui s'est tenue le 21 février 2012, Mme Viviane Reding, Vice-présidente de la Commission européenne et Commissaire à la Justice, a considéré que « l'objectif est de lutter avec plus de cohérence contre le crime international. Aujourd'hui, les poursuites s'arrêtent trop souvent aux frontières, soit parce que la définition des crimes n'est pas la même dans le pays voisin, soit parce que l'on rechigne à mener des poursuites à l'étranger. »

C'est bien la lutte contre la grande criminalité qui pourra donner au projet de Parquet européen une dimension susceptible de concrétiser une Europe des projets répondant aux attentes des citoyens. Le programme de Stockholm, adopté par le Conseil européen en mai 2010, souligne précisément que « l'objectif premier de la coopération en matière répressive au niveau de l'Union est de lutter contre les formes de criminalité qui ont généralement une dimension transfrontalière. Il conviendrait de mettre l'accent non seulement sur la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, mais aussi sur la lutte contre la criminalité transfrontalière de grande ampleur, qui ont une incidence importante sur la vie quotidienne des citoyens de l'Union. » Ce même programme a mis en exergue que « tandis que la criminalité organisée continue de se mondialiser, il est de plus en plus important que les forces de l'ordre puissent travailler avec efficacité par-delà les frontières et les ressorts judiciaires. L'Union peut apporter une réelle valeur ajoutée à la lutte contre certains types de menace qui nécessitent un haut niveau d'action coordonnée. »

b) Une distinction artificielle entre la protection des intérêts financiers de l'Union européenne et la lutte contre la grande criminalité transfrontalière

De fait, comme l'ont souligné plusieurs interlocuteurs de votre rapporteur, il peut paraître assez artificiel de distinguer entre la protection des intérêts financiers de l'Union européenne et la lutte contre la grande criminalité transfrontalière. En pratique, les services de police sont rarement confrontés à des dossiers intéressant la protection des intérêts financiers de l'Union. Mais le crime organisé peut se cacher derrière des dossiers d'escroquerie. Ce qui justifierait de faire le choix d'étendre sans attendre les compétences de ce parquet. L'étude du Conseil d'État donne l'exemple des infractions en matière de fausse monnaie qui entrent généralement, dans les droits nationaux, dans le champ de la criminalité organisée.

Un Parquet européen doit être un instrument de nature à surmonter les obstacles à la réalisation d'un espace pénal européen. L'étude du Conseil d'État a parfaitement recensé et analysé ces obstacles.

Les articles 82, 83 et 325 du TFUE incitent les États membres à agir dans le sens d'une harmonisation des normes applicables. La création d'un Parquet européen serait également un puissant outil pour favoriser une telle harmonisation. L'étude du Conseil d'État relève que le traité a renvoyé aux règlements mentionnés à l'article 86 du TFUE le soin de désigner les « crimes graves affectant plusieurs États membres. » L'élément de territorialité ne paraît pas soulever de difficulté particulière. La référence aux « crimes graves » doit être comprise comme la référence à toute infraction intentionnelle et non aux seules infractions passibles de peines criminelles. La décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen (article 2) a donné une liste de 32 infractions qui pourrait coïncider avec le périmètre de la criminalité grave ayant une incidence transfrontière. Cette liste peut être rapprochée de l'article 83 du TFUE relatif au rapprochement des dispositions pénales dans les « domaines de la criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière ». Selon cet article, ces domaines de criminalité sont les suivants: le terrorisme, la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d'armes, le blanchiment d'argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée. En revanche, la définition donnée par l'article 706-73 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, apparaît plus étroite, notamment parce qu'elle exclut les violences sexuelles, en particulier celles commises sur des mineurs dans le cadre de réseaux organisés.

Le morcellement de l'action publique à l'échelle européenne est un autre obstacle à une lutte efficace contre le crime organisé. Dans une résolution du 6 mai 2012, le Parlement européen a ainsi justement relevé que l'élimination progressive des contrôles aux frontières a considérablement facilité la libre circulation des citoyens européens mais a aussi permis aux criminels d'agir plus facilement au niveau transnational, en particulier parce que le domaine d'action des autorités chargées de l'application de la loi et des systèmes de justice pénale est depuis longtemps en grande partie limité aux frontières de leurs États respectifs. Ce constat avait été fait précédemment, en 1997, par les auteurs du Corpus juris qui observaient qu'il était urgent d'apporter « une réponse radicale à l'absurdité, encore tolérée bien que condamnée universellement, qui veut que nos frontières nationales soient grandes ouvertes aux criminels et fermées à ceux chargés de la lutte contre le crime, ce qui risque de transformer nos pays en paradis criminels ».

c) Répondre aux insuffisances de la coopération judiciaire pénale

Comme le souligne fort pertinemment l'étude du Conseil d'État, il s'agit aussi de répondre aux insuffisances coopération pénale entre les États membres. À l'exception du mandat d'arrêt européen, la coopération judiciaire repose principalement sur la collaboration active et volontaire des États membres. Sans dénier la réalité de cette coopération, rappelée au cours des auditions menées par votre rapporteur, force est de constater qu'elle peut faire défaut en fonction de la hiérarchie des priorités, retenue. Il en résulte une disparité excessive entre les États membres en matière de coopération pénale. Ces insuffisances ne sont pas compensées par les organes de coopération créés au niveau européen qui souffrent de certaines faiblesses structurelles. C'est ainsi que le représentant national à Eurojust perd de ce fait toute compétence sur le territoire national, ce qui affaiblit la capacité de coordination. En outre, elles conduisent à un allongement des délais de procédure, préjudiciable à l'efficacité de l'action et à la réactivité que requiert la lutte contre le crime organisé. Pas plus Eurojust qu'Europol ou l'OLAF ne disposent de pouvoirs contraignants. On a indiqué précédemment que les enquêtes de l'OLAF font trop rarement l'objet de suites judiciaires dans les États membres.

Incontestablement, la création d'un Parquet européen compétent pour lutter contre la grande criminalité serait un progrès pour rendre cette lutte plus efficace en surmontant les différents obstacles que l'on vient d'évoquer. Toutefois, pour les « eurocrimes », les États membres considèrent encore trop souvent que c'est leur ordre public national qui est touché.

2. Une démarche par étapes : la protection des intérêts financiers de l'Union européenne comme priorité immédiate

La Commission européenne envisage de présenter une proposition en juin 2013, après une phase de consultations et la rédaction d'une étude d'impact qui permettra d'évaluer l'effet des différentes options envisageables pour l'organisation du Parquet européen. Cette proposition sera concentrée sur la protection des intérêts financiers de l'Union européenne qui, dans le contexte de la crise économique et financière, intéresse davantage. Parallèlement, la Commission européenne proposera une réforme d'Eurojust.

a) Un instrument efficace pour la protection des intérêts financiers de l'Union européenne

Tout en soutenant une démarche ambitieuse permettant d'utiliser pleinement les possibilités ouvertes par le traité, votre commission des affaires européennes souhaite aussi faire preuve de pragmatisme. Une démarche par étapes lui paraît donc envisageable dès lors qu'elle permettrait de répondre immédiatement à un premier enjeu qui porte sur la protection des intérêts financiers de l'Union européenne tout en apportant concrètement la preuve de la plus value qu'apporterait la création d'un Parquet européen à la coopération judiciaire pénale. Une approche réaliste rendrait le projet acceptable par les magistrats dans les États membres.

Cette démarche par étapes a été préconisée par les interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur. Elle a aussi été privilégiée par Mme Viviane Reding lors de son audition conjointe par la commission des lois et la commission des affaires européennes. La Vice-présidente de la Commission européenne, Commissaire à la Justice a, en effet, fait valoir que « créer un parquet européen est une entreprise extrêmement délicate, qui n'aboutira pas d'un jour à l'autre. On ne saurait détruire les parquets nationaux, oeuvres de centaines d'années (...) Il faut commencer par le commencement, et je dois m'en tenir aux domaines où les traités me rendent compétente : d'où le projet de directive prévoyant une définition commune du crime et des peines minimales en matière de protection des intérêts financiers de l'Union. Lentement mais sûrement, un parquet européen se constituera en cette matière. Si cela fonctionne, on pourra alors faire le deuxième pas, et viser les infractions transfrontalières graves. »

La même position a été privilégiée par notre collègue Michel Mercier, alors ministre de la justice, Garde des Sceaux, lors de son audition par la commission des affaires européenne de l'Assemblée nationale, le 8 juin 2011.

On a indiqué précédemment les motifs pour lesquels un Parquet européen présenterait un grand intérêt pour mieux assurer la protection des intérêts financiers de l'Union européenne. Les instruments actuels se révèlent inadaptés et insuffisants. La coexistence de systèmes juridiques nationaux et de réglementations différentes nuit aux enquêtes et aux poursuites transfrontières en matière de fraude.

La protection des intérêts financiers de l'Union européenne requiert une grande technicité eu égard à la sophistication de certains montages financiers. Elle implique très fréquemment une action au-delà des frontières d'un État membre. La fraude aux intérêts financiers communautaires revêt souvent une dimension transnationale et requiert dès lors une action coordonnée. Il s'agirait donc de donner à protection des intérêts financiers de l'Union européenne le cadre le plus approprié pour une plus grande effectivité.

Le Parquet européen constituerait donc une voie efficace pour surmonter ces obstacles à côté d'autres mesures, évoquées par la Commission européenne dans sa communication du 26 mai 2011, notamment l'harmonisation des dispositions de droit pénal matériel qui permettrait de donner une définition commune à des infractions pénales telles que l'abus de pouvoir ou le détournement de fonds.

b) La coopération renforcée : une solution pertinente pour surmonter les blocages

Mais même dans cette acception réduite de son champ d'intervention, la création du Parquet européen risque de se heurter à l'opposition de certains États membres, rendant impossible l'unanimité exigée par l'article 86 du TFUE. On rappellera qu'en pratique, le Conseil devrait en réalité adopter à l'unanimité neuf règlements à savoir un règlement de principe et huit règlements d'application.

Faute d'unanimité, le recours à une coopération renforcée, dans les conditions prévues par ce même article, paraît inévitable. Lors de son audition, Mme Viviane Reding l'a expressément envisagée en ces termes : « Serais-je favorable à une coopération renforcée, s'il n'y avait pas de cohérence absolue autour d'un tel projet ? Oui, d'autant que je suis à l'origine de la première coopération renforcée, en matière de divorce international. »

Votre commission des affaires européennes soutient pleinement le principe d'une coopération renforcée. Celle-ci permettra de lancer le projet avec des États qui le soutiennent et qui sont bien armés pour lui apporter une entière contribution. Elle permettra de tester concrètement la pertinence de ce Parquet européen et d'ouvrir la voie à l'extension de ses compétences et de son champ géographique d'intervention. Elle aura un effet attractif.

Le traité exige que neuf États membres expriment le souhait d'instaurer une coopération renforcée. Combien d'États seraient susceptibles de s'engager dans une telle démarche ? La Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l'Espagne, la Grèce, l'Italie le Portugal et la Slovénie pourraient souscrire à cette coopération. D'autres États membres pourraient également être intéressés : sans prétendre à l'exhaustivité, on peut songer aux États baltes, à la Pologne ou encore à la Finlande. L'Italie et l'Espagne sont les plus avancés dans leur réflexion. L'Allemagne se montre prudente, notamment dans le contexte des réserves émises par la Cour de Karlsruhe sur de nouveaux transferts de compétences au niveau européen. Cependant, l'accord de l'Allemagne - principal contributeur au budget européen - est nécessaire. Elle pourrait être sensible à la création d'une autorité qui permettrait une action plus efficace pour lutter contre les détournements de fonds européens, ce qui peut répondre à l'attente de son opinion publique. L'Allemagne voudra vraisemblablement avoir des garanties sur une bonne articulation entre le Parquet européen et les parquets nationaux (ce que demandera la Cour de Karlsruhe).

Pour être efficace, cette coopération renforcée devrait concerner d'abord un petit groupe d'États réellement motivés et bien armés sur le plan de leur organisation judiciaire pour s'engager dans cette réforme. On peut penser aussi que les États concernés devraient représenter une part significative de la population de l'Union et du volume d'affaires pénales relevant de la compétence du Parquet Européen.

c) Une définition nécessaire de la protection des intérêts financiers de l'Union européenne

Encore faudra-t-il préciser ce que recouvre exactement la protection des intérêts financiers de l'Union européenne, visée par le traité. La définition initiale proposée par la Convention du 26 juillet 1995 a été progressivement étendue. Cette convention retenait une définition stricte en ne visant que les fraudes qui sont directement rattachées soit à des dépenses, soit à des recettes de l'Union. Ainsi définies, les infractions renvoient principalement en droit pénal français à quatre qualifications délictuelles : l'usage de faux, l'escroquerie par emploi de manoeuvres frauduleuses, l'obtention d'un avantage indu par la fourniture d'une déclaration mensongère, l'abus de confiance. Par la suite, trois protocoles additionnels ont pris en compte les actes de corruption active et passive impliquant des fonctionnaires, tant nationaux que communautaires, ainsi que les actes de blanchiment, de fraude et de corruption le budget de l'Union.

L'étude Corpus Juris de 1997 avait, pour sa part, retenu une définition plus large, établissant une liste de huit infractions qui comprenait notamment, outre la fraude au budget européen définie par la Convention, la fraude en matière de passation de marchés publics, l'abus de fonction ou la malversation.

Dans son livre vert de 2001, la Commission européenne a privilégié une définition qui restait fidèle à celle de la Convention amendée par ses protocoles additionnels. Elle a toutefois préconisé d'étendre la compétence du Procureur européen aux fraudes en matière de TVA commises à l'occasion d'échanges intracommunautaires.

Ces différentes approches témoignent de la difficulté à délimiter précisément ce que recouvre la notion de protection des intérêts financiers de l'Union européenne. La communication de la Commission européenne du 26 mai 2011 sur la protection des intérêts financiers de l'Union européenne souligne le caractère protéiforme de la définition de certains concepts comme celui de fonctionnaire. Dans certains États membres, il n'existe pas de régime de responsabilité pénale des personnes morales. Enfin, les conditions d'acquisition de la prescription sont également divergentes.

Ces infractions sont par nature génératrices de conflits « positifs » de compétence, c'est-à-dire que deux ou plusieurs autorités judiciaires ou policières peuvent revendiquer la compétence pour enquêter sur une infraction donnée. Mais elles peuvent également engendrer des conflits de compétence « négatifs », aucune autorité judiciaire nationale ne revendiquant sa compétence, avec pour conséquence possible l'impunité totale des auteurs de l'infraction.

On ne peut que rejoindre l'analyse du Conseil d'État qui fait valoir qu'une définition excessivement étroite du champ de compétences du Parquet européen risquerait de remettre en cause l'objectif qui lui est assigné et de paralyser son action. L'étude du Conseil d'État recommande ainsi de faire prévaloir, d'une part, une conception stricte quant au caractère direct de l'atteinte portée à ces intérêts et, d'autre part, une conception large s'agissant des faits et des comportements susceptibles de constituer l'élément matériel de ces mêmes infractions.

Mais, comme l'admet l'étude, cette approche laisse entière la question de savoir si les infractions en matière de fausse monnaie, visant en particulier l'euro, doivent être regardées comme des infractions susceptibles de porter préjudice aux intérêts financiers de l'Union. La question ne paraît pas résolue par le règlement (CE) n° 974/98 du Conseil du 3 mai 1998 concernant l'introduction de l'euro dont l'article 12 prévoit que les États membres « assurent des sanctions adéquates contre la contrefaçon et la falsification des billets et des pièces libellés en euros. » En outre, les infractions en matière de fausse monnaie sont en général traitées par les droits nationaux dans le champ de la criminalité organisée. Ce qui atteste à nouveau le caractère artificiel de la distinction opérée par le traité entre la protection des intérêts financiers de l'Union et la grande criminalité transfrontalière.

Enfin, quel que soit le champ de compétences du Parquet européen, sa création et sa mise en oeuvre devra veiller au respect des droits fondamentaux des justiciables. En conséquence, comme l'a parfaitement souligné l'étude du Conseil d'État, les règlements pris pour l'application de l'article 86 du TFUE devront respecter les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de ses protocoles additionnels, ainsi que celles de la Charte européenne des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui fait désormais partie intégrante du droit primaire et s'impose aux États membres et aux institutions européennes.

Depuis le traité de Lisbonne, l'adhésion de l'Union européenne à la convention du Conseil de l'Europe est prévue par le traité sur l'Union européenne (article 6). Des négociations ont été ouvertes le 7 juillet 2010. Elles seront longues et complexes, comme l'avait souligné, devant la commission des affaires européennes, le 25 mai 2010, notre ancien collègue Robert Badinter, rapporteur du mandat de négociation. Mais cette adhésion permettrait à la Cour européenne des droits de l'homme de contrôler différents actes du Parquet européen au regard des droits processuels issus de la Convention : droit à la liberté et à la sûreté (article 5) ; droit à un procès équitable (article 6) ; droit à un recours effectif (article 7) mais aussi d'autres droits fondamentaux comme le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8).

B. UN PRAGMATISME NÉCESSAIRE DANS LA CONCEPTION DE LA STRUCTURE DU PARQUET EUROPÉEN ET DANS LA DÉFINITION DES RÈGLES APPLICABLES

1. Un Parquet collégial créé à partir d'Eurojust et s'appuyant sur des délégués nationaux
a) Le renforcement nécessaire d'Eurojust

Le traité prévoit la création du Parquet européen « à partir d'Eurojust ». Votre rapporteur a précédemment souligné que cette formulation ouvrait - volontairement - la voie à différentes interprétations. L'étude du Conseil d'État envisage trois hypothèses :

- la première, qui consisterait à doter Eurojust de pouvoirs qui lui font défaut pour tenir lieu de Parquet européen, semble devoir être écartée car l'ambition d'un Parquet européen est beaucoup plus large ;

- la deuxième, retenue par la présidence espagnole en 2010, serait d'envisager que tout en utilisant le socle d'Eurojust et l'acquis de cette agence, le Parquet européen s'en émancipe pour devenir, dans le champ de compétences qui lui est dévolu, une nouvelle structure plus intégrée et ne devant pas nécessairement se couler dans le « moule intergouvernemental » ;

- la troisième, pragmatique, serait de permettre au Parquet européen, à tout le moins lors de sa création, de bénéficier du concours logistique et de l'appui matériel d'Eurojust.

Mme Michèle Coninsx, Présidente d'Eurojust a indiqué à votre rapporteur qu'Eurojust mène depuis 2009 une réflexion sur la mise en oeuvre des articles 85 et 86 du TFUE qui permettent respectivement le renforcement d'Eurojust et la création d'un Parquet européen.

Eurojust ne constituera pas le Parquet européen mais il faut s'appuyer sur cette structure et éviter des coûts supplémentaires. Eurojust a en particulier accès aux bases de données des États membres, notamment au casier judiciaire. Lors de son audition, Mme Michèle Coninsx a précisé que, depuis 2005, les flux d'informations vers Eurojust se sont développés dans plusieurs domaines. Le Parquet européen doit pouvoir s'appuyer sur l'expertise acquise par cette unité de coopération, y compris dans la lutte contre la fraude aux intérêts financiers de l'Union.

La décision renforçant Eurojust a été adoptée, sous présidence française, le 16 décembre 2008. Ce texte visait essentiellement à : renforcer la fonction de coordination d'Eurojust ; favoriser la transmission d'informations opérationnelles à Eurojust (en imposant notamment une transmission obligatoire lorsqu'une autorité nationale est saisie d'un dossier au moins trilatéral ou en présence de difficultés d'exécution ou de conflits de compétence) ; augmenter les capacités opérationnelles d'Eurojust ; renforcer la complémentarité avec le Réseau Judiciaire Européen.

Parallèlement à la création d'un Parquet européen centré sur la protection des intérêts financiers de l'Union, il serait envisageable de faire évoluer Eurojust - qui joue actuellement un simple rôle de coordination et de mise en réseau.

En effet, de l'avis des interlocuteurs rencontrés au cours des auditions, la création du Parquet européen n'enlèverait pas son intérêt à Eurojust comme instrument de la coopération judiciaire pénale. Le traité lui-même préserve cette possibilité.

Le traité de Lisbonne a fourni la base juridique pour un renforcement encore plus accentué des pouvoirs opérationnels d'Eurojust. En vertu de l'article 85 du TFUE, ce sont des règlements du Conseil et du Parlement qui devront déterminer « la structure, le fonctionnement, le domaine d'action et les tâches d'Eurojust. » L'article 85 permet le renforcement des pouvoirs d'Eurojust, en particulier pour l'autoriser à déclencher des enquêtes pénales mais aussi coordonner des enquêtes et résoudre des conflits de compétences. Ainsi que l'a fait valoir Mme Michèle Coninsx, l'article 85 doit conduire à une nouvelle structure d'Eurojust pour promouvoir une véritable espace européen de liberté, de sécurité et de justice. Actuellement, un État membre peut décider de ne pas lancer une enquête dans une affaire qui concerne conjointement quatre États membres. Le rôle d'Eurojust est encore trop horizontal. Il faut aller vers une « semi-verticalité ». Eurojust devrait pouvoir pallier la carence d'un État membre pour lancer une enquête.

Ces mêmes règlements fixeront également les modalités de l'association du Parlement européen et des parlements nationaux à l'évaluation des activités d'Eurojust. C'est là un enjeu essentiel que le Sénat a rappelé dans sa résolution du 29 juin 2011.

Le programme de Stockholm précisait qu'il fallait que « les États membres et Eurojust mettent soigneusement en oeuvre la décision 2009/426/JAI du Conseil du 16 décembre 2008 sur le renforcement d'Eurojust qui, avec le traité de Lisbonne, offre la possibilité de poursuivre le développement d'Eurojust au cours des prochaines années, notamment en ce qui concerne le déclenchement d'enquêtes et la résolution des conflits de compétence. Sur la base d'une évaluation de la mise en oeuvre de cet instrument, de nouvelles possibilités pourraient être envisagées conformément aux dispositions pertinentes du traité, notamment l'octroi de nouvelles compétences aux membres nationaux d'Eurojust, le renforcement des compétences du collège d'Eurojust ou la création d'un procureur européen. »

Lors de son audition, Mme Viviane Reding a marqué son intérêt pour ce renforcement d'Eurojust : « Avant toute chose, je veux renforcer cet embryon de parquet européen qu'est Eurojust, qui est chargé de faire collaborer les procureurs des différents pays. Il faut en faire une machine qui fonctionne : on est encore loin du compte... »

Il y a bien là deux démarches parallèles qui, loin de s'exclure, peuvent au contraire se compléter opportunément. Une évolution de l'unité Eurojust pour mieux répondre aux défis posés par la criminalité grave transnationale, menée parallèlement à la création d'un parquet européen, pourrait préparer utilement l'extension des compétences du parquet européen.

Article 85 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

1. La mission d'Eurojust est d'appuyer et de renforcer la coordination et la coopération entre les autorités nationales chargées des enquêtes et des poursuites relatives à la criminalité grave affectant deux ou plusieurs États membres ou exigeant une poursuite sur des bases communes, sur la base des opérations effectuées et des informations fournies par les autorités des États membres et par Europol.

À cet égard, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, déterminent la structure, le fonctionnement, le domaine d'action et les tâches d'Eurojust. Ces tâches peuvent comprendre :

a) le déclenchement d'enquêtes pénales ainsi que la proposition de déclenchement de poursuites conduites par les autorités nationales compétentes, en particulier celles relatives à des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union ;

b) la coordination des enquêtes et poursuites visées au point a) ;

c) le renforcement de la coopération judiciaire, y compris par la résolution de conflits de compétences et par une coopération étroite avec le Réseau judiciaire européen.

Ces règlements fixent également les modalités de l'association du Parlement européen et des parlements nationaux à l'évaluation des activités d'Eurojust.

2. Dans le cadre des poursuites visées au paragraphe 1, et sans préjudice de l'article 86, les actes officiels de procédure judiciaire sont accomplis par les agents nationaux compétents.

b) Un Parquet de structure collégiale et décentralisée

Le Parquet européen devrait avoir une forme collégiale. Composé d'un représentant par État membre, il désignerait en son sein un président. Comme le relève l'étude du Conseil d'État, la référence à Eurojust, figurant au § 1 er de l'article 86 du TFUE, plaide dans ce sens. Cette solution, qui avait été retenue dans le livre vert de la Commission européenne, serait la plus susceptible de recueillir l'assentiment des États membres. Elle a été privilégiée au cours des auditions menées par votre rapporteur.

Le traité a anticipé le risque de personnalisation en préférant la dénomination de « parquet » à celle de « procureur ». Toutefois, la collégialité n'exclurait pas d'instituer une direction (sur le modèle d'Eurojust qui a un directeur). Une présidence tournante (avec voix prépondérante en cas de partage) pourrait être envisagée mais un bureau devrait être mis en place. Ce schéma devrait intégrer la nécessaire réactivité qui est indispensable à l'efficacité d'une telle structure.

L'hypothèse d'un Parquet centralisé paraît devoir être écartée. Une telle organisation risquerait de susciter de fortes réserves dans les États membres et de les obliger à adapter leurs structures au regard de leurs exigences constitutionnelles. En outre, elle rendrait plus difficile le lien avec les services d'enquête nationaux. Elle éloignerait le Parquet européen du lieu de la conduite des investigations, dès lors qu'il aurait des services d'enquête propres. Or la création du Parquet européen doit être conçue dans la perspective d'un espace européen de la justice qui fait prévaloir les objectifs de simplification et de reconnaissance mutuelle.

Une structure décentralisée semble donc plus adaptée. C'est l'option que semble privilégier la Commission européenne qui souhaite, en outre, éviter de créer une « usine à gaz ».

Elle serait fondée sur un Procureur européen, d'une part, et de Procureurs européens délégués dans les États membres, d'autre part. La formulation de « Parquet » de préférence à celle de « Procureur », retenue dans le livre vert de la Commission européenne, invite aussi au choix d'une telle organisation. Celle-ci faciliterait l'intégration du Parquet européen dans les systèmes juridiques nationaux. Outre l'aspect linguistique, elle permettrait une représentation plus aisée du Parquet européen auprès des juridictions nationales. Cette organisation permettrait aussi d'avoir plusieurs délégués nationaux sur une même affaire. En France, le parquet financier de Paris, qui dispose d'une réelle expertise pourrait, par exemple, être désigné comme délégué national du Parquet européen.

Il reviendrait au délégué national du Parquet européen d'accomplir les diligences nécessaires pour assurer la bonne exécution, dans son État membre de rattachement, des instructions du Parquet européen, le cas échéant sous le contrôle du juge.

Le livre vert de la Commission européenne avait envisagé cette solution souple avec un Procureur européen « centralisant le minimum nécessaire au niveau communautaire » et des procureurs européens délégués « appartenant aux systèmes juridiques nationaux, qui exerceraient concrètement l'action publique. » Ce schéma avait été repris par le groupe de travail mis en place en 2010 sous la présidence espagnole.

Un Parquet européen, organisé sous une forme décentralisée, devra bénéficier de garanties d'indépendance. Cela impliquerait que son pouvoir d'instruction sur les délégués nationaux soit, dans son domaine de compétence, exclusif de toute autre instruction que ces délégués pourraient recevoir des autorités nationales. Mais comme le relève le Conseil d'État, une telle règle ne serait pas incompatible avec la possibilité pour les délégués nationaux d'exercer parallèlement d'autres attributions au plan national. Cette logique de « double casquette », retenue tant par le livre vert que par le groupe de travail de la présidence espagnole, suppose néanmoins une délimitation très claire des compétences. La création d'un Parquet européen pourra aussi avoir un impact sur le statut des parquets nationaux.

Selon l'étude du Conseil d'État, le Parquet européen pourrait être conçu sous la forme d'une agence européenne dotée de la personnalité juridique sans rattachement à l'une des institutions de l'Union et disposant d'une forte autonomie, notamment en matière budgétaire et financière. Les membres du Parquet ne pourraient pas être des fonctionnaires de l'Union ni davantage avoir la qualité de magistrat des juridictions européennes, conformément au principe de séparation des fonctions de poursuite et de jugement. Ils devraient bénéficier d'un statut sui generis leur permettant de conserver leur qualité de magistrat ou d'autorité assimilée dans leur ordre juridictionnel national, tout en étant détachés auprès du Parquet européen pour exercer leurs fonctions. L'exigence d'indépendance, tant vis-à-vis des institutions de l'Union que des États membres, devrait être prise en compte dans les modalités de nomination et de révocation.

Les propositions de nomination devraient être faites par les États membres. Un comité de sélection, déjà compétent pour les juges de la Cour de justice, pourrait être sollicité. Le mode de désignation du Parquet européen devrait impliquer un contrôle des parlements européen et nationaux pour asseoir sa légitimité démocratique.

Conformément à l'article 86 du traité, le Parquet européen sera compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, les auteurs et complices d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union.

Se pose la question du caractère exclusif ou non de la compétence du Parquet européen. Le Conseil d'État estime plus conforme à l'esprit de l'article 86 que les règlements pris pour son application confèrent au Parquet européen une compétence exclusive dans son champ de compétence. Une difficulté pourrait concerner des infractions connexes à celles relevant de la compétence du Parquet européen. L'étude du Conseil d'État souligne que deux obstacles apparaissent s'opposer à ce que le Parquet européen connaisse de ces infractions connexes : l'atteinte à la souveraineté nationale résultant de l'action du Parquet européen en des matières ne relevant pas de sa compétence d'attribution ; le principe communautaire d'attribution en vertu duquel toute compétence qui n'est pas attribuée à un organe de l'Union par les traités appartient aux États membres.

Les juridictions nationales des États membres demeureront compétentes pour se prononcer sur le fond. Des critères devront être fixés pour définir quelle est la juridiction de renvoi. Ces critères pourraient recouper ceux du code de procédure pénale français : lieu du domicile de l'auteur, lieu de commission des faits, pouvant inclure le lieu ou le préjudice est subi, lieu d'établissement d'une personne morale. Dans le cas d'une extension du champ de compétences du Parquet européen, ils pourraient éventuellement être étendus pour prendre en compte la domiciliation des victimes. Un ordre de priorité devrait être établi entre les critères afin d'éviter les contentieux et de permettre au Parquet européen de prendre sa décision sur des bases claires et solides. Cependant, comme le relève la Direction des affaires criminelles et des grâces, quel que soit le degré de précision de ces critères, leur application supposera des choix d'opportunité, compte tenu du caractère transnational des infractions concernées. Le choix de l'État de renvoi se portera sans doute sur l'État le plus « concerné », le plus « impacté », celui sur le territoire duquel le préjudice le plus important aura été causé, celui sur le territoire duquel un plus grand nombre de prévenus ou de victimes se trouvera.

La juridiction de renvoi devrait être une juridiction spécialisée dans chaque État membre (par exemple pour la France, le TGI de Paris ou encore les sièges des Juridictions Interrégionales Spécialisées). Les décisions judiciaires nationales seront toutefois encadrées par la jurisprudence de la Cour de justice qui exige une proportionnalité des sanctions.

Le Parquet européen exercera devant ces juridictions l'action publique relative à ces infractions. Cette mission recouvre notamment la prise de réquisitions orales ou écrites, ainsi que la faculté d'interjeter appel contre les décisions rendues en premier ressort. En pratique, le délégué du Parquet européen tiendra le siège du ministère public, s'agissant de délits commis par des auteurs majeurs, devant le tribunal correctionnel et, dans le cadre d'un appel, devant la chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel. En outre, dès lors que l'on ne peut exclure que des faits de nature criminelle ressortisse à la compétence du Parquet européen, ainsi que le souligne le Conseil d'État, aucune règle ni aucun principe ne paraît s'opposer à ce que le Parquet européen tienne le siège de l'avocat général devant la Cour d'assises.

c) Les modalités de saisine et la place faite aux victimes

L'étude du Conseil d'État envisage les modalités de saisine du Parquet européen. Si le champ de compétences de celui-ci était restreint à la protection des intérêts financiers de l'Union européenne, la saisine pourrait être ouverte à la Commission européenne et ses services, notamment l'OLAF, à un autre organe de l'Union comme la Cour des comptes, à toute autorité judiciaire d'un État membre, une saisine d'office devant par ailleurs être possible. Le Parquet européen serait chargé de l'action publique pour la répression des délits portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union ; la Commission européenne exercerait, le cas échéant l'action civile pour la réparation du dommage qui aurait été causé à l'Union par l'infraction poursuivie.

Si les compétences étaient étendues à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, la saisine devrait être élargie à Eurojust et à toute personne physique ou morale de l'Union européenne selon des modalités de filtrage à définir, dans le respect du partage des compétences entre le Parquet européen et les parquets nationaux.

Se pose par ailleurs la question de savoir si le Parquet européen devrait être soumis au principe de l'opportunité ou de la légalité des poursuites. L'étude du Conseil d'État envisage les deux cas de figure. Elle relève que le choix de la légalité des poursuites, retenu dans le livre vert de la Commission européenne, pourrait obéir au souci juridique d'une application uniforme de la règle de droit dans l'Union européenne. Mais le principe de l'opportunité des poursuites, appliqué en procédure pénale française, aurait le grand avantage d'éviter que le Parquet européen ne mette systématiquement en oeuvre l'action publique, y compris pour la répression de fraudes mineures aboutissant au prononcé de peines ni exemplaires ni dissuasives. Il éviterait une dispersion des moyens d'action du Parquet européen au détriment du traitement d'affaires graves et complexes appelant une réponse pénale adaptée.

d) Un recours aux services nationaux d'enquête

Le Parquet européen devrait mener ses investigations, pour l'essentiel, en s'appuyant sur les services d'enquêtes nationaux. Un service d'enquête européen pourrait, le cas échéant, être envisagé pour appuyer l'action des services nationaux et contribuer à une bonne coopération pour les dossiers de dimension transfrontalière. Le service rattaché au Parquet européen devrait pouvoir assister aux investigations.

Un service d'enquête européen pourrait être constitué à partir de l'OLAF (si la compétence du Parquet était limitée à la protection des intérêts financiers de l'Union européenne) ou à partir d'Europol (en cas d'extension à la lutte contre la criminalité organisée). Il conviendrait de recruter, pour constituer ce service, des agents de ces organismes ainsi que des agents issus des parquets nationaux ayant des compétences spécifiques.

Entendus par votre rapporteur, Europol et l'OLAF ont revendiqué leur rôle dans ce domaine. Le directeur de l'OLAF a même évoqué la transformation de l'OLAF en Parquet européen. Ce qui paraît exclu à la fois en raison des termes du traité (« à partir d'Eurojust ») et du statut de l'OLAF comme des missions qui lui sont dévolues.

Le traité mentionne que le Parquet européen est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, « le cas échéant en liaison avec Europol », les auteurs et complices d'infractions. Une proposition de règlement, qui sera présentée prochainement, changera la base légale d'Europol et modifiera ses liens avec les services nationaux. En toute hypothèse, l'article 88 du TFUE précise que toute action opérationnelle d'Europol doit « être menée en liaison et en accord avec les autorités du ou des États membres dont le territoire est concerné, l'application des mesures de contrainte relève exclusivement des autorités nationales compétentes ».

L'OLAF a par ailleurs un pouvoir d'enquête qui porte sur les fonds européens. Il a une forte expérience des dossiers mettant en cause les intérêts financiers de l'Union européenne et de la lutte contre la fraude. Il a une réflexion déjà ancienne sur son évolution vers plus d'autonomie. Mais c'est une direction générale de la Commission européenne. Il conduit des enquêtes administratives et non pas des enquêtes pénales. Ses enquêtes sont rarement suivies de poursuites pénales dans les États membres. Une proposition de règlement tend à renforcer l'efficacité des enquêtes de l'OLAF et à clarifier simultanément les droits procéduraux des personnes impliquées dans ses enquêtes. S'il devait être intégré au Parquet européen, il conviendrait de distinguer les enquêtes internes relevant de la Cour des comptes et les enquêtes externes, ces dernières devant être conduites sous l'autorité du Parquet européen. L'OLAF doit aussi mieux coopérer avec Eurojust (les deux organismes ont signé un accord à cette fin).

Toujours est-il que c'est à partir des structures existantes que la mission d'appui devrait être envisagée. On observera, par ailleurs, que l'adoption du texte sur la décision d'enquête européenne permettrait d'assurer une reconnaissance mutuelle. En outre, les enquêtes sur la mise en cause des intérêts financiers de l'Union vont très souvent au-delà des frontières de l'Union européenne, d'où la nécessité d'une coopération internationale

2. Les modalités de fonctionnement : un socle minimal de règles harmonisées
a) Les voies d'une harmonisation

Il paraît nécessaire de mettre en place un socle minimal de règles harmonisées au niveau européen. Cette harmonisation devra en particulier concerner la définition des infractions et l'admissibilité des preuves. Au-delà, le principe de reconnaissance mutuelle entre les États membres devra pleinement jouer.

Outre l'article 86 du TFUE qui concerne spécifiquement le Parquet européen, les articles 82 et 325 du TFUE ouvrent plus généralement la voie à une harmonisation tant du droit pénal que de la procédure pénale.

On relèvera une différence non négligeable sur la nature des textes et sur la procédure applicable pour parvenir à une harmonisation. L'article 86 prévoit que ce sont des règlements du Conseil, adoptés conformément à une procédure législative spéciale (unanimité au Conseil et approbation du Parlement européen), qui fixeront les règles de procédure applicables aux activités du Parquet européen, ainsi que celles gouvernant l'admissibilité des preuves, et les règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure.

Au contraire, l'article 82 prévoit que le Parlement européen et le Conseil peuvent établir des règles minimales en statuant par voie de directives conformément à la procédure législative ordinaire. Ces règles minimales tiennent compte des différences entre les traditions et systèmes juridiques des États membres. Elles portent sur l'admissibilité mutuelle des preuves entre les États membres, les droits des personnes dans la procédure pénale et les droits des victimes de la criminalité. La même procédure est prévue par l'article 83 aux fins d'établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière C'est aussi la procédure législative ordinaire (après consultation de la Cour des comptes) qui est prévue par l'article 325 pour arrêter les mesures nécessaires à la prévention de la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union et à la lutte contre cette fraude.

Les règlements relatifs au Parquet européen devraient s'en tenir à un socle minimal de règles harmonisées et ne pas prétendre à l'exhaustivité. Il conviendra de prendre en compte, à travers des règles de procédures différentes, les traditions juridiques nationales (par exemple, la preuve est libre en France alors qu'elle est très encadrée au Royaume-Uni). L'harmonisation des règles de droit pénal et de procédure pénale prévue par le TFUE (articles 82 et 83) devrait être menée parallèlement.

L'étude du Conseil d'État explicite ce qui pourrait figurer dans des textes d'harmonisation. La charge de la preuve des infractions devrait incomber au Parquet européen, auquel il appartiendrait de soumettre à un débat contradictoire l'ensemble des éléments de preuve sur lesquels il entendrait asseoir son accusation. Les textes devraient aussi définir des règles gouvernant l'admissibilité des preuves. L'hypothèse d'un régime de liberté de preuve - qui est appliqué en procédure pénale française - étant écartée par le traité, trois solutions sont envisageables : le texte communautaire pourrait soit établir une liste des modes de preuve admissibles (écoutes, perquisitions, interrogatoires...), soit prévoir que toute preuve légalement recueillie sur le territoire d'un État membre serait admissible sur le territoire d'un autre État membre (reconnaissance mutuelle), soit enfin définir un ensemble de principes généraux applicables au recueil des preuves et dont le respect conditionnerait leur admissibilité (autorisation par un juge des libertés de toute mesure coercitive de recueil d'une preuve, par exemple).

Article 82 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

1. La coopération judiciaire en matière pénale dans l'Union est fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires et inclut le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres dans les domaines visés au paragraphe 2 et à l'article 83. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures visant :

a) à établir des règles et des procédures pour assurer la reconnaissance, dans l'ensemble de l'Union, de toutes les formes de jugements et de décisions judiciaires ;

b) à prévenir et à résoudre les conflits de compétence entre les États membres ;

c) à soutenir la formation des magistrats et des personnels de justice ;

d) à faciliter la coopération entre les autorités judiciaires ou équivalentes des États membres dans le cadre des poursuites pénales et de l'exécution des décisions.

2. Dans la mesure où cela est nécessaire pour faciliter la reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires, ainsi que la coopération policière et judiciaire dans les matières pénales ayant une dimension transfrontière, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de directives conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales. Ces règles minimales tiennent compte des différences entre les traditions et systèmes juridiques des États membres.

Elles portent sur :

a) l'admissibilité mutuelle des preuves entre les États membres ;

b) les droits des personnes dans la procédure pénale ;

c) les droits des victimes de la criminalité ;

d) d'autres éléments spécifiques de la procédure pénale, que le Conseil aura identifiés préalablement par une décision ; pour l'adoption de cette décision, le Conseil statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen. L'adoption des règles minimales visées au présent paragraphe n'empêche pas les États membres de maintenir ou d'instituer un niveau de protection plus élevé pour les personnes.

3. Lorsqu'un membre du Conseil estime qu'un projet de directive visée au paragraphe 2 porterait atteinte aux aspects fondamentaux de son système de justice pénale, il peut demander que le Conseil européen soit saisi. Dans ce cas, la procédure législative ordinaire est suspendue. Après discussion, et en cas de consensus, le Conseil européen, dans un délai de quatre mois à compter de cette suspension, renvoie le projet au Conseil, ce qui met fin à la suspension de la procédure législative ordinaire. Dans le même délai, en cas de désaccord, et si au moins neuf États membres souhaitent instaurer une coopération renforcée sur la base du projet de directive concerné, ils en informent le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Dans un tel cas, l'autorisation de procéder à une coopération renforcée, qui est visée à l'article 20, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne et à l'article 329, paragraphe 1, du présent traité est réputée accordée et les dispositions relatives à la coopération renforcée s'appliquent.

Article 83 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

1. Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de directives conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière résultant du caractère ou des incidences de ces infractions ou d'un besoin particulier de les combattre sur des bases communes.

Ces domaines de criminalité sont les suivants: le terrorisme, la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d'armes, le blanchiment d'argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée. En fonction des développements de la criminalité, le Conseil peut adopter une décision identifiant d'autres domaines de criminalité qui remplissent les critères visés au présent paragraphe. Il statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen.

2. Lorsque le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres en matière pénale s'avère indispensable pour assurer la mise en oeuvre efficace d'une politique de l'Union dans un domaine ayant fait l'objet de mesures d'harmonisation, des directives peuvent établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine concerné. Ces directives sont adoptées selon une procédure législative ordinaire ou spéciale identique à celle utilisée pour l'adoption des mesures d'harmonisation en question, sans préjudice de l'article 76.

3. Lorsqu'un membre du Conseil estime qu'un projet de directive visée aux paragraphes 1 ou 2 porterait atteinte aux aspects fondamentaux de son système de justice pénale, il peut demander que le Conseil européen soit saisi. Dans ce cas, la procédure législative ordinaire est suspendue. Après discussion, et en cas de consensus, le Conseil européen, dans un délai de quatre mois à compter de cette suspension, renvoie le projet au Conseil, ce qui met fin à la suspension de la procédure législative ordinaire. Dans le même délai, en cas de désaccord, et si au moins neuf États membres souhaitent instaurer une coopération renforcée sur la base du projet de directive concerné, ils en informent le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Dans un tel cas, l'autorisation de procéder à une coopération renforcée, qui est visée à l'article 20, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne et à l'article 329, paragraphe 1, du présent traité est réputée accordée et les dispositions relatives à la coopération renforcée s'appliquent.

Article 325 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

1. L'Union et les États membres combattent la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union par des mesures prises conformément au présent article qui sont dissuasives et offrent une protection effective dans les États membres, ainsi que dans les institutions, organes et organismes de l'Union.

2. Les États membres prennent les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union que celles qu'ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers.

3. Sans préjudice d'autres dispositions des traités, les États membres coordonnent leur action visant à protéger les intérêts financiers de l'Union contre la fraude. À cette fin, ils organisent, avec la Commission, une collaboration étroite et régulière entre les autorités compétentes.

4. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent, après consultation de la Cour des comptes, les mesures nécessaires dans les domaines de la prévention de la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union et de la lutte contre cette fraude en vue d'offrir une protection effective et équivalente dans les États membres ainsi que dans les institutions, organes et organismes de l'Union.

5. La Commission, en coopération avec les États membres, adresse chaque année au Parlement européen et au Conseil un rapport sur les mesures prises pour la mise en oeuvre du présent article.

b) Le contrôle juridictionnel des actes du Parquet européen

Les actes du Parquet européen devront faire l'objet d'un contrôle juridictionnel, comme le prévoit le § 3 de l'article 86 du TFUE. D'abord, l'intervention d'un juge sera le plus souvent nécessaire pour autoriser le Parquet européen à mettre en oeuvre certains de ses pouvoirs d'enquête (par exemple, une perquisition sans assentiment ou des interceptions de conversations téléphoniques). Cette autorisation pourrait être délivrée soit par un juge ou une juridiction de l'État membre concerné, soit par une juridiction européenne, le cas échéant une juridiction spécialisée créée sur le fondement de l'article 257 du TFUE.

L'étude du Conseil d'État rappelle qu'en application de l'article 263 du TFUE le contrôle de la légalité des organes et organismes de l'Union destinés à produire des effets juridiques à l'égard des tiers ressortit à la compétence de la Cour de justice. De plus, les exigences constitutionnelles doivent être prises en compte. Le Conseil d'État relève que l'article 66 de la Constitution, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 décembre 1993, implique que les actes d'enquête portant atteinte à la liberté individuelle soient soumis à l'autorisation préalable de l'autorité judiciaire. En outre, le choix d'une juridiction européenne pourrait ne pas être compatible avec les contraintes propres à l'enquête pénale, qui impliquent d'obtenir des décisions dans des délais brefs. La juridiction compétente devrait pouvoir réagir « heure par heure » sur un recours contre une décision décidant d'engager des poursuites mais aussi sur les incidents de procédure.

Les actes du Parquet européen devront par ailleurs faire l'objet d'une contrôle de régularité. Si le choix, privilégié par votre commission des affaires européennes, d'une structure décentralisée était opéré, la question du contrôle juridictionnel pourrait être réglée plus simplement. Comme le relève l'étude du Conseil d'État, le choix de la juridiction compétente dépendrait de la nature des actes en cause et du stade de la procédure auquel ils sont pris. Les actes du Parquet européen adoptés en amont et en sa qualité d'organe de l'Union européenne pourrait relever du contrôle d'une juridiction spécialisée de l'Union européenne, créée sur le fondement de l'article 257 du TFUE. En revanche, les actes adoptés pendant la phase procédurale devant la juridiction nationale de renvoi par le procureur national délégué devraient en principe relever de la juridiction nationale compétente. Ce schéma serait sans préjudice des compétences de la Cour de justice en matière préjudicielle.

Un contrôle « au fil de l'eau », au cours de l'enquête, assorti le cas échéant d'un délai de forclusion, comparable à celui prévu par l'article 173-1 du code de procédure pénale en matière de nullités de la procédure d'instruction préparatoire, pourrait aussi être de nature à éviter de voir se développer une procédure d'enquête qui pourrait être invalidée in fine.

c) L'intervention du Parquet européen postérieurement au prononcé du jugement

Le Parquet européen devrait toutefois pouvoir agir postérieurement au prononcé d'un jugement. Il devrait pouvoir former un recours contre une décision prononcée par une juridiction de jugement qui ne serait pas conforme à ses réquisitions. En revanche, l'étude du Conseil d'État considère qu'il n'est pas indispensable de lui reconnaître la possibilité d'intervenir, au sens plein du terme, dans le cadre de la procédure d'examen du pourvoi en cassation, autrement que par la production d'un simple mémoire écrit, à l'image de ce que fait parfoir le procureur général près la Cour d'appel. En effet, le rôle de l'avocat général près la Cour de cassation n'est pas de soutenir l'accusation mais de veiller, en toute indépendance, à l'exacte application de la loi pénale. En outre, seule reste en débat devant la Cour de cassation l'application du droit , les faits étant, sauf dénaturation, tenus pour établis par les attendus de l'arrêt attaqué. L'exécution des peines devra relever des États membres.

d) La nécessité d'une évaluation parlementaire des activités du Parquet européen

L'article 85 du TFUE renvoie à des règlements le soin de préciser les modalités de l'association du Parlement européen et des parlements nationaux à l'évaluation des activités d'Eurojust.

Dans sa résolution du 29 juin 2011, le Sénat s'était prononcé pour l'organisation, une fois par présidence semestrielle du Conseil, d'une commission mixte composée de représentants du Parlement européen et des parlements nationaux, à partir des réunions interparlementaires conjointes et des réunions au niveau européen des commissions chargées de la sécurité dans les parlements nationaux. Selon la résolution, cette commission mixte pourrait être chargée à la fois du contrôle d'Europol et de l'évaluation d'Eurojust.

Dans le même esprit, il paraît essentiel de soumettre les activités du Parquet européen à une évaluation parlementaire associant le Parlement européen et les parlements nationaux. Cette évaluation pourrait être confiée à cette même commission mixte.

*

* *

Lors de sa réunion du jeudi 6 décembre 2012, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne ci-après 4 ( * ) , et décidé d'autoriser la publication du présent rapport.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 85 et 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ses protocoles additionnels,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des Régions sur la protection des intérêts financiers de l'Union européenne par le droit pénal et les enquêtes administratives (COM (2011) 293 final) du 26 mai 2011,

Rappelle que la mise en cause des intérêts financiers de l'Union européenne et le développement de la criminalité grave transfrontalière constituent pour l'Union européenne des défis majeurs qu'elle doit combattre avec des moyens adaptés ;

Considère que la création d'un Parquet européen peut apporter une contribution essentielle à la construction d'un espace judiciaire européen, répondant aux attentes des citoyens, respectueux des droits fondamentaux et des systèmes et traditions juridiques des États membres ;

Souligne tout l'intérêt d'une démarche ambitieuse étendant, comme le permet l'article 86 du TFUE, les compétences du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave transfrontière, afin de promouvoir une action efficace contre cette criminalité et surmonter les entraves créées par le morcellement de l'espace judiciaire européen ;

Juge toutefois possible une démarche par étapes qui concentrerait dans un premier temps les compétences du Parquet européen sur la protection des intérêts financiers de l'Union européenne avant de les étendre à la lutte contre la criminalité grave transfrontière ; relève qu'un Parquet européen serait un instrument efficace pour assurer une meilleure protection des intérêts financiers de l'Union européenne ;

Considère qu'à défaut d'unanimité au Conseil, une coopération renforcée prenant la forme d'un Parquet européen devrait être lancée entre les États membres volontaires dans les conditions prévues par l'article 86 du TFUE ;

Estime que, dans le même temps, les compétences de l'unité de coopération Eurojust devraient être étendues, comme le permet l'article 85 du TFUE, en lui reconnaissant en particulier le pouvoir de déclencher des enquêtes pénales ;

Est favorable à un Parquet européen de forme collégiale, désignant en son sein un président, le cas échéant avec une rotation par pays, et s'appuyant sur des délégués nationaux dans chaque État membre ;

Rappelle que, conformément à l'article 86 du TFUE, le Parquet européen sera compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, les auteurs et complices d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union ; que les juridictions nationales des États membres demeureront compétentes pour se prononcer sur le fond ; que le Parquet européen exercera devant ces juridictions l'action publique relative à ces infractions ;

Considère que le Parquet européen devrait mener ses investigations pour l'essentiel avec le concours des services d'enquêtes nationaux ; qu'un service d'enquête européen pourrait, le cas échéant, être constitué à partir de structures existantes pour appuyer l'action des services d'enquête nationaux ;

Juge nécessaire de réaliser une harmonisation minimale des règles applicables, en particulier en matière de définition des infractions et d'admissibilité des preuves, en la complétant par une application du principe de reconnaissance mutuelle entre les États membres ;

Souligne que les règlements pris pour l'application de l'article 86 du TFUE devront respecter les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de ses protocoles additionnels, ainsi que celles de la Charte européenne des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

Relève que les actes du Parquet européen devront faire l'objet d'un contrôle juridictionnel soit en cours de procédure soit devant la juridiction de jugement ; estime que les actes du Parquet européen adoptés en amont et en sa qualité d'organe de l'Union européenne pourraient relever du contrôle d'une juridiction spécialisée de l'Union européenne créée sur le fondement de l'article 257 du TFUE ;

Juge nécessaire que l'action du Parquet européen, dans l'esprit de l'article 85 du TFUE, puisse faire l'objet d'un contrôle démocratique sous la forme d'une évaluation associant le Parlement européen et les parlements nationaux.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

M. Robert BADINTER , ancien Président du Conseil Constitutionnel, ancien Ministre, Sénateur honoraire

M. Jacques BIANCARELLI , Conseiller d'État, délégué au droit européen, président du groupe de travail du Conseil d'État

M. Emmanuel BARBE , Secrétaire général adjoint du Secrétariat général des affaires européennes

Mme Céline BAREL , Conseiller justice pénale à la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

M. Jérôme BONET , Chef du cabinet politique pénale et police judiciaire - Chef de la Mission de Lutte Anti-Drogue à la Direction générale de la Police nationale

Mme Maryvonne CAILLIBOTTE , Directrice des affaires criminelles et des grâces

M. le Colonel Jean-Marc CESARI , Chef du bureau de la police judiciaire à la Direction générale de la Gendarmerie nationale

Mme Michèle CONINSX, Présidente d'Eurojust

M. Peter-Joszef CSONKA , Conseiller spécial de Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, Commissaire chargée de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté

M. Michel DEBACQ , Conseiller diplomatique au cabinet de Mme Christiane Taubira, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

M. l'Ambassadeur Philippe ETIENNE , Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne

Mme Sylvie GUILLAUME , Députée européenne (PSE)

M. Laurent HUET, Chef du secteur Espace judiciaire européen au Secrétariat général des affaires européennes

M. Giovanni KESSLER, Directeur général de l'Office de lutte anti-fraude (OLAF)

Mme Françoise LE BAIL , Directeur général de la DG Justice de la Commission européenne

M. Alexandre LY, adjoint au Chef du secteur Espace judiciaire européen au Secrétariat général des affaires européennes

M. Luca DE MATTEIS, Magistrat, expert national détaché au Conseil de l'Union européenne

Mme Véronique MATHIEU , Députée européenne (PPE)

M. Hans NILSSON, Chef de l'unité coopération judiciaire pénale de la direction générale H (Justice et affaires intérieures) du secrétariat général du Conseil de l'Union européenne

Mlle Lorraine QUESTIAUX , Assistant de Justice à la Délégation au droit européen du Conseil d'État

M. Michel QUILLÉ , Directeur adjoint d'Europol

M. Christian RAYSSEGUIER, Premier avocat général à la Cour de cassation - membre du Conseil supérieur de la magistrature

Mme Pauline ROUCH , Conseillère au cabinet de Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté

M. Jean-Luc SAURON , Conseiller d'État, délégué adjoint au droit européen


* 1 La perte directe de recettes douanières résultant de la contrebande de cigarettes dans l'Union européenne est estimée à plus de 10 milliards d'euros par an.

* 2 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des Régions sur la protection des intérêts financiers de l'Union européenne par le droit pénal et les enquêtes administratives - Une politique intégrée pour protéger l'argent des contribuables (COM (2011) 293 final).

* 3 Cf. notamment les résolutions 2009/2167 (INI) du 6 mai 2010 et 2010/2247(INI) du 6 avril 2011 sur la protection des intérêts financiers de l'Union européenne et la lutte contre la fraude.

* 4 Cette proposition de résolution européenne a été déposée au Sénat le 10 décembre 2012 sous le numéro 200 (2012-2013) .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page