II. LES RAISONS DE L'ÉCHEC DU PROJET DE LA COMMISSION ET LES DIFFICULTÉS DE LA COOPÉRATION RENFORCÉE

A. L'AMBITIEUX PROJET DE DIRECTIVE DU 28 SEPTEMBRE 2011

1. Des objectifs trop nombreux et très ambitieux

Le projet de directive de 2011 avait pour objet de faire contribuer davantage le secteur financier pour deux raisons : l'une structurelle - la Commission jugeait que le secteur financier n'était pas assez taxé par rapport aux autres secteurs - et l'autre conjoncturelle - le secteur financier ayant joué un rôle important dans le déclenchement de la crise, il convenait qu'il participât à la réparation des dégâts.

Le projet de 2011 visait également à renforcer le marché intérieur à un moment où plusieurs États membres avaient déjà pris des mesures divergentes dans le domaine de la taxation du secteur financier.

Enfin, le projet de 2011 présentait la TTF comme le moyen de décourager les transactions à risque, le moyen d'éviter de nouvelles crises et celui de poser les bases pour une taxe universelle.

Dans l'opinion, la crise était l'occasion de mettre en coupe réglée un secteur qui était très florissant depuis quinze ans et qui avait perdu le sens de la mesure.

Cependant, bien que les objectifs aient été très ambitieux et le contexte très favorable, le projet n'a pas emporté l'adhésion.

2. L'assiette de la TTF : le principe de résidence et l'extraterritorialité

Dans ce projet, l'assiette était universelle puisque, dans un premier temps, le principe était que toutes les transactions étaient comprises dès lors qu'au moins une des parties à la transaction était établie dans un État membre et qu'un établissement financier établi sur le territoire d'un État membre était partie à la transaction.

Par transaction financière, il fallait entendre la vente ou l'achat d'un instrument financier quel qu'il soit, dérivés compris (cf. encadré p. 37).

L'applicabilité de la taxe reposait sur le principe dit de « résidence » (au moins une des deux parties résidente dans un État membre), ce qui semblait signifier une limite territoriale circonscrite au territoire de l'Union européenne, mais ce principe de résidence offrait en réalité une base très extensive à la TTF.

Ce principe est ainsi formulé dans l'article du projet de directive qui délimite son champ d'application : « La présente directive s'applique à toute transaction financière dès lors qu'au moins une des parties à la transaction est établie dans un État membre et qu'un établissement financier établi sur le territoire d'un État membre est partie à la transaction, pour son propre compte ou pour le compte d'un tiers, ou agit au nom d'une partie à la transaction. »

Mais le principe de résidence, selon la Commission, a pour conséquence qu'une institution financière est considérée comme établie dans un État membre et donc redevable de la taxe dès lors que (article 3 du projet):

- elle a été autorisée à agir comme institution financière par l'État membre où elle se trouve ;

- elle a son siège social dans l'État membre concerné ;

- elle a son domicile ou sa résidence usuelle dans l'État membre ;

- elle dispose d'une succursale dans cet État membre ;

- elle est partie à une transaction avec une institution financière ou une autre partie résidant dans un État membre.

Il s'ensuit que la première conséquence de ce principe extensif est que si une transaction met en rapport deux parties ayant leur résidence dans l'Union européenne, la taxe est due deux fois, une fois par chacune des parties, quel que soit le lieu où la transaction est conclue.

A contrario, une transaction entre deux parties non résidentes mais prenant place dans l'Union européenne ne donne pas lieu au paiement de la taxe.

De même - et cela est plus grave -, il convient de remarquer qu'en application de la cinquième condition, une transaction entre une partie résidente et une partie non résidente donne aussi lieu au paiement de la taxe à deux reprises : la partie résidente parce qu'elle est résidente et la partie non résidente parce qu'elle traite avec une partie résidente.

Dans ces conditions, les adversaires de la taxe concluaient que le principe de résidence portait mal son nom puisqu'il introduit au contraire l'extraterritorialité de la taxe ; en effet, des parties étrangères à l 'Union étaient amenées à payer la taxe et des établissements financiers étrangers étaient requis pour encaisser la taxe et la verser à des fiscs étrangers. Le principe tel qu'il figurait dans le projet de la Commission leur paraissait donc assez difficile à appliquer. Il s'agissait d'une « mondialisation de fait » de la TTF, mais l'Union européenne peut-elle légiférer pour le reste du monde ?

La Commission maintient pour l'instant sa position en affirmant que le principe de résidence est le meilleur moyen d'éviter qu'on puisse échapper à la taxe ou délocaliser la transaction. Le principe de résidence, dans l'esprit de la Commission, implique que ce qui importe, ce n'est pas le lieu de la transaction, mais l'existence ou non d'un lien économique avec l'Union européenne. On peut donc considérer qu'il s'agit d'un principe particulièrement astucieux, répondant bien au risque éventuel de délocalisation des transactions, mais qu'il empiète sur la souveraineté fiscale des États tiers. Cependant, à défaut de délocaliser les transactions, les institutions financières pourront toujours se délocaliser elles-mêmes ou passer par leurs filiales.

L'empiétement sur la souveraineté fiscale des États tiers est apparu comme un défaut majeur qui condamnait le projet à se heurter au scepticisme ou à l'opposition de la majorité des États membres.

3. Des exonérations nécessaires mais insuffisantes

Une fois posés les principes généraux, le projet énumérait les exonérations :

- les transactions effectuées sur le marché primaire (pour ne pas gêner les États et les entreprises dans la satisfaction de leurs besoins de financement)

- les transactions effectuées avec les institutions européennes et les organismes internationaux

- les transactions effectuées avec les banques centrales des États membres.

Ces exonérations ont été jugées insuffisantes par certains États membres et même par le Parlement européen qui ont émis le souhait que des exonérations supplémentaires soient prévues pour s'assurer que les produits de l'épargne collective et individuelle ne soient pas systématiquement pénalisés par la future taxe.

4. Des taux faibles en apparence

La taxe était due au moment même où s'opérait la transaction et portait sur tout le prix des titres échangés de la transaction et pour les dérivés sur le montant notionnel. Les taux planchers proposés étaient de 0,1 % pour les actions et obligations et de 0,01 % pour les dérivés.

Le secteur financier a fait remarquer que les taux n'étaient faibles qu'en apparence, puisque l'effet de cascade propre aux transactions n'avait pas été pris en compte par la Commission. Ainsi un simple achat d'action à la Bourse entraîne des achats et des ventes entre plusieurs parties prenantes comprenant les courtiers et les chambres de compensation. A ce stade du projet, seule la centrale de compensation est exemptée du paiement de la taxe si bien qu'il faut ajouter aux taxes payées par l'acheteur et le vendeur celles qui seraient payées par les deux courtiers et les deux chambres de compensation, chaque fois à l'achat et à la vente, ce qui pourrait conduire jusqu'à un taux de 2,2 % pour une simple transaction. Cet effet de cascade sera peut-être corrigé dans le projet de coopération renforcée, mais dès le départ, il a naturellement joué contre le projet de directive. Pourtant, il n'entrait sans doute pas dans l'intention de la Commission pour qui la transaction n'est qu'un achat et une vente, les intermédiaires étant dispensés de la taxe. Mais cette exonération n'est pas clairement formulée pour l'instant.

La collecte de la taxe était mise à la charge des établissements financiers et le paiement était immédiat pour les transactions électroniques et dans le délai de trois jours pour les autres.

5. Le risque d'un impact négatif sur les marchés

La Commission déclarait s'attendre à un produit fiscal d'environ 55 milliards d'euros, à une chute de 20 % des transactions sur titres cotés et à une chute du trading à haute fréquence de 90 % sans grande conséquence sur le niveau de l'emploi et avec un impact positif sur l'efficacité des marchés financiers. L'ensemble de ces prévisions optimistes a été contesté par certains économistes.

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