E. LE CHOIX FISCAL DE L'ANGLETERRE À PARTIR DE 2008 : LA TAXE SUR LE PASSIF ET L'OPPOSITION DÉTERMINÉE À LA TTF

En réaction à la crise de 2008 et en réponse à l'exigence d'une augmentation de la fiscalité pour les banques, le Royaume-Uni a créé, à partir de 2011, une taxe sur le passif des banques. Cette nouvelle taxe est destinée à contraindre les banques à contribuer aux dépenses publiques à hauteur du risque qu'elles font peser sur l'économie et à les encourager à s'orienter vers des sources de financement plus sûres. Les institutions bancaires et assimilées doivent s'acquitter de cette taxe dès que la somme de leurs dettes dépassera le seuil de 20 milliards de livres.

Le taux s'établit à 0,07 % et le produit attendu devrait approcher les 2 milliards de livres à partir de 2012. Cette taxe n'est pas déductible de l'impôt sur les sociétés.

L'Angleterre disposant depuis toujours d'un droit de timbre et ayant opté pour une taxation plus lourde des banques, s'est sentie en position de force pour s'opposer à l'instauration d'une TTF européenne.

En effet, pour l'Angleterre, la TTF aurait a minima pour conséquence immédiate de renchérir le coût du financement et de réduire l'investissement et d'une manière générale de nuire à l'activité économique.

Les Britanniques signalent qu'une différence de fiscalité plus grande entre l'Europe d'un côté et les États-Unis et l'Asie de l'autre provoquerait une diminution automatique de l'activité des places financières européennes. Ils rappellent volontiers l'expérience de TTF en Suède qui avait provoqué, en 1990, en un temps record, la disparition totale du trading en Suède (au profit de Londres).

Enfin, une TTF rendrait, selon eux, le fonctionnement quotidien des entreprises plus difficile par la faute d'un coût accru de la protection contre le risque de change et contre le risque de taux. Certaines activités financières disparaîtraient purement et simplement comme le prêt de titres entre banques ou les « hedge funds » . Les investisseurs sur les marchés de taux seraient également particulièrement pénalisés, car la TTF représenterait une part très importante de leurs marges dans un contexte de taux d'intérêt très bas.

Le Chancelier de l'Échiquier est intervenu pour dénoncer les effets pervers de la TTF qui, selon lui, ne serait pas une taxe sur le secteur financier, mais bel et bien une taxe sur les retraités qui en paieraient in fine le coût. En effet, les épargnants des fonds de pension seraient les premiers touchés avec un coût estimé à 1,8 milliard de livres par an (dans le premier projet de la Commission). En outre, il rappelle que dans le cas d'une TTF couvrant la totalité du territoire de l'UE, le Royaume-Uni apporterait les deux tiers du produit puisque la City concentre une majeure partie des transactions financières européennes.

La City et le Trésor britannique avancent également que la responsabilité des deux crises que l'Europe et le monde viennent de traverser, la crise financière de 2008-2009 et la crise de la dette souveraine actuelle, n'est pas à rechercher d'abord du côté des institutions financières ou de la City . Ils pointent le rôle déterminant des banques centrales pendant toute la décennie, banques qui ont pratiqué une politique monétaire relativement accommodante, procurant des ressources à coût très bas, à la fois aux États, aux ménages et aux entreprises. Cet excès de liquidités a, dans un premier temps, conduit à un endettement excessif des ménages, notamment Nord-Américains, avec pour conséquence finale un retournement du marché immobilier et une augmentation des défauts, notamment sur le segment le plus fragile, celui des crédits « subprime ». A la suite de cette crise, les États ont dû s'engager dans des plans de soutien importants en 2008-2009 avec pour effet d'affaiblir les finances publiques de certains États à la périphérie de l'Europe : Grèce, Irlande et Portugal, puis Espagne et Italie dès la fin 2010.

Pendant toute cette période, des institutions financières ont dû être secourues par les États, pour éviter la faillite. C'est le coût de ce soutien, ainsi que le coût de la protection implicite vis-à-vis du risque systémique que ces institutions leur font supporter, qui pourrait justifier un prélèvement spécifique comme la taxe sur les transactions financières. Mais cet argument est également rejeté par les Britanniques qui mettent en avant le fait que le risque que représente le secteur financier est déjà traité par le durcissement de la règlementation, Bâle III en tête.

Ils sont néanmoins conscients que d'autres problématiques ne sont pas encore traitées, comme le « shadow banking » ou la régulation des « hedge funds » . Le « shadow banking » est une activité de banque menée par des entités qui, ne recevant pas de dépôts, ne sont pas régulées en tant que banques et échappent ainsi aux règlementations de Bâle, en particulier sur les fonds propres : c'est vrai pour certaines banques d'affaires et pour les « hedge funds » .

Les Britanniques jugent cependant que la taxe ne serait pas le bon outil pour accroître la transparence des marchés et que ces problèmes doivent être appréhendés, si nécessaire, par le biais de la régulation et non par une approche fiscale. Ils rejettent donc en bloc l'argument selon lequel, de par son existence même, la TTF serait un moyen de mieux être informé sur certaines transactions.

Enfin, pour les Britanniques, le caractère immoral, ou du moins non utile socialement, de certaines activités financières, « high frequency trading » par exemple, doit également être réfuté. Tout échange ayant lieu sur un marché entre un acheteur et un vendeur prêts à une transaction, serait mutuellement profitable aux deux intervenants. C'est leur credo. En ce sens, une limitation des transactions diminuerait le bien-être social. A la question spécifique de l'information des consommateurs finaux sur la dangerosité de certains produits - l'exemple des emprunts toxiques pour les collectivités locales a été cité à de nombreuses reprises - les Britanniques jugent préférable de répondre par un meilleur encadrement des pratiques et des produits et ils soulignent que les investisseurs doivent supporter les conséquences des risques qu'ils ont accepté de prendre. La TTF serait selon eux un moyen inefficace et brutal de résoudre ces questions. D'autres moyens existent et c'est tout l'objet de certaines directives comme EMIR et MiFID (cf. encadré p. 41).

Quant à l'impact de la mise en place de la TTF sur la réduction de la volatilité sur les marchés, il ne serait pas avéré.

Naturellement, il est clair que l'Angleterre est dans son rôle quand elle défend la place de Londres et les fonds de pension, rôle d'autant plus facile à jouer que Londres apparaît objectivement comme la place européenne financière par excellence et que l'Angleterre a beau jeu de faire valoir que le dépérissement de Londres équivaudrait au dépérissement financier de toute l'Europe.

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