Audition de MM. Laurent TOUVET, directeur des Libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur et Louis-Xavier THIRODE, chef du Bureau central des cultes (mercredi 9 janvier 2013)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, au moment où nous commençons nos travaux de l'année 2013, permettez-moi de souhaiter à chacun d'entre vous une bonne année, et surtout une bonne santé. Je le dis d'autant plus volontiers que c'est précisément au domaine de la santé que notre commission d'enquête s'intéresse.

Mes chers collègues, nous allons auditionner M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur depuis septembre 2007. M. Touvet est accompagné de M. Louis-Xavier Thirode, chef du bureau central des cultes.

Après avoir entendu essentiellement des personnalités exerçant des responsabilités dans le domaine de la santé, nous recevrons au cours des prochaines semaines plusieurs hauts responsables des ministères de la justice et de l'intérieur. C'est avec MM. Laurent Touvet et Louis-Xavier Thirode que nous commençons notre série d'auditions consacrées à l'action de ces deux ministères.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Je signale au public présent qu'il est tenu d'assister à l'audition en silence ; toute personne qui troublerait les débats, par exemple en manifestant son approbation ou sa désapprobation, serait exclue sur le champ.

Je précise à l'attention de MM. Touvet et Thirode, que notre commission d'enquête a été constituée sur l'initiative du groupe RDSE. C'est donc tout naturellement que le président de ce groupe, M. Jacques Mézard, a été choisi pour être notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous faire prêter serment. Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Messieurs Touvet et Thirode, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Alain Milon , président . - Monsieur Touvet, vous avez la parole pour un court exposé introductif, à la suite duquel M. le rapporteur et les autres membres de la commission d'enquête vous poseront leurs questions.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre accueil.

Je crois bon que vous commenciez par auditionner le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, car c'est cette direction, la DLPAJ, dont le bureau central des cultes est l'un des dix-sept bureaux, qui a la responsabilité de définir le cadre et les orientations et d'assurer une mission de coordination dans le domaine sur lequel portent vos travaux.

Le bureau central des cultes se compose de six personnes. Ma direction ne possède aucun service déconcentré, l'action du ministère de l'intérieur reposant sur les services locaux de la police nationale, de la gendarmerie nationale et sur les préfectures.

Je vous présenterai d'abord les missions générales du bureau central des cultes, puis son action particulière dans la lutte contre les dérives sectaires.

Les trois missions principales de ce bureau sont l'expertise juridique, la connaissance du phénomène religieux et le pilotage du réseau « laïcité » des préfectures.

L'expertise juridique est le coeur de métier du bureau central des cultes ; c'est d'ailleurs l'une des raisons qui justifient son rattachement à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques. Nous nous attachons à présenter, expliquer et diffuser le droit des cultes. Ce droit étant mal connu des partenaires privés, mais aussi des services administratifs et des collectivités territoriales, nous avons préparé, ces dernières années, plusieurs circulaires visant à réunir les différents éléments du droit des cultes et à l'expliquer de manière argumentée dans un souci opérationnel.

Ainsi, nous avons publié la circulaire du 19 février 2008 sur la police des lieux de sépulture, pour répondre en particulier à la question des carrés confessionnels dans les cimetières. Une circulaire du 25 mai 2009 porte sur les édifices du culte, une autre du 23 juin 2010 sur le support institutionnel de l'exercice du culte, c'est-à-dire sur les associations régies par la loi du 1 er juillet 1901 et celles qui le sont par la loi du 9 décembre 1905.

Par la circulaire du 25 juillet 2011, nous avons actualisé celle du 25 mai 2009 sur les édifices du culte, après que plusieurs décisions du Conseil d'État ont renouvelé et approfondi le droit en la matière. Enfin, le 25 août 2011, nous avons publié une circulaire sur les cultes outre-mer, qui nous a demandé un travail d'« archéologie » juridique important dans la mesure où le droit des cultes outre-mer est assez ancien et divers.

Le droit étant une matière vivante, l'expertise juridique du bureau central des cultes se concrétise par une veille juridique, principalement jurisprudentielle, dans le domaine de l'application de la laïcité, du principe de liberté religieuse et du respect des dispositions de la loi du 9 décembre 1905.

L'ensemble de ce travail a conduit à l'élaboration d'un « code » de la laïcité et de la liberté religieuse. Ce recueil de textes et de jurisprudences, publié en octobre 2011, rassemble les normes constitutionnelles, internationales, législatives et réglementaires, ainsi que les principales circulaires préparées et publiées.

L'expertise juridique s'exerce aussi sous la forme d'autorisations individuelles dans le domaine des congrégations religieuses, dont je vous rappelle qu'elles sont légalement reconnues en application du titre III de la loi du 1 er juillet 1901. Plus précisément, leur reconnaissance passe par un décret en Conseil d'État.

Cette procédure nous permet, même si l'inventaire des congrégations n'est pas exhaustif, de recenser de nombreuses communautés religieuses qui, à l'image du paysage religieux, tendent de plus en plus à se diversifier ; je souligne que ces congrégations ne sont pas toutes catholiques, même si ce sont les congrégations catholiques qui sont à l'origine de l'adoption de la loi du 1 er juillet 1901.

La deuxième mission principale du bureau central des cultes consiste à connaître le phénomène religieux et les mouvements spirituels. En effet, pour être pertinente, l'expertise juridique doit s'appuyer sur une connaissance concrète du phénomène religieux.

Cette connaissance est d'autant plus nécessaire qu'au cours des dernières décennies les grandes religions ont été assez notablement affectées par des évolutions de long terme : de façon générale, on observe une baisse de la pratique religieuse ; pour le judaïsme, on note l'apport de populations rapatriées et, pour le protestantisme, celui de populations immigrées ; au sein du catholicisme, des communautés nouvelles tendent à se multiplier.

Ces divers phénomènes me semblent avoir pour point commun de manifester l'essor de mouvements reposant sur la sensibilité, l'émotion et la spontanéité davantage que sur la raison et l'adhésion à un dogme.

D'autres religions sont implantées en France : l'islam est la plus importante par le nombre des fidèles, mais il y a aussi l'orthodoxie, le bouddhisme, l'hindouisme et le sikhisme. Leur développement récent et les difficultés qu'elles rencontrent pour comprendre le régime juridique dans lequel elles s'inscrivent justifient les contacts que le bureau central des cultes entretient avec elles.

Nous sommes conscients que cette transformation du paysage religieux est un contexte propice au développement de dérives sectaires. C'est pourquoi il est nécessaire que nous disposions d'outils nous permettant de connaître de la manière la plus fine possible les religiosités nouvelles pour les distinguer des dérives sectaires - car les premières n'entraînent pas nécessairement les secondes.

Pour ce qui concerne nos moyens d'action, le bureau central des cultes et moi-même entretenons des relations avec les autorités représentatives de toutes les religions pratiquées en France. Nous avons aussi des rapports avec les autres ministères compétents dans le domaine de la laïcité, notamment les ministères de la santé et de la justice. Le bureau central des cultes a constitué une documentation, qu'il tient à jour, sur tous les groupes religieux.

La troisième mission principale du bureau central des cultes consiste à animer le réseau des préfectures en ce qui concerne notamment la laïcité.

Il va sans dire que le ministère de l'intérieur est fréquemment en contact avec les préfectures. Reste que, dans ces relations, la dimension de la laïcité a pris un nouvel essor au cours de l'année 2011, à la suite notamment de débats publics qui ont conduit le ministre de l'intérieur, au mois d'avril 2011, à demander à chaque préfet de désigner un correspondant « laïcité » dans son département. Cette mesure était l'un des axes d'une politique d'affirmation et d'explication de la laïcité.

Nous avons aussi mis en place, pour les fonctionnaires, des programmes de formation initiale et continue dans le cadre desquels il m'arrive d'intervenir.

Pour que les correspondants « laïcité », qui sont les relais par lesquels l'Etat affirme les principes laïcs et veille à leur bonne application dans les départements, puissent travailler et s'enrichir mutuellement par le partage de bonnes pratiques, nous avons organisé, en novembre dernier, deux journées d'animation du réseau « laïcité ». Au cours de ces journées, les correspondants « laïcité » se sont vu présenter l'évolution des grandes tendances religieuses, le droit des cultes et sa pratique ; nous avons pu répondre à leurs questions concrètes et, surtout, ils ont pu échanger sur les bonnes pratiques et les solutions trouvées à leurs problèmes.

Nous sommes aussi un interlocuteur du Haut Conseil à l'intégration, qui a toujours été un acteur engagé dans le domaine de la laïcité. Nous contribuons à ses côtés à l'organisation de colloques, au cours desquels je suis plusieurs fois intervenu.

Enfin, le bureau central des cultes sera bien entendu présent pour accompagner les travaux de l'Observatoire national de la laïcité, dont le Président de la République a annoncé la création le 9 décembre dernier.

Je vais maintenant vous présenter la manière dont l'action du bureau central des cultes se décline dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires.

Il va de soi que nous travaillons en liaison avec la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la Miviludes, qui est pour nous un partenaire privilégié, un interlocuteur précieux avec lequel nous entretenons un dialogue et des échanges ; le chef du bureau central des cultes, Louis-Xavier Thirode, qui m'accompagne aujourd'hui, siège au sein de son comité exécutif de pilotage opérationnel. Nous mettons au service de la mission interministérielle notre connaissance des mouvements spirituels et notre expertise juridique.

Notre ligne de conduite est tracée par la circulaire du ministre de l'intérieur du 25 février 2008, qui énumère toutes les infractions qu'il faut surveiller avec la plus grande attention. Nous nous inscrivons dans le cadre fixé par la circulaire du Premier ministre du 27 mai 2005 : la France étant un pays où la liberté de conscience est garantie, toute personne peut penser ce qu'elle veut et il n'y a pas de liste préétablie des mouvements sectaires ; notre vigilance porte sur des faits susceptibles de constituer des infractions pénales et s'exerce particulièrement à l'égard des mouvements au sein desquels de tels faits ont pu être constatés.

La circulaire du 25 février 2008 procède de façon très pédagogique : après avoir rappelé le principe de la liberté d'opinion et de croyance, elle présente tous les dispositifs juridiques, comme la dissolution administrative et surtout les sanctions pénales, qui peuvent être mis en oeuvre pour sanctionner les agissements fondés sur la sujétion physique ou psychologique de personnes.

Dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires, le bureau central des cultes met également à la disposition de la Miviludes sa connaissance des mouvements religieux ; en particulier, il peut favoriser des rencontres avec certains responsables religieux ayant particulièrement attiré l'attention de la mission interministérielle.

En outre, une synthèse annuelle est transmise à la Miviludes par le ministère de l'intérieur. Elle est préparée, au sein de la DLPAJ, par le bureau central des cultes.

La direction des libertés publiques et des affaires juridiques pilote également l'élaboration des circulaires d'instructions aux préfets. Au cours des dernières années, une circulaire a été publiée à peu près tous les dix-huit mois. La plus récente, datée du 26 décembre 2012 et dont M. Thirode et moi-même tenons le texte à votre disposition, rappelle les moyens d'action et les axes de travail des services du ministère de l'intérieur.

Les moyens d'action dont disposent ces services sont au nombre de quatre.

En premier lieu, ils peuvent s'appuyer sur l'expertise des dispositifs de soutien opérationnel mis en oeuvre au niveau national, notamment celle de la cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires (Caimades) au sein de l'Office central pour la répression des violences aux personnes ; cette cellule dispose d'une expertise précise des mouvements et des comportements susceptibles d'être qualifiés de dérives sectaires.

En deuxième lieu, les services du ministère de l'intérieur peuvent mobiliser les services territoriaux dans les départements. Les représentants des directions générales de la gendarmerie et de la police nationales ainsi que ceux du comité interministériel de prévention de la délinquance pourront vous donner de plus amples précisions à ce propos.

Les préfets ont à leur disposition plusieurs solutions : le groupe de travail spécifique mentionné dans la circulaire du 25 février 2008, les conférences départementales de la laïcité et de la liberté religieuse et les réunions de l'état-major de sécurité. Cette palette d'outils leur permet, selon les cas, d'associer uniquement les services de l'Etat ou d'élargir la réflexion, notamment aux associations et aux collectivités territoriales, afin d'apporter les meilleures réponses aux signalements opérés.

En troisième lieu, les services du ministère de l'intérieur ont reçu pour instruction de renforcer les liens avec tous les acteurs de la sécurité civile, notamment avec les collectivités territoriales et les associations d'aide aux victimes, qui disposent souvent d'informations auxquelles les services de l'Etat n'ont pas accès, ou pas dans les mêmes délais. Une conjugaison des moyens privés et publics est donc nécessaire.

En quatrième lieu, enfin, la circulaire du 26 décembre 2012 demande une association plus grande des départements ministériels et rappelle aux préfets qu'ils doivent se tourner vers la Miviludes et vers les structures centrales disposant du recul nécessaire pour mieux apprécier les situations locales.

En ce qui concerne les axes de travail pour l'année 2013, la circulaire du 26 décembre 2012 demande aux préfets de surveiller principalement deux phénomènes : les groupes apocalyptiques et les déviances guérisseuses. Ce programme a été défini en lien étroit avec la Miviludes, qui a mis en évidence dans un long rapport des déviances dans les domaines de la psychothérapie, des massages ou de la construction de la personnalité.

A propos des déviances apocalyptiques, et puisque certains avaient annoncé la fin du monde pour le 21 décembre dernier, je souligne que le bilan de cette journée a été très maigre... Il ne s'est quasiment rien passé, si ce n'est la présence sur place d'environ trois cents journalistes et trois cents badauds.

Toutefois, nous savons que certains groupes continuent de constituer des stocks de nourriture ou de préparer des camps retranchés. Notre vigilance continue donc de s'exercer sur ce type de mouvements, même s'il apparaît que le phénomène lié au 21 décembre 2012 a été surtout médiatique, les conséquences pratiques que l'on pouvait craindre ne s'étant heureusement pas produites ; reste que les services de l'Etat étaient bien entendu mobilisés.

Ces consignes ont été rappelées aux correspondants « laïcité » lors des journées des 12 et 13 novembre dernier.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, telle est la manière dont s'exerce, à l'échelon central, la vigilance à l'égard des mouvements susceptibles de susciter des dérives sectaires.

M. Alain Milon , président . - Monsieur le directeur, nous vous remercions de votre exposé.

Avant de donner à la parole à M. le rapporteur, qui a certainement de nombreuses questions à vous poser, je me permets de vous interroger - pour faire un peu l'importun : à qui a été envoyée la facture de la mobilisation des services pour le 21 décembre dernier ?

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Monsieur le président, cette mobilisation faisait partie des missions générales de l'Etat dans le domaine de la prévention des troubles à l'ordre public. En pareil cas, on n'envoie généralement pas de facture !

Je ne crois pas qu'il faille s'engager dans un système de facturation systématique, qui conduirait à rechercher la cause de tout événement troublant l'ordre public ; cela nous entraînerait dans des débats un peu compliqués.

Il reste que les initiatives publiques prises par ce genre de mouvements représentent assurément un coût pour la collectivité.

M. Alain Milon , président . - Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Monsieur le directeur, ne trouvez-vous pas un peu dommage que la circulaire la plus récente, qui prévoit que la surveillance des mouvements apocalyptiques doit être l'un des deux axes principaux de l'action des services de l'Etat, ait été publiée cinq jours après le 21 décembre ? Peut-être aussi étiez-vous très optimiste sur la survie de notre planète ! (Sourires.) Cette question me paraît légitime dans la mesure où cette circulaire extrêmement intéressante prévoit, outre le suivi attentif des déviances guérisseuses, celui des groupes apocalyptiques - mais peut-être est-ce un peu de mauvais esprit de ma part...

Monsieur le directeur, vous avez déclaré qu'il fallait s'attacher aux faits. Considérez-vous que toutes les procédures administratives prévues ont effectivement été mises en place ? Les commissions ad hoc ont-elles été constituées dans tous les départements ?

Pour être clair, si je vous pose la question, c'est qu'il a fallu que j'intervienne auprès du préfet de mon département, il y a deux ou trois mois, pour que la commission soit créée - je dis bien « créée », car elle ne l'avait même pas été. C'est pourquoi je vous demande si vous disposez d'un bilan de la mise en place de ces commissions dans tous les départements.

J'en viens à une question plus large : en matière de prévention et de lutte contre les dérives, considérez-vous que la législation existante est suffisante ? Si tel n'est pas le cas, quelles modifications souhaiteriez-vous voir apportées ?

Voilà pour ma première volée de questions ; j'en aurai deux autres ensuite.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Je commencerai par la date de publication de la circulaire.

Je vous concède que, pour cette fin du monde-là (Sourires.) , la circulaire est arrivée trop tard. Peut-être peut-on imputer ce retard à la lourdeur de certains circuits administratifs et au fait que 2012 a été une année de changement politique. Il a fallu sensibiliser à nouveau les équipes des cabinets ministériels à cette préoccupation.

En tous les cas, nous avons publié, au cours des dernières années, une circulaire chaque année ou tous les dix-huit mois, et une autre en fin d'année définissant les programmes d'action pour l'année suivante. Cela ne me paraît pas être une mauvaise chose. Vous le voyez, cette question de la lutte contre les dérives sectaires continue d'être attentivement suivie et, en ce domaine, il n'y a ni rupture ni changement majeur.

S'agissant des groupes de travail, je concède qu'ils n'ont pas été mis en place dans tous les départements.

C'est une démarche pragmatique qui a été privilégiée.

Certaines préfectures nous rapportent qu'aucun signalement ne leur est parvenu. La lutte contre les dérives sectaires relève donc de priorités différentes selon les départements. Certains sont beaucoup plus engagés, parce que le phénomène y est beaucoup plus visible, les signalements plus nombreux, ou encore parce que les associations y sont peut-être plus actives. Dans d'autres départements, où le phénomène semble beaucoup avoir moins de relief, il est vrai que certaines préfectures n'ont pas mis en place ces structures ou organisent des réunions à intervalles beaucoup plus espacés.

Je ne pense pas qu'il faille imposer depuis Paris un rythme de réunion précis, comme tenu de la diversité de nos territoires et de leurs priorités. Dans ce domaine comme dans d'autres, nous laissons une certaine latitude aux autorités de l'Etat sur place.

Cela dit, votre rôle de parlementaires peut aussi être de rappeler aux autorités de l'Etat, qui sont vos correspondants privilégiés dans vos départements, l'importance que vous attachez à ce problème ou les informations qui vous ont été relayées et qui pourraient les conduire à mettre davantage l'accent sur les réunions de ces structures.

J'en viens à votre question sur la législation. Je pense que celle-ci est suffisante ; la circulaire de 2008 la détaille très abondamment. De très nombreux articles du code pénal incriminent des comportements susceptibles de s'appliquer à des dérives sectaires. Je ne vais pas en dresser la liste ici ; vous les connaissez bien. Certains concernent notamment le domaine de la santé.

La difficulté principale, je crois, c'est plutôt de faire « sortir » les affaires. Le droit existe, mais il nous faut réfléchir à la façon d'aider les victimes à porter plainte, une démarche qui est difficile pour elles. Les associations sont, à cet égard, des relais importants.

Il faut aider les victimes à sortir de l'emprise des mouvements sectaires et, une fois qu'elles y sont parvenues, à franchir ce nouveau pas qu'est le dépôt de plainte, puis les protéger pour éviter qu'elles ne restent sous l'influence ou la menace du mouvement qu'elles ont souhaité quitter.

Mais, dans de nombreux cas, nous avons constaté que les plaintes avec constitution de partie civile qui étaient déposées étaient par la suite retirées. C'est un souci important, mais je ne pense pas qu'il faille pour autant créer de nouvelles incriminations. D'abord, notre droit est déjà très complet. Ensuite, ce n'est pas en raison d'un défaut d'incrimination que les procédures n'ont pas abouti ces dernières années. C'est plutôt parce que, malgré l'existence du délit dans le code pénal, aucune action concrète n'était engagée par les victimes. C'est là notre souci et c'est pourquoi il faut effectuer, auprès des victimes, un travail de pédagogie et d'assistance, plutôt que de créer de nouvelles incriminations.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - J'entends bien, monsieur le directeur. Ce que vous venez de nous dire, nous le savons. Il est effectivement souvent difficile pour les victimes, ou les familles en cas de décès des victimes, d'intervenir devant les juridictions pénales. Mais ce n'est pas seulement par les victimes que l'action publique peut être mise en mouvement, et c'est là, semble-t-il, que des progrès pourraient être réalisés.

Il suffit d'aller sur Internet pour se rendre compte qu'il existe de nombreux praticiens ou groupes dont le comportement peut nuire ou nuit à la santé de nos concitoyens.

L'arsenal législatif, qui est important, paraît suffisant - il y a l'abus de faiblesse, les atteintes aux personnes physiques, c'est ce que vous avez rappelé dans la circulaire de 2008 - et permet d'intervenir avant même que des victimes ne le fassent. Toutefois, personnellement, je n'ai pas l'impression que ce soit souvent le cas. C'est pourquoi je souhaite connaître votre opinion sur ce point et la politique qu'entend suivre le ministère de l'intérieur dans ce domaine.

Existe-t-il une réelle veille ? Avec le développement d'Internet, il suffit de surfer pour se rendre compte qu'un certain nombre de personnages, travaillant assez souvent en réseau, sont en train de promouvoir des pratiques dangereuses pour la santé.

Notre souci n'est pas de sanctionner des expressions dont on peut penser ce que l'on veut, mais qui ne mettent pas en danger la vie de nos concitoyens. Notre objectif est qu'il soit fait preuve d'une plus grande fermeté et d'une plus grande vigilance. Comment concevez-vous aujourd'hui le rôle du ministère de l'intérieur en matière de prévention, en particulier par rapport au développement de l'internet dans ce domaine ?

M. Alain Milon , président . - Mme Catherine Génisson souhaiterait compléter la question de M. le rapporteur.

Mme Catherine Génisson . - Je ne me permettrais pas de compléter la question de M. le rapporteur ! J'irai simplement dans le même sens que lui.

Vous nous avez indiqué, monsieur le directeur, que vous agissiez en fonction des faits. Votre rôle relève-t-il d'une politique du constat et d'une action à partir du constat ? N'est-il pas tout de même nécessaire d'avoir une politique d'investigation dès l'amont ? Cela justifierait comme une nécessité, voire comme une obligation, la sensibilisation, la mobilisation des services du ministère de l'intérieur sur l'ensemble de notre territoire.

Vous avez tout à fait raison de dire qu'il faut faire « sortir » les affaires. Cela suppose peut-être aussi de définir plus clairement, voire plus explicitement, les relations que le ministère de l'intérieur doit avoir avec les autres partenaires de l'action publique : le ministère de la santé, le ministère de la justice, les milieux associatifs. Vous avez beaucoup parlé de la Miviludes, bien évidemment.

D'après les auditions auxquelles nous avons procédé, je pense vraiment que nous vivons un réel danger en raison non seulement d'actions très sporadiques, mais aussi des mises en réseau. Heureusement ou malheureusement, Internet est un support incontournable et d'une efficacité redoutable. Au-delà du constat des faits, il me semble donc nécessaire d'aller plus loin en amont.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Je ne suis pas sûr que le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques soit le plus qualifié au ministère de l'intérieur pour vous répondre.

Les services de police et de gendarmerie mènent, sur le terrain, une action de renseignement pour détecter les communautés et les praticiens qui se livrent à des comportements susceptibles d'être qualifiés de sectaires. Mais je ne pense pas que tout exercice illégal de la médecine soit nécessairement constitutif d'une dérive sectaire, même si cet autre sujet est assez proche de celui qui nous réunit. Ce qui nous préoccupe davantage, c'est l'emprise psychologique ou physique que ces praticiens peuvent exercer sur les personnes.

A partir de cette action de renseignement, des informations sont échangées et des affaires particulières sont signalées. Peut-être peut-on envisager, en effet, en liaison avec la Chancellerie, l'envoi d'une circulaire de politique pénale pour rappeler ces axes.

Je ne sais pas à quand remonte la dernière circulaire de politique pénale. Ma collègue directrice des affaires criminelles et des grâces à la Chancellerie, que vous auditionnez juste après nous, pourra vous en dire davantage.

Pour notre part, nous sommes entièrement disposés à mieux coordonner l'action publique. Nous y veillons dans nos contacts avec les autres ministères, dans le domaine de la laïcité comme, je l'ai dit, dans celui de la lutte contre les dérives sectaires en liaison avec la Miviludes, pour favoriser cette coordination et cette action plus « proactive », comme vous l'avez souhaité, madame le sénateur, monsieur le rapporteur, et pas seulement en réaction à des informations qui nous sont communiquées.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Monsieur le directeur, je crois que tout est lié. Vous nous indiquiez que, dans un certain nombre de départements, les préfets n'avaient pas mis en place les instruments administratifs adéquats, car ils n'en avaient pas ressenti la nécessité, aucune affaire n'étant remontée jusqu'à eux. Mais je crois qu'il ne faut pas partir de ce système-là. A partir du moment où des dispositifs sont prévus par la loi et le règlement, on peut s'interroger sur les raisons pour lesquelles ils ne sont pas mis en place !

Mme Catherine Génisson . - Tout à fait !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - D'ailleurs, le fait que des préfets puissent de leur propre chef, jugeant que ce n'est pas utile, considérer qu'ils n'ont pas à mettre en place un certain nombre de mécanismes paraît assez grave. Si l'on faisait de même dans tous les domaines, l'Etat serait alors dans une situation bien précaire !

Par conséquent, la première chose à faire est de veiller à ce que soit mis en place tout ce qui doit l'être de par la loi et le règlement.

J'ai une autre question concernant l'application de la loi dite « About-Picard » du 12 juin 2001, dont vous rappelez l'un des dispositifs dans la circulaire de 2008. A votre connaissance, y a-t-il eu, depuis cette loi, ce qui n'était pas le cas en 2008, des cas de dissolution judiciaire à la demande de votre ministère ? Un certain nombre de structures qui fonctionnent selon le mécanisme associatif justifieraient l'application de cette loi.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Sur ce dernier point, à ma connaissance, non.

M. Alain Milon , président . - La parole est à M. Louis-Xavier Thirode.

M. Louis-Xavier Thirode, chef du bureau central des cultes . - Pour compléter l'organisation et le suivi à l'échelon départemental, deux éléments sont à prendre en compte.

D'abord, il existe sur le terrain une multiplicité d'outils. Des rencontres ont lieu, sous de multiples formes, entre les services de police et de gendarmerie, le préfet, le procureur. Par conséquent, l'absence, dans certains départements, de réunion des groupes de travail propres aux dérives sectaires - c'est un fait - ne signifie pas que les questions ne sont jamais abordées. Un certain nombre d'affaires sont aussi examinées à l'occasion des réunions de police, qui, en règle générale, sont hebdomadaires, et des réunions avec le procureur, qui sont, elles, mensuelles.

Ensuite, je pense qu'il est nécessaire d'effectuer un suivi plus opérationnel et pragmatique des mouvements dans les départements où l'on a connaissance de faits particulièrement graves ou perturbants, grâce à une sorte de pilotage plus personnalisé. C'est le sens de la réflexion de la Miviludes et du ministère cette année.

En effet, nous avons essayé de mettre en place une nouvelle méthode, à savoir un tableau de suivi conjoint des grands mouvements ou des grandes questions qui peuvent se poser dans les départements, afin de permettre aux préfets et aux services de police de mener leurs recherches de manière plus « proactive », pour reprendre un terme qui a été utilisé.

Tel est aussi le sens de la circulaire publiée cette année qui, pour une première fois dans ces perspectives, fait état de deux axes de travail précis à fouiller et à creuser. En termes de recherche du renseignement, la démarche sera donc un petit peu plus active qu'elle ne l'a été.

Pour ce qui est de la publication de la circulaire après le 21 décembre, deux éléments ne doivent pas être exclus de la réflexion. Tout d'abord, si la fin du monde n'a pas eu lieu à cette date, les mouvements, eux, perdurent. De plus, des phénomènes de décompensation et de déstabilisation des groupes sont toujours susceptibles de se produire, tout comme des gourous peuvent avoir envie notamment d'organiser la fin du monde pour leur propre groupe...

Les activités se poursuivent, notamment dans le Sud, où se mettent en route de nombreux de groupes « survivalistes » sur lesquels une surveillance est exercée. Sur ce plan-là, l'actualité se poursuit donc au-delà du 21 décembre.

M. Alain Milon , président . - La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard . - Monsieur le directeur, je voulais réagir aux premiers propos que vous avez tenus, mais le rapporteur l'ayant fait pour moi, je n'insisterai pas.

Je souhaite toutefois souligner que les lois de la République s'appliquent dans tous les départements, quel que soit le préfet, quel que soit le département. Par conséquent, si une circulaire du ministère de l'intérieur précise qu'il est indispensable de tenir une réunion annuelle des services concernés pour faire un point d'étape, en quelque sorte, sur les dérives sectaires dans le département, il faut s'exécuter sans discussion et organiser cette réunion ! Et peu importe qu'aucune association ou que personne n'ait déposé de plainte ou fait remonter quoi que ce soit.

Il me paraît indispensable que la consigne soit appliquée avec la rigueur républicaine nécessaire.

J'en viens maintenant à mes différentes questions.

Pour les dérives sectaires, une veille sur Internet efficace est-elle selon vous possible, même si, dans ce domaine, on sait bien que c'est extrêmement compliqué, et pourrait-elle être étendue à l'ensemble des moyens de communication, y compris la presse ?

J'ai eu la chance de passer une semaine en Auvergne - région que connaît bien notre rapporteur ! Dans la Montagne , j'ai pu lire tous les jours des petites annonces où tel ou tel gourou proposait ses services. Certes, ce phénomène existe dans tous les journaux et partout, en Bretagne, en Pays-de-la-Loire, donc pas seulement en Auvergne !

Il ne s'agit pas forcément d'une dérive sectaire, mais nous n'en sommes pas loin. En tout cas, nous sommes proches de la manipulation mentale ou psychologique. Je suis donc surpris que nous ne nous donnions pas les moyens de cette vigilance minimale pour éviter à tout le moins la publicité faite par ces personnes-là.

Vous avez commencé votre intervention, monsieur le directeur, en disant qu'à l'échelon central vous ne disposiez que de six personnes pour exercer cette responsabilité. Pensez-vous que les moyens dont vous êtes dotés sont suffisants ? Une vigilance décentralisée ne serait-elle pas plus efficace ? En vous posant la question, je ne souhaite pas vous mettre dans l'embarras, mais la réponse m'intéresse !

Dernière question : nous avons eu des contacts fort intéressants avec la Miviludes. Nous avons été malheureusement surpris d'apprendre que, dans l'exercice de leurs fonctions au cours de leur mandat, des responsables de cette mission étaient parfois mis en difficulté sur le plan judiciaire. Des avancées législatives ne seraient-elles pas intéressantes pour éviter aux membres de la Miviludes des problèmes juridiques ?

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Je ne vais peut-être pas répondre à vos questions dans l'ordre dans lequel vous les avez posées.

S'agissant des moyens des services, l'effectif du bureau central des cultes est passé, en 2011, de trois à six personnes. J'aurais donc mauvaise grâce à me plaindre, même si nous, directeurs, sommes tous contraints de réfléchir à nos missions et à nos moyens pour accompagner une réduction d'effectifs, et s'il est vrai que, lorsque celle-ci se poursuit plusieurs années consécutives, cela finit par faire beaucoup !

Mais nous développons d'autres techniques. A la DLPAJ, nous avons numérisé tout le traitement des dossiers contentieux. Cela nous permet quelques économies et une meilleure organisation du travail rendant possible le redéploiement des personnels sur des missions qui nécessitent plus de valeur ajoutée humaine.

Je ne vais pas réclamer plus ici. Il est certain que, si nous étions beaucoup plus nombreux, nous ferions davantage. Mais, je vous le disais, la DLPAJ compte dix-sept bureaux et assume de nombreuses autres missions. Le bureau central des cultes travaille bien avec une équipe petite, mais motivée. Il règle les questions de laïcité - c'est son coeur de métier -, il a des relations avec le représentant des cultes et traite avec la Miviludes pour la lutte contre les dérives sectaires.

Franchement, de ce côté-là, je crois que c'est bien. Il faut qu'une administration centrale ait les moyens d'impulser une politique, mais son application sur le terrain relève des services déconcentrés qu'il ne faut pas non plus dégarnir de trop. Ils ont besoin aussi de moyens humains !

S'agissant de la mise en difficulté de membres de la Miviludes, je crois qu'il faudrait tout de même savoir si la Miviludes est le seul organisme administratif faisant l'objet de ce genre d'attaques. Être critiqué et éventuellement mis en cause devant les juridictions, n'est-ce pas un risque inhérent à l'exercice de toute responsabilité ?

Si responsabilité civile il y a, la personne mise en cause est généralement couverte par la « faute de service » devant les juridictions administratives. En cas de responsabilité pénale, il existe des mécanismes de protection juridique, de protection fonctionnelle, par lesquels les administrations peuvent apporter leur soutien, lequel peut aller jusqu'à la prise en charge des dépenses d'avocats des personnes mises en cause.

Je ne dis pas que cela supprime tout tracas à ces personnes, loin de là ! Simplement je m'interroge sur le périmètre des personnes qui seraient ainsi protégées.

S'agissant d'Internet, l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication, l'OCLCTIC, dispose de « cyberpatrouilleurs » qui peuvent se faire passer pour des personnes ordinaires et ainsi permettre de démasquer certaines pratiques.

Par ailleurs, les services de renseignement, de police et de gendarmerie me semblent assez vigilants. Je ne connais pas le détail de leurs activités, mais je pense que votre question pourra être utilement posée aux représentants de ces services.

L'internet, avec tous les avantages qu'il procure, est aussi source de dangers et, dans le domaine pénal, à double titre. En effet, le nombre de victimes potentielles est très aisément démultiplié et le sentiment d'impunité chez les auteurs conduit sans doute au développement d'une délinquance particulière sur Internet. C'est l'une des préoccupations du ministère et des services de police et de gendarmerie. Cette préoccupation n'est pas nouvelle, mais sera probablement d'une plus grande actualité encore au cours des prochains mois.

M. Alain Milon , président .- La parole est à M. Alain Fauconnier.

M. Alain Fauconnier . - J'ai deux questions.

La première porte sur les associations loi 1901.

Dans ma collectivité, je fais relever à peu près tous les mois les déclarations de nouvelles associations. Lorsque mes services ou d'autres services attirent mon attention sur un problème éventuel, je transmets à la gendarmerie, qui en fait ce qu'elle a à en faire.

Sans être spécialiste des sectes, on constate globalement qu'entre 30 % et 40 % des associations recensées chaque mois sont en fait des couvertures pour des pratiques curieuses.

Les associations ont des obligations réglementaires : tenir une assemblée générale, déclarer leurs comptes. Si vous avez un doute, qu'est-ce qui est mis en oeuvre pour obliger ces structures à respecter un minimum de règles, les mêmes que celles qui sont appliquées aux autres, qu'il s'agisse de la pratique du football, du rugby ou de la danse, par exemple ?

Ma seconde question porte sur le problème du lien entre l'Education nationale et le ministère de l'intérieur sur ces sujets-là.

Mes services constatent très souvent que, derrière la pseudo-scolarisation à domicile, un certain nombre d'enfants sont, en fait, déscolarisés. Les services de l'Etat, Éducation nationale ou services sociaux divers et variés, sont totalement démunis et ne peuvent que constater ces situations. Qu'avez-vous l'intention de faire ? Ce sont des enfants qui sont touchés et c'est le plus souvent par ce biais que des scandales particuliers ont été révélés.

Mon territoire - je ne sais pas s'il est qualifié de « sensible » par votre administration -, le sud Aveyron -, compte une quantité non négligeable d'enfants déscolarisés - scolarisés à la maison, paraît-il ! - et de plus en plus de situations, à mon avis dangereuses, me sont signalées par les services sociaux.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Avec Louis-Xavier Thirode, nous allons nous partager les réponses à apporter à vos questions.

Selon le répertoire national des associations, qui recense toutes les associations déclarées, il existe près de deux millions d'associations, dont environ un million sont considérées comme vivantes, soit près de 10 000 associations par département à suivre, monsieur le sénateur... Même si les associations ont des obligations (la réunion de leurs organes dirigeants, par exemple) il n'existe aucun contrôle et l'on ne peut pas exercer de suivi précis.

L'État se concentre sur les associations reconnues d'utilité publique, qui sont environ 2 000, et sur les associations qui remplissent des missions de service public : vous avez cité le domaine sportif, mais il faut aussi considérer les associations qui oeuvrent dans le domaine social. Je dois également signaler les associations qui disposent d'une certaine surface financière, celles qui reçoivent plus de 153 000 euros, soit de dons, soit de subventions, et qui ont l'obligation de publier leurs comptes. Celles-là font l'objet d'un suivi beaucoup plus attentif. Les associations qui font appel à la générosité publique relèvent de la juridiction de la Cour des comptes.

Pour toutes les petites associations, comme vous l'avez indiqué, le suivi consiste en une attention particulière, un signalement qui peut être transmis aux services de police et de gendarmerie.

Je ne vois pas comment on pourrait, tout en respectant la liberté d'association, demander à vérifier des comptes rendus d'activité que nous ne pouvons pas exiger.

Je laisse Louis-Xavier Thirode vous répondre sur la déscolarisation.

M. Louis-Xavier Thirode , chef du bureau central des cultes . - Il s'agit, plus généralement, de cours à domicile. Nous ne sommes pas forcément les plus qualifiés pour répondre sur cette question, qui relève davantage du ministère de l'éducation nationale. Néanmoins, elle fait écho à des débats que nous avons eus lors du dernier Comité exécutif de pilotage opérationnel de la Miviludes, car elle se pose également pour d'autres types de mouvements religieux.

L'affaire Tabitha's Place , dont vous avez certainement entendu parler, est un archétype à cet égard. Il faut savoir que les questions d'enseignement sont assez bien balisées lorsqu'une école se déclarant comme telle est mise en place. Des contrôles préalables et postérieurs à l'ouverture sont effectués. Ils sont relatifs à la pédagogie, d'une part, et à la sécurité, d'autre part. On peut se demander s'ils sont suffisants et s'il ne serait pas souhaitable d'envisager aussi un contrôle du contenu des enseignements.

En revanche, on rencontre des difficultés pour contrôler tout ce qui se développe en marge de ce système, comme les cours à domicile ou les associations ne déclarant pas l'ouverture d'une école. Un phénomène de déscolarisation peut alors apparaître, concernant un certain nombre de modes d'éducation susceptibles d'intéresser votre commission d'enquête, mais aussi des mouvements religieux plus radicaux ou fondamentalistes.

M. Alain Milon , président . - La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson . - S'agissant de la scolarisation à domicile, au-delà des structures mises en place par certains mouvements, des parents peuvent se sentir investis d'un pouvoir suprême sur leurs enfants et devenir les promoteurs d'un tel mode d'éducation. Il est difficile de les persuader d'agir autrement.

Puisque nous discutons des dérives sectaires et de leurs incidences sur la santé, je rappelle que cette problématique concerne deux ministères, ceux de la santé et de l'intérieur.

Le ministère de la santé a été profondément réorganisé, avec en particulier la création des agences régionales de santé, dont il n'est pas question de remettre en cause le bien-fondé. Toutefois, un certain nombre de préfets nous indiquent que cette nouvelle organisation dissocie fortement, dans bien des domaines, par exemple la prévention des catastrophes, leur action de celle des directeurs généraux de ces agences, que l'on pourrait presque qualifier de « préfets sanitaires ». On observe notamment des difficultés relationnelles entre les uns et les autres. Ne croyez-vous pas nécessaire d'assurer une meilleure transversalité et d'établir des liens beaucoup plus forts, à l'échelon tant national que territorial ? Je rejoins ainsi la préoccupation exprimée tout à l'heure par M. le rapporteur quant à la mise en place de réunions de commissions et groupes de travail prévus au niveau départemental, afin de pouvoir recueillir un maximum de renseignements et d'être ainsi plus efficaces en matière de prévention des dérives sectaires.

M. Alain Milon , président . - La parole est à M. Alain Fauconnier.

M. Alain Fauconnier . - En évoquant tout à l'heure une déscolarisation ou une pseudo-scolarisation à la maison, je pensais à une secte installée sur mon territoire, qui a l'« habileté » de dispenser un enseignement aux enfants sans avoir ouvert une école. Les assistantes sociales et les services de l'éducation nationale rencontrent d'énormes difficultés pour lui faire simplement respecter la loi. Le problème, qui perdure et excède tout le monde, relève en fait de la police et de la justice.

M. Alain Milon , président . - La parole est à M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Madame la sénatrice, je partage votre préoccupation d'assurer une meilleure transversalité à l'échelon territorial, à l'image de celle que nous nous efforçons de mettre en place entre administrations centrales.

N'ayant jamais exercé de fonctions préfectorales, je ne suis sans doute pas le plus qualifié pour évoquer cette question, mais je sais que les préfets, qui représentent pourtant l'ensemble des ministres, rencontrent des difficultés pour bien coordonner l'action des services de certaines administrations de l'Etat.

M. Alain Milon , président . - La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz . - On a l'impression qu'on a peur d'intervenir contre ces sectes ! Tout se passe comme si on ne pouvait rien faire contre elles, comme si elles bénéficiaient de protections. Il doit tout de même exister des moyens d'agir !

M. Alain Milon , président . - La parole est à M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Je tiens à vous rassurer, madame la sénatrice, je n'ai pas peur ! (Sourires.) Je ne pense pas que beaucoup de fonctionnaires aient peur d'intervenir. Ce qui est difficile, c'est d'appréhender les comportements de ces mouvements, qui sont, cela est vrai, particulièrement habiles à se jouer des législations et des contrôles. Ils exercent en outre une pression psychologique sur les personnes soumises à leur emprise, ce qui entrave largement l'émergence du phénomène. En tout état de cause, les difficultés ne tiennent absolument pas à une crainte ou à un désintérêt des services de l'Etat.

Plusieurs d'entre vous l'ont dit, nous ne sommes peut-être pas organisés de la meilleure façon pour concentrer, à un moment donné, les contrôles et les actions sur les mêmes mouvements, comme cela se fait pour lutter contre d'autres formes de délinquance. Il est vrai que lorsqu'on soupçonne la commission d'infractions à caractère sectaire au sein d'un mouvement, la coordination de l'ensemble des contrôles administratifs, policiers, sociaux et fiscaux permettrait probablement d'obtenir de meilleurs résultats. C'est sans doute là une piste de travail intéressante.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous nous dites, monsieur Touvet, que l'on n'utilise pas forcément les bonnes méthodes. Puisque vous êtes chargé de mettre en oeuvre la législation relative aux cultes, dont relève la répression des dérives sectaires, je souhaiterais connaître vos préconisations en la matière.

Je voudrais abonder dans le sens de mes collègues. En tant que président d'une communauté d'agglomération, je suis invité tous les ans à participer à une commission administrative sur la protection de la chauve-souris qui réunit une quarantaine de représentants de diverses collectivités et administrations...

Mme Christiane Kammermann . - Il y a des choses plus importantes !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pas un préfet en France n'oublie d'organiser de telles réunions ! Je ne doute pas que ce ne soit extrêmement important en matière de protection de la biodiversité, mais il serait bon que les préfets fassent preuve de la même diligence pour ce qui concerne la lutte contre les dérives sectaires.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Monsieur le rapporteur, il s'agit justement de l'une des instructions de la circulaire du 26 décembre 2011 : le préfet doit veiller à réunir, au moins une fois par an et en tant que de besoin en fonction des nécessités locales, le groupe de travail spécifique mentionné dans la circulaire de 2008.

Nous serons particulièrement attentifs, notamment pour ce qui concerne la remontée d'informations, à ce que les préfectures s'étant signalées par un certain manque de vigilance en la matière au cours de ces dernières années s'investissent davantage en 2013.

M. Alain Milon , président . - Pour rebondir sur l'intervention de M. le rapporteur, j'indique que j'ai eu hier une réunion de travail avec le préfet de Vaucluse, qui s'oppose à l'installation sur mon territoire d'une zone d'activité de 100 hectares, avec 700 emplois à la clé, au seul motif qu'elle se trouverait à moins de trois kilomètres d'un lieu où vivent des chauves-souris. On est vraiment dans l'aberration complète !

Pour terminer cette audition, messieurs Touvet et Thirode, je voudrais vous interroger sur les points suivants.

Tout d'abord, l'ensemble de nos collègues ont souligné la nécessité d'une bonne coopération entre les différents services de l'Etat : existe-t-il une coopération du même type au niveau européen ? Sinon, ne conviendrait-il pas de la mettre en place ? Internet permet en effet à certains mouvements de mener leur action sans tenir compte des frontières.

Ensuite, vous avez évoqué tout à l'heure l'émergence de nouvelles communautés non religieuses : pouvez-vous développer ce point ?

Enfin, la communauté des Béatitudes est issue de la religion catholique : d'autres grandes religions sont-elles propices à l'apparition de sectes de ce type ?

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Je l'ai dit, la DLPAJ participe à la coopération interministérielle dont la mise en oeuvre est confiée à la Miviludes. Cette dernière a des contacts avec ses homologues européens. Dans le même esprit, les services de police et de gendarmerie de différents États européens échangent bien sûr des renseignements, comme ils le font dans d'autres domaines, pour d'autres types de délinquance. Je n'ai pas, pour ma part, de contacts personnalisés avec mes homologues d'autres pays de l'Union européenne.

S'agissant des nouvelles communautés religieuses, le chef du bureau central des cultes me semble mieux placé pour vous fournir des détails. Je lui cède donc la parole.

M. Louis-Xavier Thirode, chef du bureau central des cultes . - Au préalable, pour revenir sur la remarque de M. le rapporteur, ne doutez pas que le travail policier d'investigation et de poursuite judiciaire au niveau local est réalisé. La difficulté, en matière d'organisation de la lutte contre les dérives sectaires, tient sans doute à la multiplicité des organismes susceptibles d'intervenir à l'échelon local, qui peut entraîner une certaine confusion. Si les préfets ne réunissent pas le groupe de travail spécifique, c'est peut-être parce qu'ils organisent leur action au sein d'autres instances.

Cette action des préfets revêt deux dimensions.

Quand une affaire présente une certaine importance ou a des ramifications dans plusieurs départements, ils adressent un signalement à l'échelon central. La Caimades, la cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires, peut alors entrer en action.

Sinon, ils effectuent simplement un travail judiciaire au niveau local. En tout état de cause, des informations judiciaires sont ouvertes, des signalements sont effectués tant au niveau local qu'au niveau national.

La Miviludes et le ministère en sont tombés d'accord cette année : mettre en place une recherche proactive de renseignements et examiner précisément, conjointement avec l'administration centrale, ce qui se passe dans quelques départements ciblés où se manifestent des phénomènes sectaires importants pourrait vraiment représenter un « plus ». La Miviludes et le ministère ont décidé de retenir cette méthodologie.

J'en viens aux communautés nouvelles. Il s'agit d'une terminologie surtout employée dans l'Eglise catholique, pour désigner des mouvements charismatiques nés à la fin des années soixante-dix ou au début des années quatre-vingt. Ces mouvements se sont développés soit en relation directe avec Rome, soit autour de personnalités particulièrement charismatiques, soit au bénéfice d'une moindre autorité diocésaine. Même s'il convient de ne pas le surestimer, ce phénomène est une réalité, qui s'incarne aujourd'hui dans des associations et des congrégations nouvelles, revendiquant davantage d'autonomie par rapport à l'organisation traditionnelle de l'Eglise. L'une d'entre elles, la communauté des Béatitudes, a défrayé la chronique, mais il en existe de nombreuses autres qui exercent tranquillement leurs activités en France aujourd'hui.

On assiste à l'autonomisation d'un certain nombre de courants religieux dans tous les cultes, plus particulièrement au sein de l'Islam, où il n'existe pas d'autorité religieuse clairement affirmée, ce qui est propice à la fragmentation en communautés pouvant être amenées à se replier sur elles-mêmes. Une telle situation est problématique, surtout quand ces mouvements prônent des valeurs fondamentalistes, ce qui aboutit parfois à une rupture du lien social et au développement d'une économie autarcique.

C'est une tendance préoccupante, contre laquelle les cultes institués essaient de lutter en exerçant un contrôle plus étroit ou en réaffirmant leur autorité sur les nouveaux mouvements.

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, avez-vous d'autres questions à poser ?...

Monsieur le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, monsieur le chef du bureau central des cultes, nous vous remercions de vos réponses.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page