INTRODUCTION

Le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi qui fait l'objet du présent rapport est la retranscription de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, fruit d'une négociation à laquelle ont participé l'ensemble des partenaires sociaux 7 ( * ) .

Comme l'a rappelé le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, lors de la présentation du texte à l'Assemblée nationale 8 ( * ) , cet accord, dans un contexte difficile de crise économique et sociale, a pour ambition de prendre à bras-le-corps les principaux enjeux du marché du travail pour fonder un nouvel équilibre conciliant le besoin d'adaptation des entreprises et l'aspiration des salariés à la sécurité de leur emploi.

Les auditions que nous avons menées ont permis aux représentants des organisations syndicales - tant signataires 9 ( * ) que non signataires de l'accord 10 ( * ) - de nous faire part de ce qu'ils estimaient être des imperfections du texte final, reflet des nécessaires compromis qui ont rendu l'adoption du texte possible.

Le travail du législateur doit donc, sans remettre en cause les équilibres du texte, tenter de remédier à ces imperfections et préciser juridiquement les choses.

C'est ce qu'ont fait les députés, saisis en première lecture, qui ont apporté des modifications dont certaines vont dans le sens des travaux de notre délégation.

Votre rapporteure, qui a toujours cherché à donner la priorité à la négociation sociale au niveau le plus pertinent des sujets abordés 11 ( * ) , ne peut que se féliciter que le Gouvernement ait fait le choix de consulter en amont de la présentation du projet de loi, l'ensemble des partenaires sociaux sur un sujet qui touche aux modalités d'organisation et d'exercice des rapports de travail dans les entreprises.

Toutefois, cette méthode n'a d'intérêt que si les syndicats représentatifs des salariés sont en mesure de peser réellement sur les négociations.

Or, avec 7 à 8 % de salariés syndiqués aujourd'hui, la France a le plus faible taux de syndicalisation des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) 12 ( * ) .

Sur ces 1 845 000 salariés membres d'un syndicat pour l'année 2003, 1 050 000 sont fonctionnaires.

Il ressort par ailleurs des données sectorielles que les salariés du secteur privé représentés par ces syndicats sont fortement concentrés dans un petit nombre de branches, essentiellement dans l'industrie.

Cette situation est particulièrement peu propice à la prise en compte des spécificités du travail féminin , dont on a précédemment regretté la persistance sur le marché du travail.

En effet, comme l'ont analysé les rapports précités 13 ( * ) , les femmes sont surreprésentées dans le secteur tertiaire. En 2010, on comptait plus de 95 % de femmes dans trois métiers peu qualifiés de services aux particuliers (assistantes maternelles, aides à domicile, employées de maison) et plus de 70 % parmi les agents d'entretien et les employés du commerce, dans lesquels le taux de syndicalisation est, de par la nature même des emplois, particulièrement bas.

Par ailleurs, comme notre rapporteure a pu le signaler aux personnes auditionnées, il est paradoxal de constater que, bien que minoritaires parmi les personnes syndiquées - les femmes représentent 44,5 % de l'effectif de la CFDT, 38,3 % de la CFTC, 28 % de la CGT et 45 % de FO 14 ( * ) - ce sont le plus souvent des femmes qui sont désignées par les organisations syndicales pour traiter des sujets de « genre ».

La délégation considère, par conséquent, que l' équilibre des compromis réalisés dans les négociations - tant en amont de l'écriture des textes qu'au moment de leur application concrète au niveau des branches - ne sera garanti que par une forte représentation syndicale des salariés dans toutes les branches .

Alors que le Gouvernement a fait le choix de renforcer l'adaptation sectorielle de l'organisation du travail en privilégiant les branches professionnelles comme niveau le plus pertinent de la négociation sociale, il est essentiel de renforcer le poids des syndicats représentatifs des salariés.

Par ailleurs, reprenant une recommandation 15 ( * ) déjà formulée par notre délégation, la délégation demande aux organisations syndicales de faire en sorte que les listes de candidatures aux élections au comité d'entreprise et à la délégation du personnel permettent une représentation proportionnelle des femmes et des hommes reflétant leur poids respectif au sein de l'effectif de l'entreprise .

Pour procéder à l'examen du présent projet de loi et, en particulier, à ses incidences sur l'emploi des femmes, votre rapporteure a tout d'abord axé ses travaux sur les articles 7 et 8 du projet de loi, relatifs respectivement aux contrats courts et au temps partiel.

Mais, au fil d'un examen plus approfondi et des auditions, il s'est avéré que l'ensemble des dispositions du projet de loi avaient, directement ou indirectement, un impact sur les conditions d'emploi et d'organisation du temps de travail des femmes.

Après cet examen attentif, la délégation considère que :

le respect des textes relatifs à l'égalité professionnelle et le renforcement du dialogue social sont deux conditions nécessaires à la bonne application de la loi (I) ;

les femmes ne doivent pas servir de « monnaie d'échange » à la flexi-sécurité dans l'entreprise : l'ensemble du projet de loi a été examiné à la lumière de ce principe (II).

Les recommandations formulées par la délégation sont le reflet de ces deux exigences.

I. LE RESPECT DES TEXTES RELATIFS À L'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE ET LE RENFORCEMENT DU DIALOGUE SOCIAL SONT LES DEUX CONDITIONS PRÉALABLES À LA BONNE APPLICATION DU PROJET DE LOI

En 2012, à emploi et compétences égales, les salaires des femmes restent en moyenne inférieurs de 27 % par rapport à ceux des hommes. Empêchées d'accéder aux postes de direction par de subtils procédés de discrimination directe ou indirecte, elles ne représentent que 17,2 % des dirigeants de société 16 ( * ) et 20,3 % des emplois de direction dans le secteur public.

Par ailleurs, avant que la loi du 27 janvier 2011 17 ( * ) n'impose des quotas de femmes (20 % en 2014 et 40 % en 2016), elles n'étaient que 15,3 % dans les conseils d'administration des entreprises du CAC 40.

Ces médiocres résultats reflètent la faible application des textes tendant à garantir l'égalité effective des femmes et des hommes dans les entreprises, comme dans la fonction publique.

A. SE DONNER LES MOYENS DE FAIRE APPLIQUER LES TEXTES RELATIFS À L'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE : PASSER DE L'ÉGALITÉ FORMELLE À L'ÉGALITÉ RÉELLE

La question de l'égalité professionnelle n'est pas, en tant que telle, traitée dans le présent projet de loi. Elle fait actuellement l'objet de négociations en cours sur la qualité de vie au travail, dont l'un des objectifs est d'impulser la mise en oeuvre d'actions concrètes pour rendre plus efficace la négociation annuelle portant sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de favoriser une utilisation dynamique du rapport de situation comparée (RSC).

Les négociations partent d'un constat partagé : actuellement, les textes relatifs à l'égalité professionnelle sont en France suffisamment précis et fournis, mais ils sont très mal appliqués.

Les inégalités professionnelles - et en particulier salariales - reflétant souvent une accumulation de pratiques discriminatoires ou différenciées subies par les femmes, il semble essentiel à votre rapporteure de rappeler que le respect des obligations résultant de ces textes garantira une application équitable et juste des dispositions du présent projet de loi.

Dans un rapport remis le 7 février 2012 sur la proposition de loi relative à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes 18 ( * ) , notre délégation rappelait que le dispositif légal en faveur de l'égalité professionnelle relevait de la responsabilité du chef d'entreprise et des partenaires sociaux et qu'il reposait, notamment, sur deux obligations : celle de remettre au comité d'entreprise un rapport écrit sur la situation comparée (RSC) et celle d'engager des négociations collectives sur l'égalité professionnelle 19 ( * ) .

Ce dispositif est peu respecté par les entreprises. En 2010, on ne relevait que 37 accords de branches abordant ou traitant spécifiquement de l'égalité professionnelle, soit 3 à 4 % de l'ensemble des textes et seulement 2 000 entreprises déclarant un délégué syndical avaient signé un accord collectif abordant la question de l'égalité professionnelle.

Il est essentiel de se donner aujourd'hui les moyens de faire appliquer les textes législatifs existants relatifs à l'égalité professionnelle.

Pour votre rapporteure, la menace de la sanction financière 20 ( * ) - si elle est utile - ne peut être considérée comme une politique d'accompagnement des entreprises dans la mise en oeuvre de l'égalité professionnelle.

Cette politique publique doit s'appuyer sur deux leviers :

la structuration d'un réseau territorial de veille et de soutien à la négociation collective de branche et d'entreprise qui s'appuiera sur les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) et sur le réseau des déléguées régionales aux droits des femmes au sein du Secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR) ;

la possibilité pour les entreprises de bénéficier de moyens logistiques et budgétaires pour accompagner la concrétisation de l'égalité professionnelle sur les lieux de travail.

1. La structuration d'un réseau territorial de veille et de soutien à la négociation collective de branche et d'entreprise relative à l'égalité professionnelle

La délégation reprend ici, en la précisant, une proposition déjà formulée par la délégation lors de l'examen de la proposition de loi relative à l'égalité professionnelle en 2012.

Les déléguées régionales aux droits des femmes et les chargées de mission départementales qui, localement, sous l'autorité du préfet de région et du préfet du département, mettent en oeuvre les mesures gouvernementales prises en faveur des femmes, ont vu progressivement leurs prérogatives et leur influence diminuer, notamment après leur rattachement auprès du SGAR.

Elles doivent retrouver leur force de proposition et d'action, notamment auprès des organisations syndicales engagées dans les négociations sociales relatives à l'égalité professionnelle.

Pour ce faire, elles doivent être investies des mêmes compétences que les préfets de région sur les différents services déconcentrés du ministère du travail (DIRECCTE, inspection du travail).

Ce n'est qu'à cette condition qu'elles pourront impulser, soutenir et exercer une veille constructive sur la négociation sociale relative à l'égalité professionnelle qui doit permettre d'apprécier, pour chacune des catégories professionnelles de l'entreprise, la situation respective des femmes et des hommes en matière d'embauche, de formation, de promotion professionnelle, de qualification, de classification, de conditions de travail, de rémunération effective et d'articulation entre l'activité professionnelle et l'exercice de la responsabilité familiale.

Votre rapporteure souhaite que le ministère des droits des femmes engage un plan d'actions sur ce sujet et formulera une recommandation en ce sens.

2. Donner aux entreprises les moyens logistiques et budgétaires de concrétiser l'égalité professionnelle sur les lieux de travail

Beaucoup d'entreprises, pourtant de bonne volonté, sont parfois découragées par la complexité de la loi et par les incidences financières résultant de la mise en oeuvre concrète des obligations légales en faveur de l'égalité professionnelle.

Il est essentiel, pour en assurer une application effective, que les services de l'État impulsent une véritable politique d'accompagnement à la concrétisation de l'égalité professionnelle sur les lieux de travail , d'une part en renseignant les entreprises sur la possibilité de bénéficier d'aides publiques, d'autre part en encourageant l'aménagement individuel des postes de travail.

Sur le premier point, l'entrée en vigueur de la loi « Roudy » de 1983 21 ( * ) s'est accompagnée de la mise en place d'aides publiques destinées aux entreprises mettant en oeuvre un plan pour l'égalité professionnelle afin d'assurer l'égalité entre les hommes et les femmes dans l'entreprise.

Certains de ces dispositifs ont été abrogés et remplacés depuis 2011 par les « contrats pour la mixité des emplois et l'égalité professionnelle », passés entre l'État (représenté par le préfet de région) et l'employeur ou une organisation professionnelle ou interprofessionnelle pour participer aux dépenses directement imputables à la mise en oeuvre des engagements, qui peuvent porter sur tout ou partie des actions prévues par le plan pour l'égalité professionnelle.

En 2012, les contrats pour la mixité des emplois et les contrats d'égalité professionnelle ont été fondus en un seul contrat permettant de financer des formations qualifiantes et/ou des aménagements de poste de travail. Une disposition réglementaire a concrétisé cette fusion.

Ainsi, en 2012 les délégations régionales aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes ont conclu 181 contrats pour la mixité des emplois et l'égalité professionnelle dans les entreprises, pour un montant total de 613 217 euros, soit un coût moyen de 3 388 euros par contrat. Près de 2 400 personnes ont bénéficiés de ces contrats.

En 2013, 800.000 euros sont prévus et notifiés en 2013 aux déléguées régionales pour ce dispositif dont l'imputation budgétaire a été modifiée (de l'action 11 vers l'action 14).

Le ministère des droits des femmes a demandé de mieux inscrire ce dispositif dans une démarche d'égalité professionnelle construite à l'échelon régional.

Votre rapporteure souhaite que ces dispositifs soient renforcés et formulera une recommandation en ce sens.

Enfin, il faut encourager les entreprises - comme dans le secteur du bâtiment par exemple - à aménager les postes de travail pour rendre la mixité effective sur les lieux de travail. Cela implique l'adaptation des machines et la mise en place d'équipements spécifiques, tels des vestiaires réservés aux femmes.

La délégation souhaite, par ailleurs, que la négociation en cours sur la qualité de vie au travail et l'égalité professionnelle aboutisse à des propositions concrètes sur ces sujets. Certaines déléguées des organisations syndicales, auditionnées par votre rapporteure, et participant à ces négociations, ont partagé cet objectif.

La délégation sera vigilante au contenu de l'accord qui résultera de ces négociations.

D'une manière plus générale, le présent projet de loi, issu d'une large concertation sociale, doit permettre de relancer la dynamique de la négociation sociale, en particulier dans les branches professionnelles.


* 7 En prenant en compte la nouvelle représentabilité issue des élections de mars 2013, l'ANI aurait été signé à plus de 51 % des voix.

* 8 Le mardi 2 avril 2013.

* 9 La Confédération française démocratique du travail (CFDT), la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC).

* 10 Force ouvrière (FO) et la Confédération générale du travail (CGT).

* 11 Voir la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dite « loi Génisson », qui créé une obligation de négocier sur l'égalité professionnelle au niveau de l'entreprise et au niveau des branches.

* 12 Chiffres issus de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), 2012.

* 13 Rapport du CESE et des délégations aux droits des femmes de l'Assemblée nationale et du Sénat.

* 14 Chiffres issus d'une étude de la Confédération européenne des syndicats datée de 2009.

* 15 Recommandation formulée dans le rapport d'information n° 334 (2011-2012) fait par Michèle Meunier, sénatrice, au nom de la délégation aux droits des femmes, sur la proposition de loi (n° 230, 2011-2012) relative à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, présentée par Claire-Lise Campion, Michèle André, Catherine Génisson, François Rebsamen et les membres du groupe socialiste et apparentés.

* 16 Source : Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), 2008.

* 17 Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle (JO du 28 janvier 2011).

* 18 Rapport n° 334 (2011-2012) de Michèle Meunier précité.

* 19 En vertu notamment de la loi n° 83-635 du 13 juillet 1983, dite « loi Roudy », complétée par la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, dite « loi Génisson », complétée par la loi n° 2006-340 du 23 mars 2006.

* 20 En vertu de l'article L. 2242-5-1 du code du travail, les entreprises de 50 salariés et plus qui n'ont pas négocié d'accord relatif à l'égalité professionnelle au 1 er janvier 2012 peuvent être sanctionnées financièrement ; le montant de la pénalisation est fixé par la DIRECCTE, après un délai de 6 mois laissé à l'employeur défaillant pour se mettre en conformité et ne peut dépasser 1 % des rémunérations.

* 21 Loi n° 83-635 du 13 juillet 1983 dite « loi Roudy » précitée.

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